INTRODUCTION
Notre propos ce n'est pas de parler de la traite
négrière, même si c'est précisément
l'Europe marchande d'esclaves qui constitue le fondement de ces
notes. Ce qui nous intéresse, c'est d'indiquer quelles étaient
les langues européennes connues ou parlées au XVIIe
et au XVIIIV siècle dans cette longue frange du littoral
africain qui répondait au nom de Côte de Guinée.
Nous voudrions également mettre en évidence l'effort
accompli par les marchands, voyageurs et fonctionnaires européens
de l'Ancien Régime pour acquérir quelques notions
de langues d'Afrique de l'Ouest.
Cette étude se rapporte essentiellement à quatre relations
de voyages publiées ou rédigées au XVIIIV siècle:
l'anonyme Voyage aux Côtes de Guinée et en Amérique
(Amsterdam, 1719), le Voyage du Chevalier des Marchais en Guinée,
isles voisines et à Cayenne (Amsterdam, 1731) du R.P.
Labat, le récit intitulé, Voyages en Guinée
et dans les îles Caraïbes en Amérique (Paris,
1793) du médecin-inspecteur danois Paul Erdman Isert et le
Voyage à la Côte de Guinée (Paris, 1803)
de P. Labarthe.
Sauf le premier, tous les ouvrages cités renferment un petit
dictionnaire bilingue ou plurilingue, français-langues
africaines1.
La Côte de Guinée
Il n'est pas facile d'être précis
quant à la signification du terme "Côte de Guinée".
Parfois les déclarations des capitaines utilisent le mot
"Guinée" pour désigner toute la côte,
de la rivière Sierra Leone jusqu'au Cap Lopez. D'autres comprennent
aussi le Sénégal et d'autres y ajoutent les royaumes
de Louangue et d'Angola, jusqu'à inclure la rivière
du Congo. Durant le premier siècle de l'expansion portugaise,
la côte occidentale d'Afrique s'appelait Guinée",
depuis le Sahara jusqu'au Cap, ce qui explique que les Portugais
nommaient "Haute Guinée" la partie comprise entre
le Sahara et le Sierra Leone, "Basse Guinée", l'enfoncement
que l'Atlantique pousse jusqu'au delta du Niger.
La "Haute Guinée" était au XVIe
siècle une dénomination sans limites précises.
Nous savons que les Portugais longeaient le littoral avec leurs
navires depuis Arguin jusqu'à leur marché d'El Mina
sur la Côte d'Or. De nombreuses localités conservent
dans leurs noms, la marque de cette origine: Canaries, Açores,
Sierra Leone, Cap Monte, Cap Mesurado, Xavier, Porto Novo, etc.
Cependant, toutes les tribus indigènes demeuraient indépendantes,
vivant suivant les temps et les occasions, en bons ou mauvais rapports
avec les marins, les commerçants, les aventuriers venus d'Europe.
Pour notre part, avec le terme "Côte de Guinée",
nous désignerons le long trajet maritime qui se faisait à
la voile du Cap Blanc au fleuve Congo.
Les premiers découvreurs et trafiquants
On a beaucoup discuté au sujet de la nationalité
des premiers hommes qui osèrent s'aventurer le long des côtes
de l'Afrique Occidentale. Les véritables découvreurs
semblent avoir été les Espagnols et les Italiens.
Lorsque le Normand Jean de Béthencourt fit la conquête
des Canaries en 1402, il déclara avoir utilisé la
relation de voyage d'un moine faisant partie d'une expédition
espagnole qui avait reconnu l'embouchure du fleuve Sénégal
vers 12302.
En 1291, les frères Ugolino et Vadino Vivaldi, hardis marchands
génois, entreprirent un périple qui, selon l'affirmation
de l'historien A. Giustiniani, devait les porter "all'India
verso Ponente". Nous savons qu'ils s'aventurèrent bien
au delà des Colonnes d'Hercule et qu'ils longèrent
les côtes de l'Afrique Occidentale. Des chroniques médiévales
dignes de foi rapportent que leurs navires firent naufrage entre
le Sénégal et la Gambie. En 1325, le fils de Ugolino
Vivaldi partit à la recherche de son père mais son
aventure échoua également. Beaucoup d'hypothèses
furent émises pour expliquer la disparition de ces audacieux
navigateurs; aucune d'elles ne parvient à nous satisfaire3.
Il est certain que nos connaissances au sujet de ces premiers voyages
sont pauvres, car les marchands et les navigateurs de l'époque
préparaient leurs entreprises longuement et dans le plus
grand secret, par crainte d'éveiller la jalousie d'éventuels
concurrents.
Une des probables conséquences de l'expédition des
frères Vivaldi fut la redécouverte des îles
Canaries, anciennement appelées "Iles Fortunées".
A cet égard, nous disposons du témoignage de l'humaniste
italien Francesco Petrarca qui en fit une allusion explicite dans
De Rebus familiaribus (1337) et dans De Vita solitaria
(1346). Petrarca se rapportait à une expédition militaire
gênoise qui avait eu lieu dans ces îles au début
du XIVe siècle4.
Bien que déjà connues par les Grecs et par les Latins,
les Canaries continuaient à représenter pour les Européens
du Moyen Age, un monde mythique et inaccessible. Le mérite
de les avoir restituées au monde civilisé revient
à Lanzarotto Marocello (ou Malocello), intrépide navigateur
issu d'une illustre famille gênoise. Marocello avait appris
l'existence de ces terres par des marins de Cherbourg qui affirmaient
les avoir visitées. Son voyage se situe vers 1325. Nous savons
qu'il occupa et donna son nom à une des îles, ce qui
constitue le point de départ de l'histoire de l'archipel5.
Giovanni Boccacio est l'auteur d'une relation qui nous permet d'apprécier
l'étendue des connaissances qu'on pouvait avoir au Moyen
Age des Iles Canaries. Dans De Canaria et de insulis reliquis
ultra Hispaniam in oceano noviter repertis, l'humaniste italien
nous parle de l'expédition entreprise en 1341 par le Gênois
Nicoloso da Recco et par le Florentin Angiolino del Tegghia dei
Corbizzi. Il s'agit de la plus ancienne relation de voyage maritime
de la littérature italienne. Son intérêt réside
non seulement dans le texte écrit par l'un des plus prestigieux
auteurs du Moyen Age, mais aussi dans son contenu, description ample
et très détaillée de l'expédition et
des îles visitées. Boccaccio rassembla dans son ouvrage
les informations données par Nicoloso da Recco aux marchands
florentins de Séville et transmises ensuite par ceux-ci aux
marchands de Florence. L'expédition comptait trois navires
et l'équipage était composé de Gênois,
Florentins et Espagnols. Les navires quittèrent le port de
Lisbonne en 1341. Bien qu'incomplète, la relation de Boccaccio
renferme un grand nombre d'informations à caractères
géographique, nautique, géologique, ethnologique,
glottologique, dont l'intérêt put longtemps rivaliser
avec les témoignages directs écrits sur ces îles
au cours des siècles suivants6.
En 1402, Béthencourt colonisa l'archipel. A partir de cette
date, l'émigration normande fut florissante jusqu'à
la fin du XVe siècle7.
Les Açores semblent avoir été connues depuis
l'antiquité. Des pièces de monnaie puniques y furent
retrouvées, ce qui démontre le passage des Phéniciens.
Les îles figurent aussi dans deux portulans, l'un florentin
et l'autre catalan, datés approximativement de 1351 et 13758.
La découverte officielle de l'archipel revient cependant
aux Portugais qui reconnurent ce territoire en 1431, à l'occasion
d'une expédition recommandée par Gonzalo Velho Cabral
et ordonnée par l'infant Henri le Navigateur9.
Les Açores furent colonisées en 1439 par les Portugais,
auxquels s'ajoutèrent par la suite de nombreux émigrés
flamands10.
Les historiens contemporains attribuent la découverte des
îles du Cap Vert au vénitien Alvise Cadamosto. Entre
1454 et 1456, au service d'Henri le Navigateur, Cadamosto semble
être parvenu jusqu'aux côtes de l'actuelle Guinée
Portugaise et avoir visité les Bissagos. A l'exception du
navigateur génois Antonietto Usodimare, les géographes
de l'époque ne font aucune allusion à ces découvertes.
Ceci nous permet de douter de leur totale véridicité,
d'autant plus qu'au XVe siècle, on considérait que
le véritable découvreur du Cap Vert avait été
le navigateur gênois Antonio da Noli. Celui-ci fut, en tout
cas, le premier colonisateur de l'archipel11.
Ces découvertes marquent le début de nombreux voyages
qui suivirent et qui furent relatés dans le Chronica do
descobrimiento e conquista da Guiné de Gomez Eanes de
Azurara (1410-1474), le chroniste officiel du roi du Portugal.
Dans les écrits de Christophe Colomb, il y a plusieurs allusions
à la côte de Guinée. Bartolomé de la
Casas, dans le chapitre IV de son Historia de las Indias,
affirme que le célèbre navigateur, lorsqu'il était
au service de Jean II du Portugal, avait décidé de
visiter lui-même ces lointaines contrées "d'Etiopia"
dont lui parlaient sans cesse les marins portugais. Dans le journal
de bord du premier voyage, à la date du 9 janvier 1493, Colomb
affirme avoir été "in Guinea sulla costa della
Manegueta". En évoquant ce pays, il avait dit aussi
que "in nessuna di queste contrade non si trovano porti cosi
buoni". Nous savons que l'amiral s'était rendu à
San Jorge de El Mina vers 1482-83, et qu'au retour, il avait visité
les îles du Cap Vert12.
Les expéditions françaises qui doublèrent le
Cap Bojador et qui nous sont connues, se situent dans la deuxième
moitié du XVe siècle.
Nous savons qu'Eustache de la Fosse entreprit un voyage à
la Côte de Guinée entre 1479 et 148013.
De retour en Europe, ses récits contribuèrent à
diffuser la croyance, déjà répandue par Antonio
da Noli, que les oeufs des tortues géantes, qui venaient
pondre aux îles du Cap Vert, avaient la vertu de guérir
de la lèpre. En 1483, peu de temps avant sa mort, le roi
Louis XII, affligé par une terrible maladie qui résistait
aux traitements des médecins et se croyant lépreux,
prêta foi aux dires d'un marin normand revenu guéri
des côtes d'Afrique. Dans l'espoir d'essayer à son
tour le remède merveilleux, il envoya deux vaisseaux de Honfleur
aux îles du Cap Vert. Cinq ans après, en 1488, le navigateur
dieppois Cousin, entreprit un voyage commercial au même archipel,
dont une île, celle de Mayo, était alors la propriété
d'un "français nommé Jean-Baptiste14".
