Le 19 janvier 2006, la pièce «Nous étions assis sur le Rivage du monde..» de José PLIYA était présentée autour d’une soirée spéciale, initiative parrainée par la DGOM et le CIFORDOM. Après la représentation, José PLIYA et son équipe ont amicalement réservé au public un échange… d’impressions et d’expressions.
«Nous étions assis sur le Rivage du monde…» (2004) de José PLIYA - Ed. L’avant-scène théâtre – coll. des Quatre-vents - Création d’UBU COMPAGNIE - Commande de la Scène nationale de Martinique, Fort-de-France - Un événement France CULTURE, RFO, TELERAMA
Mise en scène – scénographie: Denis Marleau - Interprétée par Nicole Dogué, Ruddy Sylaire, Eric Delor et Mylène Wagram - Costumes : Daniel Fortin - Eclairage: Marc Parent - Son: Nancy Tobin
1. Synopsis - la Résilience comme survivance !
Le Rivage du Monde… Dimanche, sous le soleil de midi de la Martinique. Les avis d’obsèques se taisent, de loin en loin. Une femme, guidée par Lespwa vrai et frais. Elle revient dans sa Martinique natale, quittée pour la Métropole. L’île et la plage de l’enfance: «je l’ai immédiatement reconnue [la plage]. Elle n’a pas changé». Le temps de ses vacances, «juste de passage», elle croit en son droit de revivre son île. Dans le doux mirage de cette plage, le Rivage du Monde. Cocon?
Ses deux amis, un couple, ont choisi de l’y retrouvée pour un pique-nique dominical. Mais, retenus par les embouteillages, ils tardent… Seule, la jeune femme les attend, s’installe. Une voix de sentence s’élève contre elle et son rêve: elle reçoit une ferme et terrible injonction du propriétaire de la plage. Cette plage, privée, ne l’accueillera ni elle ni ses amis: «une plage achetée désormais» - «vous êtes chez moi, sur mes terres, sous ma loi» - «un domaine privé, réservé, inaccessible». Commence alors – entre eux - une joute verbale et physique, ponctuée de silences tendus. Démence et violence, attraction et répulsion, en ambivalence: «nous allons nous battre. […] Je serai l’agresseur, vous serez l’agressée». L’héroïne butte, continuellement, sur le même écueil du refus: «les temps changent, le pays change».
Pourtant, elle interroge plusieurs fois ce rejet, ce retrait: «pourquoi?» Ainsi, elle s’en va, debout, malgré tout : «merci monsieur, je sais maintenant» - «vous m’avez convaincue, il n’y a pas d’issue sur ce rivage. C’est comme ça…»
2. José PLIYA: itinéraires pluriels
2.1 Ses implications
José PLIYA, Béninois, a derrière lui un itinéraire scénique et dramatique dense: il est l’auteur de près d’une quinzaine de pièces – traduites et jouées de par le monde. Il a suivi un cursus littéraire et une formation théâtrale. Professeur de Lettres Modernes, Comédien, Metteur en scène, il enseigne la Dramaturgie à travers des ateliers.
Depuis septembre 2005, José PLIYA est Directeur général de L’Artchipel, la Scène nationale de la Guadeloupe. Il dirige également «ETC CARAIBE», l’association Ecritures Théâtrales Contemporaines en Caraïbe.
- Prix du Meilleur Auteur contemporain – 2003, prix de l’association «Etudiants au Théâtre»
- Prix du Jeune Théâtre – 2003, de l’Académie Française
Ses récentes implications:
- «Cannibales» (oct. 2004) de José PLIYA et mise en scène par Jacques MARTIAL, commande d’écriture de la Cie de la Comédie noire ( dirigée par Jacques MARTIAL).
- «Une Famille ordinaire» (fév. 2004) de José PLIYA et mise en scène par Philippe Adrien.
2.2 La genèse d’Ecriture de la pièce
José PLIYA définit ainsi son processus d’écriture: les observations d’abord, «l’accroche intime» ensuite pour laisser finalement «le concret me traverser». Il a ainsi rédigé 4-5 moutures de la pièce, en étroite et confiante coordination avec son équipe.
José PLIYA vit en Martinique et porte ainsi un «regard exogène» sur les réalités socio-culturelles. Il a observé l’importance des peaux au quotidien et a vécu une anecdote en tant que père d’une petite fille métisse. Ce ressenti lui a permis de trouver in facto la thématique centrale de sa pièce: «je n’aurais pas pu écrire cette pièce si je n’avais pas vécu en Martinique». Son parcours personnel, la migration, forge ses écrits: «je suis aussi le fruit de cette mémoire-là».
3. La scénographie de Denis MARLEAU
José PLIYA, durant l’échange final, rendait hommage à «l’intelligence du metteur en scène». En effet, il confiait la quasi-absence de didascalies-guides. Denis MARLEAU a su donner aux mots un espace et un temps particuliers, singuliers.
