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Patrick CHAMOISEAU – Errances d'une Souvenance…
par Véronique LAROSE
Pointe-Noire, Guadeloupe. Photo F.P. |
1. Errance martiniquaise
Patrick CHAMOISEAU naît en 1953, à Fort-de-France, en Martinique.
Cette ville-mère, cette ville-monde, si chère à sa mémoire (cf. l'article qui lui est consacré dans «Lire Magazin» de juin 2004 - Numéro spécial: Au Bonheur des Îles). Fort-de-France est prétexte de l'Errance, qui demeure, incontestablement selon l'auteur, «le meilleur mode de connaissance». Errance comme mouvance des sens. Lors du dernier Salon littéraire de l'Outre-mer (2004), les 16 et 17 octobre derniers, il confiait volontiers que «l'Errance est détours, drives, échappées pour se constituer. L'Errant, disponible dans le mouvement, peut s'enrichir du monde».
Patrick CHAMOISEAU est éducateur, précisément pour la ré-insertion de jeunes détenus, à Fort-de-France. Il a d'abord exercé en Métropole.
Parallèlement à ce parcours, Patrick CHAMOISEAU épanouit sa soif de la Mémoire. Il s'est intimement imprégné de lectures caribéennes depuis l'adolescence. Un retour vers les «Tracées» ethnologiques, historiques et linguistiques de la Caraïbe. Sensible à cette oralité créole, il multiplie les supports d'expression.
2. Errances identitaires : panorama généraliste
Patrick CHAMOISEAU présente la particularité de la multiplicité. Ses enjeux d'expression sont pluriels. Une expression polymorphe, dense. Au cœur de ce cheminement, la quête continue d'un imaginaire-identitaire créole.
2.1 Expansions littéraires
Ses romans, nouvelles et essais sont déclinaisons de l'expression créole. Pour étendre une réflexion d'écriture.
Ses Ecrits romanesques
Chronique des sept Misères (1986) - Prix Kléber Haedens et Prix de l'Ile Maurice.
Djobeur - un métier antillais d'hier, réactivé dans nos mémoires par le récit «vrai», d'un djobeur même au nom des siens.
Solibo Magnifique (1988)
Pendant le carnaval de Fort-de-France, «Solibo Magnifique», sieur conteur, meurt mystérieusement et brusquement devant son assemblée. L'enquête ouverte parmi tous les auditeurs, permettra de lever le voile de la Parole.
Le cycle autobiographique «Une Enfance créole»: Antan d'enfance (1990 - Prix Carbet de la Caraïbe) et Chemin d'école (1994)
Patrick CHAMOISEAU évoque le «négrillon» qu'il a été, cheminement d'une Créolité vécue.
Texaco (1992)- Prix GONCOURT
L'urbanisation, fléau moderne des petits bourgs créoles… Texaco, quartier populaire de Fort-de-France, est soumis à ce même destin. Confluence historique, linguistique et sociologique, un quartier-monde. L' âme-forte de ce quartier: Marie-Sophie LABORIEUX, dignement nommée, en secret, «Texaco» même. Un urbaniste rationnel, rebaptisé par les habitants «le Christ», devra renoncer à ses conceptions du monde occidental.
L'Esclave vieil homme et le molosse (1997)
Un homme sans âge fuit l'aliénation de l'Habitation sucrière, se laissant aller au sursaut de la «décharge», besoin impérial et violent que tout être humain captif d'un autre ressent. A sa poursuite: un molosse infernal, dressé par le Maître pour rattraper les fuyards et leur couper l'envie de recommencer.
«Le dernier coup de dent d'un voleur de banane», nouvelle intégrée dans l'essai collectif Écrire la «parole de nuit» - la nouvelle littérature antillaise (1994)
Une nouvelle morale sur la convoitise collective autour d'un pied de bananes-jaunes.
Biblique des derniers gestes (2002) - Prix Spécial du Jury RFO
Balthazar-Bodule-Jules, vit ses derniers temps de Vivant. Son existence tumultueuse, épique, nous est contée par ceux qui l'ont côtoyé. Descendant d'esclaves, Balthazar-Bodule-Jules «à l'en croire[…] était né il y a de cela quinze milliards d'années». A lui seul, il est Mémoire. Cette parole démultipliée est recueillie par un journaliste.
Ses Essais et contributions
Eloge de la créolité (1989) avec Jean BERNABE et Raphaël CONFIANT
La Créolité fondée et questionnée par Patrick CHAMOISEAU et ses deux compères, Jean BERNABE et Raphaël CONFIANT.
