| Igor et la reine IsisLa révolte des moutons  Conte Nwèl Joudlan 2021-2022Exclusivité Potomitan
Dominique Lancastre 
 Depuis qu’Igor était arrivé avec sa bande,  rien n’allait bien dans la Vallée aux Flamboyants. Le manque d’herbes était la  faute des chèvres. La rivière en crue était la faute des cochons. Et le soleil  brûlant était la faute de ces nouveaux arrivés qui avaient pris place dans un  endroit reculé pour ne point gêner les occupants de la Vallée aux Flamboyants,  mais qui subissaient les brimades des autres occupants.  
  Igor avait cru comprendre que les chats  régnaient en maîtres sur toute la Vallée et ne voulaient rien faire. Ils  passaient prélever un Chatim, sorte de Dîme, chez tous les occupants. Le Chatim  consistait à prélever de la nourriture gratuitement.   «Nous veillons au bon fonctionnement de  la Vallée», disaient-ils.  Sous prétexte qu’ils voyaient bien la nuit,  qu’ils parcouraient la nuit et servaient de gardes contre toute attaque,  particulièrement des chiens. Car dans cette vallée ou régnaient les chats, les  chiens étaient interdits.  «Comprenez-nous. Nous ne pouvons pas  vous protéger la nuit et travailler la journée. Nous devons nous reposer pour  bien fonctionner la nuit», avait proclamé Isis, la reine des chats. 
 Élue à l’unanimité comme reine  de la Vallée, Isis faisait la pluie et le beau temps sur toute la vallée,  ponctionnait ici et là de quoi nourrir sa garde et elle-même, sans le moindre  effort.  Noël avait été plutôt calme. Igor décréta que  vu l’année qu’ils venaient de passer, il fallait être raisonnable et rendre  hommage à tous ceux qui avaient perdu la vie pendant ces attaques dans l’ancien  domaine, à la Porcennerie. C’était sous-estimer la mémoire courte de certains,  l’égoïsme et le manque de clarté dans les esprits.  
  Jeanne, la plus vieille des brebis, montra son  désaccord.  Et elle décida de se rebeller  contre les chèvres et les boucs. Oubliant qu’Igor les avait sortis de la misère  et des dangers de la Porcennerie, Jeanne voulait en découdre avec Igor et sa  troupe qu’elle accusait d’imposer une dictature.  «Il ne fallait pas nous emmener ici. De  toute façon cette vallée est une vallée à chats et nous n’avons rien à y faire,  observa-t-elle un jour. − Nous n’avons peut-être rien à y faire, répondit Igor, mais tu  aurais la langue moins bien pendue devant Rasoir et sa bande sanguinaire!»             Jeanne se mit en colère et se lança dans des  explications confuses et parfois de mauvaise foi et finit par rallier à elle  presque tous les moutons qui pensèrent alors que les boucs et les chèvres, avec  Igor à leur tête, cherchaient à prendre le pouvoir. «Tu cherches à prendre le pouvoir»,  accusa-t-elle.   Elle ajouta: «Tout  était calculé. Il n’y avait aucun danger à la Porcennerie». 
 À ces mots, tous les moutons rejoignirent  Jeanne et se mirent à bêler: «Vive les moutons!  Nous ne  nous laisserons pas faire par ce bouc blanc un peu trop blanc à notre goût.   
 D’ailleurs, il s’appelle Igor. Il n’a rien à voir avec nous.»             Igor comprit alors que les problèmes ne  faisaient que commencer dans la Vallée aux Flamboyants et fit appeler  Hirondelle, la seule tourterelle qui s’appelait ainsi. Il avait un message  important à transmettre à Isis, la reine de la Vallée aux Flamboyants. Cela ne  faisait qu’à peine un mois qu’ils s’etaient installés dans cette vallée si  belle, si verte avec des cours d’eau, des cascades et des bassins, et voilà  que les problèmes commençaient. 
  Hirondelle trembla de peur et dit: «Igor, je suis un oiseau et tu m’envoies  chez les chats. Ils n’en feront qu’une bouchée de moi. − Tu as raison, répondit  Igor, je vais y aller moi-même, mais tu m’accompagneras». 
  Isis et toute sa bande de chats de toutes les  couleurs et de toutes les grosseurs s’étaient installés sur le flanc escarpé de  la vallée, et un flanc des plus rocailleux. «Nous, les boucs, nous avons l’habitude  de ces endroits escarpés, ajouta Igor, mais le temps presse car Jeanne ne veut  rien entendre et se ligue contre nous».            Pendant ce temps-là, tous les soirs, Jeanne  tenait des réunions avec les autres moutons. Elle avait décidé d’en découdre  avec Igor dont elle ne voyait que la blancheur.  «C’est insensé, vociférait-elle.  Les chats demandent des brebis et des lapins  à manger et des oisillons et ils ne font rien. Il nous faut un syndicat pour  nous défendre. Nous allons mener des actions jusqu’à ce que cette reine  métisse, cette dénommée Isis cède». −  Beh, beeh,  beeh, beeh! Vive  Jeaaaaannnne!» criaient les  moutons. 
  Puis tous ensemble: «Au fait, c’est quoi mener des actions? − Vous n’avez pas  besoin de savoir pour l’instant.  Nous  allons voter, répondit Jeanne.  Que ceux et celles qui souhaitent que je  sois leur chef lève une patte et que ceux et celles qui sont contre en lèvent  quatre!»             Le vieux mouton Jimmy qui écoutait avec  attention toutes ces bêtises s’avança et dit: «Comment veux-tu que nous levions quatre  pattes? nous allons tomber!»             Jeanne ne tarda pas à répondre: «Vous n’avez qu’à lever tous et toutes  une patte!»  − Ce n’est pas bêtocratique, dit alors Jimmy. −  Tais-toi espèce de vieux fou que tu es!»  s’énerva Jeanne.  Et elle se mit à crier: «Jeanne, Jeanne, Jeanne, Jeannnnnne!»             Elle tapait des sabots et faisait le plus de  bruit possible et les autres reprirent en cœur: «Jeanne, Jeanne, Jeanne, Jeannnnne!» en levant une patte.  Alors Jeanne se calma et déclara: «Voilà, c’est fait. Je suis votre chef.  Merci de votre confiance et de votre vote à l’unanimité».  Seul Jimmy était resté de marbre pendant toute  cette frénésie et sa grande oreille lui disait que la bêtocratie était  en danger. Jimmy pensa prévenir Igor des agissements de Jeanne. La tyrannie  était en marche. Décidément, à la Porcennerie comme dans la Vallée aux Flamboyants,  la vie n’allait pas être facile. Jimmy s’éloigna et secoua la tête en voyant ce  qui se profilait à l’horizon. Il pointa l’oreille pour écouter les dernières folies  de Jeanne.  Il entendit alors qu’il était  question de barrer toutes les rivières, les cours d’eau et les bassins pour  rendre la vie difficile aux chats, pour les assoiffer. 
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