«Pawol Kreyol»

Fabienne KANOR – Identité d’une Féminité noire
Son roman D’Eaux Douces (2004)

par Véronique LAROSE 

Pawol Kreyol

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D'eaux douces

 

1. Itinéraires pluriels

D'origine martiniquaise, Fabienne KANOR, trentenaire, a grandi en Métropole. Une «négropolitaine» comme on dit…

Journaliste à Paris, elle quitte la frénésie urbaine pour Saint-Louis, au Sénégal. Un retour aux racines de l'Afrique, une retraite de paix où elle est toute à ses mots. Une émergence exprimée dans son premier roman D'Eaux Douces (2004 – Continents noirs GALLIMARD), empli de ses résonances de femme afro-caribéenne tiraillée entre ce «là-bas» des parents et cet «ici» des enfants…

Revenue vivre à Paris, Fabienne KANOR a alors dénoué avec sa sœur, Véronique KANOR, un autre support d'expression pour révéler cette féminité noire. Ensemble, elles écrivent un triptyque intitulé «La Noiraude». Trois courts-métrages pour décrire les méandres féminins et identitaires de Marlène. Trentenaire, Marlène est née et grandie «ici», en Métropole. Mais, elle reste habitée par ce «là-bas» qui illumine les yeux et mots de sa mère. Le premier volet, «Marlène et les coqs noirs», s'interroge sur l'angoisse viscérale de la jeune femme. Perpétuellement en lutte contre l'infidélité de «son » homme. Immanquablement en butte à la virilité de «son» homme… Les stéréotypes du Coq antillais volage. Ces problématiques se croisent, justement, dans le roman de Fabienne KANOR.

2. Le roman D'Eaux Douces (2004) : Démence d'une Souffrance

Prix FETKANN ! 2004

D'Eaux Douces aurait pu être un énième roman sur l'infidélité dite chronique de l'Homme antillais. Un roman qui aurait pu être simplement écrit par une âme aigrie… Non. D'Eaux Douces est Violence et Démence liées-nouées pour un drame vécu au féminin. Un cri écrit par Frida pour Eric, son amour sabordé-débordé par l'Infidélité.

2.1 SYNOPSIS DU ROMAN

D'origine martiniquaise, Frida a grandi en Métropole. Née de parents du Silence. Un pavillon à Tours, les garanties du fonctionnaire domien avec ce mirage de passage:  «la belle France» tout d'abord, puis la mutation pour horizon, le «retour au pays».

Frida part étudier à la Sorbonne. En cité universitaire, elle découvre une liberté de mœurs où tout se fait et tout se sait. Une multiplicité de couleurs et cultures. Elle apprend la liberté de sa féminité, une sensualité délivrée. Mais, Eric sera le point final de cette enfilade d'hommes. En lui, Frida voit l'homme de tous les Possibles. L'homme d'Hier, lors de la traversée négrière. L'homme d'Aujourd'hui, l'or de son avancée identitaire. L'homme qui, de gré ou de force, lui appartient. Mais, Eric est un homme de la Quête : quête de ses racines antillaises et quête de sa virilité nègre.

Frida réalise que «son» homme ne sera jamais repu de la chair sensuelle des autres femmes. Toutes ces Elles au pluriel… Sa seule issue, son seul salut : l'union ultime des sens et des sangs.

2.2 Le Titre «D'Eaux douces»

Ce titre lie Passé et Présent. Sur le bateau négrier, un Blanc s'est épris d'une jeune esclave; il a les mots et les gestes de la douceur pour elle, comme «le chant des sirènes en plein océan d'eaux douces» . Eric définit Frida comme une «fille d'eau douce», fragile, gracile. Le titre apparaît comme annonciateur d'une sérénité… celle qui précède la tempête.

