«Pawol Kreyol»

Martin MAURIOL et Fabrice DELUMEAU:
Leur atelier de créole à Paris
De septembre à novembre 2006

par Véronique LAROSE
septembre 2006

Pawol Kreyol

Alfred ALEXANDRE | Ano (Eddy FIRMIN) | Nicole CAGE-FLORENTINY | Philippe CANTINOL | Aimé CÉSAIRE | Ina CESAIRE | Patrick CHAMOISEAU | Romuald CHERY | Pierre CLERY | Maryse CONDÉ | Raphaël CONFIANT | Tony DELSHAM | Suzanne DRACIUS | Suzanne DRACIUS 2 | Igo DRANÉ | Jules EULALIE | Rodolf ETIENNE | Daniel ILLEMAY | Félicien JERENT | Fabienne KANOR | Elise LEMAI | Alain MABIALA | Didier MANDIN | Tony Mango | Elvire MAUROUARD | Ruth Narbonnais | Daniel-Yves PHAROSE | Gisèle PINEAU | Audrey PULVAR | Juliette SMERALDA | Sylvia SERBIN | Joseph ZOBEL | Adèle et la Pacotilleuse | Cénesthésie et l’urgence d’Etre… | La Compagnie «BOUKOUSOU» de Max DIAKOK | Des travaux collectifs littéraires | La permanence psychologique du CASODOM | La Noce chez les Petits Bourgeois…créoles | Nous étions assis sur le Rivage du monde… | Quand la Révolution, aux Amériques, était nègre… | «l’Alchimie des Rêves» | «Les Voix nègres de Victor Hugo» | Pour une Mémoire musicale antillaise | Le «Quiz-kréyol» de Philippe MARIELLO | Les Postiers déracinés Provinciaux, Antillais… des racines et des lettres» | La Mémoire enchaînée – Questions sur l’Esclavage de Françoise Vergès | Les Editions DESNEL | Deux recueil des Editions DESNEL | Hommage à Aimé Césaire - Symphonies Nègres | L’Oralité créole en envol! | Atelier de créole à Paris | L’Avenir est Ailleurs | Atelier de créole à l’Amicale RATP DOM TOM | En Poésie la Vie | Ti Niko le héros espiègle | «A l’ombre du Corossolier» | La Prison vue de l’intérieur | Zôdi nonm | Pilibo | Xavier Harry | Mes Quatre Femmes | Firmine RICHARD

 

A Paris, du 16 septembre au 25 novembre 2006, Martin MAURIOL, Formateur, coordonne un atelier de créole avec Fabrice DELUMEAU, enseignant linguiste, sous l’égide de la DGOM (Délégation Générale à l'Outre Mer). En binôme créolophone, ils dispenseront ces cours à raison de deux enseignements par semaine: le mercredi de 19h à 21h (le créole écrit - Fabrice DELUMEAU) et le samedi de 9h30 à 12h30 (le créole dit - Martin MAURIOL). Ce «tandem» constitue des outils pédagogiques pour articuler ces deux approches du créole: «un cours, deux approches complémentaires». Ils ont envie d’«optimiser [leur] complémentarité».

1. Les enjeux de l’atelier de créole - la session 2006:

Martin MAURIOL anime des cours de créole depuis 2004 pour la DGOM (Délégation Générale à l’Outre Mer). L‘enseignement du créole? Il explicite son engagement créolophone en Métropole: «Ici, je ressens la nécessité de l’enseignement du créole»

Pour la session 2006, il travaille en doublon avec Fabrice DELUMEAU; «un tandem» à construire. En effet, ils préparent ensemble des bases pédagogiques depuis juin 2006 pour articuler l’écrit et l’oral. Ils mettent en place un cadre de travail: la définition et la planification des notions qui seront étudiées et la mise en commun d‘une bibliographie. Ils envisagent également d’évaluer leurs élèves. Leurs supports pédagogiques sont d’eux-mêmes et de livres spécifiques. Et les stagiaires ont une part active dans la mise en place de ces supports pédagogiques, puisqu’ils notifient aux deux enseignants les notions qu’ils souhaitent approfondir.

