«Pawol Kreyol»

Françoise Vergès: son essai
«La Mémoire enchaînée – Questions sur l’Esclavage»
(Mai 2006 – éd. ALBIN MICHEL):
«reprendre sur de nouvelles bases le récit républicain» (p.73)

Véronique LAROSE
30 juin 2006

boule

Pawol Kreyol

Alfred ALEXANDRE | Ano (Eddy FIRMIN) | Nicole CAGE-FLORENTINY | Philippe CANTINOL | Aimé CÉSAIRE | Ina CESAIRE | Patrick CHAMOISEAU | Romuald CHERY | Pierre CLERY | Maryse CONDÉ | Raphaël CONFIANT | Tony DELSHAM | Suzanne DRACIUS | Suzanne DRACIUS 2 | Igo DRANÉ | Jules EULALIE | Rodolf ETIENNE | Daniel ILLEMAY | Félicien JERENT | Fabienne KANOR | Elise LEMAI | Alain MABIALA | Didier MANDIN | Tony Mango | Elvire MAUROUARD | Ruth Narbonnais | Daniel-Yves PHAROSE | Gisèle PINEAU | Audrey PULVAR | Juliette SMERALDA | Sylvia SERBIN | Joseph ZOBEL | Adèle et la Pacotilleuse | Cénesthésie et l’urgence d’Etre… | La Compagnie «BOUKOUSOU» de Max DIAKOK | Des travaux collectifs littéraires | La permanence psychologique du CASODOM | La Noce chez les Petits Bourgeois…créoles | Nous étions assis sur le Rivage du monde… | Quand la Révolution, aux Amériques, était nègre… | «l’Alchimie des Rêves» | «Les Voix nègres de Victor Hugo» | Pour une Mémoire musicale antillaise | Le «Quiz-kréyol» de Philippe MARIELLO | Les Postiers déracinés Provinciaux, Antillais… des racines et des lettres» | La Mémoire enchaînée – Questions sur l’Esclavage de Françoise Vergès | Les Editions DESNEL | Deux recueil des Editions DESNEL | Hommage à Aimé Césaire - Symphonies Nègres | L’Oralité créole en envol! | Atelier de créole à Paris | L’Avenir est Ailleurs | Atelier de créole à l’Amicale RATP DOM TOM | En Poésie la Vie | Ti Niko le héros espiègle | «A l’ombre du Corossolier» | La Prison vue de l’intérieur | Zôdi nonm | Pilibo | Xavier Harry | Mes Quatre Femmes | Firmine RICHARD

La mémoire enchaînée
La mémoire enchaînée • Françoise Vergès • Éd. Albin Michel • ISBN 2226171010 • mai 2006 • 16,00 €

Après de précieux échanges avec Aimé Césaire(“Nègre je suis, Nègre je resterai” nov.2005 – éd. ALBIN MICHEL), Françoise Vergès consacre un  essai à cette Histoire et à cette Mémoire au cœur de réflexions d’actualité: “ La Mémoire enchaînée – Questions sur l’Esclavage” (mai 2006 – éd. ALBIN MICHEL). Au cœur de ces questions: l’esclavage et la traite négrière. Le contexte: le débat public ouvert sur les traces identitaires et politiques laissées par l’esclavage et la colonisation. Françoise Vergès contextualise ainsi sa réflexion: “depuis 2004, la traite négrière, l’esclavage, et les différentes étapes de leur abolition sont devenus des sujets de société” (intro – p. 7). Une dette du “silence” et du “retard” (intro – p. 9) qui fait re-surgir et s’endurcir un débat-combat d’identités.

nous sommes en France au début d’une réécriture de ces événements; les sociétés issues de l’esclavage sont longtemps restées publiquement silencieuses, mais silence ne veut pas dire oubli. Tout au plus on peut parler de latence. Il ne faut pas avoir peur de cette émergence, mais combattre les excès et soutenir toutes les initiatives de recherche, multiplier les débats, créer un tronc incontournable de faits et de dates que chacun devra connaître” (p. 58)

1. Françoise Vergès:

Réunionnaise, elle est Maître de conférence, Directrice de Maîtrise et de Thèse de Doctorats à l’université de Londres. Elle est impliquée familialement dans le statut identitaire et départemental de l’Outre mer – son grand-père, Raymond Vergès, a travaillé aux côtés d’Aimé Césaire à la départementalisation de 1946. Elle est vice-présidente du Comité Pour la Mémoire de l’Esclavage (CPME)* et rapporteur général du texte remis en 2004. Le CPME, institué en juin 2004, figure sous la présidence de l’auteure Maryse Condé. Un parcours riche qui justifie son avertissement, d’emblée: “cette circulation entre langues et entre modes de pensée, entre sources bibliographiques venant du monde africain, malgache, anglais, français ou asiatique, et l’étude des sources orales en créole rend plus difficile une position tranchée” (intro – p. 19)

Bibliographie:

  • ”Esclavage et citoyen” (éd. Gallimard -1998), avec Philippe Haudrère
  • «Monsters and Revolutionaries. Colonial Family Romance and Metissage” (1999)
  • ”Abolir l’esclavage: une utopie coloniale. Les ambiguïtés d’une politique humanitaire” (éd. Albin Michel - 2001)
  • ” La République coloniale. Essai sur une utopie” (éd. Albin Michel -2003), avec Nicolas Bancel et Pascal Blanchard
  • ”Amarres. Créolisations india-océanes” (éd. L’Harmattan - 2005), avec Carpanin Marimoutou
  • ”Pour un Musée du temps présent: la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise” (éd. Réunion-Graphica – 2005)
  • “Nègre je suis, Nègre je resterai” - Aimé CESAIRE: Entretiens avec Françoise Vergès (nov.2005 – éd. ALBIN MICHEL)

* Les missions institutionnelles du Comité Pour la Mémoire de l’Esclavage (CPME) sont ainsi présentées par Françoise Vergès: “les propositions du CPME, rendues publiques dès le 12 avril 2005, allaient dans ce sens. Il s’agissait d’offrir des alternatives aux discours accusateurs, qui dénonçaient le complot du silence et la volonté de faire taire, et aux discours de victimisation, sur l’unicité de la douleur” (“ La Mémoire enchaînée – Questions sur l’Esclavage”: intro – p. 22) - “les membres du CPME ont cherché à créer un terrain de rencontre où la mémoire de l’esclavage et la mémoire de l’abolition puissent dialoguer de manière fructueuse et dans un esprit citoyen” (Françoise Vergès, “Nègre je suis, nègre je resterai” éd. Albin Michel nov.2005: p.107-108)

2. Les thématiques de cet essai: table des matières

Françoise Vergès évalue et contextualise l’ampleur de ce débat social: “l’enjeu aujourd’hui, c’est de faire entendre ce qui n’a pas été entendu: l’esclavage a produit une idéologie raciste, et cette idéologie continue à agir dans le présent” (p. 34) - “la question de l’esclavage s’est imposée comme question sociale et culturelle” (p. 36) - “la société française est confrontée à un retour du refoulé” (p. 36).

Ainsi, nous voilà face à un débat local devenu national: “nous sommes en France au début d’une réécriture de ces événements; les sociétés issues de l’esclavage sont longtemps restées publiquement silencieuses, mais silence ne veut pas dire oubli. Tout au plus on peut parler de latence. Il ne faut pas avoir peur de cette émergence, mais combattre les excès et soutenir toutes les initiatives de recherche, multiplier les débats, créer un tronc incontournable de faits et de dates que chacun devra connaître” (p. 58)

TABLE DES MATIERES:

Introduction: “Ne plus être esclave de l’esclavage” (intro p.9 – citation de Frantz FANON dans “Peau noire, masques blancs” 1952 éd. Le Seuil) – citation explicitée par Françoise Vergès: “Fanon ne prescrit cependant pas l’oubli, mais bien plutôt le dépassement” (intro – p.21)

I. La mémoire enchaînée

II. Esclavage, mémoire, écriture de l’histoire

III. La mémoire de l’esclavage et la loi

IV. L’outre-mer de la République

Conclusion: “Ceux sans qui la terre ne serait pas la terre” (conclusion p.197 – citation d’Aimé Césaire dans “Cahier d’un Retour au Pays natal” 1939 éd. Présence africaine)

3. Le narrateur-chercheur:

“J’ai pensé qu’il était nécessaire de proposer, avec d’autres, une relecture et une nouvelle écriture de l’histoire coloniale pour mieux comprendre pourquoi et comment elle est devenue un enjeu social et culturel” (intro – p. 15) - “ces pages présentent un résumé des arguments contenus dans les contributions qui ont, le plus, façonné le débat. Les controverses et les glissements de sens qui se sont fait jour rendent à mon sens cette explication de texte au plus point nécessaire. Je précise que je ne suis pas historienne, bien que je sois souvent identifiée ainsi” (intro – p. 16) - “ma position est celle d’un chercheur qui a investi ces domaines à partir d’un parcours singulier, entre plusieurs territoires et plusieurs langues” (intro – p. 18) - “je souhaite que le débat s’apaise et devienne plus constructif, mais je cherche à comprendre pourquoi le terrain est si violent, si conflictuel.” (p. 58)

Françoise Vergès développe, avec une énonciation personnelle, ses choix argumentaires. Une démarche de chercheur centrée sur une thématique: l’esclavage et de la traite. Cette analyse est élargie aux nombreuses périphéries de cette thématique. Il s’agit là de l’ affirmation d’un narrateur-chercheur, assumée à la première personne. Ethiquement, elle se donne une mission générationnelle: “je voudrais apporter des arguments à ces enfants, à tous ceux qui subissent les moqueries et le mépris d’une certaine élite française envers leur histoire et leurs mémoires.” (p. 28)

Sa position est donc définie: dans une quête d’apaisement du débat actuel, en analysant ses enjeux: “nous payons le silence et le retard qui ont permis aux discours du complot de s’engouffrer” (intro – p. 11).

4. Mal-entendus, non-sens, indécences: une mémoire malmenée

En partant de mal-entendus, Françoise Vergès choisit de décrire et citer des dérives qu’elle perçoit comme des non-sens et indécences.