3. Au origines du Mal : le silence familial…

«Je suis née dans une famille ordinaire […]. Je suis née chez des sédentaires qui vivent d'angoisses et de prières. Des gens avec des rêves sous vide, une mémoire en consigne, qui ont fait confire leur vie de peur de manquer d'air.»

3.1 Une famille sous vide et du vide

Chimères en conserve. Silence ordinaire : il faut taire sentiments et questionnements. Taire cette peau, cette histoire, cette langue noires. Amarrer son corps noir. Broyer son cœur noir. Credo parental : «quand on est noir, il vaut mieux éviter de se faire remarquer.» Famille à la dérive, pourtant.

Un père et une mère usés dans leurs attentes :  «Se faire muter, être muté, décrocher sa mutation…[…] le rêve organisé de toute une diaspora.» - «Nous [le père et la mère] avons fait comme tout le monde, un peu mieux peut-être. Une maison en dur, des enfants à l'école, un travail à plein temps…C'est tout ce que nous avons obtenu, ni plus ni moins.» Déclinaison de rêves qui résignent une mère en prières. Déclinaison de rêves qui consignent un père à la chair, à la chair blanche en l'occurrence.

3.2 En correctionnelle maternelle…

Si le père s'efface, la mère, elle, apparaît «castratrice», animée d'une seule crainte: que ses deux filles vivent en dévergondées. Une mère agent hospitalier «qui trime, qui sue et astique pour le compte du ministère de la Santé.» Une mère «des paradoxes, passant des larmes aux rires de gorge, des souvenirs qui rient aux souvenances qui pleurent». Une mère qui exige de ses filles la propreté la plus totale. Cheveux drus-crépus, «une brousse qui jouait, avec les dents du peigne, à faire driling driling». Cheveux lissés-défrisés pour se donner l'illusion que le malheur ne viendra pas sur la tête de ses deux négresses de filles : une mère «convaincue que c'est en me lissant les cheveux que j'échapperai à mon sort de négresse». Et surtout, une mise en garde sèche et rêche : épouser un nègre revient à se marier au Malheur ! D'où ces «réflexes d'autodéfense, une attitude de violence ainsi qu'une méfiance absolue à l'égard de tout sujet répondant de près ou de loin à la définition du nègre». Le nègre, vile engeance de mensonges, de bèl pawol . Et surtout, ne pas laisser le tournant fatidique des 25 ans devenir virage définitif du célibat: «Un mauvais mariage vaut mieux que de finir sa vie seule» diagnostique la mère.

Dans un des rares moments d' abandon-confession, elle avoue cette impuissance de mère amère à Frida : «Lorsque tu étais petite, je ne savais jamais comment te prendre, comment libérer la douceur qui dormait en moi. Chez moi, dans la maison où je suis née, c'est ainsi qu'ils nous ont éduqués, ici, que j'ai appris à mater mon cœur.» Pleine de sentiments rentrés, «avare en caresses et en compliments», elle fait vivre Frida dans un perpétuel délire:

  • de l'infanticide poisseux de sang:  «Silence. Mère va frapper. Maman veut me tuer. Trop tard. La porte s'ouvre, et la voilà contrainte de remettre son geste à plus tard»
  • de l'anthropophagie matricide:  «J'ai faim de maman, ferais bien rôtir son corps à la broche, en découperais volontiers chaque morceau, à commencer par la cervelle, à déguster avec de la mayonnaise»
  • les funérailles et la dépouille maternelles hantent les rêves de Frida:  «Assise à l'enterrement de cette dame bientôt rongée par les vers et à laquelle, même pourrie, je continuerai à ressembler. Je suis maman en plus pourrie. […] Parfois aussi, je rêve que je la brûle, en récupère toutes les cendres pour les conserver dans une urne, posée en évidence sur un bout de table».

