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Nwèl 2018 é joudlan

La crèche de papier

Nous avons quitté novembre et son cortège de célébrations aux défunts, nous avons commémoré la mémoire de nos ancêtres en ce mois mortuaire, illuminé et fleuri les cimetières en leur souvenir,  et nous laissons derrière nous le temps des morts pour entrer dans un temps de joie et de réconciliation. 

L'automne où la lumière se meurt tire sa révérence, mais pas sans nous avoir offert lors de son agonie une lumière chaude, s'aurifiant comme pour se fondre aux couleurs de la nature, des teintes s'étageant  du fauve à l'or, et du jaune à la terre éblouissaient les yeux.

Le tilleul du haut de son tronc élargi flavesçait répondant à la rubéfiance des érables, tous les deux étonnaient et arrêtaient le regard, mais dans la forêt, c'est le hêtre dont les feuilles mordorées amplifiaient la faible lumière du soleil qui désassombrissaient les sapinières.

Les odeurs de terre et de champignons s’effaçaient, la saison pleine de sensualité  et de fascination se décréditait, elle passait la main dans un grand fracas de pluie, de bruine et de mauvais temps  comme si elle se lamentait de son sort, affichant par là même sa tristesse d'être déchue.

L'hiver est là, du moins presque, Noël s'annonce en avance sur son heure, les marchands n'ayant que faire des commémorations mortuaires conspirent afin que  Noël débute en novembre, et dès mi octobre proposent leurs catalogues,  dédient leurs rayonnages  aux festivités noélesques, mais Noël ne se commande, Noël n'est pas une  accumulation de décors, de produits commerciaux ou de saison, Noël arrive en son temps, en son heure, car Noël est une atmosphère, une agglutination de tendresse et de moments rares, quelques fois de tristesse, parfois de nostalgie d'une enfance passée qui ne reviendra pas.

Noël se marque dans les esprits et s'inscrit dans une temporalité incommensurable, Noël est une perpétuation de traditions remontant à la nuit des temps, ne pouvant se résumer à cette grande foire consumériste que notre époque nous convie.

Laissons vivre les crèches, laissons Noël se perpétuer !

En villégiature pendant cette période de Noël à Orselina, une petite localité du sud de la Suisse, qui surplombe le lac Majeur, plus précisément, se nichant sur les hauteurs juste au-dessus de la ville de Locarno, je m'informais de la vie d'ici et des particularités des Noëls tessinois.

Comme partout dans ce canton, Noël s'invite, il vient à la rencontre de ceux et celles qui veulent bien l'accepter. A Orselina, il se manifeste par quelques lumières installées dans les rues, d'un grand sapin décoré devant la petite église de Saint Bernard, qui ne se distingue en rien des autres églises du Tessin, si ce n'est par son Christ en croix inséré dans un cercle qui domine l'autel où officie le curé. Toutefois, en ces temps d'athéisme et de recul de la foi, l'église Saint Bernard d'Orselina est plus souvent désertée qu'habitée par ses paroissiens, la foule ne s'y presse lors des offices, le prête messe face à une dizaine de fidèles tout au plus.

Comme bien des églises catholiques si ce n'est toutes les églises du Tessin, pour les festivités de Noël l'église Saint Bernard d'Orselina s'est dotée d'une crèche, mais la sienne se trouve être installée au pied de l'autel, à même le sol, quelque peu déconcertant aux premiers abords pour le visiteur, habitué à voir les crèches disposées  autrement, plus en hauteur. 

A tous ces  personnages  qui font l'essence même de la crèche, s'est adjoint un chœur d'anges, célébrant  en musique et en chant la venue du Rédempteur incarné par l'enfant divin, et en avance sur leur temps les rois mages déjà présents.

Sur le sol, une crèche d'une blancheur presque immaculée, une crèche en papier mâché où l'on voit  la Vierge Marie, Saint Joseph, l'enfant Jésus couché dans la mangeoire  et les animaux (âne, bœuf, moutons) en adoration face au miracle de la naissance de l'enfant dieu.

Je m'extasie et questionne cette crèche, je m’enquis de son auteur,  faisant part à la présidente du conseil paroissial qui m'accompagnait de mon désir de rencontrer la personne ayant réalisé cette œuvre en papier mâché. 

Renseignement pris, il s’est avéré que c'était l'une des religieuses qui vit dans la clinique Sant Agnese à Muralto, une clinique de soins et de remise en forme appartenant aux sœurs de la Charité de la Sainte Croix d'Ingenbohl.

Aujourd'hui, la clinique est désaffectée, mais  les sœurs la maintiennent en état et en ordre dans l'attente d'un éventuel acquéreur.

Trois jours plus tard, la rencontre a lieu.

En entrant  dans la cour de l'établissement, un jardinier s’affaire, coupe, taille, s'occupe des plantes et des arbres, nous avançons vers la réception, sonnons, une sœur d'un âge certain, quelque peu replète voire rondelette, la mine enjouée, pleine de bonhomie, nous accueille et  s'informe des raisons de notre visite,  puis nous accompagne à l'étage où se trouvait sa consœur, la créatrice ayant réalisé cette magnifique crèche d'Orselina.  

Nous voilà en présence d'une femme pas très grande, mince et menue aux cheveux blondissant, elle est à l'image que l'on peut se faire de la grand-mère idéale, si tant est qu'elle existe, elle offre un visage avenant, son sourire semble éclairé la pièce, elle rayonne de gentillesse, se présente comme la sœur Orsola Wernli, originaire du canton des Grisons.
 
