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Annou voyé kreyòl douvan douvan

«Pawol Kreyol»

Igo DRANÉ – conteur martiniquais:
«La Parole s’invite chez le Conteur qui se doit d’être généreux»

par Véronique LAROSE

Ingo Drané
Photo Krakemanto
Voici une générosité de mots qui se donne, sans retenue, pour une Pawol kréyol dé-livrée en musique, en gestuelle et en voix. Un filet d’mots qu’il aime nommer «carambolage de Paroles» pour bien insister sur ce devoir vrai du Conteur: dire l’Homme dans ses réalités et vérités car, sous la légèreté perce toujours une lucidité…la clairvoyance du Diseur!

1. Un itinéraire de convictions:

Issu d’un milieu modeste, Igo DRANE en garde «beaucoup de valeurs de vie». Son cursus est consacré - déjà -  à la parole et aux autres: s’il envisageait d’abord d’enseigner l’anglais, il a ensuite décidé de se tourner vers la linguistique, tout en assurant des gardes de nuit en psychiatrie. De ses années partagées entre ses études et sa profession, il retient une grande force et une capacité d’adaptation: «je ne regrette rien, car avoir deux statuts m’a empêché d’être l’étudiant rêveur ou encore le salarié aigri par son quotidien».

Sa voix de parolier kréyol s’élève depuis une trentaine d’années, par militantisme: Igo DRANE a fait partie de la Ligue d’Union Antillaise (L.U.A.), avec leur journal «DJOK» dans les années 1970, premier journal en créole dans l’hexagone. «DJOK» est, à l’origine, un feuillet militant d’étudiants et devient un vecteur militant réunissant des personnalités littéraires, telles Monchoachi, Serge RESTOG, et bien d’autres. Igo DRANE y a ainsi publié des poèmes emplis de constats réalistes ; on y lit ses convictions en créole. Voici «Pou yo tann»(1977), un poème fourni par Eric MARTHELI:

«POU FÈ YO TANN»1
(pou premié anivèsè DJOK)

An vwa lévé
Mitan lannuit
Kon kout zéklé
Douvan tonnè
Wouvè chimen
Mété limyè
Pou palé dwet
Pou palé fò
Manti-Mantè
Ka bay lavwa
Nanni-nannan
Nannan-nanni
Kout lang pati
Nou pa moli
Nou pran balan
Pou bay douvan
Mwa novanm
Neg maronnen !
Mwa novanm
Nou menm palé !
Krévé zyé-mwen
Sa pa ayen
Pou sa nou wè
Pou sa nou viv
Nou ké fouté bankoulélé

IGO
dans DJOK
Le journal de la communauté antillaise
HEBDOMADAIRE
N°45, Vendredi 11 novembre 1977

Toujours à cette époque, la LUA décide de diffuser – par elle-même – un livre d’histoire intitulé «Chimen libèté – Histoire des Antilles» (1978); Igo DRANE a eu en charge le chapitre consacré au marronnage. Aussi, ses différentes activités avec la LUA l’ont amené à participer à de nombreux débats. Il y façonne alors son verbe avec une motivation indéfectible: «pour intéresser et interpeller les gens, je me suis mis à pratiquer la musique et la parole, et petit à petit, j’ai acquis le statut d’artiste».

2. Le conteur: une Oralité exprimée!

Igo DRANE définit le Conteur kréyol comme un artiste d’expressions polyvalentes, comme une union de traditions vives: «le conteur est un individu multiple. Il est vivant, puisqu’il doit savoir mimer, chanter, joue pour surprendre le public. Une personne capable d’être fantaisiste de la Parole, libre, capable d’improviser. Il doit intégrer les éléments il ne sait pas rigoureusement ce qu’il va faire. Il ne doit pas être pris au dépourvu.» Cette «fantaisie» est une liberté de ton, comme un marronnage de Pawol kréyol. Ce qu’il choisit de dire: «je suis dans la vie, je n’ai pas de thème fétiches à proprement parler. Mais, la misère sociale m’interpelle: la vieillesse, la maladie, la solitude, peut-être par rapport à mon activité en psychiatrie. La politique, l’appât du gain, l’injustice interviennent dans mes textes également».

Son allié collectif: le public, autant participant qu’actant. Igo DRANE précise: «le conteur a le public avec lui. Il doit donc surprendre et  respecter ce public avec la densité de la parole» Le conte serait donc une invitation destinée au public? Justement, Igo DRANE souligne la pertinence indispensable de l’introduction est une approche et une accroche: «j’aime jouer sur l’absurde aux premiers abords pour ensuite finir sur du sérieux. Je veux prendre le public avec moi».

Cette tradition sonne dans l’élan de mots, martelé par le «bâton de paroles» d’Igo DRANE. N’y voyez pas là un simple accessoire. Bien au-delà de l’image, il y a un hommage: «dans l’enfance, j’ai été marqué par les paroles balancées par les vieux conteurs. Ce bâton est une référence aux grandes personnes de chez nous, car j’ai vu des conteurs qui, par nécessité, avaient un bâton pour marcher. Je tiens à ce signe des Anciens. Je déplore le nombre de gens qui semblent oublier qu’il y en a eu d’autres avant nous… Eugène MONA, par exemple, est pour moi un vieux conteur et un philosophe».