4.1 Des mal-entendus d’hier à aujourd’hui:

Un rappel: “l’écriture de l’histoire ne consiste d’ailleurs pas en une distribution de bons et de mauvais points” (p. 73). La légitime revendication mémorielle des descendants d’esclaves est, à tort, perçue par les Français comme une “repentance” engageant des “réparations”: “je trouve inadmissible que l’on réduise à un caprice communautariste les demandes de prises en compte de ces mémoires et de cette histoire” (p.29) - “si les Français ont un “souvenir douloureux”, un “regret de leurs fautes, de leurs péchés”, c’est à eux-mêmes de comprendre pourquoi ils interprètent en terme de repentance les demandes d’inscription de l’histoire et de l’esclavage” (p.31) - “excuse n’est pas repentance” (p. 32) - “il n’y a eu jusqu’à présent aucune reconnaissance nationale de ce que ces personnes ont vécu; aucun maître, aucun négrier ne fut jamais puni; le crime a été amnistié, mais sans le consentement des victimes” (p. 45) - “responsabilité n’est donc pas culpabilité. Le but est de reconnaître une injustice historique” (p. 106)

Par la description-définition d’un système, Françoise Vergès se penche sur les implications: “je ne suis pas scandalisée par le fait que des Africains, des Comoriens, des Malgaches aient capturé et vendu leurs voisins et participé à la traite […]. Je ne m’en offusque pas, ni n’en tire conclusion que, tout le monde étant “complice”, personne n’est responsable” (p.29) - “le crime étant organisé en commerce, on a utilisé tout le vocabulaire du commerce pour le masquer […] Or il s’agit d’êtres humains.” (p.30) - “le schéma du commerce triangulaire, facile à mémoriser, […] cette représentation est simpliste. […] Banques, assurances, armateurs intervenaient, et plusieurs systèmes de monnaies étaient en jeu” (p. 133)

4.2 Des non-sens et des indécences:

“ces sociétés issues de l’esclavagisme et de la traite sont traversées par de fortes tensions sociales et raciales. Elles ne sont pas à l’abri de dérives.” (p.185) Françoise Vergès, dans son argumentaire, déplore des dérives et indécences qui parasitent, faussent et freinent la légitimité du débat:

  • les non-sens historiographiques qui excluent certains supports: “les colonies européennes. […] Les textes de la révolution haïtienne, la déclaration de Delgrès, les lettres, les romans, les poèmes constituent autant d’archives sur la pensée politique développée par les esclaves. Mais qui les étudie en dehors des spécialistes? Qui connaît la culture et l’histoire des populations françaises issues de l’esclavage? […] Seul l’accès à la multiplicité des sources et des textes peut renouveler une écriture aujourd’hui sclérosée” (p. 65-66) - “il s’agit aussi de promouvoir des mémoires que l’historiographie savante a marginalisées sinon occultées. La mémoire est devenue à juste titre objet de vigilance, mais elle risque d’être muséifiée, sacralisée, judiciarisée, banalisée et instrumentalisée” (p. 129) - “Fanon n’écrit pas Peau noire, Masques blancs dans le but de condamner le racisme. Il conçoit son essai avant tout comme le manifeste d’un “nouvel humanisme” [...] Ce texte, en dépit de toute sa richesse, […] n’est plus étudié en France. […]A cette stratégie d’évitement s’ajoute aussi une tendance à négliger les travaux critiques, s’ils sont l’œuvre de chercheurs de pays anciennement colonisés, mais à les accepter s’ils sont l’œuvre de Français de “souche” (p.176-177)
     
  • les incohérences élitistes: “il faut repenser l’identité française. Comment se fait-il qu’Aimé Césaire soit un citoyen “français”, mais un écrivain “francophone”?” (intro – p. 13)
     
  • les dérives dé-responsabilisantes: “on lit souvent qu’il faut souligner la responsabilité des rois et chefs africains et celle des Arabes. Cette vision qui se voudrait nuancée ne l’est pas: dès lors qu’il n’existerait pas de frontière claire entre bourreaux et victimes, le crime se trouverait amoindri et ne constituerait plus un crime contre l’humanité. […] Ce “tout le monde est responsable, donc personne n’est entièrement coupable” s’appuie sur l’argument moraliste et marginalise la dimension économique” (p. 142-143)
     
  • les dérives méprisantes indifférentes: “ces réactions témoignent d’une profonde ignorance à la fois de l’esclavage et des sociétés qui en sont issues. Cette ignorance est préoccupante, car elle nourrit, d’un côté, de l’arrogance – celle d’une indifférence assumée – et, de l’autre, du ressentiment – envers cette indifférence vécue comme mépris, d’autant qu’elle est revendiquée par une partie de l’élite française” (p. 36)
     
  • les dérives ethnicisantes: “je constate que la mémoire est souvent manipulée, ethnicisée, et je combats cette distorsion” (p. 29) - “on doit cependant éviter d’homogénéiser les positions. Car demander aux “Noirs” d’adopter une position commune reviendrait à racialiser la politique. Au sein de la “communauté noire”, les positions sont loin d’être en accord” (p. 93) - “dans l’imaginaire européen, l’esclave est à jamais racialisé: être esclave, c’est être noir, et être noir c’est être destiné à l’esclavage” (p. 181-182) - «la mémoire de l’esclavage ne doit pas être privatisée, ethnicisée” (p. 195)
     
  • les dérives comparatives: “point n’est besoin d’entrer dans une rivalité obscène [entre la traite négrière et le génocide des Juifs] “ (p. 144)
     