Après que je me fus attardé sur le physique de la sœur, je l'imaginai avec trente ans de moins, me disant intérieurement qu'elle dût être une bien jolie  femme, j'éloignais cette pensée et reviens à l'objet de ma visite, mon regard scruta l’atelier, tout était rangé de manière méthodique, des œuvres en papier sur les étagères, des toiles accrochées au mur, partout des créations artistiques, sculptures, toiles posées là, d'autres rangées ci, le tout dans un ordre certain, presque militaire.

Sœur Orsola nous présentait son travail et nous montrait les toiles peintes par sa sœur accrochées sur les murs blancs de son atelier, elle s'attardait plus sur elles que sur les siennes. Visiblement elle est issue d'une famille d'artistes, sa sœur n'est pas moins talentueuse. 

Sur un meuble, je notai la présence d'une photo de famille, du coup je l'interrogeai sur son parcours, son cheminement et ses motivations, elle se montrait peu disserte, fuyante, mais consentit à nous dire qu'elle a embrassé les ordres lorsqu'elle avait la vingtaine dans les Grisons, elle a passé quinze ans à Bâle à travailler dans un hôpital comme infirmière, et vingt ans à Muralto dans cette clinique aujourd'hui fermée. Son travail consistait en partie à proposer aux convalescents des travaux d'atelier, des activités artistiques pour les désennuyer et favoriser leur guérison.

Elle ne tenait à s’appesantir sur sa personne, comme si en prenant le voile elle s'était effacée quelque peu de l'existence et tuée son ego, insister dans ma démarche était l'inquisitionner, c'en était inconvenant, alors je cessais mes questions d'ordre personnel pour m'axer sur les généralités.

Je l'interrogeais sur ses débuts: qu'est-ce qui l'avait motivé à travailler le papier, quelles sont ses orientations, ses inspirations? Elle m'avouait qu'initialement elle modelait l'argile et c'est une autre sœur du couvent qui l'incita à essayer le papier, un matériau que finalement elle adoptera.

Sœur Orsola réorienta très vite la conversation sur ses crèches, dont elle aurait voulu que l'on entende le chant des anges, ne pouvant imaginer que les anges n'aient assisté et célébré la naissance de l'enfant-dieu, et aussi de sa représentation de la Vierge, qu'elle n'hésite à figurer comme une femme enceinte, ce qui lui fut reproché par les couventines, mais à ses yeux la Vierge Marie est une femme, et à travers son geste c'est la féminité de toutes les femmes qu'elle exaltait.

Sœur Orsola poursuit la visite, nous faisant découvrir son travail, rentrant dans des aspects techniques, nous disant qu'elle se fournit en papier chez COOP et chez Migros, mais que le papier de Migros à tendance à jaunir comparativement à  celui de COOP qui reste blanc au fil du temps, ce sont des considérations importantes pour l'artiste, car la qualité du papier détermine la durabilité de l’œuvre et sa joliesse, j'en conviens que les sculptures jaunies ont moins d'attraits que ceux qui sont restées tout blanc. 

Son atelier ressemble à un petit musée, à un magasin aussi où les prix de ses réalisations sont soigneusement affichés en dessous de chaque objet, je lui demandais si elle arrivait à en vendre vu que l'établissement ne recevait plus de malade, plus de visiteur, plus personne. Sa réponse fut positive, ce sont ses anciens patients qui lui passent commande, il faut croire qu'au fil des ans notre sœur s'est constituée une fidèle clientèle.

L'espace de travail est joliment décoré, une centaines d’angelots semblent converser avec elle en permanence, l'accompagnant tous les jours et lui tenant compagnie. Son petit musée est fortement éclairé et chaleureux, pleine de vie ce qui tranche avec la beauté froide de la clinique, un espace déserté, un lieu en viduité, bien trop grand pour les vingt-cinq sœurs restant, un vide qu'elles peinent à combler, et dont leurs voix, et leurs gestes ne peuvent réactiver la bruyance de la vie face au silence qui nous entoure.

Le moment de se quitter arrive, sœur Orsola nous fait la visite des étages, nous montrant les différentes crèches qu'elle a installées dans la clinique, partout elle en a dressées, dans les couloirs, dans les recoins, je ne les ai comptées, mais elles sont nombreuses, elles sont belles, ses crèches font grandir le désir en nous d'être en joie, j'en ai le sentiment. Dans toutes ses crèches, elle a placé des chœurs d'anges, on les imagine  qui chantent, qui musiquent, les anges chantonnent, fredonnent puis clament à tous l'avènement du sauveur. 

Nous arrivons à la chapelle de la clinique où une sœur s'est endormie, comme tout l'hôtel on est dans le raffinement et le luxe, de l'extérieur on ne se doute que ce lieu recèle tant de fastes et de beauté, qui quelque part correspond à l'esprit suisse, rien d'ostentatoire, tout est caché, pour le découvrir il faut être invité, à l'instar de Noël dont la magie ne s'opère que si on l'accepte et qu'on reçoit l'esprit de Noël, l'esprit de joie, car Noël c'est la communion de la foi, de l'espérance et de la charité, Noël c'est le temps de l'amour.

Joyeux Noël !

Evariste Zephyrin

 

 


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