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Raphaël CONFIANT :
Un Parcours sans Détours
par Véronique LAROSE
Le fleuve Breggia, canton Tessin (Suisse). Photo © F.Palli. |
Parcours biographique
Raphaël CONFIANT naît en 1951 en Martinique.
Il grandit au milieu des livres de ses parents instituteurs. Après un cursus secondaire littéraire, il décide alors de mener de brillantes études en Métropole : les Sciences Politiques à Aix-en-Provence et l'Anglais.
Il conforte ses bases littéraires et linguistiques en obtenant de prestigieux diplômes: diplôme de l'Institut d'Etudes Politiques (section "Relations Internationales"), Maîtrise d'anglais, le D.U.E.L. (Diplôme Universitaire d'Etudes Littéraires), un D.E.A. (Diplôme d'Etudes Approfondies) de Linguistique, et enfin le Doctorat de Langues et Cultures Régionales.
Ce parcours universitaire permet à Raphaël CONFIANT de développer deux sensibilités intimement liées : sensibilité des mots et sensibilité des systèmes de langues - l'écriture et la linguistique.
Parcours Créoles
Cette duplicité amène Raphaël CONFIANT à s'interroger, très tôt, sur la langue créole comme support littéraire et linguistique. De ses interrogations ressort un volonté d' enracinement: le créole apparaît comme marqueur d' Identité à part entière.
Une « créolité » revendiquée dans l'Eloge de la Créolité (1989) de P. CHAMOISEAU, J. BERNABE et R. CONFIANT lui-même. Dans le même élan, P. CHAMOISEAU et R. CONFIANT publient une anthologie de la littérature créole, en 1991 : Lettres créoles- Tracées antillaises et continentales de la littérature de 1635 à 1975 .
Il s'agit donc de considérer le berceau caribéen comme berceau d'héritages riches. Cette pluri-culturalité trouve une voix/voie, celles du créole.
Les efforts des défenseurs de la créolité se concentrent alors sur l'élévation du créole au rang de langue régionale à écrire, à dire et à enseigner. Une langue VIVANTE!
L'engagement de Raphaël CONFIANT pour la promotion du créole est diversifié : il est associatif, syndicaliste, politique et journalistique. Une activité du mouvement militant pour ancrer le créole dans la terre caribéenne.
En tant qu ‘enseignant, Raphaël CONFIANT fait partie de ceux qui voient là une discipline d'enseignement. La création du CAPES de Langues et Cultures Régionales option créole est inaugurée en 2001. Voilà une ouverture de perspectives pour enseigner la langue et la civilisation créoles.
Mais, pour la session 2003, Raphaël CONFIANT soulève l'incohérence de la composition des jurys de concours. Des non-spécialistes évalueraient-ils des exercices spécifiques (la dissertation et la version) sans les avoir eux-mêmes… pratiqués ni enseignés?!
Parcours du façonnement et du renouvellement
Dans cette logique identitaire, Raphaël CONFIANT choisit d'écrire en créole, pendant une douzaine d'années. Ses récits - romans et nouvelles - ont, depuis, été traduits en français. Seul son recueil de poèmes, Jou Baré (1977) a été laissé au créole originel.
Cependant, l'évidence d'un «compromis» français-créole s'impose à lui. A cela, trois obstacles majeurs :
- la difficulté d'être publié en créole
- le risque de ne pas être lu
- le travail qu'exige le créole écrit
En effet, le créole écrit se heurte, obstinément, à la nécessité de donner une graphie à une langue oralisée et mouvante. Fixer une graphie n'est-ce pas risquer de figer le créole? Non, bien au contraire; le créole trouve, dans la graphie, un mouvement neuf, car phonétique et donc subtil.
Ainsi, Raphaël CONFIANT concède-t-il: «l'écriture en français est un plaisir, l'écriture en créole est un travail, car l'auteur créolophone est obligé de construire son outil.»
Au cœur de ce dilemme identitaire français-créole, un créole qu'il faut façonner. L'auteur créolophone se fait donc artisan de sa langue. Depuis les années 1970, les travaux de Raphaël CONFIANT et de Jean BERNABE sont des tentatives de création d'un système linguistique propre au créole. Ils tendent vers une graphie fidèle aux caractères suggestifs de l'existence créole. Ne pas la dépersonnaliser, ne pas la déshumaniser. Aujourd'hui, ces recherches aboutissent au système de graphie dit «graphie-GEREC» (du nom du Groupe d'Etudes et de Recherches en espace Créolophone) ou «graphie-Bernabé».