A la même époque, le roi du Portugal Jean II, avait
confié à Diego Cao, le commandement d'une expédition,
la première longue série, dont le but était
de rechercher une route maritime vers les Indes par le sud de l'Afrique.
Il y a un détail caractéristique des voyages de Cao
qui prouve la détermination du Portugal d'affirmer sa souveraineté
sur toute la côte d'Afrique. On lui fournit des "padroes",
sorte de stèles portant des inscriptions en latin, en portugais
et en arabe, qu'il avait mission de dresser aux points remarquables
de la côte à mesure de leur découverte. Cao
en érigea une, en 1483, à l'embouchure du Congo et
une autre au point le plus méridional de son voyage, c'est-à-dire
sur le Cap Cross. Dans ce périple de l'Afrique, les Portugais
s'attachèrent moins à la pénétration
et à la colonisation qu'à la création d'escales,
de points de ravitaillement et de commerce. Ils avaient la coutume
de laisser dans les terres qu'ils venaient de découvrir,
du bétail d'Europe qui s'y multiplia et constitua des réserves
de vivres frais; ils installèrent, dans des sites des côtes
opportunément choisis, des ports où leurs navires
pouvaient se réparer et leurs équipages se refaire.
Dans ces escales, peu à peu s'instaurèrent les premiers
échanges de produits indigènes. Ce commerce se révéla
immédiatement très avantageux pour les Portugais,
car les Africains ignoraient totalement la valeur des produits européens.
Leur goût les poussait à choisir les objets de clinquant
et l'eau de vie; ils avaient un besoin impérieux d'armes
et d'outils. Ces échanges furent rapidement relégués
derrière la traite des esclaves quand, au milieu du XVe siècle,
les navigateurs portugais amenèrent à Lisbonne des
captifs nègres et les vendirent. On vit dans la traite une
fructueuse source de revenus et l'esclavage se développa
rapidement. Les marchés d'esclaves s'étendirent à
l'Espagne, qui en usa d'abord chez elle puis en créa dans
ses îles dès le début du XVIe siècle.
Peu après, l'usage fut adopté par la France, l'Angleterre,
la Hollande, le Danemark.
Au XVIe siècle, vers 1525, des marchands français
furent signalés à Sao Tomé par un navigateur
portugais dont Ramusio a publié la relation15.
A la même époque, les Dieppois Jean et Raoul Parmentier
visitèrent la côte d'Afrique depuis le Cap Vert jusqu'au
Cap Lopez. Ils constatèrent que les Français étaient
très favorablement accueillis, tant par les "seigneurs
du pays" que par les indigènes qui les préféraient
aux Portugais. L'un de leurs centres commerciaux était alors
à Berkou, sur la Côte d'Or, entre Cormentin et Accra16.
Le roi du Portugal comprit très vite les avantages qu'il
pouvait tirer de la situation. Se fondant sur un privilège
qui lui avait été octroyé par des bulles papales,
l'investissant de l'autorité souveraine sur les pays fréquentés
par les marins de son royaume, il prétendit réserver
à ses nationaux le monopole du commerce avec l'Afrique. Malgré
la promesse faite par François Ier qu'aucun de ses vaisseaux
ne dépasserait plus désormais les îles du Cap
Vert dans la direction du Sud, les navires français continuèrent
à fréquenter les côtes africaines. Des réclamations
réitérées furent adressées par Jean
III au roi de France et celui-ci déclara que c'était
contrairement à ses ordres que les navigateurs français
allaient commercer dans les possessions portugaises. Malgré
les diverses mesures prises contre ces navigateurs, les capitaines
marchands n'interrompirent pas pour autant leurs voyages dans ces
régions.
A partir du milieu du XVIe siècle, les Anglais
commencèrent à manifester une activité croissante
sur l'Atlantique et à disputer aux Portugais la suprématie
commerciale. Vers 1585, ils furent imités en cela, de façon
encore plus énergique, par les Hollandais. Malgré
la concurrence, les voyages des navires marchands français
continuèrent à être fréquents. Rien que
pour la période allant de 1574 à 1583, on a relevé
sur les registres notariaux de la seule ville de Honfleur, trente
armements de vaisseaux à destination du Cap Vert, de la "Guinée"
(Sénégambie et Sierra Leone), de la côte des
Graines, de la côte de Bonnes Gens (Côte d'Ivoire),
de la Mine (Côte d'Or). Parfois, les navires français
poussaient plus loin en direction du Congo.
Il est certain que depuis le milieu du XVe siècle,
les entreprises commerciales françaises aux côtes occidentales
d'Afrique avaient été fortement contrecarrées
par l'activité des navigateurs portugais. Lorsque, en 1580,
le Portugal tomba sous la souveraineté de l'Espagne, il perdit
ses titres à l'exclusivité souveraine des terres lointaines
que lui avait octroyées la papauté. Cela permit aux
Français de développer plus aisément leurs
activités commerciales; à la fin du XVe
siècle, leurs vaisseaux croisaient fréquemment sur
les côtes du Congo. Les chroniqueurs portugais rapportent
de nombreuses incursions faites par les Français dans leurs
colonies, allant jusqu'à mettre en péril la domination
de cette nation.
Peu à peu, sous l'influence combinée de visées
politiques, d'ambitions commerciales et de tentatives de christianisation
des Noirs, les différents pays européens commencèrent
à implanter en Afrique des embryons de colonies. Cependant,
très tôt, se déclenchèrent entre elles
des disputes pour la possession définitive de ces établissements.
Dès le début du XVIIe siècle, de
petites places commerciales furent établies par les Français
en divers points de la côte occidentale d'Afrique. En 1609,
Balthazar Moucheron de Dieppe créa un comptoir au Gabon.
En 1612, le chevalier de Briqueville, noble normand et le Rouennais
Augustin de Beaulieu, installèrent un éphémère
poste d'échange à l'embouchure de la Gambie. Mais
c'est surtout au Sénégal, fréquenté
assidûment depuis trois siècles, que les Français
cherchèrent à implanter leurs centres commerciaux.
Sous l'impulsion de Richelieu d'abord et de Colbert ensuite, l'oeuvre
coloniale de la France dans l'ouest africain, jusque là laissée
à la seule initiative privée, allait se changer en
entreprise nationale.
I . LES SITES DE LA TRAITE
D'après le mémoire adressé
à Choiseul en 1762 par le général du commerce
de Nantes et si nous tenons compte des intérêts commerciaux
de l'époque, il est possible de subdiviser la Côte
de Guinée en sept parties échelonnées sur environ
3500 km. Le mémoire distingue les régions suivantes:
1. Le Sénégal
Il comprenait la partie du littoral située
entre le Cap Blanc et la rivière Sierra Leone. Le texte souligne
que cette côte était alors interdite à la traite
française par suite du privilège de la Compagnie des
Indes17. Les Anglais possédaient
un comptoir en Gambie et des factories à Joal et à
Cattajar. Ils avaient l'autorisation de faire la traite dans la
rivière de Casamance et le monopole des échanges sur
la rivière de Sierra Leone. La Compagnie des Indes tenait
garnison à Gorée. Pour les Français, l'île
n'était alors qu'un centre de ravitaillement, de relâche
et de radoub, et un entrepôt de marchandises.
2. Le Pays de Galawar et Côte
de Malaguette
L'étendue de cette côte, connue sous
le nom de "Maniguette" ou des "Graines", est
comprise entre la rivière Sierra Leone et le Cap des Palmes.
Elle correspond approximativement aux territoires appelés
maintenant Sierra Leone et Libéria. La traite était
plus particulièrement florissante entre la rivière
Sierra Leone et le Cap Monte. Les Anglais, qui ne possédaient
pas de comptoirs dans cette région, pertubaient le commerce
français, notamment près de la rivière de Sherbro
et aux îles Bananes. Les centres les plus actifs étaient
Sangoin et Maniguette. La côte était considérée
comme dangereuse. De Petit Sestre au Cap des Palmes, il fallait
"s'abstenir d'aller à terre et avoir l'attention que
la chaloupe soit bien armée", car les indigènes
étaient agressifs, anthropophages et attaquaient les équipages.
Les Français ne possédaient pas de comptoirs dans
cette région.
3. La "Côte d'Ivoire
et Côte de Quaqua", du Cap des Palmes au Cap des Trois-Pointes
Le littoral connu sous cette dénomination
correspond approximativement à l'actuelle Côte d'Ivoire
et à une partie du Ghana. Les principaux marchés étaient
Cavaillé (à l'embouchure de la rivière Cavally),
Thabo (Tabou), Berbi (Grand Béreby), Saint-André (Sassandra),
Cap La Ho (Grand Lahou), Jack La Ho (Jacqueville), Issini (Assinié),
Cap Apollon (Appolonia), Axim.
Sur pratiquement tout ce territoire, la traite était le monopole
des Hollandais, qui possédaient un fort très important
à Axim.
4. La "Côte d'Or"
entre le Cap des Trois-Pointes et la Rivière de Volta
Sur cette partie du littoral se trouvaient groupés
les principaux centres de la traite négrière et le
plus grand nombre de comptoirs européens. L'effort d'organisation
commerciale accompli par les différentes nations fut méthodique
et tout à fait considérable. D'après les descriptions
des capitaines-marchands et des voyageurs, nous savons que les Hollandais,
les Anglais et les Danois possédaient de nombreux entrepôts
fortifiés dont voici les noms les plus connus:
Acoda (holl.), Discove (angl.), Botro (holl.), Tacorary (holl.),
Seconde (un fort angl., un holl.), Saint-George de la Mine (holl.
Résidence du Gouverneur Général de ce pays),
Cap Horse (angl.), Morée (holl.), Anamabou (angl.), Kormentin
(holl.), Amokou (franç.), Tamtamquery (angl.), Apam (holl.),
Sinpam (angl.), Bercoë (holl.), Akra (un fort holl., un angl.),
Christianbourg (danois), Fort James (angl.), Creveceour (holl.),
Friedericsbourg (danois).
Amokou était le seul établissement français
de la côte. Ailleurs, les marchands nationaux devaient traiter
directement avec les gouvernements des différents forts.