Lettres créoles. Tracées antillaises et continentales de la littérature: Haiti, Guadeloupe, Martinique, Guyane: 1635-1975 (1991) - en collaboration avec Raphaël CONFIANT
Une anthologie fouillée de la Parole créole.
Son, article «Que faire de la parole? Dans la Tracée mystérieuse de l'oral à l'écrit» dans l'ouvrage collectif Écrire la «parole de nuit»; la nouvelle littérature antillaise (1994)
et
Ecrire en pays dominé (1997)
Questionnements sur la liaison du «Dire» et de «l'Ecrire» créoles.
Patrick CHAMOISEAU ouvre notamment son expression à la littérature jeunesse :
- la Bande dessinée: Monsieur COUTCHA (réalisé avec son complice d'alors, Tony DELSHAM) et les Antilles sous Bonaparte (1981-en collaboration avec Georges PUISY),
- la pièce-conte Manman Dlo contre la Fée Carabosse en 1981: une opposition comique entre les contes antillais et ceux «classiques» de Perrault,
- Au Temps de l' Antan en 1988: des contes créoles récompensés par le Grand prix de la littérature de jeunesse,
- l'album illustré Emerveilles en 1998, les regards d'un enfant sur le monde : une thématique qui rappelle le cycle autobiographique de l'auteur, «Une enfance créole».
2.2 Expansions linguistiques
Patrick CHAMOISEAU participe à un ensemble de travaux sur les symboliques créoles. Ses recherches sont menées avec deux compères de la Créolité: le romancier et linguiste Raphaël CONFIANT (cf. l'article littéraire: «Raphaël CONFIANT - un Parcours sans Détours») et Jean BERNABE (linguiste à qui nous devons la graphie créole dite «graphie-Bernabé», auteur des Guides du CAPES de créole: Graphie créole et La Fable créole en 2001).
2.3 Expansions cinématographiques
Patrick CHAMOISEAU a écrit en 1999 le script du long métrage «Passage du Milieu» de Guy DESLAURIERS. En 2003, Patrick CHAMOISEAU signe le script de la fiction «Nord Plage» pour le réalisateur José HAYOT; une chronique urbaine - thème récurrent chez Patrick CHAMOISEAU - d'un quartier qui se meurt, «Nord Plage» au nord de la Martinique. Plus récemment, toujours pour Guy DESLAURIERS, Patrick CHAMOISEAU a écrit le scénario du film «BIGUINE» (2004): la ville de Saint-Pierre, l'ancienne capitale de la Martinique, devient théâtre festif de la biguine.
2.4 Expansions de la Caraïbe
Patrick CHAMOISEAU a contribué à trois ouvrages de l'authentique Mémoire: le Patrimoine.
- GUYANE, TRACES-MÉMOIRES DU BAGNE en 1994 (Photographies de R. HAMMADI): pour ériger en «patrimoine de l'humanité» le Bagne de Guyane: «nos monuments demeurent comme des douleurs. Ils témoignent de douleurs. Ils conservent des douleurs. Mais la mémoire des hommes qui étaient passés là, qui avaient souffert là, s'est mystérieusement maintenue.»
- Elmire des sept bonheurs: confidences d'un vieux travailleur de la distillerie Saint-Etienne en 1998 (photographies de J-L LAGUARIGUE): un témoignage social sur la mémoire, illustré par des clichés d'antan.
- Métiers créoles: Tracées de mélancolie en 2003 (Photographies de J-L LAGUARIGUE): l'Artisanat antillais retracé par les mots de Patrick CHAMOISEAU et les photos de J-L LAGUARIGUE pour éviter un écueil, l'oubli: «Cette trace plus fragile que la route, demeure vivante si les gens sont vivant». L'auteur et le photographe ont arpenté la Martinique une dizaine d'années pour retrouver cette pré-science de l'Artisanat.
3. Souvenance des Chaînes
Patrick CHAMOISEAU travaille à une (re)connaissance de l'Esclavage comme Crime contre l'Humanité. L'auteur voit en l'Esclavage un «mélange accéléré» dont l'aboutissement est cette identité créole. Il investit ainsi son espace de cette Histoire. Parce que ces trois siècles de chaînes ont déshumanisé, dépersonnalisé, dépossédé d'elles-mêmes des générations. Cette notion de génération, de traversée des temps, se matérialise dans le roman Texaco (1992 - Prix GONCOURT): trois générations cheminent, depuis les plantations cannières jusqu'à la folie urbanisatrice. Usurpatrice de la Mémoire des murs et des morts… La topique de l'urbanisation apparaît comme cœur et rancœur de l'auteur dans ses romans Chroniques des sept misères (1986) et Texaco (1992) et scénarii («Nord Plage» 2003 et «Biguine» 2004).