Le site et les ouvrages sur la version créole sont de parfaits outils à disposition de ceux que la construction de fond du créole intéresse ou interroge. A ce sujet, Raphaël CONFIANT a publié un guide, La Version Créole (2001), et a mis en ligne un dictionnaire pour le KAPES KREYOL.
Parallèlement, il réfléchit au renouvellement du créole. Fort de ses créations personnelles, il les réunit dans un Dictionnaire des Néologismes - PawolNèf (2000), un foisonnement de mots colorés.
Parcours d'Ecrivain Créole
En 1988, Raphaël CONFIANT publie son premier roman en français, mais agrémenté d'une culture créole omniprésente : le Nègre et l'Amiral .Torturé de cesser d'écrire uniquement en créole, l'auteur a failli en jeté le manuscrit au feu… Ce premier roman en français sera récompensé du Prix Antigone.
Raphaël CONFIANT inaugure une nouvelle ère du roman caribéen en français : français en surface, créole en dedans. Une alliance originale qui, loin de mettre en rivalités les deux langues, les réconcilie, les fraternise. Raphaël CONFIANT amorce ainsi un nouveau combat, celui de la Francophonie : pour une langue française multiple, enrichie par ses cultures multi-continentales, du bout du monde.
L'écriture de Raphaël CONFIANT se donne, généreuse. Une saveur créole qui s'affirme, volontaire.
Elle éveille, en nous, le goût de la suggestion, la couleur de l'imagination. Une écriture sensitive . Ecriture à couleurs et à saveurs, qui parle aux sens dans les situations de la vie, les plus comiques-burlesques, les plus tragiques-pathétiques, les plus charnelles-sensuelles.
Raphaël CONFIANT a recours à un ensemble de procédés inventifs qui (r)appellent le créole. Le nerf de cette écriture est jeu :
- les dérivations fantaisistes:
«couillonnaderie», «couillontise», «couillonnerie», «couillonnade» (Ali le Syrien d' Eau de Café)
- des jurons et onomatopées caractéristiques: ils ponctuent un oral fort…
« Wop ! Wo-o-o-op ! » (les buveurs de la «case-à-rhum» d' Eau de Café )
« …, foutre ! » (pour asséner les mots des dits «fiers-à-bras» …)
- des associations de mots et d'idées:
«crier-à-moué d'admiration» (L'archet du Colonel)
«elle refusa net-et-propre» ( idem )
«observait de bisque-en-coin» (Commandeur du Sucre)
- des «calques» créole-français:
«Bogino, le bougre fou dans le mitan de sa tête» (Brin d'Amour et Eau de Café)
Un créole à fleur de mot. Une sève qui coule dans chaque nervure de mot.
Parcours romanesques : cinq romans de Raphaël CONFIANT à l'étude
La Martinique de Raphaël CONFIANT est celle des années 1930-60, une Martinique d' antan-longtemps, pétrie de couleurs locales :
- des personnages et lieux récurrents : les «fiers-à-bras», les «femmes-matadors» et la rumeur populaire, «Radio-Bois-Patate» qui déferle dans des bourgs comme Grand-Anse. Sans oublier le foisonnement communautaire (Syriens, Congos, Coulis, …) et social. Chacun à/a sa place!
- des références à l'imaginaire antillais: les appels à l'assistance Mistikrik! habitent la parole des conteurs de Raphaël CONFIANT. Lui-même entre dans la danse en construisant une narration divisée non pas en parties, mais en «cercles». Chaque «cercle» (grande partie) est introduit par les mots mystérieux du conteur-auteur : il donne le ton de sa chanson…
- le pouvoir mystérieux de la mer: d'elle, on craint les plus grands malheurs, d'elle on attend les plus grandes faveurs.
C'est dans cette contradiction que la Mer devient Personne, Femme précisément: dans Eau de Café et Brin d'Amour, les deux héroïnes sont, mystérieusement, apparentées à la Mer.
-
Eau de Café (1991) : Prix Novembre.