  • les dérives délirantes: “en parcourant les sites internet consacrés aux pages occultées et à la mémoire sélective en matière de traite négrière et d’esclavage, on […] y trouve aussi bien des discussions qui illustrent le désir de comprendre et d’apprendre que des délires racistes, xénophobes, paranoïaques et antisémites” (p. 82)
     
  • les dérives touristiques: “les plantations sont devenues aujourd’hui des lieux de tourisme où l’on peut découvrir un simulacre d’”art de vivre créole”, en sirotant un punch sous la véranda, dans la douceur des alizés…» (p. 81)

5. Une pluralité des supports d’expression: un enjeu réel

Françoise Vergès identifie différents lieux d’expression du débat: elle note les médias “traditionnels” (radio, journaux, télévision), et elle recense également:

  • les réflexions collectives: elles permettent le brassage d’analyses thématiques. Objectif citoyen: “la multiplication de journées d’études, séminaires, colloques, festivals, conférences témoigne de ce que, à côté de ce terrain binaire, des citoyens se regroupent pour écouter, comprendre et inventer de nouvelles stratégies d’alliance.” (intro – p. 13)
     
  • internet: “en parcourant les sites internet consacrés aux pages occultées et à la mémoire sélective en matière de traite négrière et d’esclavage, on mesure combien le sentiment d’une censure est largement partagé. Sur des centaines de sites, des voix s’expriment […] On y trouve aussi bien des discussions qui illustrent le désir de comprendre et d’apprendre que des délires racistes, xénophobes, paranoïaques et antisémites” (p. 82) – “je me réfère ici à ceux [sites-web] qui semblent très développés, avec liens, renvois, citations nombreuses, et qui ont développé des rubriques consacrées à la traite, l’esclavage et leurs mémoires” (p.83 – note en bas de page)
     
  • la philosophie: Françoise Vergès cite alors le philosophe et enseignant guadeloupéen Jacky DAHOMAY: “l’ethnicisation actuelle de la France nous pousse à réfléchir sur les failles de l’intégration républicaine. Même s’il ne faut pas toujours exagérer ces dérives identitaires ni nier des succès incontestables de l’intégration, il faut toutefois admettre le fait incontournable aujourd’hui des crispations communautaires dans l’Hexagone” (p.149) - “assimiler, c’est demander à l’autre de renoncer à sa propre culture. L’intégration républicaine ne doit pas exiger de l’autre le renoncement à sa propre culture comme cela a été fait dans le passé” (p. 183)
     
  • la littérature: Françoise Vergès cite Nicole CAGE-FLORENTINY * , poète et romancière: “la réalité de mon pays face à mes idéaux de poète” (p. 187 – déclaration en décembre 2005): “car sur la terre où j’habite, le crack fait naufrager le cerveau de la jeunesse”

* Nicole CAGE-FLORENTINY (Martinique), poète et romancière, est sollicitée pour ses quatre romans, sa réflexion sur “La réalité de mon pays face à mes idéaux d’écrivaine” et pour un spectacle alliant poésie et musique. Son actualité récente: elle vient de participer au “ Festival Internacional de Poesía de La Habana” (Cuba), au “Caribbean Women Writers as Scholars”, à la Florida International University (des chercheuses et critiques y ont présenté leurs travaux sur: “ L’image de la femme dans les romans de Nicole Cage-Florentiny”), à la “Foire Internationale du Livre de Saint-Martin” pour animer des «poetry workshops”. Sachez que Nicole CAGE-FLORENTINY et ses complices musiciens sont à la disposition des organismes culturels pour le spectacle de poésie-musique, “ Dèyé pawol sé lanmou”! Contacts de Nicole CAGE-FLORENTINY: Email / 0596 69 48 86 / 0696 82 73 73

6. Les enjeux structurels de cet essai: une relecture pluridisciplinaire

Cette pluralité des supports d’expression fait écho à la pluralité des disciplines concernées par ce débat. A partir d’une documentation dense, Françoise Vergès envisage d’aborder l’esclavage et la traite selon diverses strates: strates historiques, mémorielles, identitaires, sociales, juridiques, linguistiques, philosophiques, etc. En définitive, toutes ces disciplines questionnent un seul et même enjeu: quel statut républicain pour l’Outre mer? Ce débat est porté par tant de revendications-réhabilitations et par tant d’interventions ! Une “crise” questionnée par l’auteure: “crise de quoi? de la République? de la démocratie? de l’autorité? de l’intégration? crise économique et sociale?” (intro – p.9).

6.1 Les enjeux de sens historiques: pour penser le statut de “crime contre l’humanité” et défendre une réhabilitation historique des esclaves, comme résistants, comme «êtres de chair et de sang” (p.151), en dépassant la terne allégorie.