Le monde rural tend à disparaître, et Patrick CHAMOISEAU souhaite rendre précieuses cette ruralité et cette nature. Néanmoins, la ville a développé en lui une sensibilité urbaine et populaire; elle l'a enrichi de ses composantes vivantes, de son «humanité»:
«Texaco était ce que la ville [Fort-de-France] conservait de l'humanité de la campagne. Et l'humanité est ce qu'il y a de plus précieux pour une ville. Et de plus fragile (Note de l'urbaniste au Marqueur de paroles)» (Texaco).
L'Esclave vieil homme et le Molosse (1997) secoue les chaînes, même invisibles, d'un homme sans âge qui défie l'aliénation de l'Habitation en fuyant. Son tombeau choisi: la matrice Nature, un fond-bois, auprès d'une «pierre-monde» qui a traversé les âges de la Caraïbe.
L'expression cinématographique re-donne un visage à l'Esclavage; les anonymes du Voyage occupent l'action du long-métrage «Passage du Milieu» (1999). L'auteur scénarise une Traversée, depuis les côtes sénégalaises. La narration est assumée par l'un des esclaves. Humains pétrifiés, réifiés…mais pensants.
4. Errances créoles : ancrage-héritage du créole
(cf. l'article littéraire: «Raphaël CONFIANT - un Parcours sans Détours»)
4.1 Le créole : ce support vivant
Le créole… Patrick CHAMOISEAU en fait le support vivant de la souvenance d'Hier et de l'espérance en Demain. Support littéraire qui véhicule une identité. Le créole se fait matrice insulaire des Imaginaires: un «liquide amniotique», un drapé sensitif des mots.
Cette mission d'expression est revendiquée par la Créolité - notion littéraire fondée par un trio actant-pensant: Patrick CHAMOISEAU lui-même, Raphaël CONFIANT et Jean BERNABE. Dans leur Eloge de la Créolité (1989), ils souhaitent «la mise à jour de la Mémoire vraie», fournir «quelques balises dans la nuit». La Mémoire devient enjeu du créole révélé, comme témoin des mouvances et porteur de la conscience caribéenne.
Dans ce même élan de la ré-appropriation, Patrick CHAMOISEAU et Raphaël CONFIANT retracent la littérature caribéenne dans une vaste anthologie, en 1991: Lettres créoles. Tracées antillaises et continentales de la littérature: Haiti, Guadeloupe, Martinique, Guyane: 1635-1975.
Cette école de la Créolité recherche l'authenticité de ses intonations - oralité et graphie, de son imaginaire, bref de son fondok. De même, des travaux considérables sont menés par le GEREC (Groupe d'Etude et de Recherche en espace Créole) et par les défenseurs du «KAPES KREYOL» (CAPES de créole, Certificat d'Aptitude au Professorat de l'Enseignement du 2ème Degré).
Irrigation ultime de cette Créolité: un appétit veyatif inassouvi. Au-delà des frontières, des terres:
«dans la créolisation, le territoire n'existe pas. […] J'essaie de voir toute la diversité intérieure, celle qui reste ouverte, qui ne fonde pas le territoire, qui ne forme pas de racine unique, qui ne fonde pas une histoire, une langue, mais qui semble déployer des faisceaux» (Patrick CHAMOISEAU, sur le site du KAPES KREYOL).
Par «créolisation», Patrick CHAMOISEAU entend la notion de processus identitaire, «au-delà des métissages biologiques et culturels», car ce processus engage la mobilisation du «magma antillais» et la perception-monde (Patrick CHAMOISEAU au Salon littéraire de l'Outre mer, le 17 octobre 2004). Une première étape est la ré-intégration de l'Afrique de la Négritude, démarche réflexive de Césaire. Ensuite, la démarche de la Créolité appelle à la «Totalité-Monde»: ouverte et offerte, cette totalité est épanouissement de l'être créole pour l'expression de son «équation» (Patrick CHAMOISEAU au Salon littéraire de l'Outre mer, le 17 octobre 2004), c'est-à-dire de sa complexité.
4.2 «l'Ecrire» : enjeux de l'Expression créole
Le créole écrit se heurte, immanquablement, à la question graphique. Langue oralisée et mouvante, ne risque-t-on pas de la figer en en fixant une graphie? Il faut alors trouver un mouvement neuf et riche de phonétique et de symbolique.