Les Français avaient réussi à gagner la sympathie
des souverains indigènes à Anamabou mais, menacés
de représailles par les Anglais, ces derniers cessèrent
les échanges. Le commerce libre était rendu encore
plus difficile du fait que les nations rivales avaient établi
des comptoirs intermédiaires qui remplissaient en quelque
sorte les intervalles entre les forts. La concurrence était
devenu sans merci.
5. Les "Royaumes d'Ardra
et de Juda"
Ils se situaient entre la rivière Volta
et Badagry. Ce littoral, qui correspond au Togo et au Bénin,
était connu sous la dénomination de " Côte
des esclaves ". D'après l'opinion des marchands de l'époque,
c'est ici qu'on achetait les meilleurs esclaves et que les droits
perçus par les rois indigènes étaient les moins
élevés. Les Français et les Anglais avaient
établi un fort à Juda, où il y avait aussi
un comptoir portugais. Les principaux centres se nommaient: Queta,
Petit Popo, Grand Popo, Juda, Cotonis, Porte-Nove et Badagry. Les
Danois possédaient deux points d'échange à
Königstein, près d'Ada et à Princestein, près
de Quetta.
6. Les "Royaumes de Bénin
et d'Aweri", entre le Bénin et le Cap Formosa
Sur cette côte, faisant partie actuellement
du Nigéria, les échanges commerciaux et la traite
étaient beaucoup moins importants, car on considérait
que les esclaves étaient de qualité inférieure.
Les pots-de-vin ou "coutumes", payés aux courtiers
et aux vendeurs, étaient beaucoup plus faibles que partout
ailleurs. Les marchands français très gênés
par la concurrence des Anglais.
7. Les "Côtes de
Loango et d'Angola"
Le littoral compris entre Cap Formosa et la rivière
du Congo, actuellement faisant partie du territoire connu sous les
noms de Cameroun, Gabon et Cabinda, possédait trois centres
commerciaux très actifs: Malimbe (Mayumba), Louangue (Loango),
Cabinde (Cabinda). Les captifs étaient abondants mais de
médiocre qualité et les "coutumes" très
chères18.
Considérant ces subdivisions, nous pouvons conclure que pour
les voyageurs et marchands du XVIIIe siècle, la côte
africaine apparaissait comme une suite de royaumes indigènes
indépendants. Les trafiquants européens n'y avaient
accès et ne pouvaient établir de postes d'échanges
qu'avec la permission des souverains locaux. Le Mémoire de
1762 nous dit: "les forts établis à la côte
de Guinée ne sont que des comptoirs fortifiés... Ces
forts n'importent point avec l'idée d'une souveraineté
territoriale, du moins au delà de leur enceinte. Les nègres
sont les maîtres du pays". L'importance de ces places
commerciales était en tout cas très inégale:
il y avait des lieux où les navires ne s'arrêtaient
que très peu, se contentant d'attendre, dans une rade bien
abritée, les chargements d'esclaves qui leur étaient
livrés par des caravanes descendues de l'intérieur
par les trafiquants africains spécialisés dans ce
type de commerce. Dans d'autres lieux, l'échange de captifs
et de marchandises d'importation était très organisé
et se faisait à grande échelle dans des comptoirs
prospères et très bien organisés.
II. LES LANGUES DES SITES DE
LA TRAITE
Le fleuve Sénégal constitue la ligne
qui sépare idéalement les peuples de la Mauritanie,
de la langue berbère, de ceux s'exprimant en langues négro-africaines.
Au sud du fleuve, sur la côte et à l'intérieur,
prédomine le wolof. Aux environs de Thiès et au Joal,
on rencontre des tribus parlant des dialectes assez différenciés,
dont le plus important est le "sin". Le "dyola",
avec ses nombreuses ramifications dialectales, est parlé
sur les deux rives de la Casamance. Au sud de celle-ci domine la
langue des Peuls, peuple de pasteurs sédentaires ou nomadisants,
dont l'influence linguistique s'étend jusqu'à la Guinée
Portugaise. Autour de Conakry est parlé le "soso",
langue apparentée aux dialectes "mandés",
appartenant aux envahisseurs venus de l'intérieur. Sur la
côte de l'actuelle Sierra Leone, on parle la langue des Sherbros,
en usage aussi au Libéria dans une forme différenciée.
D'après Maurice Delafosse, on dénombre en Côte
d'Ivoire, cinq groupes linguistiques principaux: les langues "kwakwa"
ou lagunaires, très différenciées les unes
des autres, mais ayant des termes d'usage communs à plusieurs
d'entre elles; les langues "kroues", parlées depuis
Lahou à l'est jusqu'à l'embouchure de Lofa à
l'ouest. Parmi celles-ci, le sous-groupe "bété"
est en usage à Sassandra et le sous-groupe "bakoué"
est parlé jusqu'au Libéria; l' "agni" est
la langue prédominante des Achantis, peuple établi
le long du littoral, qui va de la Côte d'Ivoire au Ghana.
On dénombre aussi les langues du groupe "mandé",
évoquées plus haut et enfin les idiomes du groupe
voltaïque, en usage dans le nord du pays19.
La Côte d'Or, le Togo et le Bénin possèdent
des langues appartenant à la même famille, respectivement
le "tchi" et ses dialectes ("ga" et "fanti"),
l' "éwé" et le "fon".
Sur la côte du Nigéria, on parle différents
dialectes que Delafosse a réunis sous l'appellation "Bas-Nigérien".
Ils feraient partie de la langue la plus ancienne de l'Afrique occidentale.
Sur le littoral camerounais et gabonais, on rencontre des dialectes
de type "bantou", comme le "douala" et la langue
des Fangs, fragmentée à son tour en plusieurs dialectes.
Les sabirs, les langues secrètes et la
langue non parlée.
Dès les premiers contacts linguistiques
avec les peuples de race blanche, les indigènes commencèrent
à s'exprimer en sabir, c'est-à-dire en utilisant un
mélange de plusieurs apports linguistiques et de différentes
transpositions syntaxiques. Cet idiome artificiel était fortement
répandu, tant pour parler aux étrangers, en tirant
profit, le cas échéant, des connaissances linguistiques
réciproques, que pour converser de façon à
ne pas être compris par son entourage.
Chez certains peuples se manifesta la coutume d'introduire certaines
déformations délibérées dans l'emploi
courant de leur langue, comme, par exemple, le procédé
consistant à renverser systématiquement les syllabes
des mots, en usage chez les Peuls du Fouta Djallon. Ce trait linguistique
était répandu, notamment dans l'idiome des chefs et
des notables20.
Pour les Africains, les gestes constituaient un
moyen de communication tout aussi essentiel que l'articulation phonétique.
Par exemple, lorsqu'il s'agissait de compter, les mouvements étaient
un élément nécessaire à la compréhension
du message, car les indigènes comptaient avec les doigts
de la main, en indiquant aussi les orteils21
. Le rôle des gestes était aussi celui d'éviter
de formuler des termes tabous liés aux nombres. A côté
du langage parlé et gestuel, il convient d'évoquer
aussi la communication établie au moyen d'instruments à
percussion et la langage sifflé. Le tam-tam pouvait aussi
bien servir à émettre des signaux stéréotypés,
analogues à ceux des clairons militaires, qu'à transmettre
des messages plus élaborés. Cet instrument fondait
son pouvoir communicatif sur les modifications de hauteur des sons,
qui sont généralement très marqués.
Le langage sifflé, qui se réalise au moyen de sifflets
faits avec des cornes d'animaux, était, tout comme celui
des tambours, le fruit des variations de hauteurs régulières
et codifiées, qui permettaient de communiquer avec aisance
les messages les plus divers22.
III. LES RAPPORTS ENTRE LES
TRAITANTS FRANCAIS ET LES CHEFS INDIGENES
Au XVIIIe siècle, seul le comptoir
du Sénégal, que le "Mémoire" à
Choiseul définissait comme un "établissement
formé avec l'agrément des naturels, une concession
régulière, une véritable colonie", jouissait
d'un statut de dépendance bien déterminé. Les
autres territoires où s'élevaient des forts et des
comptoirs européens n'appartenaient nullement à ces
différents pays dont la souveraineté se limitait à
l'enceinte de leur édifice. Les véritables maîtres
du pays étaient les Africains.
Les différents petits royaumes indigènes se succédant
le long de la Côte de Guinée constituaient, à
l'époque, des organisations sociales cohérentes et
politiquement assez évoluées. Au cours de leurs guerres
d'expansion, ces petits états prédateurs se heurtaient
souvent aux peuples qui vivaient près de leurs frontières.
Ceux-ci étaient capturés comme prisonniers de guerre
et ensuite vendus sur les nombreux marchés du centre ou de
la périphérie du royaume. La traite se faisait sous
le contrôle des différents souverains, autour desquels
s'agitaient des fonctionnaires spécialisés, dont certains
avaient dans leurs attributions, le règlement des rapports
avec les étrangers venus pour engager des transactions commerciales.
Ces traités rudimentaires comportaient diverses catégories
de paiements: le droit de débarquement et de traite, le paiement
à chacune des autorités qui facilitaient le commerce
de cadeaux de la main à la main, la commission d'usage au
courtier et enfin, le règlement de la marchandise. Le terme
générique de "coutumes" désignait
les deux premières opérations et celui de "dachy"
se rapportait aux présents qu'il fallait donner.
Sous l'ancien régime, les navigateurs-marchands étrangers
avaient peu à peu réussi à établir avec
les chefs indigènes, des conventions relativement stables,
moyennant l'acquittement de commissions généralement
assez élevées.
D'habitude, les souverains africains répugnaient à
assumer directement les échanges. Entre les rois et les capitaines-marchands
s'interposaient un grand nombre de courtiers, aventuriers, rabatteurs,
interprètes, noirs, blancs ou mulâtres. Parmi ces derniers,
il y avait des hommes d'origine européenne qui avaient choisi
de mener une existence marginale en Afrique, évoluant tant
bien que mal entre deux civilisations totalement différentes.
Ces "traitants" professionnels offraient leurs services
aussi bien aux rois africains qu'aux acheteurs venus d'Europe. Dans
les relations de voyage, on donne de ces hommes une image peu flatteuse.
Avides, rusés, voleurs, menteurs, parlant tous petit-nègre
ou "sabir", ils étaient pourtant indispensables
dans toute transaction. Lorsqu'ils étaient d'origine européenne,
ils s'exprimaient tant dans leur langue nationale que dans une ou
plusieurs langues étrangères et africaines.
