Elvire MAUROUARD animait au Sénat, le 15 octobre dernier, une conférence intitulée «les Voix nègres de Victor Hugo», sous l’égide la Société des Poètes français:
«De son île à Guernesey, Victor Hugo a entendu parler de John Brown. Ce dernier, né dans le Connecticut, était devenu un abolitionniste farouche. Il avait conçu un plan pour libérer les esclaves noirs par la violence. Sachant qu’il allait être exécuté, Victor Hugo a écrit un plaidoyer enflammé pour l’anti-esclavagiste. Le nom de John Brown revient vingt sept fois dans les poèmes ou des passages en prose de Victor Hugo. Et c’est au nom de John Brown qu’il supplie l’Angleterre de gracier le général Burke et les Fénians rebelles. Victor Hugo a eu le mérite de révéler au grand jour les atrocités de l’esclavage.»
Elvire MAUROUARD entend « une voix nègre» dans le méconnu roman «Bug Jagal» (1820) et dans le recueil «les Orientales» (1829). «Bug Jagal» aborde la thématique de la traite négrière: «Au 18ème siècle, tous les grands écrivains s’intéressent au Noir: Montesquieu, Rousseau, Voltaire, Diderot, Condorcet, pour ne citer que ceux-là, car son existence pose à la pensée européenne en pleine crise, le triple problème scientifique, économique, esthétique. Curieuse envers le Noir, la Pensée des Lumières en vient à lutter contre l’esclavage. La convention l’abolit par le décret du 4 février 1794. Après 1815, apparaissent des œuvres traitant du problème de l’esclavage au nombre desquelles il faut compter le premier roman de Victor Hugo «Bug Jargal» et sa lettre en faveur de John Brown».
Raphaël CONFIANT fait allusion à ce roman méconnu: «le tout premier livre de mon vénéré père se déroule aux Antilles. […] Bug-Jargal ! Rien qu’en ce mot, disait-il, ce nom plutôt d’esclave révolté, résonne toute la véhémence de l’archipel des Antilles. […] Il nous décrivait les noirs comme des créatures étranges, à peine sortis de l’animalité, sanguinaires pour tout dire, mais dotés d’un sens de la ruse si développé qu’il pouvait dérouter nos esprits européens trop engoncés dans la froide Raison magnifiée par Descartes. […] Bug-Jargal, soliloquait-il, j’ignore vraiment s’il s’agit là d’un vocable africain tant il résonne de manière gothique mais il s’est imposé à moi. Dans «Bug», il y a, je suppose, la rapidité de la sagaie, le sifflement de la flèche empoisonnée et dans «Jargal», on entend le cri primal de la bête humaine émergeant des limbes … […] A la vérité, mon père était dans l’erreur complète.» («Adèle et la Pacotilleuse» - 2005, éd.Mercure de France : p. 50-53)
Véronique LAROSE
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