4. La Parole folle de Frida : une énonciation qui vole en éclats

4.1 Une énonciation complexe

Parole est donnée à Frida. C'est son histoire de femme afro-caribéenne et d'afro-descendante d'esclaves. Elle a l'initiative de la confession que nous réceptionnons. Froidement, elle nous décline son identité et l'horreur de son acte passionnel: «Je m'appelle Frida, je viens de tuer un homme et je m'apprête à me faire sauter la cervelle. Les détails, c'est encore moi qui suis la mieux placée pour vous les fournir .[…] Je collecte les souvenirs et épluche mon histoire en commençant par le bout.» Voilà un début qui heurte.

Frida mène le jeu de son énonciation, et nous déroute. Tantôt le «je» de celle qui dit, et tantôt le «elle» de celle qui voit. Un dédoublement énonciatif qui nous tient en alerte. Perte de contrôle, perte de son rôle. Une femme en cage, en rage, page à page…

En plus de décliner les pronoms, Frida décline son prénom :  «Frida. Freuda. Fraïda». Déformation nominale d'une déformation mentale. Elle n'a plus la maîtrise d'elle-même. Elle n'a pas plus la maîtrise de «son homme», et décline ainsi son prénom : «Eric, Rico, Yéric» .

4.2 Estomper la temporalité dramatique

Frida outrepasse le Silence de ses parents et de la distance en se ré-appropriant le Temps. En parallèle de son drame, elle dénoue le drame d'une esclave. Le destin d'une jeune femme arrachée de son sol d'Afrique, pour une traversée du malheur vers les Antilles. Frida s'identifie, en souffrance, à cette figure noire du passé:  «Dissimuler mon corps violé. Mes tétons meurtris. Mes fesses mouillées. La peur. Redescendre dans les cales, reprendre ma place comme si de rien n'était, comme si Eric n'y était plus. Silence.» Souillée par la pariade de l'équipage. Honteuse face à son compagnon de traversée, Eric. Le maillon du Passé et du Présent de Frida :  «Eric, homme marron glacé, vu quelque part entre l'Afrique et les Antilles. Croisé sur le pont à l'heure du grand bain, rare moment où ils [les armateurs négriers] nous font sortir».

5. Frida : ses combats

5.1 Combats de chairs

Grandie dans la conviction ténue et têtue que le corps est enveloppe du Péché, Frida le purifie scrupuleusement, chaque jour, selon les saints préceptes maternels. Ces ablutions sont amplifiées depuis un traumatisme, celui de l'agression. Les attouchements d'un oncle, ce Tonton Gaston pourtant si blagueur. Dans la honte de ses 16 ans, Frida verbalise cette atteinte à son corps pour que sa mère l'entende, pour une fois. Enfin. Mais sa mère n'entend pas, outrée à la seule idée de cette salissure : «avec la même énergie que s'il se fût agi d'une chambre d'hôpital, elle frotte et récure, lave et rince, soupire puis remercie le Seigneur d'avoir su si bien veiller sur sa fille, son ange au sexe amarré et cousu de fils blancs». La mère n'a pas entendu, car elle porte elle-même dans ses chairs cette souillure…

En Cité U, Frida délie alors ces interdits pour une délivrance des sens: «Frida a attendu que les hommes viennent, contournent son lit, le corps raidi par le désir d'entrer […] dans cette terre sèche plantée de sens interdits. […] Seigneur, bon Dieu ! Ne priez plus pour moi.»

Frida apprend notamment à connaître l'homme blanc, crûment. Une expérience qui habite, insiste-t-elle chaque femme noire, perplexe devant la peau ivoire confrontée à la peau noire:  «mon premier Blanc. Avoir son premier Blanc…[…] Et cette énigme qui s'arrachait à prix d'or, trottait dans nos corps comme un cheval fou. C'est comment, faire l'amour avec un Blanc ? Est-ce différent ? Est-ce si différent?»

