AVANT-PROPOS
Un nouveau départ...
Créé en 1975 à l'initiative
du tout nouveau groupe de recherches, le GEREC (Groupe d'Etudes
et de Recherches en Espace Créolophone) dont Jean Bernabé
fut le fondateur au sein de l'UER des Lettres et Sciences Humaines
des Antilles et de la Guyane, la revue Espace créole
a non seulement participé à la découverte par
les Universités françaises et francophones de l'objet
créole, mais encore a marqué de son empreinte ce qu'il
est convenu d'appeler la linguistique native et donc, en l'espèce,
la créolistique native. La description des créoles,
en effet, depuis l'Allemand Hugo Schuchardt à la fin du siècle
dernier, avait presque toujours été l'apanage de chercheurs
étrangers mieux formés et, il faut l'avouer, plus
soucieux de scientificité que leurs alter ego autochtones.
Les études du Trinidadien John Jacob Thomas (1869), du Guadeloupéen
René de Poyen-Bellisle (1890) ou de la Martiniquaise Elodie
Jourdain (1951), entre autres, ne manquaient certes pas d'intérêt
mais se caractérisaient soit par un conformisme de mauvais
aloi soit une trop grande dépendance à l'endroit de
la tradition grammaticale européenne peu adaptée à
l'analyse de langues qui, comme les créoles, ne relèvent
pas de la seule influence européenne mais aussi d'apports
amérindiens et ouest-africains ainsi que d'innovations qui
leurs sont propres.
Pour les Petites Antilles et la Guyane, le GEREC a donc joué,
dans les années 70 et 80, le rôle de catalyseur de
toute une génération de jeunes chercheurs natifs qui,
tant en linguistique qu'en sociolinguistique, en anthropologie qu'en
analyse littéraire, s'est efforcée de jeter un regard
endogène sur la réalité créole. Ce regard
s'est constamment effectué en dehors de tout ostracisme à
l'égard des chercheurs non-natifs puisque dès le départ,
le GEREC a régulièrement compté en son sein
des chercheurs originaires de l'Hexagone notamment qui, en leur
temps, lui ont apporté leur talent et leur savoir tels que
Jean-Luc Bonniol (actuellement professeur à l'Université
de Provence), Renaud Méry (actuellement professeur dans la
même université) ou encore Singaravelou (actuellement
professeur à l'Université de Bordeaux III). Dès
le départ, l'optique a été claire: favoriser
la confrontation permanente du regard endogène et du regard
exogène, confrontation qui seule permet d'éviter d'une
part la tentation du nombrilisme, de l'autre celle de l'arrogance
occidentalo-centrée.
Avec 8 numéros, la revue Espace créole a, non
sans difficultés dues à des problèmes d'édition
et de cohésion du groupe de recherches dont elle est l'émanation,
jalonné le parcours multiforme de la créolistique
moderne. Aujourd'hui, le moment est venu de lui donner un second
souffle grâce à une parution plus régulière
(2 numéros par an) et à la collaboration d'une nouvelle
vague de créolistes tant natifs qu'enracinés dans
l'amour de la langue et de la culture créoles.
Entre temps, la réalité de nos pays a évolué,
les positions glottopolitiques des uns et des autres se sont nuancées
(ou parfois inversées) et une nouvelle approche des rapports
entre créole et français a vu le jour, grâce
en grande partie au mouvement littéraire de la Créolité
qui s'est affirmé comme le courant majeur des lettres antillo-guyanaises
en cette fin du XXème siècle. Le GEREC ne pouvait
demeurer insensible à ces changements d'autant que certains
de ses membres en étaient les acteurs principaux. C'est pourquoi
de l'étude du seul créole et de la seule culture créole,
il a récemment élargi son champ à celle du
français des Amériques et des cultures francophones
en général. Désormais, notre revue devient
Espace Créole/Espaces francophones, ce qui, à
nos yeux est la conséquence logique d'un mouvement en trois
temps qui s'est décliné de la manière suivante
au cours des trente dernières années:
- années 70: revendication linguistique pro-créole
très affirmée afin de lutter contre le phénomène
de décréolisation massive qui affectait le créole;
élaboration d'une graphie scientifique dite "Graphie-Gerec";
publication de livres et de journaux entièrement en créole
utilisant, dans leur effort de construire une norme, le concept
de "déviance maximale", que le groupe a toujours
pris pour ce qu'il est, un instrument glottopolitique.
- années 80: déconflictualisation des
rapports entre créole et français grâce
à la littérature de la Créolité
dont P. Chamoiseau est l'une des figures les plus marquantes/mise
en place d'enseignements de langues et cultures créoles
dans certains collèges et à l'Université.
- années 90: mise en route du processus de
recréolisation par le biais de la licence-maîtrise
de Créole à l'Université des Antilles et
de la Guyane et par la lutte pour la création d'un CAPES
de Langues et Cultures Régionales - Option Créole/Introduction
du créole en tant que LV3 (Langue Vivante 3) à
partir de la seconde dans certains lycées; Création
du GIL (Groupe Informatique Linguistique), sous-section du GEREC-F,
dirigée par Jacques Coursil; Création dans le
cadre de l'UFR des Lettres et Sciences Humaines de l'UAG de
l'ISEF (Institut Supérieur de la Francophonie), dirigé
par Patrick Dalhet, à l'UAG.
Il s'agit d'une véritable mutation du GEREC,
consécutive à l'évolution historique que nous
venons d'esquisser, entraînant forcément celle de la
revue Espace créole. Une plus large place sera faite
à la créolistique au sens large du terme, notamment
à l'histoire et à l'anthropologie des aires créolophones
dont beaucoup de champs restent encore à défricher.
Désormais, hormis pour la publication des actes de colloques
à venir, nos numéros ne s'efforceront plus d'être
thématiques comme dans le passé mais s'ordonneront
en rubriques distinctes (Linguistique - Sociolinguistique - Psycholinguistique
- Anthropologie - Analyse littéraire, etc.) qui témoigneront
de l'état d'avancement des travaux de nos différents
collaborateurs. Cela nous semble une perspective plus juste que
celle qui consiste à solliciter artificiellement des articles
sur un thème prédéterminé. Cela permettra
aussi de faire leur juste place aux travaux d'informatique linguistique
du GIL lequel représente, pour le GEREC, une orientation
vers la recherche fondamentale complémentaire de la recherche
appliquée et du souci patrimonial toujours affirmé.
Enfin, il convient d'affirmer qu'Espace créole/Espaces
francophones considérera comme faisant partie de son
champ légitime d'études toute la littérature
antillo-guyanaise de langue française, tant celle d'hier
que celle d'aujourd'hui, et n'omettra pas de s'intéresser
de près aux littératures francophones du Québec,
d'Afrique noire et du Maghreb. Enfin, toujours dans le même
ordre d'idées, la didactique du FLE (Français-Langue
Etrangère) constituera l'un des axes privilégiés
de notre réflexion et de nos publications.
Raphaël Confiant
Responsable des publications du GEREC |
NB: La revue à orientation pédagogique Mofwaz
qui fut, en quelque sorte, la petite soeur d'Espace créole,
reparaîtra elle aussi à raison de 1 numéro par
an, cela à compter du troisième trimestre 1999.
D'autre part, un bulletin d'informations trimestriel sur les différentes
manifestations et publications tournant autour des langues et cultures
créoles et francophones, sera bientôt édité.
Ce bulletin sera intitulé Kourilèt.
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