Cette année, ils ont été surpris par le nombre de candidatures à examiner: plus de soixante-dix personnes souhaitaient assister aux cours de créole, pour une capacité d‘accueil de vingt personnes ! Il leur a fallu établir «des critères» de sélection:

  • être disponible pour les deux enseignements: l’écrit le mercredi et l’oral le samedi
  • tenir compte de l’ordre d’arrivée des bulletins d’inscription
  • -donner la priorité à des gens qui n’avaient pas suivi de cours précédemment lors des sessions de 2004 et 2005

Ils sont conscients de l’importance d’ «une dynamique de groupe à créer pour stimuler les gens un peu inhibés». Cet atelier est une session unique pour un niveau débutant. Un niveau approfondi est envisagé. Les motivations d’inscription se révèlent diverses: «certains viennent juste pour comprendre le créole, d’autres pour le comprendre et le parler, d’autres pour l’écrire et le lire, et enfin d’autres pour le maîtriser dans son tout» explique Martin MAURIOL. Il décline les profils des élèves:

  • des Originaires antillais, nés et grandis «Ici»
  • des Retraités natifs-natals
  • des Métropolitains qui ont un conjoint Antillais
  • un Africain qui se rend souvent en Guadeloupe pour des déplacements professionnels

Les générations représentées se répartissent entre des élèves âgés de 25 ans à la soixantaine (en minorité).

Cette diversité de profils correspond, selon lui, à «des motivations qui vont du désir des parents à faire découvrir le créole à leurs enfants jusqu'à des personnes qui, une fois à la retraite veulent enfin prendre le temps de retrouver leurs racines à travers l'apprentissage de leur langue maternelle». Ce panel de motivations, d‘âges et d‘origines multiples constitue, selon Martin MAURIOL un enrichissement culturel: «la créolité avance avec cette diversité».

L’objectif majeur de cet atelier est identitaire et humain, donc structurant. Professionnel en Relations humaines, Martin MAURIOL s‘attache à cet aspect du cours de créole: «donner envie de parler créole dans les cours et hors des cours» - «dépasser un blocage, un certain complexe». Il insiste ainsi sur la reconstruction identitaire de cet atelier de créole qui participe à une ré-appropriation culturelle. Martin MAURIOL a une approche relationnelle particulière avec les élèves: il veut leur faire verbaliser leurs motivations, au-delà de la fiche écrite remplie lors de l’inscription. Deux complexes générationnels apparaissent:

  • chez les participants retraités, il s’agit de dépasser «l’interdit qu’il y avait sur le créole parlé, alors vécu comme un frein à la promotion sociale de l‘Antillais »
  • chez les jeunes nés et grandis «Ici»: ils ont une approche délicate avec le créole en qualité de non natifs.

2. Martin MAURIOL:

Ses implications professionnelles: Martiniquais, Martin MAURIOL vit en France métropolitaine depuis 1971. Cet ancien instituteur est un professionnel des Relations humaines: Consultant et Formateur, il intervient en médiation pour la gestion de conflits (déplacements en région parisienne, en province, aux Antilles, en Belgique). Aussi, il va régulièrement en Martinique où il anime des formations avec l’IFMES – l’Institut de Formation aux Métiers Educatifs et Sociaux (pour des éducateurs spécialisés). Il a été nouvellement certifié «coach» pour accompagner des personnes et des équipes. Depuis juillet 2006, il préside une association d’accompagnement: l’association RELIANCE, «la voie de la performance et du mieux-être», pour les particuliers et entreprises. Objectif: «aider les gens à découvrir leurs ressources pour réaliser leur projet de vie, avec un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle»

L’enseignement du créole en Métropole: au-delà de l’atelier de créole pour la DGOM, il donne des cours de créole pour une association, l’AOMG (Amicale Outre Mer de Gonesse), à Gonesse, depuis mars 2005. Pour l’ensemble de ses implications créolophones, il nourrit une ambition: «être une sorte d’ambassadeur de la culture créole Ici» - «faire passer le message de l’Antillanité, un concept que je défends en élève d’Edouard GLISSANT», compatriote Lamentinois. La valeur identitaire de son engagement: «je garde une fibre culturelle, je porte en moi mes racines».

Son actualité créolophone: un manuscrit de proverbes créoles en cours de lecture qui s’intitulera «Comme disait ma grand-mère». Il précise son projet: «ce manuscrit fait le parallèle entre des proverbes de chez nous et des morales de La Fontaine» Ce travail est un ensemble «de notes sur un petit carnet tenu pendant deux ans.»