Dans le journal de bord anonyme écrit par un officier de
"l'Affriquain" en 1738, nous lisons à propos de
l'achat de vingt-trois esclaves fait aux îles Bananes:
...nous (les) avons eus de trois blancs et
d'un mulâtre auxquels je pris les noms... excepté
un qui ne s'est point nommé devant moi. Le premier se nomme
M. Noty, auquel il est une manière de commis, aussi blanc
et anglais. Et le deuxième s'appelle M. Allaire qui parle
fort bon français comme les Français même.
Et le mulâtre se nomme Karhé qui est un homme qui
soutient ces trois Anglais sur ces dites îles pour leur
commerce et c'est lui qui est le maître de ces dits endroits23.
Parmi les " traitants " indigènes,
il y en avait beaucoup qui avait séjourné au Portugal,
en France ou en Angleterre. Leur connaissance des langues européennes
les rendait précieux dans les relations avec les souverains
qui ignoraient celle de leurs clients.
En donnant son avis sur la manière la plus avantageuse pour
réussir à construire un fort dans le territoire du
roi d'Ardres, Labarthe recommanda ceci:
Mais pour avoir la faculté de construire
un fort, il faut disposer favorablement les nègres pour
nous, ce qui ne peut avoir lieu qu'en donnant des présents.
Dans la distribution de ces présents, on n'oubliera pas
surtout Pierre qui a toute la confiance du roi d'Ardres; ce Pierre
est un nègre qui a été élevé
à Nantes et qui sait passablement lire et écrire.
A cette occasion, je dois dire que l'usage où l'on est
de recevoir dans un collège quelques uns de ces nègres,
est impolitique: quand ils reviennent sur le sol africain, ils
sont considérés par leurs compatriotes, ils deviennent
ordinairement les ministres et les confidents des rois de leur
pays et il ne faut pas croire que nous ménagions par là
des amis utiles: ce sont au contraire des ennemis très
dangereux que nous avons armés contre nous, en les éclairant
sur leurs intérêts et sur les nôtres qui ne
sont pas les mêmes: ils sont accoutumés d'ailleurs
à mettre à nos denrées un prix bien au-dessous
de celui qu'elles ont à la côte, aussi toutes les
difficultés que nous éprouvons à faire la
traite, viennent toujours d'eux.
(L., p. 164-165)
Le navigateur anglais G. Snelgrave définit
ainsi le rôle des interprètes: " ...Ces interprètes
sont des gens libres et naturels du pays, que nous louons par rapport
à ce qu'ils parlent bon anglais, pour nous en servir pendant
tout le temps que nous restons à la Côte à faire
la traite. Ils font office de courtiers, entre nous et les marchands
ou négociants noirs24".
Si le rôle d'intermédiaire avait sans doute permis
à beaucoup de courtiers de faire facilement fortune, la charge
d'interprète du roi n'était pas exempte de dangers
bien connus par ceux qui l'exerçaient. En 1670, le sieur
d'Elbée fut envoyé par la Compagnie des Indes à
la Côte des Esclaves, chargé d'une mission spéciale
visant à obtenir des souverains indigènes des privilèges
supérieurs à ceux des Portugais, des Anglais et des
Hollandais. Il était accompagné par le sieur du Bourg
qui devait être préposé au commandement d'un
fort à établir dans le territoire du royaume d'Andres.
Deux épisodes de l'audience donnée par le roi d'Ardres
aux officiers français nous sont ainsi relatés:
D'Elbée fut un moment sans rien dire,
pour lui marquer plus de respect, il lui fit son compliment en
portugais, que le prince fit expliquer par grandeur; car il entendoit
et parloit parfaitement la langue portugaise. Il se servit aussi
du même interprète pour dire au sieur d'Elbée
qu'il étoit bien aise de son arrivée, qu'il le favoriseroit
de tout son pouvoir auprès du Roi son père, et qu'il
le remercioit des offres qu'il lui faisoit.
(M., II, p. 236-237)
Le 27 du même mois, le sieur du Bourg
eut audience du Roi. Il parut comme Ambassadeur, et en cette qualité,
il fut introduit par le Prince, le grand Marabou et les deux Capitaines
du commerce et de la cavalerie. Le Roi le fit asseoir sur un lit
de coton qui étoit à côté du fauteuil
sur lequel il était assis. Il fit son compliment en portugais.
Quoique le Roi parlât et entendît en perfection cette
langue, il se fit tout expliquer par ses deux interprètes,
Matteo et Francisco qui étoient à genoux à
ses pieds. La charge d'interprète du roi est considérable;
mais il faut que ceux qui l'exercent prennent bien garde à
ne pas dire une chose pour une autre, la moindre méprise
ou le plus petit mensonge leur coûteroit la tête sur
le champ et leurs femmes et enfants deviendroient esclaves du
Roi.
(M., II, p. 243)
En ce qui concerne le bilinguisme, le roi d'Ardres
ne constituait pas une exception. Comme nous le verrons, les indigènes
démontrèrent très tôt une remarquable
aptitude à l'assimilation des langues d'Europe, notamment
le français et le portugais employés en tant que langues
d'approche et d'échange dès le XVe siècle.
IV. LES CONTACTS LINGUISTIQUES
Au début de l'établissement de la
traite négrière, il dut être évidemment
très difficile de réaliser des contacts directs entre
les capitaines européens et les indigènes, à
cause des barrières linguistiques quasiment infranchissables.
A ce stade, l'affectivité et les gestes jouèrent sans
doute un rôle primordial, parvenant parfois à suppléer
l'impossibilité d'établir un dialogue. En parlant
des moeurs des peuples de la Côte d'Or, le P. Labat relate:
Après l'accouchement, les femmes...
vont se laver à la mer ou à la rivière avec
leur enfant... Au retour, le père et la mère donnent
un nom à leur enfant; s'ils ont reçu quelque bienfait
d'un blanc, ils lui font porter son nom.
(M., I, p. 282)
A propos de l'impossibilité de communiquer
avec les indigènes de la Côte de Maniguette, il ajoute:
Leur langue est, à ce qu'on prétend,
la plus difficile de toute l'Afrique. Il n'y auroit pas de grand
inconvénient pour les Européens qui y vont traiter,
si on trouvoit des interprètes, mais ils sont très
rares. A leur défaut, on a recours aux signes; et la nécessité
qui est mère de l'invention y a tellement pourvu qu'il
n'y a guère de gens au monde qui se rendent plus intelligibles
de cette façon.
(M., I, p. 149)
Le même problème pouvait surgir aussi
dans les échanges entre Européens originaires de pays
différents. M. De Flotte, lors de son voyage de reconnaissance
de la rivière Saint-André, consigna sur son journal:
Le 12 janvier 1787... j'ai mouillé
vis-à-vis de la rivière Saint-André... il
y avait dans ce mouillage un bâtiment hollandais et une
goélette anglaise.
Le 13 janvier, j'ai envoyé un officier vers le capitaine
hollandais, pour prendre des éclaircissements sur les naturels
du pays, et voulant m'en informer plus particulièrement,
je l'ai fait inviter à diner. Il parle fort bien anglais,
et nous, nous le parlons fort mal, ce qui n'a pas peu contribué
à la difficulté de nous entendre.
(L., p. 220)
Cependant, dans le cadre de ces notes, nous abandonnerons
toute autre considération relevant de la communication indirecte
ou gestuelle, ainsi que les observations qui se rapportent aux relations
linguistiques entre les Européens présents en Afrique.
Notre propos est celui de mettre en évidence quelles étaient
les langues d'Europe connues ou parlées le long de la Côte
de Guinée au XVIIIe siècle et leur respective
importance.
Nous connaissons l'existence d'un vocabulaire "françois-guinéen",
demeuré manuscrit, qui remonte à 154425.
A la fin du XVIe siècle, le Portugais Alvarez d'Almada écrivait
que beaucoup de nègres parlaient bien le français
et il y en avait parmi eux qui avaient même séjourné
en France.
L'empreinte de la langue française fut particulièrement
profonde au Sénégal et dans les territoires correspondants
à la Côte des Graines, où le souvenir laissé
par les marins et marchands normands demeurait encore excellent
au XVIIIe siècle. En 1666, le Sieur de Bellefons,
contrôleur sur un vaisseau de la Compagnie, se trouvait au
Sénégal; le père Labat, qui avait lu la relation
de son voyage, nous dit ceci:
Sieur Villant de Bellefons... rapporte que
ces peuples lui firent mille caresses, qu'ils l'invitèrent
à venir s'établir chez eux, qu'ils lui montrèrent
les masures des maisons de la Compagnie de Dieppe; il vit qu'ils
parloient encore françois, qu'ils battoient le tambour
à la française et que le Roy même lui dit
plusieurs fois que lui et tout son peuple souhaitoit avec passion
les voir établir dans le pays. Je connais les François,
lui dit ce Prince, ils sont vifs à la vérité,
et souvent un peu trop, mais ils sont honnêtes gens, de
bonne foy, bons amis, on s'y peut fier: c'est ce qui fait que
nous les aimons, et que nous les préférons à
tous les autres blancs.
(M., I, p. 62-63)
D'après G. Hanotaux, le capitaine de vaisseau
anglais Georges Fenner, reconnut qu'en 1556, ses compatriotes étaient
obligés d'employer la langue française pour converser
avec les indigènes du Cap Vert, dont un certain nombre l'entendait
et la parlait convenablement. Dans ces mêmes circonstances,
les navigateurs anglais avaient recours aux capitaines français
pour trancher leurs différends avec les naturels de la Sénégambie.
Hanotaux nous fait savoir aussi qu'en 1635, le Père Alexis,
capucin de Saint Lô, était parti de Dieppe et s'était
rendu à Roufisque où il avait fondé la première
mission française. Il constata que la population de Rufisque
parlait une sorte de jargon français assez intelligible et
qu'elle proférait en notre langue des grossièretés
et des jurons: c'est la preuve de l'ancienneté de nos rapports
avec les indigènes de cette région. Le français
a été parlé à la baie de France, à
l'embouchure de la rivière "Sierralionne", qui
séparait les concessions des Compagnies de Sénégal
et de Guinée, avant qu'elles fussent réunies dans
une seule grande Compagnie des Indes.
Le père Labat dit:
Les Nègres qui habitent les environs
de cette baye et bien avant dans les terres, ont conservé
pour les François une affection toute particulière.
