«Pawol Kreyol»

La soirée-conte du Festival «Variations Caraïbes»
Première édition à Paris
C’était le 28 septembre 2006:

L’Oralité créole en envol!

par Véronique LAROSE 

Pawol Kreyol

Alfred ALEXANDRE | Ano (Eddy FIRMIN) | Nicole CAGE-FLORENTINY | Philippe CANTINOL | Aimé CÉSAIRE | Ina CESAIRE | Patrick CHAMOISEAU | Romuald CHERY | Pierre CLERY | Maryse CONDÉ | Raphaël CONFIANT | Tony DELSHAM | Suzanne DRACIUS | Suzanne DRACIUS 2 | Igo DRANÉ | Jules EULALIE | Rodolf ETIENNE | Daniel ILLEMAY | Félicien JERENT | Fabienne KANOR | Elise LEMAI | Alain MABIALA | Didier MANDIN | Tony Mango | Elvire MAUROUARD | Ruth Narbonnais | Daniel-Yves PHAROSE | Gisèle PINEAU | Audrey PULVAR | Juliette SMERALDA | Sylvia SERBIN | Joseph ZOBEL | Adèle et la Pacotilleuse | Cénesthésie et l’urgence d’Etre… | La Compagnie «BOUKOUSOU» de Max DIAKOK | Des travaux collectifs littéraires | La permanence psychologique du CASODOM | La Noce chez les Petits Bourgeois…créoles | Nous étions assis sur le Rivage du monde… | Quand la Révolution, aux Amériques, était nègre… | «l’Alchimie des Rêves» | «Les Voix nègres de Victor Hugo» | Pour une Mémoire musicale antillaise | Le «Quiz-kréyol» de Philippe MARIELLO | Les Postiers déracinés Provinciaux, Antillais… des racines et des lettres» | La Mémoire enchaînée – Questions sur l’Esclavage de Françoise Vergès | Les Editions DESNEL | Deux recueil des Editions DESNEL | Hommage à Aimé Césaire - Symphonies Nègres | L’Oralité créole en envol! | Atelier de créole à Paris | L’Avenir est Ailleurs | Atelier de créole à l’Amicale RATP DOM TOM | En Poésie la Vie | Ti Niko le héros espiègle | «A l’ombre du Corossolier» | La Prison vue de l’intérieur | Zôdi nonm | Pilibo | Xavier Harry | Mes Quatre Femmes | Firmine RICHARD

Variations caraïbes

 

«Variations Caraïbes» …un nom qui appelle les Ailleurs, déclinés en expressions plurielles. La vocation de cette première édition: «le Premier Festival des Cultures des la Caraïbe Créole et Francophone à Paris». L’en-tête de cette manifestation promet et programme un foisonnant panorama kréyol: des expositions, des manifestations littéraires et théâtrales, de la musique, des arts visuels, des contes, du slam, des débats, des conférences, etc. sur deux lieux de rendez-vous: la Maison des Cultures du Monde et l'Alliance Française à Paris. Ce festival se place sous l'égide culturelle de trois volontés-phares: "rancophonie, Métissage, Diversité".

La soirée du 28 septembre2006 était consacrée à trois talents-élans d’Oralité créole: «Conteur Soleil» (Patrick CHEVAL), Igo DRANÉ et Philippe CANTINOL. Le public – «la cour» -  a pu partager avec eux une complice interactivité, fébrile: petits et grands guettaient, réceptifs-véyatifs, les codes traditionnels du conte ponctué en «yé kri! yé kra! yé mistikri! yé mistikra!», «est-ce que la cour dort? – non, la cour ne dort pas!». Ces apostrophes toniques, invitent au voyage. Chaque «Passeur de Paroles» est venu avec son univers, son imaginaire, son itinéraire. Oralités insulaires!

Plus d’infos sur leur site Variations Caraïbes. 

1. «Conteur Soleil» - Patrick CHEVAL [Gwadloup], la Cie des Mornes Bleus

Les facéties de Compère Lapin

Ce Conteur Soleil a su captiver – en français - le public en l’invitant dans du répondant éloquent. Il annonce d’emblée son engagement pour le rusé Compère Lapin en se déclarant «le meilleur ami de Compère Lapin». Hyperactif, il mime ses personnages avec gestes et bruitages suggestifs. Le fond sonore permet de vivre et suivre ses aventures. Dans la «cour», des rires s’éveillent et accueillent les péripéties de ce malicieux personnage.

L’originalité de ce Conteur: une modernité de la figure traditionnelle de Compère Lapin, des chansons entraînantes et…beaucoup d ‘énergie ! Une invention et une invitation d’Oralité: Conteur Soleil a crée un expressif «Yestak!» qui doit trouver dans le public un écho «mi kon sa!»

2. Igo DRANÉ [Matinik]: son «carambolage de Paroles»

Accompagné d’un énergique trio musical, il a choisi de brandir son «bâton à paroles» dans ce «tribunal de la Parole», pour faire surgir contes, anecdotes et vérités bien senties, comme «un envol de paroles folles» qui viendrait nous «chatouiller les conduits auditifs». Son ambition: «tenter de vous contenter». Cette parole, il l’invoque, la provoque en la citant à comparaître: les récurrences du mot «Parole» affirment et confirment sa volonté de dire.

Son verbe était illustré par la voix et les instruments (gwo ka et guitare) de ses compères de scène. Lui-même est saisissant dans la polyvalence de ses instruments: accordéon, conque de lambi, flûte, etc. Un sourire malicieux et une gestuelle perpétuelle habillent chaque phrase.