Déjà, Raphaël CONFIANT reconnaît la difficulté de cette écriture désignée comme «oraliture»: «l'écriture en français est un plaisir, l'écriture en créole est un travail, car l'auteur créolophone est obligé de construire son outil.» L'écriture du créole se propose alors comme ouverture de création.
Patrick CHAMOISEAU a confié ses questionnements de «l'Ecrire»: Ecrire la parole de nuit - la nouvelle littérature antillaise (collectif littéraire-1994) et Ecrire en Pays dominé (1997).
Deux niveaux de confrontations obsédantes :
- «l'Ecrire» et «le Dire» :
«Depuis le temps que je m'y applique, j'ai acquis le sentiment que le passage de l'oral à l'écrit exige une zone de mystère créatif. […] Il s'agit d'envisager une création artistique capable de mobiliser la totalité qui nous est offerte, tant du point de vue de l'oralité que de celui de l'écriture. […] Et, plus que jamais, l'écrivain créole assis devant sa feuille perçoit à quel point, sur cette tracée opaque située entre l'oral et l'écrit, il doit abandonner une bonne part de sa raison, non pas pour déraisonner mais pour se faire voyant, inventeur de langages, annonciateur d'un autre monde» Ecrire la parole de nuit - la nouvelle littérature antillaise (collectif littéraire-1994)
- le français d'école et le français-créole :
«Comment écrire alors que ton imaginaire s'abreuve, du matin jusqu'aux rêves, à des images, des pensées, des valeurs qui ne sont pas les tiennes? […] Comment écrire, dominé?» Ecrire en Pays dominé -1997.
L'écrivain créole doit faire naître un nouveau langage, «annonciateur d'un autre monde», «pour se faire voyant, inventeur de langages» (Ecrire la parole de nuit - la nouvelle littérature antillaise - collectif littéraire,1994). Cette Voyance de l'Errance nous rappelle l'Idéal de Rimbaud, défini dans ses lettres dites «du Voyant», pour se faire fenêtre ouverte sur un autre monde:
«Je veux être poète, et je travaille à me rendre Voyant […]. Il s'agit d'arriver à l'inconnu par le dérèglement de tous les sens.» (sa correspondance avec son ami, Georges IZAMBARD-1871)
Voilà l'évolution de cet artisan de la Parole: «il doit se faire Poète»(Ecrire la parole de nuit- la nouvelle littérature antillaise - collectif littéraire,1994). Guide d'un «étrange public» (idem) vers une sphère authentique de l'Emotion. Un public disparate, public-monde invoqué, convoqué autour de cette Parole créole: «un public qui provient de toutes les parts du monde, qui ne fait pas encore peuple, mais qui est désormais conscient de l'infinie diversité du monde» (idem).
4.3 Une écriture d'alliances … la « Poétique de l'Errance»
Une alliance est à trouver. Aboutir à la liaison du «Dire» et de «l' Ecrire», tenter de saisir une Littérature-monde.
Chez Patrick CHAMOISEAU, cette connivence du français et du créole donne naissance à une écriture forgée et chargée de créole. Façonnée d'échos de sons et d'images, pour une perception infinie de cet espace de création. Il ne s'agit pas simplement de «créoliser le français» (Patrick CHAMOISEAU au Salon littéraire de l'Outre mer, le 17 octobre 2004), mais bien de tenter d'approcher l'oralité créole du conteur. Sans hiérarchie stérile des langues.