Ils ont appris de leurs ancêtres, les biens qu'ils ont reçus
de nos anciens négociants, ils en ont encore aujourd'hui
la mémoire toute fraîche, et ne souhaitent rien avec
plus de passion que de nous voir reprendre nos anciens établissements.
Les vaisseaux français qui y abordent l'expérimentent
tous les jours. Ces peuples ne manquent jamais de leur demander
s'ils viennent pour s'y établir parmi eux, et quand on
leur fait espérer qu'on y viendra, ils disent: bon bon,
le pays est à vous, venez, nous sommes amis.
Il ne faut pas s'étonner que je les fasse parler François,
ils ont conservé de père en fils la langue françoise,
et se font un devoir de l'enseigner à leurs enfants.
(M., I, p. 48)
Le P. Labat nous relate une curieuse anecdote.
Lorsque en 1669, le roi de France envoya des trafiquants dans la
région du cap de Monte, ceux-ci furent reçus par le
suvrain indigène qui " parlait fort bien portugais,
il étoit au fait du commerce et le faisoit avec grandeur.
Ses enfants, et particulièrement les filles sçavoient
la langue françoise et se faisoient honneur de la parler
et témoignoient n'aimer que les François". "Le
Commandant François ayant joint le Roy, et l'ayant salué
et complimenté, le Prince lui donna la main, et sans attendre
que l'interprète lui expliquât le discours, il lui
répondit en françois d'une manière noble et
polie . (M., I, p. 84-85).
Labarthe confirme la sympathie que les peuples de la Côte
témoignaient aux Français. En parlant du cap Mesurado,
il dit:
Un ancien directeur de nos comptoirs d'Afrique
m'a assuré qu'ayant abordé au cap Mesurado, il y
avait rencontré des nègres qui entendaient notre
langue, et que la nation française y était désirée.
(L., p. 42)
Au sujet de ces populations de la Côte de
Maniguette, le P. Labat avait observé:
Ils ont conservé, de père en
fils, la plupart des termes françois dont on peut avoir
besoin dans le commerce ordinaire qu'on fait avec eux.
(M., I., p. 149)
La connaissance de la langue française
s'estompait progressivement au fur et à mesure qu'on progressait
de la "Côte des Mals-Gens" au royaume de Juda. Dans
le territoire qui correspond à l'actuelle Côte d'Ivoire,
on connaissait peu le français.
A l'occasion de l'arrivée d'un navire chargé de marchandises,
les interprètes indigènes parvenaient à mener
à bien les transactions, en utilisant les connaissances rudimentaires
qu'ils possédaient de plusieurs langues, qu'ils n'hésitaient
pas à mélanger dans le but de se faire comprendre
"plus clairement". Labarthe raconte à ce propos:
La rivière Saint-André (Sassandra)
était un des points que M. Bonaventure devait visiter:
cet officier fit des questions aux nègres qui étaient
venus à bord. L'un d'eux, Courtier, nous apprit que son
roi était tout jeune; on avait de la peine à comprendre
ce nègre, il commençait son récit en français,
le poursuivait en portugais, et le finissait en anglais; il répondait
assez intelligiblement lorsqu'on lui demandait des poules et quelques
autres objets de subsistance.
(L., p. 46)
Les farouches habitants de la "Côte
de Mals-Gens" estimaient que les Français étaient
dignes de confiance et savaient reconnaître leur langue.
A l'arrivée d'un navire étranger, raconte le P. Labat,
"tous (les indigènes de la côte) viennent reconnoître
les vaisseaux à la portée de la voix, en font plusieurs
fois le tour, examinent la figure du vaisseau, des habits des matelots
qui sont dessus, leur parlent, et quand ils les entendent parler
françois qu'ils distinguent fort bien des autres langues,
ils y entrent sans façon et disent qu'ils s'y croyent autant
en sûreté que chez eux." (M., I, p. 162).
A Cap Laho, Labarthe avait rencontré un personnage peu commun,
très adroit et rusé dont le comportement lui avait
laissé une forte impression. Il répondait au nom de
Coffy et il était le premier ministre du roi de cette région;
à l'occasion des transactions importantes, il assurait également
la fonction d'interprète. "Coffy", dit Labarthe,
"prononce quelques mots français et l'entend un peu"
(L., p. 226).
Bien que Labarthe nous affirme que les "nègres
de Chama sont habitués à traiter avec les Français;
ils parlaient un peu notre langue" (L., p. 62), à partir
du Cap Apollonia et jusqu'au Cap Lopez Gonzalvez, la présence
de la langue française s'estompe progressivement jusqu'à
disparaître. Sur ces territoires, les transactions se déroulaient
en anglais, en danois et le plus souvent en portugais.
En parlant de la nègrerie ou bourgade de Gragi, proche de
Popo et en évoquant un notable indigène très
respecté, Isart dit:
Après le roi, le nègre le plus
distingué ici est Lathe, c'est le plus riche de toute la
contrée. Avec cela, il demeure, contre la coutume des riches
nègres, un négociant très appliqué
et continue de faire des entreprises très considérables.
Il entend trois langues européennes, l'anglais, le portugais
et le danois, et pour faire ses affaires avec d'autant plus d'exactitude,
il a aujourd'hui un fils en Angleterre et un autre en Portugal
qui apprennent à lire, à écrire et à
chiffrer, connoissance qu'il n'a pas pu se procurer à lui-même.
(I., p. 120)
En parlant de Fida (ou Juda), il ajoute:
Fida est présentement une nègrerie
très considérable qui peut bien avoir un mille et
demi de circuit, si l'on compte les espaces refermés dans
la ville, plantés de maïs. Chaque Nation Européenne
qui y a un fort, a aussi sa nègrerie à l'entour:
de là vient aussi qu'une nègrerie est composée
de plusieurs villes. Il n'est point extraordinaire en passant
par la ville, d'être salué dans le même instant
en plusieurs langues différentes; chaque nègre de
la ville en sachant du moins assez pour pouvoir saluer dans la
langue du fort dont il dépend.
(I., p. 140-141)
Le gouverneur actuel (de Fida) est un homme
des plus entendus que j'aie jamais connu parmi les nègres.
Il parle les trois langues européennes connues ici. Mais
il seroit contre le décorum qu'il communiquât seul
avec les Européens; c'est pourquoi il se sert toujours
d'un interprète. J'ai eu cependant plusieurs fois occasion
de voir de preuves surprenantes de sa facilité à
s'exprimer en anglais, lorsque ses interprètes, après
leur avoir exposé en langue nègre, ce qu'il avoit
à dire, le rapportoient mal.
(I., p. 144-145)
Pour des raisons historiques et commerciales évoquées
en parlant de la découverte du littoral africain, la langue
portugaise jouissait d'une incontestable prédominance non
seulement dans l'actuel golfe du Bénin mais aussi tout au
long de la côte de Guinée. Le sieur Villant des Bellefons,
dans sa Relation des côtes d'Afrique (Paris, 1669),
observa en 1667 que, du Sénégal jusqu'en Guinée,
les indigènes qui ne savaient ni lire ni écrire, parlaient
tous la langue portugaise et qu'à Sierra Leone, il y avait
un Portugais qui s'occupait des affaires du roi lorsque les natifs
venaient à bord proposant leurs marchandises.
En parlant du royaume d'Ardres, le P. Labat dit:
Les peuples ne savent ni lire ni écrire...
Mais les grands savent tous la langue portugaise, la lisent et
l'écrivent bien.
(M., II, p. 259)
En faisant une allusion à l'interprète
du roi, Matteo Lopez, l'auteur ajoute:
On voit par les noms de l'Ambassadeur, qui
sont portugais, le crédit que ces peuples avoient eu dans
le royaume d'Ardres, où ils avoient introduit leur langue,
leurs coutumes et où il y a apparence qu'ils avoient fait
fleurir la religion chrétienne.
(M., II, p. 271-272)
Lorsqu'en 1670, le Sieur d'Elbée rendit
visite au roi d'Ardres, au cours de la cérémonie de
la réception, il fut interpellé en portugais:
Après qu'il eut avancé de quelques
pas, un officier lui dit en portugais de demeurer où il
étoit, il obéit et tout le peuple... se retira par
respect...
(M., II, p. 235)
En décrivant une ville de ce royaume, le
P. Labat écrivit:
Ce petit village appelé Praya a un
gouverneur ou Fidalque, c'est à dire un noble ou
un gentilhomme que le roi d'Ardres y établit pour administrer
la justice et faire exécuter ses ordres. Le nom de Fidalque
ou Fidalgo est portugais, marque que les Portugais ont
eu des établissements dans cet Etat, comme ils sont encore
dans les royaumes de Bénin, d'Angola et de Congo... La
langue portugaise corrompue s'y est conservé jusqu'à
présent et produit un jargon ou langue franque que presque
tout le peuple entend et parle, de sorte que ceux qui sçavent
le portugais n'ont pas besoin d'interprète dans cet Etat.
(M., II, p. 229-230)
La domination portugaise sur l'Afrique s'est marquée
longtemps dans la langue des navigateurs et des marchands. Les tractations
interminables autour d'un sac de poivre ou d'un esclave se nomment
"palabra"; les droits de traite s'appellent " costume
", les dieux des Noirs se dénomment "feitiços",
le chef de village est indiqué avec le terme "cabechère"
ou " cabessère ". Le mot nègre vient de
"negro". Isert remarqua que "adieu, a hura"
viennent "sans doute du salut des Portugais, a Dio". (I.,
p. 15); il fit la même observation à propos du mot
"tabac", " usité dans toutes les langues des
Nègres, seulement l'accent varie, ils prononcent "taba".
(I., p. 209).
Nous pourrions multiplier ce genre d'exemples, mais cela risquerait
de peser fastidieusement et de dépasser le cadre de ces notes.
Nous nous limitons donc à relever l'importance de l'héritage
lexical laissé par les découvreurs, marchands, marins
et plus tard, colons européens, perceptible encore de nos
jours, dans les langues indigènes et dans la toponymie de
l'Afrique de l'Ouest.
V. LES EUROPEENS ET LES LANGUES
AFRICAINES
Dès le XVIème siècle, les
missionnaires européens se dédièrent à
l'élaboration de grammaires et de dictionnaires pour la didactique
des langues africaines. Outre le manuscrit du lexique français-guinéen
déjà cité, nous avons connaissance, au siècle
suivant, du traité sur la doctrine chrétienne, écrit
par le P. Jorge, édité à Lisbonne en 1624,
avec la traduction en dialecte congolais26.