  • un statut particulier pour ce crime contre l’humanité: “éclairer la relation entre commerce et crime” (p.30) - “on est en droit de s’interroger sur la qualification de ce crime” (p. 45) - “la traite et l’esclavage n’ont pas pour but d’effacer un peuple de la surface de la terre, mais de fabriquer des disposable people, des personnes jetables, dont l’existence sociale est niée […]. Mais ce n’est toujours pas un génocide. Il faut garder à la traite et à l’esclavage leur singularité” (p. 143) – “quel vocabulaire faut-il utiliser pour dénoncer ce crime et en écrire l’histoire?” (p.144)
     
  • une réhabilitation historique des esclaves actants: “pourquoi l’abolition serait-elle “naturellement” son point de départ et d’arrivée? […] Osera-t-on prétendre que l’histoire des esclaves a reçu la même attention que celle des abolitionnistes?” (p.29) - “ce sont pourtant les esclaves qui, avant même les Européens, développent les premiers une pratique et un discours anti-esclavagistes. Ce sont eux les premiers abolitionnistes: eux qui refusèrent la capture, l’asservissement et la privation de liberté” (p. 61) - “peu de récits prennent en compte la voix des esclaves, leurs paroles” (p. 68) - “pourquoi, en France, a-t-on surtout célébré la mémoire de l’abolition […]?” (p. 69) - “l’absence de l’esclave dans les enceintes politiques de la nation prouve qu’il n’est pas en tant que tel considéré comme sujet de l’histoire puisque ce statut lui a été nié” (p. 78)

6.2 Les enjeux de sens mémoriels, commémoratifs: pour explorer ce tournant d’actualité dans l’espace national, avec la première commémoration nationale de l’abolition de la traite négrière et de l’esclavage le 10 mai 2006: “ la France a choisi de célébrer, chaque 10 mai, les mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions. Ce choix prendra acte en 2006 pour la première fois. Cette date nationale va-t-elle accomplir ce que des siècles n’ont pas su faire: inscrire officiellement cette histoire dans la mémoire nationale et dans l’espace public? Donnera-t-elle envie aux Français de connaître ce pan de leur histoire ou vont-ils continuer à considérer que cela ne concerne que les “descendants d’esclaves”?” (p.35)

6.3 Une ré-appropriation mémorielle dans la mobilisation: au-delà de cette décision institutionnelle, ce débat-combat mobilise les descendants d’esclaves eux-mêmes et de nombreux actants associatifs, contre l’oubli. Un “travail de remémoration” (p. 89) justifié et authentifié par un réseau élargi: “le 150ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage en 1998 permet aux populations des DOM de donner un nouvel élan à l’inscription de cette mémoire et de cette histoire dans l’espace public: stèles, monuments, noms de rues témoignent de cet effort. […] Le 23 mai *, près de 40'000 Martiniquais, Guadeloupéens, Africains, Guyanais et Réunionnais défilent de la République à la Nation, à l’initiative du Comité pour une commémoration unitaire de l’abolition de l’esclavage des Nègres dans les colonies françaises” (p. 90) - “les ancêtres étant morts dans l’oubli parce qu’ils étaient esclaves et Noirs, leurs descendants doivent défendre leur mémoire pour restituer leur présence” (p. 95) – “les messes dites pour le “martyre de l’esclavage” délivreront de la “prison de l’esclavage dans laquelle nous [leurs descendants] étions enfermés” (p. 97 – extrait de la Messe du martyre de l’esclavage dite le 23.05.2005 en la Basilique de Saint-Denis) - “la demande mémorielle s’accompagne de demandes de manifestations commémoratives” (p. 100).

*cf. le site du Comité Marche du 23 mai 1998, dit le CM98.

6.4 Les sursauts et remous juridiques: Françoise Vergès retrace 3 étapes juridiques qui ont marqué le débat national: la loi TAUBIRA, la polémique sur l’article 4 de la loi du 23 février 2005 et enfin la plainte déposée contre Olivier Pétré-Grenouilleau. Loi et histoire, loi et mémoire se retrouvent donc entrecroisées:

  • la loi TAUBIRA: “la loi dite Taubira avait fini par atteindre un de ses buts: celui d’amorcer un débat public sur les mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions” (p. 109)
     
  • l’article 4 de la loi du 23 février 2005: “fait positif et paradoxal, car la confusion règne, la controverse sur la loi du 23 février 2005 [article 4: sur le “rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord”] a pour effet que l’opinion publique s’intéresse à la loi Taubira” (p. 122)
     
  • la plainte déposée contre Olivier Pétré-Grenouilleau: la position de Françoise Vergès est tranchée face à la plainte déposée par le “COLLECTIFDOM *” contre Olivier Pétré-Grenouilleau [historien, “les Traites négrières” 2005, éd. Gallimard, Prix d’Histoire du Sénat], suite à ses déclarations dans le “Journal du Dimanche” du 12 juin 2005: “la plainte déposée en justice [par le Collectif des Antillais, Guyanais, Réunionnais de Patrick KARAM, dit le “COLLECTIFDOM” ] contre Olivier Pétré-Grenouilleau était inacceptable” (p. 124). Françoise Vergès comprend mais conteste cette démarche: selon elle, certes, Olivier Pétré-Grenouilleau a “une approche manifestement erronée de la notion de “crime contre l’humanité” [qui] “ne justifie pas pour autant l’assignation en justice” (p. 125). Finalement, le “COLLECTIFDOM” a choisi de retirer cette plainte, estimant qu’il était parvenu à “marquer la fin des atteintes à la loi du 23 mai 2001 faisant de l’esclavage un crime contre l’Humanité” (déclaration du “COLLECTIFDOM”, février 2006)