«Il s'agit de parvenir à une totalité ouverte de l'expression, qui s'alimente de l'oral et de l'écrit, mais qui ne saurait être la seule addition de l'oral et de l'écrit, et cela, que l'on se situe du côté de l'oral ou que l'on avance du côté de l'écrit» (Ecrire la parole de nuit- la nouvelle littérature antillaise -collectif littéraire,1994)
Par des procédés de langue inventifs qui sonnent et donnent le créole… morceaux choisis:
- Des dérivations savoureuses:
«rôdailler» (L'esclave Vieil homme et le Molosse)
«mélancombiner» (L'esclave Vieil homme et le Molosse)
«il parolait» (L'esclave Vieil homme et le Molosse)
«des choses éparses, déjetées, reconstruites» (L'esclave Vieil homme et le Molosse)
«pour éteindre le causer» (Texaco)
«haïssance» (Texaco)
«nous entrions tous en débandade»(Antan d'Enfance)
«un endroit où ne tigeai t d'habitude qu'une cressonnade débile» (la nouvelle «Le dernier coup de dent d'un voleur de banane»)
- Les associations de mots et d'idées, souvent appuyées d'échos sonores :
«le flanc d'une montagne-volcan» (L'esclave Vieil homme et le Molosse)
une «embellie de sourire» (L'esclave Vieil homme et le Molosse)
«des choses éparses, déjetées, reconstruites, qui lui tissent une miroitante mémoire» (L'esclave Vieil homme et le Molosse)
«vitement-pressé» (la nouvelle «Le dernier coup de dent d'un voleur de banane»)
«une sorte de sens-juste de ce qu'il fallait vivre dans cette vie insensée» (la nouvelle «Le dernier coup de dent d'un voleur de banane»)
- Les calques au créole :
«roulant de gros z'yeux» (Chronique des Sept Misères)
«en plein mitan z'yeux» (la nouvelle «Le dernier coup de dent d'un voleur de banane»)
«nostr'homme vivait seul» (la nouvelle «Le dernier coup de dent d'un voleur de banane»)
«un vacarme sans-manman» (Antan d'Enfance)
«notr'homme» (L'esclave Vieil homme et le Molosse)
«quelque chose de djok » (L'esclave Vieil homme et le Molosse)
«qui zieute le monde» (L'esclave Vieil homme et le Molosse)
«un peu tok-tok dans sa vieillesse» (Texaco)
«il eut flap la réponse» (Texaco)
«Disparaître le prit encore» (Texaco)
- Les accentuations expressives:
«Fanm fanm yin ki fanm an tyou mwen!» (Félix SOLEIL, père «malchanceux» d'une bordée de filles… Chronique des Sept Misères)
«comment peut-on prendre tout seul autant de poisson, han?» (Chronique des Sept Misères)
«l'isalop à sérénade» (Texaco)
«…, foutre !» ou «…, fout !» (accentuation préférée des « foubins»-comme chez le compère Raphaël CONFIANT, cf. l'article «Raphaël CONFIANT - Un Parcours sans Détour -paragraphe 5»)
5. Errances de l'Enfance :
Patrick CHAMOISEAU écrit sa mémoire d'enfance en marquant deux volumes de son Souvenir. Ils constituent un cycle, «Une Enfance créole»:
- Tome I Antan d'Enfance (1990- Grand prix Carbet de la Caraïbe) subdivisé en «Sentir» et «Sortir»
- Tome II Chemin d'Ecole (1994) subdivisé en «Envie» et «Survie»
La mère, affectueusement renommée «Man Ninotte», représente, malgré la présence du père, le mitan social et familial:
«Des six ou sept kilos-poissons ramenés ainsi chaque jour, Man Ninotte s'en gardait juste assez. Elle revendait le reste à ses amies, ses commères marchandes et à ses Syriens. Notre rue la voyait arriver comme on voit la Madone. Le cercle était ainsi bouclé. Man Ninotte s'en sortait bien» (Antan d'Enfance)
Cette figure de la Femme caribéenne fonde la famille matrifocale, structure répandue aux Antilles: un foyer assumé par la «fanm kreyol».
5.1 Jeux d'énonciation
Ce récit de l'enfance a un théâtre et un héros : Fort-de-France sous les yeux attentifs du «négrillon» qu'a été l'auteur. Cette chronique autobiographique, authentique est rétrospection. La ville-monde lui offre sa force: son flux d'énergies bigarrées de réalités sociales et morales. Une ville-monde qui vibre de l'intérieur.
Mémoire guide l'écriture de cette enfance foyalaise :
«Mémoire, je vois ton jeu: tu prends racine et te structures dans l'imagination, et cette dernière ne fleurit qu'avec toi» (Antan d'Enfance)
«il [Patrick CHAMOISEAU enfant] rencontra le conte créole avec Jeann-Yvette, une vraie conteuse, c'est-à-dire une mémoire impossible et sans égal.» (Antan d'Enfance)
Cette fonction mémorielle tisse chaque épisode de l'enfance, pour une fouille intérieure: le Souvenir. Ces moments de l'imparfait révolu que le narrateur adulte retrouve. La narration se trouve ainsi doublement assumée: par le «je» de la maturité et par le «il» du «négrillon». Cette énonciation du Souvenir s'ouvre au lecteur, pour le mêler à ce tumulte des sens de l'enfant grandissant.
«elle [Jeanne-Yvette, la conteuse] vous épouvantait à l'extrême avec deux mots» (Antan d'Enfance)
5.2 Perceptions des mondes
Patrick CHAMOISEAU, à travers ce cycle de l'enfance revisitée, se définit au lecteur dans sa sensibilité, dans sa perception des mondes.