En 1650, le capucin italien Giacinto Busciotto de Vetrella, écrivit
un vocabulaire congolais- portugais-latin et, neuf années
plus tard, il édita à Rome une grammaire de la même
langue27. En 1651, un missionnaire
flamand, le P. George de Gheele, élabora un important dictionnaire
en "kikongo", dont le manuscrit fut la source de celui
publié en 1928, à Louvain, par les PP. Van Wing et
Penders28. La première
description française d'une langue bantoue se trouve insérée
dans le traité du P. Proyart, intitulé Histoire
de Loango, publié à Paris en 1776.
Au XVIIème siècle, les récits des voyageurs
européens comportent de nombreux exemples de vocabulaires
bilingues, de langues occidentales et africaines.
Lorsque le R. Père Labat dans la préface du Voyage
du Chevalier des Marchais en Guinée, isles voisines et Cayenne,
nous fait partager son admiration pour le protagoniste de ce périple,
il dit de lui qu'il était "grand homme de mer, qui dans
les voyages qu'il a faits en Afrique, en Amérique et dans
bien d'autres lieux, s'est acquis de vastes connoissances de tous
les Pais... homme curieux, habile, entendu, bon dessinateur, bon
géomètre, bon pilote, excellent capitaine. La connoissance
et la facilité de parler la plus grande partie des langues
différentes, qui sont en grand nombre dans ces différents
Etats, lui a fait faire des découvertes, auxquelles ceux
qui ont toujours besoin d'un interprète, ne peuvent jamais
arriver, car on ne sauroit s'imaginer combien il est utile et même
nécessaire de savoir la langue de ceux avec qui on traite,
combien elle donne de facilité pour le commerce, combien
elle découvre de choses, combien elle abrège les affaires".
(M., Préface, f. II-IV).
Au XVIIe siècle, les connaissances linguistiques du Chevalier
des Marchais étaient une exception. En général,
les voyageurs européens rarement s'intéressèrent
aux langues africaines car elles représentaient un obstacle
réellement infranchissable. Lorsqu'ils le firent, leurs observations
semblent avoir été inspirés par la même
curiosité qui les incitait à décrire les paysages,
les animaux, les plantes, les moeurs des peuples africains. Les
comparaisons avec les langues européennes étant pour
eux impossibles - ils étaient des voyageurs et non des linguistes
- ils essayèrent de consigner dans leur journal des réflexions
inspirées par les divergences ou affinités existantes
entre différents parlers indigènes en usage dans des
territoires généralement assez proches. Ainsi, par
exemple, à propos de la langue parlée à Ningo,
près du fort danois de Fridensbourg sur la Côte d'Or,
Isert observe:
La langue des Ningous a déjà
quelque différence de celle des Ackréens. Ils se
nomment Adampes et leur langue l'adampique: cette langue adampique
est un mélange de celle des Assianthéens, Krépéens
et Ackréens.
(I., p. 23)
"Les Nègres de la rivière",
c'est-à-dire les indigènes qui habitaient sur les
îles du fleuve Volta et sur ses rives, parlaient la même
langue que les Krépéens.
(I., p. 27)
Parmi les observations de Isert, nous en avons retenu deux qui se
réfèrent respectivement aux expressions idiomatiques
et à la langue des " Nègres de Montagne "
ou indigènes de l'intérieur du pays:
Les Nègres possèdent une philosophie
pratique, qui consiste dans un sens droit. Dans leur discours,
ils se servent de comparaisons très expressives. Pour dire
par exemple, cela me fait de la peine, j'en ai bien du chagrin,
ils vous diront cela me brûle dans l'estomac. Il y a dans
leur langage une grande variété de ces sortes d'expressions.
(I., p. 217)
Les moeurs des habitants d'Aquapim, ou des
Nègres de la Montagne, sont un peu différentes de
celles des Nègres de la côte. Leur langage est tout
à fait différent de celui des Ackréens, de
telle façon que lorsque l'un n'a pas appris la langue de
l'autre, ils ne s'entendent pas du tout. Elle a beaucoup d'affinité
avec celle des Assianthéens et ne diffère guère
que dans le dialecte.
(I., p. 259)
Les auteurs auxquels nous nous référons,
ont inséré dans leurs relations de voyage, un certain
nombre de mots indigènes qu'ils avaient sans doute l'habitude
d'entendre et qu'eux mêmes avaient vraisemblablement employés.
Ces termes, qui correspondent à des entités nouvelles,
ont du sembler bien plus bien plus précis qu'une éventuelle
traduction maladroite ou inexacte. Nous réunirons en appendice
l'ensemble de ces mots.
Le R.P. Labat, Isert et Labarthe ont jugé opportun d'inclure
dans leurs récits de voyages, des petits dictionnaires bilingues
ou plurilingues, qui réunissent des termes et des locutions
se rapportant aux langues africaines de la Côte des Esclaves
et de la Côte de Juda. Nous les reproduirons à la fin
de ce chapitre.
Nous avouons tout ignorer des langues africaines qui figurent dans
ces modestes lexiques. Nous nous bornerons à observer que
les langues répertoriées sont celles parlées
dans les territoires où la traite et les échanges
commerciaux étaient les plus actifs car c'était à
la Côte d'Or et à Juda qu'on achetait les meilleures
"pièces d'Inde".
Il est évident que la conception de ces
répertoires répondait à un but essentiellement
pratique. Le P. Labat présenta ainsi la "Grammaire abrégée":
"Entretien en langue françoise et celle des Nègres
de Juda, très utile à ceux qui font le commerce des
Noirs dans ce royaume et pour les Chirurgiens des Vaisseaux, pour
interroger les Noirs lorsqu'ils sont malades. Ce qui peut servir
pour composer un petit Dictionnaire". (M., IV, p. 281).
Labarthe fit précéder son lexique français-fantin
par l'observation suivante:
Les langues étant un moyen de communication,
on a pensé que le petit vocabulaire suivant pourrait être
de quelqu'utilité aux capitaines qui vont traiter à
Amokou.
(L., p. 89)
Seulement Isert, tout en ayant réuni des
mots puisés dans le lexique quotidien le plus élémentaire,
montra une curiosité plus grande à l'égard
des langues africaines qu'il eut la possibilité de considérer:
Les langues des Nègres sont entièrement
différentes de toute langue européenne, soit dans
l'idiome, soit dans l'expression. Elles sont en grand nombre,
je suis persuadé qu'il y en a plus de trente très
distinctes, sans compter les variétés innombrables
qu'il y a dans chacune. Toutes ont ceci de commun avec toutes
les langues des Nations sauvages, qui ne se forment et ne s'apprennent
que par une tradition orale, c'est qu'elles sont très pauvres
en expressions, et que les mots se terminent communément
par une voyelle. Je m'en vais, par exemple, donner quelques mots
des plus en usage, dans les trois langues des Nations parmi lesquelles
nous conversons; le pays dans lequel on les parle ne s'étend
pas à plus de vingt mille à la ronde et cependant,
il y a autant de différences entr'elles, qu'entre l'Allemand
et le Français et le Nègre qui ne les entend pas
toutes les trois, sont obligés de se servir d'un interprète.
(I., p. 180-181)
La finalité de ces notes consiste à
présenter dans leur contexte historique et géographique,
les trois petits lexiques que nous allons reproduire intégralement.
Nous espérons que les spécialistes des langues de
l'Afrique de l'Ouest y trouveront matière pour entreprendre
de plus fructueuses recherches et réflexions sur cet aspect
peu connu des relations linguistiques entre l'Europe et l'Afrique
au XVIIIe siècle.