Au détour d’un humour, il glisse des paroles acides d’actualité: la loi du 23 février 2005 [article 4: sur le «rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord»], l’affaire Guy DRUT, constituent des taquineries. Une façon de «narrer l’inénarrable»? Une façon de contrer le brassage du vide, contre la «C.B.M.P.», «la Cie des Bouches en Mouvement Perpétuel», explique-t-il. Il affirme: «je ne mens jamais, même quand je ne dis pas la vérité».

Les textes d’Igo DRANÉ sont travaillés dans l’image, dans l’écho sonore, dans les modulations de tons. Ses anecdotes sont savoureuses; une femme mâtée antillaise devient «une créature» au «mouvement rotatoire» et à «la constitution féminine» envoûtants! Les effets de styles: allitérations, périphrases hyperboliques toutes dans la démesure du verbe créole qui s’envole! Pour notre plus grande satisfaction, Igo DRANÉ nous permet de «goûter un peu de créole», pour «taquiner [notre] méchant appétit de mots».

Clin d’œil: Igo DRANÉ a récemment tenu un rôle fantasque dans «La Noce chez les Petits Bourgeois…créoles ». Il incarne le père de la mariée: il rebondit sur chaque mot de la tablée pour raconter une de ses nombreuses anecdotes familiales. Ce rôle s’ajuste donc parfaitement à son expérience d’Oralité créole: le père de la mariée qu’il incarne n’est-il pas, justement, un relais de la Mémoire familiale? ses anecdotes, aux détails particuliers, et donc déplacés pour la circonstance, le rendent attachant, dans sa lutte continue pur terminer ses phrases et récits.

«La Noce chez les Petits Bourgeois…créoles»: cette pièce est une fresque sociale écrite en 1919 par le dramaturge et poète allemand Bertolt Brecht (1898 – 1956) : l’original, «la Noce chez les Petits Bourgeois», porte désormais le sceau créatif du créole, avec l’adaptation de Sylviane TELCHID. Une mise en scène dynamique que nous devons à Philippe ADRIEN.

Synopsis: Maria et Richard forment un jeune couple guadeloupéen. Jeunes mariés, ils se sont entourés de proches et amis, ravis de les accueillir dans leur cocon marital fait-main/fait-maison…Richard a en effet choisi de se faire artisan: 5 mois durant, il a lui-même confectionné le mobilier en bois, soudé bien-bien solidement grâce à une colle de sa composition. Une galerie de personnages burlesques: le père de la mariée ( Igo DRANÉ), la mère du marié (Firmine RICHARD) , la mariée (Nathalie VAIRAC), le marié (Joël JERNIDIER), une amie de la mariée (Cécile VERNANT), le compagnon rustre de celle-ci (Christian Julien), un ami du marié (et accessoirement ex-compagnon de la mariée…- Dominik BERNARD), la jeune sœur de la mariée (Elodie CAMIER), son jeune prétendant (Harold "Markiss" CHADRU).

3. Philippe CANTINOL et Jean-Claude MONTREDON [Matinik]:

Ils ont associé la voix tonnante du conteur et la batterie étonnante du musicien: «nous avons fait en sorte que nos deux univers se rencontrent» conclura, en final, Philippe CANTINOL pour expliciter ce duo atypique.

Philippe CANTINOL nous défie: il a bien l’intention de nous asséner «des coups de mots»! En patient récolteur de mots, il a envie de «répandre quelques graines de paroles». Cette parole le (main)tient debout: «me faire une petite place, laisser une petite trace». Sa voix et ses multiples tonalités: sentence, prière, coup de tonnerre, brise légère, sa voix porte en elle la Vie. Témoins de cette Oralité vive, le public: «messieurs et dames», attentifs aux codes du conte antillais. Les apostrophes et onomatopées créoles, tout est prétexte à lier le public au conteur.

Il a «ramassé des paquets de mots amassés» - pour nous seuls, «cour» réceptive. Sa parole salvatrice lui donne «la force de [se] redresser», «apaiser [sa] mémoire qui n’a jamais cesser de [l’]interpeller». Une âme tourmentée qui s’élève, s’agite, s’anime: vivante! Il dit, chante et danse ses complaintes créoles puisées dans la tradisyion, le fondok, le fon djok de notre histoire: «je marche pour les héros».

Il épouse avec sensibilité les mots et traits d’un père violent et cependant tourmenté, vitement quitté par son Eliette bien-aimée. Enfants et bagages emportés. Seul face à son échec de vie, il implore une comique supplique: «laisse-moi réamorcer le processus de ta reconquête»

Clin d’œil:Philippe CANTINOL vous a dernièrement transportés dans le spectacle de Max DIAKOK «Waka Douvan Jou». Un voyage à Malaka, petite île imaginaire, aux temps des chaînes: «une île discrète comme une virgule au milieu d’un océan de mots». Philippe CANTINOL choisit, par «coups de mots», là encore, de nous décrire le pouvoir de l’Arbre à sons qui donne un extraordinaire balan aux travailleurs de la terre. Parce qu’en ce temps-là, «le travail dictait sa loi…». Les dos cassés-krazés se redressent et les voix s’élèvent, en mélopées vibrantes. Les pieds nus foulent le sol pour un sursis de répit. Les martèlements du ka sont promesses d’espérance: «leur seul réconfort était là!». Les sons du ka deviennent «des fruits nourrissant l’oreille et l’âme» pour «voltiger les hommes dans une transe irrésistible». L’Oralité créole de Philippe CANTINOL dit une «histoire aussi véridique que la Vérité». Relater une authenticité en confiant aux mots la suggestion de l’Imagination: «ramasser des paquets de mots […] pour avoir la force de nous redresser».

 

Véronique LAROSE – le 29 sept. 2006


 

logo