Le monde linguistique :
Le créole s'impose comme le vecteur affectif et sensitif du monde environnant. Le «français impeccable», le français d'école, apparaît comme enjeu socio-éducatif à l'école. Le Maître veille durement au bannissement du créole dans l'enceinte scolaire :
«Et là, le négrillon prit conscience d'un fait criant: le Maître parlait français. Man Ninotte [la mère de Patrick CHAMOISEAU] utilisait de temps à autre des chiquetailles de français, un demi-mot par-ci, un quart-de-mot par-là, et ses paroles françaises étaient des mécaniques qui restaient inchangées. […] Et tout le reste pour tout le monde (les joies, les cris, les rêves, les haines, la vie en vie…) était créole. Cette division de la parole n'avait jamais auparavant attiré l'attention du négrillon. Le français (qu'il ne nommait pas) était quelque chose de réduit qu'on allait chercher sur une sorte d'étagère, en dehors de soi, mais qui restait dans un naturel de bouche proche du créole. Proche par l'articulation. Par les mots. Par la structure de la phrase. Mais là, avec le Maître, parler n'avait qu'un seul et vaste chemin. Et ce chemin français se faisait étranger. […] Le français semblait l'organe même de son savoir. Il prenait plaisir à ce petit sirop qu'il sécrétait avec ostentation.» (Chemin d'Ecole)
Cependant, la rigidité du Maître fond sous le naturel créole; la lecture qu'il dispense à sa classe est prestation :
«les goulées de plaisir que le Maître s'envoyait par les mots» (Chemin d'Ecole)
Le monde social :
L'identité du «négrillon» est intrinsèquement liée à sa couleur. Un ressenti évolutif: tout d'abord, il s'identifie «aux plus forts, toujours blancs», puis vient la conscience noire de «se considérer nègre», pour enfin percevoir sa singularité insulaire, «être créole».
Cette constitution de lui-même se définit notamment par l'alentour urbain et populaire. Une ville mutante qui quitte chaque jour davantage les traces de la ruralité. Cette évolution est perceptible dans les yeux de l'enfant par de faits simples, mais marquants.
L'arrivée de l'eau est ainsi vécue comme une révolution :
«l'événement de chaque jour, c'était l'eau. Fort-de-France commençait juste d'apprivoiser une eau courante, tuyautée à domicile» (Antan d'Enfance)
Le cinéma devient une autre fenêtre sur le monde, et chaque projection constitue une vive émotion collective:
«quel rêve qu'un film-cinéma ! On perdait pied dans l'écran. On sursautait aux émotions de la musique. On absorbait les sentiments et les tendresses.[...] Régnait un vacarme sans-manman.» (Antan d'Enfance)
6. Trois œuvres de Patrick CHAMOISEAU à l'étude :
6.1 Chroniques des Sept Misères (1986) – Prix Kléber Haedens et Prix de l'Ile Maurice
Il s'agit du premier roman de Patrick CHAMOISEAU.
Un roman qui met à l'honneur un métier antillais oublié: «djobeur» (de «djob», le créole de «job»), dénommé aussi «cabrouettier» (cf. Tony DELSHAM, La Po Farine -1984). L'homme exerçant cette profession poussait une brouette chargée de fruits et légumes les jours de marché, pour les marchandes et les clients.
«Messieurs et dames de la compagnie, les trois marchés de Fort-de-France (viandes, poissons, légumes) étaient, pour nous djobeurs, les champs de l'existence. Une manière de ciel, d'horizon, de destin, à l'intérieur de laquelle nous battions la misère»
Le ton est ainsi donné: ce roman est témoignage d'une ère de l'imparfait. Il se divise en deux parties distinctes: «Inspiration» et «Expiration». L'énonciation est assurée par un «je» non pas individuel, mais collectif : sa parole est celle de ses compagnons d'infortune, les djobeurs. Une lignée professionnelle datée de son âge d'or à son âge mort. Ce mouvement binaire du roman décrit la chute: vie et mort d'un métier créole. L'action du roman se centralise sur un monde vivant: le marché foyalais. Une fresque de personnages tous atteints et éteints par le démon-béton de la Modernité.
Les femmes focalisent, à elles seules, l'activité du marché :
«L'homme à deux graines ne vend pas. Les femmes savent mieux marchander, doser les produits, et résister aux marchandages. Ce sont elles qui relient les usines, les entrepôts, les campagnes et les bordures de mer, au centre de la ville.»