VI. APPENDICE29
1. 1731 R.PERE LABAT
GRAMMAIRE ABREGEE ou Entretien en Langue
Française et celle des Nègres de Juda, très
utile à ceux qui font le commerce des Noirs dans ce royaume
et pour les Chirurgiens des Vaisseaux, pour interroger les Noirs
lorsqu'ils sont malades. Ce qui peut servir pour composer un petit
Dictionnaire
Bonjour mon ami |
Afou mihottou |
Travaille pour avoir des Noirs, tu seras content de moi |
Ouazou anomolè dèmé |
Je veux partir bientôt, dépêche |
Diguè nay elagou |
J'ay de belles marchandises |
Acbandasiè |
Mais je ne veux que de bons nègres |
Diguè nadoco cossou |
Je voudrais bien parler au roy |
Diguèmeraquebo |
Ce nègre est trop cher |
Memiton vè |
Combien en veux-tu? |
Nemo aquiro? |
C'est trop |
Abiasou sou |
Je ne te demanderai que des salempouris |
Nana a la jou |
Deux barils de poudre |
Soutou Baoüé |
Quinze fusils |
Sou affoton |
Trente barres de fer |
Pratique Ban |
Huit pièces de chitte |
Crequon qui a ton |
Huit pièces guinées |
Jer |
Quinze grosses de pipes |
O foti grosses foton |
Douze pièces japsel |
Auo ouya ouè |
Douze pièces nicanez |
Què ouya ouè |
Douze pièces caffas |
Jer |
Dix-huit cabesches de bouges |
Aquouè Duba foton quanton |
Douze pièces de mouchoirs |
Dou cou üon ouya oué |
Trente pièces de platilles |
Lecoh ecban |
Ma foy, tu es trop cher |
Soguent avé aki |
Ce Nègre là est malade |
Meto eguiazou |
Fais-moi venir un hamac |
Diavonepo d'oeponam |
Je veux aller à ma tente |
Diguè najonou outa |
Les porteurs m'ont volé |
Bacetou yé fimi |
Les canotiers me volent |
Houcouton so fimi |
Apporte-moi de l'eau |
Sofi ou anam |
Je voudrois un boeuf |
Cuiguirom |
Fais-moi venir des cabris |
Hièbacbo anam |
Fais-moi venir des poules |
Bacoullou anam |
Combien cela? |
Nemo nai non ta oüè nou? |
Allons à la chasse |
Amiouè |
Prends mon fusil |
Ysoquiè |
Ferme la porte |
Sou ou |
Mets ce nègre dehors |
Nia méné d'ouananga |
Ouvre la porte |
Ou-on |
Fais entrer |
Irè ou a |
Mets la table |
Tetave |
Apporte de l'eau-de-vie |
I jo vo an |
Du pain |
Coumant |
Un couteau |
Guivi |
Bois mon ali |
Nou a an ontoquié |
A ta santé |
Nou an doüè |
Fais diligence |
Elayvon |
Reviens vite |
Yaoua |
Cours après lui |
Di ourzon odé |
Quel est cet homme? |
Mênoua |
Quelle est cette femme? |
Nignone te ou |
Que demandes-tu? |
Cuou abio? |
Laisse-moi en repos |
Bonamanayi |
Je n'en ai pas |
Ematy |
Va t'en à ma tente |
Hi otan |
Ce nègre ne peut marcher |
Mé ma zizou |
Il a mal au pied |
Guaasou d'affo |
A l'oeil |
Nonguoumé |
Au bras |
Aouf |
Il a les pians |
Gui eboudou |
Il est vieux |
Connion ho |
Je n'en veux point |
Migbé |
Où est mon courtier? |
Meditan guè |
Va le quérir |
Ircoua |
Conduis mes Nègres à la tente |
Colemei oueta |
Qu'on ne les batte point |
Mané meré couy |
Je n'en ai point |
Matédon |
Viens ici |
Oua |
M'entends-tu? |
Ossé? |
Adieu, mon ami |
Doèbé minouuè Nay |
A demain |
Tedozan naycou |
Paye ces porteurs |
Souaco Bacto |
Donne-leur un coup d'eau-de-vie |
Na a neu nou |
Viens diner avec moi |
Oua dou nou ant |
Je suis malade |
Et quiezou |
Prends garde à tout |
Penoukbi |
Manière de compter
Un |
Quatre centsDè |
Deux |
Aoüè |
Trois |
Otton |
Quatre |
Cnè |
Cinq |
Atton |
Six |
Troupo |
Sept |
Keoüè |
Huit |
Qui a ton |
Neuf |
Kenè |
Dix |
Ao |
Once |
Ouroepo |
Douce |
Oyaoè |
Treize |
Oyaton |
Quatorze |
Oyènè |
Quinze |
Fotou |
Seize |
Foton-croupo |
Dix-sept |
Foton-conoüè |
Dix-huit |
Foton-couton |
Dix-neuf |
Foton-koüenè |
Vingt |
Co |
Vingt et un |
Co kou nouepo |
Vingt-deux |
Co conoüè |
Vingt-trois |
Coquanton |
Vingt-quatre |
Co kouené |
Vingt-cinq |
Kouaton |
Vingt-six |
Kouaton connokpo |
Vingt-sept |
Kouaton conoüé |
Vingt-huit |
Kouaton contou |
Vingt-neuf |
Kouaton coüené |
Trente |
Keban |
Quarante |
Kaulé |
Cinquante |
Kanleaton |
Soixante |
Kanlaou |
Septante |
Kanlecba |
Quatre-vingt |
Kanoué |
Quatre vingt-dix |
Kanoué ou |
Cent |
Kanocco |
Deux cents |
Katon |
Ttrois cents |
Kenico |
Quatre cents |
Folé |
Cinq cents |
Folé kanouko |
Six cents |
Faové |
Sept cents |
Faové kanouko |
Huit cents |
Fené |
Neuf cents |
Fené kanouco |
Mille |
Fooüé |
Porte cela chez... |
Jeney méné koué |
Dis-lui qu'il vienne |
Guienini ona |
On m'a volé un Nègre |
Efime doepodo |
Un Nègre s'est sauvé |
Meroposi |
Adieu, je veux partir |
Doeboé oé nay |
Es-tu content? |
Adé daebo d'oquis? |
Pour les chirurgiens
Où as-tu mal mon ami? |
Funa guiazon doguis? |
As-tu mal à la tête? |
Aguiazon dota? |
A l'estomac? |
Guiazon dàcomé? |
Au ventre? |
Comé? |
Prends courage, cela ne fera rien |
Emoyi doutamé |
Prends cela |
Yiné |
Dors-tu bien? |
Damlo monon? |
As-tu mal à la gorge? |
Guiàçon déuéme? |
Mange cela |
Yinouidou |
Bois ceci |
Jifinou |
Qu'on ne fasse point de bruit là-bas |
Emaqué gueittou lé |
As-tu mangé? |
Noussou coné? |
En veux-tu encore? |
Soquiroquis? |
Veux-tu de l'eau de vie? |
A guiro a an? |
De l'huile de palme? |
A guiro amy? |
Des pois? |
Aziui? |
Du pain? |
Coman? |
Du bouillon? |
Lansiou? |
Ne te chagrine point |
Boquouiquoué sa |
Qu'on laisse en repos cet homme |
Boueméné nan |
Ayez soin de cet homme |
Fliméné |
Va quérir de l'eau |
HH'yi d'asioüé |
Va quérir du bois |
H'yi ba nagué oüé |
Donne-moi mon épée |
H'yi guigué |
La voilà |
H'enié |
Donne mon chapeau |
Sonito nam |
Donne mon habit |
Aoüebo |
Combien cette pagne? |
Nemo anas aouvonton? |
Où est mon garçon? |
Flevi pe quié nam? |
L'as-tu vu? |
A moncan? |
Ouy |
En moy |
Non |
Mamoy |
Range-toi |
Saij |
Sors d'ici |
Sonj |
Je n'en veux point |
Miebé |
Ouvre mon coffre |
Ou apotiqué |
Donne mes bas |
H'y i a fogodénam |
Apporte mes souliers |
Faua focpa ouanam |
Apporte ma canne |
H'y a poquie anam |
Ton or n'est pas bon |
Hiato emagnion |
Retirons-nous |
Mi oua mihy |
On nous écoute |
H'yno dato my |
Apporte (sic) le caffé |
H'yi caffé ou anam |
Le thé |
Thé |
Apporte des oeufs |
H'yi coclosi oué |
Une dinde |
H'y obo cogulou |
Un cochon de lait |
Henny |
Des bananes |
Auuetanto |
Des figues |
Malico quoué |
Des oranges |
Hyeuoisin |
Des citrons |
Hyovoisin clou |
Des patates |
Docquouy |
Gros mil |
Bado |
Du petit mil |
Licon |
De l'huile de palme |
Amy |
Donne-moi ce verre |
S'y i glace |
Une cuillère |
Aquiui |
Une fourchette |
Lanceu |
Du sel |
Gué |
Du poivre |
Elincon |
Apporte des huîtres |
H'y ia d'ayuoué |
Je veux manger |
Nadoü |
J'ai appétit |
Ouue kimi |
J'irai dîner chez toi |
Ma y doü nou coé tobé |
Ce Nègre est fol |
Et d'alé |
Il est estropié |
Eguiazou |
Il est trop petit |
Ed'eepéui |
Porte cette lettre |
So oueney |
Rapporte la réponse |
Nai nesso oüé naoüé naoua |
Que crains-tu? |
Enouassignis? |
Les Blancs ne mangent point les hommes |
Hiobo admadou mela |
Mange vite |
Dou elaquou |
Voilà de la pluie |
Guicongui |
Il tonne |
Sonogué |
Il fait chaud |
Logui |
Il vente fort |
Aué viuo tin sou sou |
Bonsoir |
Affon |
Je veux me coucher |
Nayi molahi |
J'ai mal à la tête |
Ta dou mi |
La gorge |
Euémé benam |
Les bras |
Aou ua |
Le corps |
Outou |
Les cuisses |
Affo |
Les pieds |
Affo |
Les mains |
Alo |
Le front |
Loucouta |
Les yeux |
Noucou |
Les sourcils |
Ou daman |
Le nez |
A onty |
La bouche |
Noüe |
Les oreilles |
Otto |
Les ongles |
Effin |
Aujourd'hui |
Ecbé |
Demain |
So |
Après demain |
On so mou |
Hier |
Ayé so |
Jour |
Ayi ou |
Nuit |
Zado |
Allons à la pêche |
Aoua mihou hoüé |
Apporte du bois |
H'y i bana qué oué |
Donne-moi ma gibecière |
E ounoü |
Range cela |
Sé non né do |
Ouvre ma cave |
Ouhon ahan couti |
Tire un flacon |
Dé ago douépo |
Apporte cette bouteille |
Idem |
Donne du sucre |
H'i i qué |
Donne des serviettes |
De serviette oüa |
Va quérir un mouchoir |
Hj i doeou d'opo |
Tu oublies tout |
A houpo |
Tu n'as pas de mémoire |
Ay mat ine naoüé |
Allons voir danser |
Oua nei pout oué |
Boeuf |
Eni |
Cheval |
So |
Mouton |
Kbo |
Cabri |
Kbo boé |
Cochon |
Han |
Canard |
Pakpa |
Oie |
Jden |
Poule |
Coquelou |
(M., IV, p. 281-293)
2. 1793: PAUL ERDMAN ISERT
Français |
Ackréen |
Assianthéen |
Krépéen |
La tête |
Jthu |
Otri |
Ota |
L'oeil |
Hinmé |
Nannua |
Onokou |
Le nez |
Gungho |
Ohnni |
Amonthi |
La bouche |
Onabu |
Vanu |
Onu |
L'oreille |
Toy |
Uvasso |
Otuh |
Les dents |
Hgennedy |
Uisse |
Adu |
Le bras |
Nindeh |
Osa |
Assi |
Le doigt |
Nindehbi |
... |
Allovi |
Le ventre |
Massu |
Vafnu |
Dommé |
La cuisse |
Nanne |
Onan |
Affoh |
Le pain |
Abullo |
Abodo |
Apnhac |
L'eau |
Nuh |
Inssuo |
Itchi |
Le poisson |
Loh |
Agunni |
Alla |
L'oeuf |
Uvanle |
Akokokkrissa |
Koklosi |
Le maïs |
Ablé |
Abro |
Blofoé |
Le millet |
Ma |
Kokoté |
Lili |
La maison |
Thiun |
Odanni |
Hommaé |
La cuiller |
Avalé |
Atré |
Gati |
La pipe |
Blé |
Tabacinni |
Tamasi |
Le couteau |
Kakla |
Zikang |
Hé |
Le feu |
La |
Egia |
Dio |
Le bois |
Lai |
Ingena |
Na ké |
L'Européen |
Blofunni |
Obrong |
Jevuddé |
Le Nègre |
Mudihin |
Onupatuntun |
Amaibo |
Le fer |
Dadethié |
... |
Ojah |
Le sabre |
Kranthe |
... |
Ehé |
Banane |
Amadah |
Abrodeh |
Ablodin |
Manioc |
Aquaduh |
... |
Karat |
Arme |
Tuh |
Otruo |
Otu |
Reviens |
Babiane |
Brampim |
Vakaba |
D'abord |
Nenéh |
Primpim |
... |
Combien coûte ceci? |
Onine inghé oheh? |
Vadde otong nesseng? |
Imokenenne ofletio? |
3. 1803: P. LABARTHE
Vocabulaire Fantin
Français |
Fantin |
Ananas |
Aboubia |
Argent |
Pataque |
Attends |
Ya-fon |
As-tu bien mangé? |
Amy |
Beaucoup |
Cocorocos |
Cabris |
Apanqui |
Canards |
Abroco |
Cinq |
Enou |
Citrons |
Abrama |
Coq |
Cotoco |
Couteau |
Secan |
Combien |
Edé |
Deux |
Ebien |
Diable |
Proté ayen |
Donne-moi de l'eau |
Guevi usou |
Donne-moi de l'eau-de-vie |
Ensam |
Donne-moi à manger |
Guigui |
Eau-de-vie ou rhum |
Sangara |
Ecu d'or (un) |
Météva |
Un écu d'or vaut huit tacous |
Tacou oqué |
Deux écus d'or |
Agraqui |
Trois écus d'or |
Météva abiasam |
Etre suprême |
Yancoupan |
Herbes |
Ofane |
Huit |
Oqué |
J'ai encore appétit |
Ocumadem |
Je suis malade |
Yaré yaré |
Ignames |
Gnam |
Il n'en a plus |
Saccaba |
Lard |
Biferan |
Lune |
Abousoum |
Mauvais |
Hoummo |
Mays |
Ebro |
Neuf (nombre) |
Aquioum |
Or |
Sicca |
Oeufs |
Ocucha |
Patates |
Santhoumé |
Peu |
Cacaraba |
Poisson |
Enam |
Poules |
Aqua |
Quatre |
Anna |
Que veux-tu? |
Guélébé |
Quelque chose de bon |
Oyépapa |
Six |
Essiam |
Sept |
Echou |
Soleil |
Aüa |
Tacou |
Tacou |
Un tacou vaut quatre neys |
Ney anna |
Un demi tacou |
Tacou fan |
Témoigner une surprise |
Obei |
Tête |
Apu |
Trois |
Abiatam |
Un |
Eco |
Vaisseau |
Ship |
Va t'en d'ici |
Go |
Viens ici |
Fama ou bien arouba |
(L., p. 89-91)
VII. LEXIQUE ISOLE
Substantifs
1. Vie sociale
- Conagongla: grand officier du royaume à Juda
(M., II, 163)
- Baas: maître (I., p. 232)
- Rossar: nom donné aux autorités indigènes
d'Urfu (Christianbourg), (I., p. 248)
- Yavogan: vice-roi de Juda (L., p. 99)
- Caldé: lieu de conversation ou " case à
palabre " (M., I, p. 108)
- Attropoé: litt. six bouges (ou caories). Jeu de hasard
(Juda), (M., II, 173)
- Cassares: noces, mariage (I, p. 24)
2. Aliments et boissons
- Pito: bière des indigènes Quaqua (M., I, p.
