Martiniquaise, OZOUA publie son second recueil de poèmes. Le premier, «la Vie au fil des Mots», a été récompensé lors du Concours Littéraire 2004 de l'Académie Francophone. Avec «Sonjé Yo», OZOUA écrit un vibrant appel à la Mémoire collective pour ces personnalités noires, d'hier et d'aujourd'hui, de par le monde. Son ambition est définie en ouverture du recueil:
«Je rends hommage aux femmes et hommes qui continuent le travail de combativité entrepris par leurs ancêtres.» (Avant-propos)
1. L'organisation symbolique du recueil «Sonjé Yo»
Le recueil se délimite en 4 partie. Elles correspondent à un coup de «ka», ce tambour d'origine guadeloupéenne, fabriqué à partir d'un tonneau de bois et recouvert d'une peau de cabri bien tendue. D'emblée s'annonce un martèlement de mots:
- « prèmyé kou ka : homaj ba zantèt mwen»
- «dèziem kou ka : lonnè è respè»
- «twazyèm kou ka : pawol ba pèp mwen»
- «katrièm kou ka : espwa»
Ces thématiques sont les orientations du recueil. Ce martèlement du «ka» et des mots sont précisés dans les poème «Frappe, tanbouyé» (p.48) et «Gwo ka» (poème de Mariline ODADAN : p.61):
«Frappe, frappe tanbouyé,
Frappe, ne t'arrête pas,
Frappe sur le tambour de nos ancêtres,
Frappe pour dire combien ô combien nos ancêtres ont souffert
Sous le joug de l'esclavage» (poème «Frappe, tanbouyé» p.48)
Il s'agit là de libérer des mots qui réclament ces ancêtres pour leur exprimer une reconnaissance, une gratitude que le Temps ne peut effacer. La Mémoire collective a ce devoir de savoir. Savoir qu'elle doit sa présente et précieuse liberté à des femmes et hommes de lutte. Debouts contre l'oppression et la maudition de l'esclavage.
2. Ces noms noirs qu'il ne faut pas oubliés: les héros anonymes et les héros célébrés
OZOUA a enrichi son recueil de Mémoire noire selon deux perspectives, deux regards:
- en rendant une existence de combat aux femmes et hommes qui ont lutté dans l'ombre
- mais aussi en rendant hommage aux héroïnes et héros: Toussaint LOUVERTURE (p.19 et p.35), DELGRES et Ignace (p.21 et 29), la Mulâtresse Solitude (p. 22 et 29), «Rosalie-Soleil» (p.34), «Surprise» (p.34), Harriet TUBMAN (p.36), Rosa PARKS (p.41), etc.
Une ambition d'écriture: rendre «présents» ces figures du passé qui ont combattu pour dé-chaîner leur existence et celle de leurs enfants.
«Man pa kay jenmen las rimersyé zot
Pou tousa zot fè ba nou
Zot ouvè an bèl chimen ba nou
Chimen libèté
[…] Viv zot !
Lonnè è Respè ! » (Poème « Ba zansèt mwen » p.14)
3. Les effets stylistiques pour un Eveil des consciences
Cette commémoration représente la substance d'écriture de la poétesse. Déterminée à déclamer des vers fortement pesés par des effets de style qui accrochent l'attention du lecteur sur cette seule idée : écouter une voix qui s'élève contre l'Oubli.
une ponctuation expressive :
OZOUA a recours à des exclamatives qui accentuent le ton du respect, de la victoire, de la vengeance, mais aussi l'injonction.
«Sonjé tou sa yo fè
Sonjé !
Pa jenmen oublié !!! » (finale du poème «Sonjé» p.29)
Une propension aux virgules pour créer un rythme heurté ou encore pour énumérer ces faits et personnalités. Egrener cette chaîne historique de la lutte nègre:
«Ton courage, ta bravoure, ton intelligence,
Ta stratégie, ton goût de l'organisation,
Ta détermination dans la lutte, la force qui t'animait,
Le don de soi, serviront à tout jamais d'exemple.» (finale du poème «Harriet TUBMAN» p. 37)
des échos sonores et des répétitions affirmatives : Marteler les mots c'est aussi les re-dire pour que chacun puisse les re-lire, et s'en imprégner. Affirmer ce que l'on dit, pour que le lecteur, en son fort intérieur, le confirme. Pour qu'il y ait écho des mots d'OZOUA.
Ainsi, le poème «Woulo» (p. 26) énumère ces noms noirs indélébiles. Un poème-hommage qui chante cette gloire posthume:
«Woulo man di zot woulo
Ba an bèl woulo
Pou tout sé moun lan ki mo pou libèté
[…]
Man ka di zot woulo
Woulo, woulo, woulo!!!»
L'affirmation se renforce dans la répétition et dans la ponctuation. Se définir comme «nègre» par exemple:
«Nègre encore Nègre, toujours Nègre» («Je suis Nègre» p.60)
le lyrisme de l'hommage : Une voix qui célèbre ces personnalités en les apostrophant, en les glorifiant, en les reconnaissant, tout simplement. Le lecteur se ré-approprie ainsi cette Mémoire noire.
L'émotion est palpable dans le poème-épitaphhe «Je grave vos noms» (p.16), dans les impératifs du poème «Sonjé» (p.29), dans l'apostrophe du poème «O toi» («O toi femme nègre/ O toi homme nègre» p.51), dans le poème-maxime de l'apparternance «An ti pawol ba zot» (p.49-50).
«Koumannyè ou sé pé woumenm
Lè ou ka viv pa pwokirasyon
Lè péyi-a pa ta-w
Lè lang la pa ta-w
[…]
Fok ou arété pran kay lézot
Sa ki ta-w, ta-w
Sa ki pa ta-w, pa ta-w ! » (« An ti pawol ba zot » p.49-50)
la mixité linguistique : créole et français Une ré-appropriaton linguistique qui résulte d'une collaboration avec Tony MANGO, président de l'association ERITAJ, à Créteil. Ce brassage est à l'image de cette envie de re-prendre cette part d'histoire et de mémoire. Un patrimoine qui est ici affiché en toute fierté et lucidité.
OZOUA nous livre un recueil de l'Espoir. L'Espoir de susciter une réflexion identitaire depuis l'Afrique-mère (poème «Afrique, mon Afrique» p.58) aux Caraïbes. En ayant la conscience historique que cette diaspora de l'esclavage doit se relever avec Dignité de ce Passé déshumanisant. Une injonction pour être «doubout» ensemble! Cet espoir marque la finale du recueil:
«Chaînes de la solidarité
Chaînes de la paix entre nous
Et entre tous les peuples.
Aujourd'hui et pour toujours
Chaînes de L'ESPOIR!» («Chaînes d'Espoir» p.68)
Véronique LAROSE
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