3. Les supports du conte: une présence scénique multiple

Une création prolifique, qui se compte en centaines de fragments de textes! Igo DRANE avoue, avec un sourire de malice, son hyperactivité: «je travaille partout, tout le temps: en voiture, je récite mes textes. Dans le train, j’écris». Cet «envol de paroles folles»  se déploie en contes, anecdotes et vérités bien senties, pour «chatouiller les conduits auditifs» du public! Les textes d’Igo DRANÉ sont travaillés dans un effort constant de suggestion grâce à des effets de style: suggestion par l’image, les échos sonores, les modulations de tons, les hyperboles. Extraits de paroles envolées : une narration de lui-même engagé sur un chimen rèd, celui de la vie: «J’ai marché, marché, marché… J’ai marché sept ans, neuf mois, jours après semaines, matin-midi-soir, midi-soir-matin, soir-matin-midi… J’ai marché dans le vent, sous la pluie, au soleil. Par temps de pluie-soleil, moment où le Diable se marie derrière la porte de l’église ... Krik!» S’il écrit pour lui, il produit également des textes pour d’autres conteurs ou comédiens.

Le créole d’Igo DRANE dit un engagement: proche du GEREC-F (Groupe d’Etudes et de Recherches en Espace Créolophone et Francophone), il a fait partie des initiateurs de la Journée du créole, avec Daniel BOUKMAN, dans les années 1980. Un engagement de sens affirmé et confirmé dans ses textes et ses activités pédagogiques – il a dispensé des cours de créole dans le cadre de l’ANT (Agence Nationale pour l’insertion et la promotion des Travailleurs d’Outre mer) et dans le cadre associatif. Il a participé à l’élaboration collective d’un  manuel d’alphabétisation en créole «Bé a bajou démaré, an ti-liv pou aprann li épi matjé kréyol» (1989 – éd. Mango, Paris : Daniel BOUKMAN, Conrad CAESAR, Igo DRANE, etc.). Igo DRANE est signataire de la Pétition pour le créole au Bac dans l'hexagone, pétition lancée par M. Tony MANGO, Président de l’association ERITAJ, à Créteil. Bientôt-bientôt, un recueil de poésies créoles préfacées par Tony MANGO. Sa démarche? «la poésie vue par un conteur» Il aide régulièrement des étudiants  qui s’intéressent au créole et au conte.

Quant à la musique, il a multiplié les supports musicaux pour travailler une alliance juste entre mots et  instruments: «j’ai suivi des cours de piano et de flûte au conservatoire, pour les bases de solfège. J’ai appris à toucher la guitare, l’accordéon, l’harmonica, les percussions, le tambour. Je suis issu du monde du bélè. La musique accompagne le texte: j’entends les instruments en même temps que le texte». Igo DRANE représente une présence scénique, musicale et vocale, ce qui lui permet d’enregistrer des bandes sonores, des voix off pour documentaires.

4. Une pawol itinérante:

Igo DRANE intervient dans de nombreuses manifestations associatives et scolaires, et apprécie de donner de l’oxygène dans des espaces souvent en marge: les hôpitaux, les prisons. Pour le Salon du Livre au Ministère de l’Outre mer, il s’adresse aux petits et aux Grands. Il explique: «les lieux me choisissent, on m’appelle pour intervenir» Sa parole drive aux Antilles-Guyane, à la Réunion, dans l’Hexagone de l’Ile-de-France  à la Province.

Sa polyvalence justifie son rôle fantasque en 2005 dans «La Noce chez les Petits Bourgeois… créoles», adaptation créole de la  pièce «la Noce chez les Petits Bourgeois» (1919) du dramaturge et poète allemand Bertolt Brecht. En 2005, cette pièce a bénéficié de l’adaptation de Sylviane TELCHID, avec une mise en scène de Philippe ADRIEN. Igo DRANE y incarne le père de la mariée, un père envahissant qui rebondit sur chaque mot de la tablée pour raconter une de ses nombreuses anecdotes familiales. Ce rôle s’ajuste donc parfaitement à son expérience d’Oralité créole : le père de la mariée qu’il incarne n’est-il pas, justement, un relais de la Mémoire familiale?  ses anecdotes, aux détails particuliers, et donc déplacés pour la circonstance, le rendent attachant, dans sa lutte continue pur terminer ses phrases et récits.

Pour la première édition du Festival «Variations Caraïbes», à l’automne 2006, il figurait parmi la programmation d’une dynamique soirée-conte.

Un projet d’itinérance libre: «j’ai un rêve, faire une espèce de lien entre les conteurs créolophones de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Dominique, de la Réunion. Comme un arc de création, un lien productif pour rencontrer des conteurs dans différents lieux».

Igo DRANE appartient aux précieux Passeurs de Paroles de la Caraïbe. Son expression témoigne d’une vocation: rassembler le public autour d’un flot de mots et de sons d’où sait jaillir le créole et les traditions antillaises. Il représente l’énergie et la générosité d’une Oralité bien particulière: l’Oralité du père, du frère, du compère!

En remerciant Igo DRANE pour cet échange.

Véronique LAROSE - Février 2007

     
Dossiers sur Igo DRANE :

Note

  1. Pou matjé teks-tala nou sèvi létid GEREC-F liméro 2.

éléphant

Pawol Kreyol

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