Contact de Martin MAURIOL: Email

3. Fabrice DELUMEAU:

L’atelier de créole pour la DGOM est sa première expérience d’enseignement du créole, ce qui implique la création d‘outils pédagogiques.

Ses implications linguistiques: natif de Guadeloupe, Fabrice DELUMEAU est Chercheur en Sciences du Langage. Il a étudié en Martinique dès l’âge de 17 ans. Il a suivi un cursus littéraire et obtenu un DEUG d’Espagnol. Cependant, il ne fera pas de cette langue sa vocation. Ce détour hispanophone lui a pourtant permis de se découvrir un intérêt certain pour la grammaire et la syntaxe. Il a alors choisi de travailler la syntaxe du français dès 1997 et se spécialise dans un domaine de recherche: le T.A.L., le Traitement Automatique des Langues, pour la formalisation des langues avec le support informatique. Ce domaine exige d’«être expert dans tous les domaines linguistiques et particulièrement en syntaxe». Ses axes de recherche: le créole guadeloupéen, la description du créole de Guadeloupe, la génération automatique d’énoncés, la syntaxe formelle, la Linguistique, l’analyse syntaxique.

Son laboratoire de rattachement est domicilié à la Faculté de Paris X (Nanterre). Il enseigne également la syntaxe, la grammaire, la linguistique générale et le F.L.E. (Français Langue ة trangère) à l’Université de Brest. Dans ses cours, le créole devient un surprenant et saisissant outil pédagogique auprès de ses étudiants. En effet, il a un public varié dans ses cours de linguistique où il parvient à intégrer le créole: il prend des exemples créoles pour expliquer des phénomènes de langue française, tels que le système verbal dans ses modes et temps de conjugaison.

Il prépare parallèlement des colloques internationaux sur le créole. Il aide des artistes dans l’écriture de leurs paroles en créole.

Les enjeux de ses travaux: le créole écrit. En 1999, Fabrice DELUMEAU arrive en Métropole après avoir achevé sa Maîtrise en Martinique. Sa venue à Paris a suscité son intérêt pour le créole «de façon étonnante»: il a choisi le traitement automatique en créole guadeloupéen «pour travailler sur un champ inexploré ». Il a soutenu son DEA de Sciences du Langage et travaillé sur le créole écrit. Son sujet de thèse: la traduction automatique du français vers le créole via un logiciel en JAVA pour conceptualiser ce projet. Sa conviction: «une correspondance possible». Il a développé sa thèse en deux parties: la description du créole d’une part, et la formalisation du créole».

Il résume ainsi ses travaux de thèse de doctorat: «Le but de cette thèse est de proposer une description du créole guadeloupéen dans la perspective de la génération automatique d’énoncés en créole, à partir du français contemporain. En ce qui concerne les domaines phonologique et morphophonologique, les régularités observées se traduisent par des règles (qui rendent compte de ce qu’il convient de nommer la «créolisation synchronique»). En ce qui concerne le domaine syntaxique, l’accent est mis sur les différences entre le français et le créole, et une description formalisée des principales constructions du créole guadeloupéen est présentée.»

Un contexte particulier: Fabrice DELUMEAU identifie trois aspects qui complexifient l’approche du créole:

  • un contexte diglossique: deux langues sont «en conflit», le français et le créole, avec sous-tendu le français créolisé. Son point de vue, à la lumière du logiciel en cours de réalisation: «ces conflits sont soulignés par l’outil informatique, dans le cadre de la traduction automatique».
     
  • un contexte normatif flou: «l’écriture du créole est nécessaire, mais il faut se donner certaines normes». Le problème des graphies selon Fabrice DELUMEAU: «sur quelle base peut-on juger un élève si on n’a pas d’orthographe définie?», «sur quelle base normative?» interroge-t-il. S’il n’est «pas pour une graphie ou une autre», il s’inscrit dans une tentative: «tenter d’écrire le créole avec cohérence».
     