Pierre Philomène, crié «Pipi», a le titre illustre de Maître-djobeur aux yeux de tous. Hélas, fils de dorlis, la maudition est sur lui…Poursuivi par des rêves de richesse, il veille la légendaire jarre d'or du zombi AFOUKAL, nègre-esclave tué net par son Maître pour emporter avec lui le secret de l'or convoité.
En annexe, des notes journalistiques, ethnographiques et linguistiques: une documentation précieuse, une «Tracée» de cet «ethnocide» moderne…
6.2 L'Esclave vieil Homme et le Molosse (1997)
Ce roman est énigme du Nègre-esclave.
Un sursaut, la «décharge», atteint immanquablement tous les travailleurs de l'Habitation.
«C'était une mauvaise qualité de pulsion vomie d'un endroit oublié, une fièvre fondamentale, un sang caillé, un dé-sursaut pas-bon, une hélée vibrante qui vous déraillait raide.[…] La décharge vous prenait à n'importe quel moment.»
Un seul homme n'a jamais songé à cet accès de folie-liberté. En apparence seulement: celui qui n'a pas de nom, pas d'âge, pas de langage, l'Esclave vieil homme. Lui seul sait taire cette violence de l'être qui veut s'appartenir et vivre ou mourir en homme-libre.
«La décharge l'avait flagellé à maintes reprises. Nul n'en avait rien su. Certains ne l'éprouvaient qu'une fois dans leur vie, mais lui l'avait subie presque chaque jour. Jour après jour, le plus souvent quand elle s'épuisait chez les autres.»
Sa vie intérieure est vibrante d'émotions qui acheminent une certitude, la «décharge» imminente: «Il peuple son âme de choses éparses, déjetées, reconstruites, qui lui tissent une miroitante mémoire. Souvent, de nuit, cette mémoire l'accable d'insomnie.»
Le Maître croit en une arme infaillible contre les «foubins» fuyards: un molosse dressé et nourri de haine contre les esclaves de l'Habitation. Ceux-là mêmes avec qui il a fait sa traversée, depuis les côtes africaines, mis en appétit par cette chair humaine.
«Le molosse était un monstre. Il avait voyagé lui aussi en bateau, durant des semaines d'une sorte d'épouvante. [..] Le molosse était un monstre car il avait connu cette effondrée-là»
«Ce molosse […] était veilleur des morts et des enfers» (selon le Dit du Papa-Conteur)
Un Cerbère des Enfers que défie le vieil homme «qui fut esclave», en sauvant et confiant son corps aux fonds-bois. Il se ré-approprie ainsi sa Parole du dedans. En effet, jusqu'à sa fuite, la narration est assumée par un «je» témoin qui nous rapporte les faits du vieux nègre-esclave: «J'ai vu ses yeux, j'ai vu ses yeux égarés chercher l'espace du monde» (incipit du roman)
Mais, dès lors que le Vieil homme choisit la forêt comme tombeau, il se ré-appropire aussi le «je» émetteur-narrateur. Il nous conte sa Parole d'Homme: «Un total végétal d'un serein impérieux. Je.» Son refuge, une «pierre-monde» gravée depuis le tréfonds des Temps par les Indiens Caraïbes :
«L'ensemble vibrionne tel un tatouage sur des écailles vivantes. Les graveurs se sont succédés durant des temps-sans-temps. […] Un ouélélé de mythes et de Genèses. Je les sonde d'un doigt sensible comme celui d'un aveugle»
Ce sera la symbiose des os et minéraux.
La narration est ornementée d'un «Entre-dire» d'Edouard GLISSANT, L'intention poétique (1969) et La Folie Celat (inédit-1997): de courts extraits introduisent chacune des sept parties du roman, annonciateurs de l'essence narrative qui va suivre.
«Mémoire des os,
seule trace sensible
aux déserés des œuvres» (Toucher, feuillet VI)
6.3«Le dernier coup de dent d'un voleur de banane», nouvelle intégrée dans l'essai collectif Écrire la «parole de nuit»- la nouvelle littérature antillaise (1994)
Une nouvelle-conte sur une convoitise collective autour d'un pied de bananes-jaunes.
Dans un quartier «d'en haut-bois», Cestor Livènaj mène sa vie et son corps-seul:
«nostr'homme vivait seul comme mangouste. […] Il était parmi nous mais sans nous ressembler, et sans un mouvement ni vers le bourg, ni vers la ville, juste là parmi nous à parler pour lui-même plus souvent qu'il ne parlait à nous, et à vivre un temps plus lointain que le nôtre, bien plus magique aussi.»