*cf. le site du “COLLECTIFDOM

7. Les enjeux statutaires du débat:

Dans ce débat, le statut de l’Outre mer dans son grand ensemble (son Histoire, ses mémoires, ses abolitions, ses cultures, ses langues, etc.) est questionné: “1'667'436 personnes constituent la population des quatre DOM. On peut décider qu’elles ne comptent pas, mais alors on doit développer l’argument, expliquer pourquoi ni leur histoire ni leur culture ne comptent, sinon sous forme d’exotisme, et pourquoi on se sent autorisé à les appeler des “secteurs particuliers de l’opinion”. En réalité, la question de la place de l’outre mer dans la République revient de façon lancinante” (intro – p. 14)

7.1 Les enjeux de sens identitaires: ils sont multiples parce que porteurs de frustrations que seule une réhabilitation authentique apaisera. La “tradition d’universalisme abstrait” (p.172-173) craque, inévitablement, sous le coup des mémoires vives: “l’affirmation d’identités qui ne veulent plus se fondre dans une identité universelle abstraite. Ces stratégies se fondent sur l’intégration, et non sur la disparition d’histoires et de mémoires issues de l’esclavage et du colonialisme” (intro – p. 13) - “pour les populations issues de l’esclavage, cette histoire est une histoire vivante, inscrite à la fois dans une langue, le créole, une toponymie des lieux, des rites d’ancestralité, mais aussi dans la relation chargée d’affects négatifs ou ambivalents que ces sociétés entretiennent avec la “métropole”, et enfin dans les retards structurels considérables qu’elles connaissent” (p.49) - “les DOM, ce sont deux siècles et demi d’esclavage, un siècle de colonialisme, soixante ans de postcolonialité.” (p. 167). Françoise Vergès nuance: “je ne défends pas l’identité victimaire” (p. 29) - “je ne pense pas que l’esclavage suffise à lui seul à expliquer toutes les discriminations et inégalités actuellement subies par les populations issues de systèmes esclavagistes” (p. 29)

  • mieux mesurer les réalités identitaires des DOM: pour davantage expliquer les implications de ce débat ouvert, Françoise Vergès propose à la République française de mesurer les réalités identitaires de l’Outre-mer. Ses spécificités, “fructueuses” (p.161) et non dangereuses, permettraient un assainissement et un réalisme dans les positionnements gouvernementaux: “finalement, ce débat révèle la présence ambivalente de l’outre mer dans la République. En France, on parle encore trop souvent de ces territoires de manière réductrice, hésitant entre l’exotisme et l’universalisme abstrait du type “ce sont des terres françaises”. Mais surtout, on continue à en ignorer les contributions. Ceux qui en sont issus sont soit invisibles, soit trop visibles. […] Pour les français cependant, le territoire national “France” reste limité au territoire hexagonal” (p. 46) - “méconnaître ces sociétés, tout en s’arrogeant le droit de se prononcer sur la légitimité d’une loi, d’une commémoration, d’une demande, c’est faire preuve d’une étrange indifférence” (p. 50)
     
  • mieux mesurer les réalités inégalitaires: les orientations gouvernementales affichées en faveur de la “diversité” ne masquent cependant pas les situations discriminatoires persistantes: “des études mettent en évidence des discriminations à l’emploi, au logement, à la formation, à l’accès aux plus hauts postes de direction dans le public et le privé pour les personnes issues du monde postcolonial” (p. 37) -”l’héritage [ de l’esclavage et de la traite ] en est multiple: d’une part, le souvenir de l’humiliation, de la violence, du mépris raciste et ses traces dans le présent; de l’autre des langues, des cultures, des imaginaires de la diversité et de l’unité; d’un côté, des inégalités dans l’accès au foncier et au capital qui pèsent encore sur l’organisation économique; de l’autre des pratiques qui préfigurent les bouleversements et les mutations actuels” (p.38) - “le taux de chômage* des jeunes de moins de 25 ans est nettement supérieur (26,1%) à celui des métropolitains (16%); la situation serait même plus défavorable pour ceux qui sont nés en métropole (taux de 27%)” (p. 193) - “l’amertume et la colère des ultramarins de France hexagonale s’expliquent encore mieux lorsque l’on compare leurs difficultés avec les facilités d’installation des “métropolitains” dans les DOM” (p. 193). Pour avoir une juste appréciation de cette persistance inégalitaire, Françoise Vergès rappelle la migration BUMIDOMienne: “la diaspora ultramarine […] constituée à partir des années 1960 et organisée par le BUMIDOM [BUreau pour les MIgrations des DOM] - cette diaspora connaît des difficultés. Les discriminations raciales qu’ils subissent […] leur font comprendre qu’être citoyen français n’est pas une garantie contre le racisme” (p. 92)

* sur l’insertion problématique des jeunes Français originaires d’Outre mer: cf. deux comptes-rendus rédigés à partir de l’étude réalisée par Line BOISDUR (déc. 2005) et à partir du Forum pour l’Emploi du “COLLECTIFDOM” (juin 2005) >>> section “Identités” du site ECRIT-CREOLE.COM