3.1 L’espace…tendu
Metteur en scène québécois, il a offert à l’écriture de José PLIYA un espace ouvert édénique: «une territoire intérieur et mental, un temps premier, à l’origine du monde» expliquait José PLIYA lors du débat, «une métaphore d’un Eden premier». Epuré : flots sonores de flux et reflux, brise douce, ciel en toile de fond azur et une plateforme de bois surélevée pour la dune de sable. Un espace qui surprend. Denis MARLEAU, lors du débat: «un choix qui s’est imposé à moi», pour «donner toute la place au langage», puisque «cet espace est investi par une femme». Le déplacement des corps, qui habitent la scène comme «un espace de déambulation où la rencontre est possible».
3.2 Le temps… suspendu
«Une dilatation du temps» précise Denis MARLEAU. Un temps qui s’étend, qui s’attend, qui s’entend. Dans les lourds silences qui creusent les distances et les non-sens entre deux personnages. Un homme et une femme… la trame d’un drame.
4. L’Ex-île
4.1 Un voyage initiatique
L’héroïne «vient régler quelque chose» (Denis MARLEAU). Elle découvre une absurdité: cet homme affirme la propriété de cet espace. Hostile, il infirme l’identité de cette «étrangère». Il martèle ce rejet: «vous n’êtes plus d’ici ni d’ailleurs». «Plus d’ici» sonne comme le déni. «Ni d’ailleurs» appuie la dérive.
Le propriétaire de la plage, du Rivage du monde, finit par rappeler cette Vérité qu’elle percevait déjà, d’instinct: «une île de strates, de castes, de rangs» - «nous ne sommes pas du même rivage» - «vous n’avez pas la même couleur de peau, elle n’est pas appropriée, elle n’est pas réglementaire» - «vous avez reçu une gifle à la mesure de votre couleur».
4.2 Des cloisons pour horizon…
La jeune femme questionne sa couleur, sa mémoire, son histoire. Perdues: «quelle est ma couleur?» - «quel bateau dois-je prendre pour trouver le rivage des origines?» - «j’en ai perdu la mémoire» - «j’ai perdu la mémoire…». Une maudition ? l’exclusion: «peut-on être maudite sur sa propre terre?...» - «demander pardon… à qui? à quoi?»
Ses deux amis, natif-natal, n’ont pas eu la force de lui révéler ce cloisonnement inextricable des peaux: «elle ne peut pas comprendre, elle n’est plus d’ici». Mais, le traumatisme de la gifle les contraint à finalement dire le pire: «tu dois tenir ta place, ta juste place».
5. Les interprètes: Nicole Dogué, Ruddy Silaire, Eric Delor et Mylène Wagram
Ils sont tous Noirs: «j’ai voulu que les comédiens soient de la même couleur» indique José PLIYA. Pour mieux dire l’étrangeté, l’absurde, du Refus.
Nicole Dogué |
L’héroïne en perte d’elle-même. Ses tonalités sont celles de l’espoir premier et de la résilience finale: «vous m’avez convaincue, il n’y a pas d’issue sur ce rivage. C’est comme ça…» |
Ruddy Silaire |
Il incarne la virilité du pouvoir de l’appropriation. Il vit la «jouissance du dominateur». Touché par l’élan de survie de la jeune femme, qui lui oppose cris et coups, il se trouble - conquis par cette «femme interdite»? «j’ai ressenti du désir pour la toute première fois». Pourquoi ne pas «essayer d’oublier les compartiments»… |
Eric Delor |
Il représente les travers du coq antillais – machiste et simpliste: il tempête («pays de merde» - «ce pays de malades») et interprète («les hommes ne frappent jamais sans raison»). Sa grande pensée: «les gens sont cons, mais sympathiques» |
Mylène Wagram |
Elle est l’amie retrouvée qui se doit, pourtant, de relayer la réalité: le jeu du bain d’hier n’est plus, il faut savoir «tenir [sa] place, [sa] juste place». |
José PLIYA a tracé un drame de la confrontation entre deux êtres, dans un cadre de l’Eden primitif. Une universalité se dégage de ce «hiatus entre l’homme et la femme» (Denis MARLEAU): décloisonner les peaux par les mots.
L’actualité de la pièce: En scène au Théâtre de la Cité Internationale – le TCI - Du 16 janvier au 7 février 2006 - 17 bd Jourdan 75014 PARIS - Tél. 01 43 13 50 50 - RER B Cité Universitaire – Bus PC, 21, 67 et 88
Contacts : L’Artchipel, Bd du Gouverneur Félix Eboué, BP 280, 97105 Basse-Terre cedex, Guadeloupe - Tél. Direction générale – José PLIYA: 0590 99 29 39 - Site Web de José Pliya.
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