Un homme qui intrigue, que personne n'envie. Jusqu'au jour où son petit coin de jardin abrite «une sculpture verdoyante»: un pied de bananes-jaunes! Or, la convoitise des yeux et de l'estomac naît, attisée par un constat bien étrange: ce pied de bananes-jaunes est le seul alentour… Ce régime de bananes s'épanouit autant que cette impatience collective. Mais, par quatre fois, «un isalop» se permet de s'approprier, de nuit, l'objet de toutes les convoitises.
Jamais démonté dans son courage, Cestor Livènaj travaille à une nouvelle pousse. Le coupable sera découvert de façon bien saisissante…
La facture littéraire de Patrick CHAMOISEAU est révélation d'un Dire-monde, un écrit sensibilisé et mobilisé par la conscience d'une totalité et une mémoire alentour. Une Parole des sens éveillés par cette Vie-monde.
Patrick CHAMOISEAU écrit ses Amours d'enfance
A bout d'Enfance. Janvier 2005, GALLIMARD ISBN 207075393X. 15,00 € |
Les éditions GALLIMARD:
«Un jour, bien des années avant l'épreuve du mabouya, le négrillon s'aperçut que les êtres-humains n'étaient pas seuls au monde: il existait aussi les petites-filles. Intrigué mais pas abasourdi comme il aurait dû l'être, il ne put deviner combien ces créatures bouleverseraient le fil encore instable de sa pauvre petite vie...» Dès lors, où situer ces petites-filles que le négrillon zieute par les persiennes de son école... ces créatures étranges qui «ressemblent à des êtres-humains, sauf qu'elles portent des nattes, des papillottes, et des nœuds papillons assortis aux robes-à-fleurs et à dentelles...»? |
Patrick CHAMOISEAU s'est livré personnellement en nous offrant sa Mémoire d'Enfance dans un cycle : «Une Enfance créole». Deux volumes sont parus:
- Tome I: Antan d'Enfance (1990- Grand prix Carbet de la Caraïbe) subdivisé en «Sentir» et «Sortir»
- Tome II: Chemin d'Ecole (1994) subdivisé en «Envie» et «Survie»
Sa mère, affectueusement renommée «Man Ninotte», représentait alors son unique «repère» féminin. Figure-phare de la Femme caribéenne qui fonde la famille matrifocale, structure répandue aux Antilles: un foyer assumé par la «fanm kreyol». Cette maîtresse-femme est décédée il y a quatre ans. Ce décès constitue l'élément déclencheur de ce troisième tome: la figure représentative de cet «antan d'enfance» venait d'emporter avec elle cette douceur nostalgique…
Dans A Bout d'Enfance (janvier 2005- Gallimard), le «négrillon» est émerveillé et éveillé par la Femme. Questionnement des sens ainsi dé-livrés dans ce troisième volume. Imprégné par un premier amour: «la fille initiale» . Elle a ainsi modelé les personnages féminins de ses narrations d'auteur caribéen.
«L'enfance est la période d'imprégnation. Elle constitue le terreau émotionnel dans lequel on puise plus tard. J'ai cherché, par ce récit, à retrouver ce qui avait fait de moi un raconteur d'histoires.»
Ce «terreau émotionnel» nous est livré avec un retour au fondok du moi et émoi de l'auteur.
Véronique Larose – mars 2007
Alfred ALEXANDRE |
Ano (Eddy FIRMIN) | Nicole CAGE-FLORENTINY |
Philippe CANTINOL |
Aimé CÉSAIRE |
Ina CESAIRE |
Patrick CHAMOISEAU | Romuald CHERY |
Pierre CLERY |
Maryse CONDÉ |
Raphaël CONFIANT |
Tony DELSHAM |
Suzanne DRACIUS |
Suzanne DRACIUS 2 | Igo DRANÉ | Jules EULALIE | Rodolf ETIENNE |
Daniel ILLEMAY | Félicien JERENT |
Fabienne KANOR |
Elise LEMAI |
Alain MABIALA | Didier MANDIN | Tony Mango |
Elvire MAUROUARD |
Ruth Narbonnais |
Daniel-Yves PHAROSE |
Gisèle PINEAU |
Audrey PULVAR | Juliette SMERALDA |
Sylvia SERBIN |
Joseph ZOBEL | Adèle et la Pacotilleuse |
Cénesthésie et l’urgence d’Etre… | La Compagnie «BOUKOUSOU» de Max DIAKOK |
Des travaux collectifs littéraires |
La permanence psychologique du CASODOM | La Noce chez les Petits Bourgeois…créoles | Nous étions assis sur le Rivage du monde… | Quand la Révolution, aux Amériques, était nègre…
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