  • un contexte de création-traduction: «le locuteur créolophone traduit des réalités et des concepts qui ne sont pas forcément créoles, telles que la neige. Ainsi, le mot «vient au créole»». Ce locuteur adapte les réalités phonologiques pour s’approprier et transformer une réalité. Fabrice DELUMEAU nomme ce phénomène: «une créolisation synchronique». Selon lui, une tentation à éviter: le total contrôle du créole. Il explique: on ne peut créer des mots pour les gens, car «c’est la langue qui se crée elle-même. De même,  on ne peut ni injecter ni interdire des mots créoles».

Dans ce contexte, Fabrice DELUMEAU estime «la démarche de Tony MANGO saine»: sa demande, formulée dans sa pétition, du créole en option au Bac participe à une avancée statutaire pour cette langue. L’optimisme de Fabrice DELUMEAU: «j’ai confiance en l’avenir du créole, en l’avenir des jeunes et de leur créole»

Des difficultés linguistiques et informatiques… Fabrice DELUMEAU se heurte à des écueils d’incompréhension quant à son travail d’automatisation informatique. Le problème majeur: le créole est - à tort - souvent perçu «comme une langue facile» qui ne mériterait pas qu’on s’y attarde selon certains de ses compatriotes, qui ne mériterait pas qu’on l’étudie selon ses pairs… Un double écueil statutaire: «alors que le système créole est très complexe. Le créole n’est pas une langue facile! Il y tant de nuances de sens à apprendre, tant de notions de subtilités à étudier» s’insurge Fabrice DELUMEAU. Tiraillé entre «ces deux mondes» - en Métropole et aux Antilles - qui discréditent le créole, il déplore surtout que «[ses] recherches ne soient pas toujours considérées par les créolophones qui voient en la langue créole une langue bâtarde».

Il précise sa démarche: une «contribution» qu’il veut apporter pour «rassurer les gens sur le sérieux de la langue créole». Une vocation de ré-habilitation, donc. Son travail de traduction: «mettre en relation deux langues», le français et le créole, bien qu’elles présentent des structures syntaxiques différentes. Le travail de Fabrice DELUMEAU consiste à trouver des structures syntaxiques, morphologiques et phonologiques permettant de mettre en correspondsance les deux langues: «il faut trouver les correspondances entre les deux systèmes»

Sa conceptualisation d’un logiciel en JAVA pour la traduction automatique du français vers le créole est un premier défi. Fabrice DELUMEAU envisage ensuite, «d’ici deux ans», de rédiger un ouvrage sur le créole, ouvrage qui serait alors «un outil de vulgarisation pour [ses] recherches: une grammaire, ou encore un recueil de difficultés».

Contacts de Fabrice DELUMEAU: Email - Université de Paris X, UMR CNRS/Modyco 7114

Pour aller plus loin…ses publications:

2004 - «Quelle forme graphique pour lésan trankil» (éd. Peter Lang), actes du 26 ème colloque international de linguistique fonctionnelle, au Gosier (Guadeloupe).

2004 - Fabrice DELUMEAU et Anne LABLANCHE, «Complétives en créole guadeloupéen et infinitives françaises: correspondances et formalisation» (à paraître), actes du colloque international Curaçao Creole Conference, Curaçao.

2005 - «Variation et diglossie en contexte guadeloupéen», Recherches en Linguistique Etrangère, Presses Universitaires Franc-Comtoises (PUFC), «Multilinguisme, multiculturalisme et milieu urbain».

2005 - «Quelle méthodologie de construction des observables dans l’optique de la génération automatique d’énoncés en créole guadeloupéen?» (à paraître), actes du colloque AFLS 2005, du 2 au 5 septembre 2005. Séance 3: «Variation en diachronie et synchronie», Savoie - Chambéry.

2006 - Fabrice DELUMEAU et Anne LABLANCHE, «Problèmes de traduction automatique en contexte diglossique: cas de la correspondance entre subordonnées françaises et créoles» (à paraître), actes du colloque «Caribbean Language Studies and Educational Development», SCL (Society for Caribbean Linguistics), du 2 au 6 août 2006, Roseau, Dominica, Antilles.

2006 - Fabrice DELUMEAU, «Présentation des problèmes liés à la génération automatique d'énoncés en créole guadeloupéen», Thèse de Doctorat de 3 ème cycle, Université de Paris X.

Sa bibliographie complète fait l’objet d’un lien de la faculté Paris X: ici.

En remerciant Messieurs MAURIOL et DELUMEAU pour ces entretiens.

Véronique LAROSE - sept. 2006

 

Logo