5.2 Combats identitaires

Née de parents «sédentaires», Frida est fille de Révolte : elle veut avoir et savoir cette culture honteusement tue par ses parents. Frida se cherche comme jeune femme grandie en «négropolitaine » désenchantée, déracinée. Acculturations historique, linguistique  et sociologiques: «A l'école, il est rarement question des Antilles et il faut attendre le collège pour rencontrer l'Afrique.» - «Le voilà, mon exotisme: une Black chez les Antillais, pas fichue de parler créole et pas cap' de coucher avec un nègre.»

  • En Cité U, Frida visite les différentes cultures noires par le biais des résidents : «Perdue dans un brouhaha de langues, [….] il ne lui fallut que quelques nuits pour faire le tour de l'Afrique, passer les frontières entre les pays et s'approprier les coutumes locales.»
  • Avec Eric, Frida rejoint le mouvement militant dont il est membre depuis 5 ans, le collectif du «Pipiri pensant» pour exiger de la Métropole l'Indépendance : séparation et réparation, voilà leurs revendications. Avec Eric, elle est tentée par le mirage du retour. Haïti d'abord, puis la Martinique. Eric et Frida en reviennent vidés de leurs illusions :  «découvrir que l'on s'est trompé sur un pays est presque aussi douloureux que de se sentir trahi par un proche» (pour Haïti) - «la Martinique est malade. […] Péi tala malad tou bonman!» (pour la Martinique)
  • Avec Marlène, résidente plus que libérée, Frida rejoint le mouvement militant du M.L.N. pour «Mouvement de Libération de la Négresse». Présidé par Marlène même, ce mouvement établit des généralisations à l'emporte-pièce sur l'homme nègre:  «un noir a deux fois plus de vices et d'occasion de te tromper. Met deux fois plus de temps à t'aimer. Est deux fois plus lâche en amour» - «Tous les hommes noirs qui vous diront qu'ils n'ont jamais goûté à la chair blanche sont des menteurs. Cette tentation les prend au berceau et ne décroît qu'avec le temps. Ce n'est que lorsqu'ils ont dépassé la quarantaine que les nègres […] redécouvrent leurs sœurs.»

6. Une dévotion malsaine

6.1 Dévotion de l'exclusivité

Frida traverse la vie, ballottée, malmenée, par ces remous identitaires…et ne se re-trouve nulle part. Une impasse : le vide de sa vie. Elle veut faire d'Eric le nègre qui comblera ce vide, malgré les sommations maternelles. Il incarne l'homme chimérique de ses rêves romantiques:  «Je suis d'un romantisme à fleur de peau presque ridicule, d'une mièvrerie génétique typique des Antillaises. […]Je n'appartiens à aucune époque, flotte d'une ère à l'autre, m'arrêtant là où le grand bateau stationne. »

Frida se nourrit d'Eric : il est sa nourriture contre la pourriture qui la guette. «Un corps d'homme rien que pour elle»… croit-elle. Elle lui voue un culte de la renaissance: «Je n'ai jamais appris à dire l'amour […]. Juste le faire. Avant de te connaître, «amour» ne figurait pas dans mon vocabulaire, avait disparu de ma langue et de mes gestes.» Une passion qui déborde et qui devient possessive, exclusive, excessive. Une exigence : «Que tu me […] jures de rester auprès de moi à jamais». Une promesse qui est avertissement du dénouement.

6.2 Anthropophagie qui dévore les corps

Eric n'est pourtant pas l'exception morale du nègre… Comme ses compères, il devient «un loup-garou» insatiable, international : «un homme qui connaît les femmes sur le bout des doigts. Le goût d'une Namibienne, le cri d'une rouquine, la rosée d'une Eurasienne». Homme-prédateur, toujours en chasse. Jamais repu. Virilité numérique :  «Il avait mangé-mangé-mangé. […] Il en avait soupé des femmes sans prendre le temps de tout digérer. […] Sept femmes en même temps, c'est le maximum qu'il ait eu dans sa vie.»

