«Mon but véritable est de vous emmener d’étonnement en surprise, de vous faire vivre à chaque fois une nouvelle expérience poétique» (Romuald CHERY, sa préface)
1. Un itinéraire de création riche:
Martiniquais, Romuald CHERY écrit depuis sa jeunesse: «j’ai compris très tôt que j’avais quelque chose à dire» confie-t-il. Issu d’un milieu modeste – son père était commerçant, il réalise qu’il a «un sens esthétique très développé».
Lycéen, il dessine et écrit. Encouragé par ses proches et son professeur de français, il organise au lycée une manifestation culturelle où il déclame certains de ses poèmes. Mais, son balan créatif est brutalement brisé par un cyclone ravageur qui, à 19 ans, le mutile de ses textes et dessins: tout est saccagé. Il identifie cet épisode comme «un véritable traumatisme d’écriture». Dès lors, il choisit la musique: il compose énormément – morceaux et textes. D’ailleurs, il a grandi dans une tradition musicale forte: il accompagne, très jeune, son père guitariste. Il retrace cette voie musicale: «dans les années 1976 à 1992, j’ai été successivement le guitariste de «Casino Casingo» 1978, «Djapana» d’Yves-Marie Céraline 1981, de «Pat Dancy», «Les dix doigts» 1990, «Nouvelle Galaxie» de St-pierre 1991 etc. J’ai participé deux festivals de la Martinique, l’un avec «Djapana» d’Yves-Marie Céraline, l’autre avec «Nouvelle Galaxie».
Un éveil qui l’amène à être autonome en programmation musicale, suite à une courte formation d’Ingénieur du son suivie en Métropole. Les années passent et, en 1998, il sort un maxi-single sous le titre évocateur «Regards», où il est à la fois auteur-compositeur, chanteur, programmateur et producteur! Il explique : «c’est un clin d’œil à la musique afro-caribéenne, avec une couleur plutôt contemporaine». Toujours en 1998, il participe à son premier concours de poésie, au CIDJ [Centre d’Information et Documentation Jeunesse] de Fort-de-France; sa «première confrontation au public». Cette année-là, il autoproduit également «Regards», son premier album, «un clin d’œil à la musique traditionnelle». Son album ne bénéficiera pas d’une promotion suffisante pour lui permettre d’être diffusé au plus grand nombre. Une expérience que Romuald CHERY ne regrette pourtant pas; il envisage de tenter de nouveau l’aventure avec un second album en 2007. Son ambition: «aller plus loin».
2. L’implication socio-culturelle de Romuald CHERY:
rofessionnellement, il est Formateur diplômé et Opérateur de développement éducatif et social. Cette implication sociale motive les deux articles qu’il a confiés en 2001 au journal «France-Antilles», interventions qu’il définit comme «une causerie épistolaire sur les dégâts psychologiques (traumatismes, névroses) que l'on observe souvent chez les individus ayant subi la colonisation - je souligne la responsabilité de ces esclavagistes dans ce phénomène, leur manque d'humanité».
- article 1: un plaidoyer pour le créole à l’école,
- article 2: la détresse de la jeunesse martiniquaise.
Il admet que ses deux articles constituent «le regard du père, du Martiniquais, de l’enseignant et du natif de retour au péyi». Il travaille actuellement à la rédaction d’un ouvrage réunissant «[ses] travaux sur la transmission de valeurs, sur les dysfonctionnements de la parentalité, à destination des parents et professionnels».
Son regard sur le créole: «je veux me re-centrer sur le créole, j’ai des choses à dire dans ma langue, j’envisage de prendre des cours». Il révèle ainsi ce tabou linguistique (cf. les réflexions de M. Tony MANGO] autour du créole: à près de 50 ans, Romuald CHERY appartient à cette génération de créolophones bridés, «découragés» par leurs parents qui proscrivaient alors le créole…
3. Les thématiques du recueil - extraits: une sensibilité sponta-née
«De Disgrâce et d’Absence» réunit des poèmes de sensibilité: donner un sens au vécu. Un choix affirmé: écrire avec une versification, une syntaxe et un lexique n’obéissant qu’aux seules mouvances du Poète. Un Poète surprenant dans la diversité de ses références, niveaux de langue et tonalités. Ses titres sont percutants et tracent une polyvalence d’inspiration: «tout m’inspire, je ne veux pas me laisser enfermer dans un univers unique» explique-t-il.