7.2 Le statut territorial des DOM interrogé: le titre d’une des sections de l’essai est évocateur: “l’introuvable statut de l’outre-mer” (p. 182 – titre de section). L’Outre mer est un espace marginalisé par sa singularité et sa diversité: “l’examen des liens entre métropole et colonie, puis “métropole” et DOM, révèle une histoire chargée de malentendus, de soupçons, de méfiance. Si l’outre-mer reste marginale pour l’opinion publique française, ne nous y trompons pas, la France reste aussi très marginale pour l’outre-mer […] La France contribue trop souvent à l’isolement insulaire et ne remplit pas assez son rôle de porteur d’altérité” (p.162-163). Françoise Vergès définit deux symptômes du clivage Hexagone-Outre mer:

  • un malaise terminologique: “l’appellation “métropole” qui s’est imposée dans les années 1960-1970 est symptomatique de cet écart” (p.164) - “ces considérations sur la terminologie m’amènent à me demander encore une fois dans quel vocabulaire il faut puiser pour décrire une relation historiquement ancrée dans une inégalité affectée par le discours racial” (p.165) - “au-delà d’une question de vocabulaire, c’est la question de la clarification d’une relation qui se pose: on ne sait pas comment nommer cette relation” (p.165)
     
  • un malaise politico-économique: “ils [les DOM] sont dans et à l’extérieur de la nation. […] Cette absence de l’outre-mer est aussi perceptible lors de débats nationaux” (p. 159-160) - “anthropologues, psychologues, travailleurs sociaux, observateurs de ces sociétés parlent tous de l’inquiétude sourde qui envahit ces territoires: leurs économies traditionnelles sont dévastées, soumises aux décisions de “Paris” et depuis quelques années de “Bruxelles”. Que sera l’avenir?” (p.187-188)

Ce malaise crée, de fait, une “tension”, une “ambivalence”: “comment tenir ensemble singularité et république, différence et unité, éloignement et parenté? C’est une vieille question que les populations des colonies esclavagistes ont très tôt posée. Cette tension entre colonie et métropole est commune à toute expérience de colonisation, mais elle est assurément plus remarquable dans le cas de la France centralisatrice. […] Cette ambivalence […] cette tension entre désir d’autonomie et de continuité territoriale (“la colonie, c’est la France”) court tout le long de l’histoire entre l’outre-mer esclavagiste et sa métropole, tout comme le désir d’y mettre un terme; et cette tension perdure. […] Cette tension doit être reconnue comme fructueuse “ (p. 161)

8. Les vecteurs culturels: les créoles et les archives

Les cultures d’Outre mer possèdent deux vecteurs principaux: les créoles et les archives. Ces supports vectoriels doivent être, en toute légitimité, dans l’espace public.

  • une ré-habilitation linguistique: Françoise Vergès souligne l’importance de l’Oralité créole*: “le discours des années 1960 – “l’outre-mer, c’est la France” - cachait un objectif idéologique de perversion de la mémoire locale [dans les DOM]: […] ainsi la langue créole était-elle interdite dans les médias et à l’école, elle n’était du reste pas considérée comme une langue mais comme un “patois” à la fois gentil et arriéré” (p.187) - “l’esclave, lui, était sommé d’oublier sa langue […]. Contre ce destin de mutisme, des poètes, des romanciers, des chanteurs, ont voulu rendre à l’esclave sa singularité, ses rêves, ses joies et ses peines, ses peurs et ses espoirs, et enfin sa conscience” ( p. 197-198 conclusion). Cette oralité participe à une survivance mémorielle: “l’esclavage est une expérience d’exil. […] L’exil de l’esclavage est une expérience restituée dans les chants (blues, maloya, ségas, etc.) et les rites aux ancêtres (candomble, servis kabare, etc.): la filiation mise en scène permet de conjurer le sort d’une existence sans racines” (p. 44)

*sur les langues créoles : le site KAPES KREYOL.

  • la recherche, les archives: Françoise Vergès déplore un manque d’accessibilité aux archives et une sélection des archives: “la dispersion des sources, l’inaccessibilité des travaux et des documents sur la traite négrière, l’esclavage et leurs abolitions, l’absence d’un lieu qui rassemble des informations claires et précises pour tous publics” (p. 130). Françoise Vergès reconnaît la difficulté de traitement des traces de l’esclavage: elle suggère la nécessité d’une “démarche comparative” (intro – p. 19) - “jusqu’à présent, il n’existe pour ainsi dire pas de travail de recherche qui compare le système esclavagiste dans les différentes colonies esclavagistes françaises” (p. 131). En effet, elle ne peut concevoir cette thématique de l’esclavage et de la traite tronquée de toutes leurs périphéries: “réintroduire dans le débat des approches qui lui font cruellement défaut, à savoir une anthropologie de ces systèmes, une analyse politique de leurs régimes discursifs et une analyse des traces résiduelles de ce passé” (p. 43) - “la traite ne peut pas se comprendre en dehors de l’histoire maritime, coloniale, commerciale et bancaire” (p. 132)

La recherche est pourtant gênée par des difficultés conceptuelles et pratiques: “l’archive orale constitue un immense réservoir, et il est impossible d’étudier la traite et l’esclavage en excluant cette source” (p. 64) - “la multi-territorialisation du phénomène, […] les différences entre traite et esclavage, les problèmes relatifs à la prise en compte d’un phénomène sur une très longue durée (plusieurs siècles), la disparition des traces, d’archives, de monuments, la rareté de témoignages écrits de captifs et des esclaves, et, finalement, la difficulté de comprendre un phénomène qui met en cause plusieurs acteurs, brouillant la catégorie de “bourreau” (p.131-132) - “car si la catégorie “victime” est claire, celle de bourreau apparaît plus difficile à cerner” (p. 141)