Au cœur de Grand-Anse, une personne alimente les conversations: l'énigmatique et inaccessible Antilia, venue d'on ne sait où…une fille de la Mer, de l'Enfer?
Aussi indomptable que le flot marin, elle se revendique fille de Poésie et Ecriture:
«Ecrire non pas pour témoigner, non pas pour tresser des couronnes de balisier au présent, non pas pour blesser le monde, non pas. Non pas. J'écris l'histoire des miens de colère rentrée…»
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Commandeur du Sucre (1994) :
Firmin Léandor est mulâtre et commandeur- deux positions sociales qui lui pèsent…
L'univers de la canne, tel qu'il est vécu dans les années 1940, sur une plantation de Martinique. Avec la même sueur, la même douleur que par le passé… ce passé esclavagiste qui se rappelle, se répète dans ces gestes agricoles. Un spectre-même dans la découverte, épouvantée, par Firmin de minuscules geôles d'esclaves.
Une malédiction qui s'abat depuis des temps et des temps sur la race nègre:
«Canne, c'est maudition» (la mère Léandor)
«Maudition sur l'écale du dos de la race nègre» (Firmin Léandor)
Une malédiction rythmée selon la coupe de la canne et les déboires de chacun.
-
L'Archet du Colonel (1998) :
150 ans après l' Abolition de l' Esclavage, Raphaël CONFIANT signe un roman nourri de ténacité, de soif de liberté.
Dans un Fort-de-France pompeux-guindé, Amédée Mauville, fils de notaire, refuse le joug bourgeois. Il crache sur les festivités calculées du Tricentenaire du Rattachement des Antilles à la France.
Liberté de ce «poète fol» qui découvre un héros dans la figure noire d'un mystérieux tableau : il représente un militaire noir, décoré, digne, armé de son archet - Louis Delgrès! Commence alors pour Amédée une quête: trouver les mots qui retraceront la vie de ce héros emblématique, le rendre familier, palpable dans un récit biographique.
Louis Delgrès, farouchement opposé au rétablissement de l' Esclavage par Napoléon en 1802, lutta jusqu'à la mort, entouré de ses hommes. Une fin tragi-héroïque personnifiée dans l'oraison funèbre de son violon. Sur les notes mélancoliques du compositeur noir, le Chevalier de Saint Georges :
«Cette symphonie douce-amère du Chevalier de Saint Georges qui fit tellement rêver Paris du temps de la splendeur de celui-ci».
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Brin D'Amour (2001) :
Un roman qui puise à la fois dans l'inspiration d'Eau de Café et de l'Archet du Colonel .
A Grand-Anse, le Tricentenaire est attendu comme l'arrivée du Messie.
Dans cette agitation populaire, Lysiane, de marbre noir, écrit dans sa tour d'ivoire. Son «Cahier de l'Absence» anticipe sa disparition étrange…
Elle est au centre des pires maquerellages. Grossis par les morts inexpliquées et violentes de ses prétendants, et par la «jalouseté» des femmes - surtout de sa rivale, la belle mulâtresse Amélie.
Folle «l'écriveuse»? Non, juste incomprise… Elle attend son promis des mers, celui qui a réchappé d'un naufrage dont elle est la seule à avoir souvenance. L'Océan sera son Oubli et sa Folie, à elle:
«On ne me volera pas ma folie. […] L'océan est par conséquent ma seule consolation .»
La mer exerce sur la jeune fille un magnétisme enivrant, effrayant : tournée vers l'horizon, elle déclame des vers, des rêves.
-
La Panse du Chacal (2003) : prix des Amériques Insulaires et de la Guyane 2004.
L'esclavage est «maudition» de nègre et d'indien-couli.
Raphaël CONFIANT peint cette malédiction chez les Indiens-Coulis; malédiction du déni et du mépris qui écorchent l'honneur à vif, dans la chair-même :
«Couli, mangeur de chien !»
Seules attaches-amarres de ce peuple meurtri, les divinités et langues tamoules. Pour laver cette malédiction qui éclabousse leur peau, leur nom, leur identité.
Raphaël CONFIANT apparaît comme un flambeau: qui fait briller et vibrer un feu de joie, le créole. Pour que cette langue se dise et se lise. Pour qu'elle vive.
Bio-, bibliographie de Raphaël Confiant.
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