Constat de la déception:  «Faux double dont j'avais tant rêvé[…] Eric, cher, dont j'avais voulu dissoudre la chair, la faire fondre dans la mienne». Cette fusion anthropophagique n'augure qu'une issue tragique. Frida, jeune femme désarticulée, désarçonnée, démantelée, démantibulée. Roulée-boulée dans un chavirement déroutant. Frida n'avait-elle pas assez poussé ses inspections: «Faire les poches de chaque veste, inspecter le fond du caleçon, ouvrir l'œil et les narines.»

7. Errances et Déviances

7.1 Zombie en sursis

Eric a fui Frida, occupé - déjà - à d'autres… Brisée, Frida erre un mois dans les rues de Paris. Son dilemme passionnel et obsessionnel : toutes les femmes désirent «son» homme et «son» homme désire toutes les femmes.

Frida délaissée: zombie anonyme jetée dans l'abîme de ses incertitudes. Sous anesthésie:  «Combien d'ombres ai-je croisées qui ne me voyaient pas, indifférentes à ma douleur, la jugeant excessive, de trop dans leur vie ? […] Marche sur mes larmes. Au secours, à mwé!»- «Mon corps est celui d'un fantôme.[…] Un corps courant d'air».

Les mêmes questions martèlent sa tête, sans cesse mais sans réponse: «De combien de corps Eric s'est-il nourri ? […] Face à son silence, je désespère de pouvoir connaître un jour le chiffre exact. Combien y en a-t-il eu, entre cinquante et cent, trois cents et mille, un peu plus, beaucoup plus, davantage encore ?Je brûle et finis par penser que la terre entière a fait l'amour avec lui.» Est-ce même chiffrable?

Un mois de carence d'Eric qui «fait le mort». Mais connaît-il déjà la fatalité de ce jeu?

7.2 L'arme du drame

Après la défiance, Frida n'a plus que la déviance. Déviance uniquement finalisable dans le sang. Vivant, Eric était aux autres. Mort, il n'est qu'à elle : la voilà désormais  «enroulée comme une bouée autour de [son] mon cadavre».

Retour dans ces temps des chaînes. Une histoire déliée par la grand-grand-manman de Frida. Sa grand-grand-manman venue du Pays des Ombres pour lui livrer ce nœud de l'histoire tu par les parents de Frida. Un armateur négrier s'est épris d'amour pour une de ses esclaves. De cet amour réciproque est né un enfant. Métisse. L'enfant est livré, en sacrifice, aux flots complices. Fin du voyage: l'esclave noire s'en va suivre le chemin inhumain des chaînes, en bien-meuble d'un maître. L'armateur, lui, est censé retrouver sa morne vie de blanc. Dévoré de remords, il choisit la mort. Violente : une balle dans la tête. Cette arme traverse de façon irréaliste le Temps pour résoudre, définitivement les tourments de Frida.

Sa grand-grand-manman lui confie l'arme du drame. Drame de l'armateur blanc d'Hier. Drame du nègre coureur d'Aujourd'hui, Eric. Frida a compris et acquis ce destin de la Fin:  «J'ouvre le paquet que m'a confié grand-grand-mère avant de partir. Je ne suis pas surprise d'y trouver une arme, c'est comme si, au fond j'avais toujours su que nous nous retrouverions, elle et moi, main dans la main, liées à la vie à la mort. Ainsi soit-il. Amen.» En dedans de son âme dévastée, une issue inéluctable se construit et grandit. Sereinement, elle se réveille de ce mois sans rêve, sans trêve. Frida écrira elle-même la fin de leur histoire: Eric et elle seront liés dans le même sang par la même arme.

Fabienne KANOR nous amène à suivre Frida dans les méandres de sa démence. Une Frida fragilisée par des cassures successives. Elle a trébuché sur trop de questions et aberrations. Eric devait être sa délivrance, son espoir noir. Frida prend l'initiative de trancher leurs vies, vers l'Infini.

Véronique LAROSE


 
 

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