9. Une citoyenneté à penser/panser:

9.1 “Une tradition d’universalisme abstrait” (p. 172) remise en cause

Françoise Vergès s’explique mal cette pudeur paradoxale: “en France, la question raciale est largement niée […] Une tradition d’universalisme abstrait […] La conception républicaine de la citoyenneté est universaliste” (p.172-173). La portée citoyenne du débat converge, indubitablement, vers une ré-habilitation républicaine. Ne serait-ce que pour contrer les éventuelles dérives, pour panser les frustrations sociales, pour entendre les voix d’hier à travers les voix d’aujourd’hui: “cela ne concerne pas les “Noirs” ou simplement les descendants d’esclaves, mais bien tous les citoyens” (p. 51) - “ces sociétés ne sont pas statiques: il y vit des descendants d’esclaves qui, en tant que citoyens français, exigent que l’héritage de l’esclavage soit examiné avec leur concitoyens. Ils ne veulent plus être esclaves de l’esclavage […].” (intro – p. 23) - “il existe aujourd’hui des citoyens français dont les ancêtres furent esclaves, engagés ou colonisés. […] Revendiquer cette histoire n’est pas faire preuve de “communautarisme”, mais au contraire faire preuve de réalisme” (p. 47-48) - “l’exclusion de ces “Français” d’outre-mer - citoyens français à la fois comme les autres et pas comme les autres – remet en question l’épopée de l’intégration républicaine” (p. 169) - “dans les DOM, la citoyenneté paradoxale a eu pour conséquence que les élites locales ont de plus en plus renoncé à leur aspiration légitime à participer au débat sur la politique des diversités pour se tourner vers des revendications linguistiques, culturelles et ethniques, qui sont le plus souvent l’expression d’un narcissisme blessé” (p. 188-189)

Françoise Vergès avertit de l’impossibilité d’homogénéisation des mémoires: “on doit cependant éviter d’homogénéiser les positions. Car demander aux “Noirs” d’adopter une position commune reviendrait à racialiser la politique. Au sein de la “communauté noire”, les positions sont loin d’être en accord” (p. 93)

9.2 Des suggestions républicaines:

Françoise Vergès émet ces propositions républicaines:

  • ériger un monument national commémoratif: “il paraît logique d’ériger un monument national à la mémoire des esclaves. L’être humain a besoin de lieux où se recueillir et honorer ceux qui ont disparu” (p. 102). Il faut des lieux de ré-appropriation, puisque “dans les colonies même, le pouvoir colonial n’a pas cherché à préserver les lieux où vivaient les esclaves ou les engagés” (p. 81)
     
  • réaliser et conceptualiser la diversité de l’Outre mer: “si la France assumait son histoire conflictuelle, acceptait la pluralité des mémoires, considérait l’antagonisme des intérêts et modifiait ainsi le récit national, cela permettrait de reprendre sur de nouvelles bases le récit républicain et ce qui est appelé “intégration” (p.73)
     
  • ouvrir les lieux de dialogue: “la multiplication de journées d’études, séminaires, colloques, festivals, conférences témoigne de ce que, à côté de ce terrain binaire, des citoyens se regroupent pour écouter, comprendre et inventer de nouvelles stratégies d’alliance.” (intro – p. 13)
     
  • promouvoir les cultures d’Outre mer: “il faut repenser l’identité française. Comment se fait-il qu’Aimé Césaire soit un citoyen “français”, mais un écrivain “francophone”?” (intro – p. 13)
     
  • favoriser la liaison Hexagone-Outre mer: “on a deux territoires – colonie/métropole, DOM/métropole – géographiquement éloignés, aux histoires différentes mais apparentées, et qui doivent parvenir à instituer une égalité” (p.165-166) - “il faut travailler à comprendre l’héritage de l’esclavage dans le présent, pour mieux définir les nouvelles conditions d’une relation” (p.167)
     
  • ”dépasser l’oubli” (p.23): Françoise Vergès cite la position de Frantz FANON dans “Peau noire, masques blancs” 1952 éd. Le Seuil: “ne plus être esclave de l’esclavage” (intro p.9) - “que cesse à jamais l’asservissement de l’homme par l’homme. C’est-à-dire de moi par un autre. Qu’il me soit permis de découvrir et de vouloir l’homme, où qu’il se trouve. Le nègre n’est pas. Pas plus que le Blanc” (p. 173). Françoise Vergès explicite: “Fanon ne prescrit cependant pas l’oubli, mais bien plutôt le dépassement” (intro – p.21) - “les débats entamés en 2004 ont défriché le terrain du dépassement.” (intro – p. 22) - “dépasser l’oubli, ce n’est pas poursuivre la rature, mais donner à comprendre” (intro – p. 23)
Françoise Vergès consacre un ouvrage dense aux problématiques et périphéries de l’esclavage et de la traite. Cette transversalité analytique permet d’évaluer la complexité du débat. Avec une lancinance: le statut de l’Outre mer est encore à travailler dans l’espace national. La singularité de l’Outre mer appelle des ré-habilitations, au plurie

Véronique LAROSE
 30 juin 2006
 

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