- La mission d’écriture: Romuald CHERY écrit son invite au voyage, dans l’enthousiasme poétique, dans la conviction d’être. Pourtant, la lucidité du message n’épargne pas les incohérences du monde …
Extraits: «Mon but véritable est de vous emmener d’étonnement en surprise, de vous faire vivre à chaque fois une nouvelle expérience poétique. Enfin, j’aimerais vous enchanter comme ces donneurs de sérénades savent si bien le faire. Je vous souhaite de vous régaler à toutes ces trouvailles rhétoriques et poétiques» (préface) - «Coulante/est ma plume grondante/gagnante/bouffie d’encre/de transe aiguë, d’énergie innocente/et de folie insolente» (p.27)
Le poète écrit son ressenti de vie. Un «non-sens» (p.48) énoncé dans le poème «Chaos», pamphlet contre la régression humaine: «Ce monde où la boîte de pandore brisée laisse échapper carnivore les maux de l’humanité» (p. 48)
- Une graphie suggestive: cette graphie guide l’œil du lecteur, lui donne une piste de lecture thématique. Une façon de l’interpeller. Cette disposition originale témoigne des prédispositions artistiques du poète. Exemple: le poème «Messieurs les cousus d’or» (p.18) est entouré d’une amphore remplie d’or. Toujours dans le même souci de suggestion, le recours aux acrostiches pour l’hommage: «Pascale s’en va» (p.19), «L’instant d’un espoir» (p. 28 – dédié à une Mireille adorée dans un temps de naïve jeunesse), «Prenez garde!» (p. 55 – «à Mlle PADOMAR-MAVA»). Enfin, la codification poétique du haïku surprend (p. 71 poème «Haikuzi»)
- La Femme célébrée en poèmes-éloges: cette féminité est évoquée en clins d’œil taquins (p.43 : «ma gitane/dont je suis Morgan»), en déclamations chevaleresques (p.37: «A ma Diane»), ou encore en évocations lyriques (p.54 et 64).
Extraits: «Femme aimée, fécondée, / Vie, avenir, humanité» (p. 54 – poème «Femme âme») - «en toute femme/il y a un Eden » (p. 64 – «Tu iras»)
- Le travail sur les mots et références: Romuald CHERY a donné un statut mouvant à ses mots. Il les façonne au gré de ses thématiques poétiques: mots tronqués (poème « Mûr » - p.63), mots mêlés (poème «Verrai-je» - p.78), échos sonores, onomatopées, etc. Quant au lexique, Romuald CHERY a parsemé ses poèmes de niveaux de langue différents, intégrant même des termes de vieux français: «spélonque» [caverne, antre - p.36], «au teint blet» [nuance brunâtre - p.80]. Les références lexicales sont multiples : mythologie («pandore» p.48), botanique (oléandre p.52, glycine p.24 et 32 fleur de tendresse-promesse), etc. Tout un univers de sens!
- Le Temps, limite immuable de l’homme: le Temps est appelé comme une éternité (p.65) ou énoncé avec une funeste mélancolie (p. 42). La mort, comme ultime écueil de l’être se révèle alors, au détour d’un vers…
Extrait: «Passent, passent les poses/Fanent, fanent les roses/Jetées sur nos tombes closes» (poème «les Rides», p.42) - «Et même si ton corps se fane/je te promets ma douce Roselane/de rester un parfait gentleman» (poème «Promesse de gentleman» p.43) - «Rien comme une chose/dans une tombe close» (p.46) - «Aujourd’hui/repose/décompose/avec moi/ma prose/sous un parterre de roses» (p.46) - «L’odeur de la flétrissure corporelle » (poème « L’odeur de la chute », p.47) - «Je veux être ici/au futur/aujourd’hui/demain et toujours» (poème «Etre», p. 65)
- Le souvenirs des êtres chers perdus: l’intime surgit dans des poèmes délicats où le poète destine, par-delà la mort, les mots vrais pour sa grand-mère (p.41: «ma précieuse mamie», poème «Péteuse obscurité») et son père (p. 45 – «la Mort frappe à ta porte - pour mon défunt père»)
- La solitude, un temps entre parenthèses : le poème « La peur du silence » (p.72-73) explicite cette angoisse humaine d’être soudain face à soi-même, sans paravent, sans fard. Extrait : « La peur tout simplement de ne pas exister » (p.73)
- Le départ, l’exil: Romuald CHERY est venu vivre en Métropole en 1992 pour son projet de formation. Les notions de départ et d’exil s’imposaient donc dans son chemin d’écriture. «Je veux rentrer chez moi», un touchant martèlement du poème «Vœu» (p.66-67), comme un résonnant appel lancé à l’île-mère, l’île-d’hier: «Je veux revivre là/où l’amour saute de joie/et le verbe créole flamboie» (p.67)
Extraits: «Adieu atome abouti/Lyrique vers ton nouvel univers/Et c’est un bout de vie qu’on raye» (poème «Pascale s’en va», p.19) - «Courir/Souvent à l’utopie/Dans cette stupide frénésie» (poème «Pourquoi partir?», p. 50) – le poème «Je reviendrai» (p.53)
- La clôture d’Espoir du recueil: «je dois dire bonjour à autre chose» (p.83)
Romuald CHERY a inscrit le sceau de la fantaisie-poésie pour se dire, sans contrainte, sans astreinte. Son seul guide d’écriture, une vocation sincère: partager ses mots libres.
Contacts : Email - son site web.
Véronique LAROSE – le 14 novembre 2006
Véronique LAROSE– le 15 novembre 2006
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