186 et p. 187)
- Flotta ou Cassa: boisson fortifiante à base de maïs
(I., p. 123)
- Mammouc: farine de maïs rôtie (I, p. 30)
- Kankis ou Dabbe-dabbe ou Koummi: pain africain (I, p. 141
et p. 183)
- Giga: blé concassé (I, p. 183)
- Flau-flau: poisson séché, frit et pimenté
(I, p. 186)
- Kot-inkim: crabe farci (I, p. 186)
- Inkim: ragoût de chèvre ou de mouton (I, p.
186)
- Foi-foé: pâte de banane cuite et pilée
(foutou-banane), (I, p. 262)
- Arum: Chou-chine (I, p. 263)
- Bakko: variété de banane (I, p. 263)
- Cissé: fruit au goût " exquis " (L,
p. 158)
3. Végétaux
- Mapou: arbre dont le bois sert à faire les pirogues
(L, p. 159)
- Faftonier: espèce de mapou (L, p. 159)
- Quelélé: bois dont les indigènes du
Sénégal se servent en guise de cure-dent (M, I,
p.80)
4. Animaux
- Ouegelo: pangolin (M, I, p. 179)
- Haot: vautour (L, p. 158)
- Cazou: manicou (L, p. 157)
- Sinkesn: poisson comestible (I, p. 184)
- Kender: sorte de hareng (I, p. 203)
- Guebueu: bécasse de mer (M, I, p. 75)
5. Vêtements
- Téklé: étoffe cache-sexe (I, p. 162)
- Mammale: pagne (I, p. 163)
6. Ornements
- Agrien: collier de corail (I, p. 165)
7. Maladies
- Gattoo: éruption cutanée purulente (I, p. 118)
8. Divinités - Cultes
- Marabou: grand prêtre (M, I, p. 110)
- Beta: prêtresse du dieu Serpent (M, II, p. 151)
- Daboué: dieu Serpent (L, p. 130)
- Agoye: dieu des Conseils (Juda), (M, II, p. 129)
- Eninfan: présage heureux (M, I, p. 310)
- Abincon: présage funeste (M, I, p. 310)
- Numbo Kus pantse: Seigneur du ciel et de la terre (I, p.
38)
- Krang: chien sauvage. Divinité des Ackréens
(I, p. 189)
9. Phénomènes naturels
- Jussan: reflux de la mer (L, p. 180)
- Travate: ouragan (I, p. 257)
10. Droit
- Pingaret: saisie de biens (I, p. 199)
11. Commerce
- Daché: présent (M, I, p. 310)
12. Locutions
- Faire gribou: chavirer (L, p. 106)
- Ago: retirez-vous (M, II, p. 78)
- Nigo bodiname: prends ! (M, II, p. 114)
- Me cusa: fais-moi bon (prière), (M, I, p. 302)
13. Objets divers
- Boss: marmite remplie de pièces indigènes;
trésor (I, p. 68)
- Aussi: couris (I, p. 112)
- Gong-gong: bassine de cuivre (I, p. 71)
10. Pour compter
"Comme aucun Nègre ne sait ce que c'est
que d'écrire et de chiffrer, on s'imaginerait qu'il n'y a
rien de plus facile à nos commis que de les tromper dans
le prix ou dans la marchandise; mais on s'abuserait fort. Les Nègres
ne comptent point comme nous par risdallers, mais par cabes,
qui est le iki des Nègres, ou deux risdallers. Quatre
cabes font un gua, deux gua un guenno,
un benda. Lors donc qu'un Nègre veut exprimer cinquante
risdallers, il dit benda ke guenno, ké gua ké
ihi, ou aussi, quoique plus rarement, vingt-neuf cabes,
ihi numa ingho ke néien. Ils ont bien leurs sous-divisions,
comme meno, une risdaller, mais ce serait contre l'usage
de la langue de dire meno ingho pour exprimer deux risdallers.
Un dame est un sol ou schilling; pha est six deniers
et tabò un quart de sol, qui vaut vingt pièces
de leur monnaie, appelé boss ou "tête de
serpent", qui est une sorte de coquille des îles Maldives"
(I, p. 111-112).
|
Notes
1Nous nous référons
à ces ouvrages en utilisant les sigles suivants:
A: |
Voyage aux Côtes de Guinée |
M: |
Voyage du Chevalier des Marchais |
I: |
Voyages en Guinée |
L: |
Voyage à la Côte de Guinée |
2 L'expédition
de Béthencourt avait pu être réalisée
grâce à l'appui reçu par le roi Henri III de
Castille. Pour préparer son voyage, le navigateur normand
avait certainement pu disposer des documents appartenant au roi
d'Espagne.
Voir P.E. Taviani, Cristoforo Colombo, Novara, Istituto Geografico
de Agostini, 1982, p. 283.
3 P.M. D'Avezac, "L'Expédition
génoise des frères Vivaldi", in Nouvelles
annales des voyages, vol. III, Paris, 1859.
4F. Petrarca, De Vita solitaria,
Libro II, Sez. VII, cap. III; De Rebus familiaribus, Libro
III, Lettera I.
5G. Pistarino, "Discussioni su
Lanzarotto Malocello", Bolletino Linguistico XIII, 1961.
6 Voir P.E. Taviani, cit., ch. XII et
ch. XIII.
M. Pastore Stocchi, "Il de Canaria boccaccesco",
Rinascimento, X, 1959.
G. Padoan, "Petrarca, Boccaccio e la scoperta delle Canarie",
Italia medioevale e umanistica, VII, 1964.
7P. Bontier, J. Le
Verrier, Histoire de la première descouverte et conqueste
des Canaries faite dès l'an 1402 par messire Jean de Béthencourt,
Paris, 1630.
C. de la Roncière, Histoire de la découverte de
la terre, éd. italienne, Torino, S.A.I.E., 1958, p. 110.
8 G. Po, "La Collaborazione italo-portoghese
alle grandi scoperte geografiche e alla cartografia nautica",
Relazioni storiche per l'Italia e il Portogallo, Roma, 1940.
9Henri le Navigateur avait chargé
son frère, l'infante Dom Pedro, qui s'apprêtait à
accomplir un long séjour à l'étranger, de lui
rapporter d'Italie des cartes, des portulans et des relations de
voyages afin d'amplifier les informations des navigateurs portugais.
Parmi les documents réunis par Dom Pedro, outre une copie
de Il Milione de Marco Polo et une carte géographique,
avec la représentation du Cathai et de Chipango, données
par le doge vénitien Francesco Foscari,, il y avait une carte
sur laquelle figurait les archipels de Madère et des Açores,
avec les noms, en italien, de toutes les îles qui composaient
ces territoires. Voir F.J. Freire, Vida do Infante D. Enrique,
Lisboa, 1758.
Une carte catalane de 1439 indique que les Açores auraient
été découvertes en 1427 par Diego de Séville,
navigateur espagnol au service du Portugal. Voir J. Saintoyant,
La Colonisation européenne du XVe au XIXe siècles,
Paris, M. Daubin, 1947, p. 37.
10Pour cette raison, les îles
reçurent pendant longtemps le nom de "Ilhas Flamengas".
Voir C. de la Roncière, cit, p.111.
11 Santarem (Visconde de), Recherches
sur la priorité de la découverte des pays situés
sur la côte d'Afrique au delà de Cap Bojador, Paris,
Dondey Dupré, 1842.
M.G. Canale, Indicazioni di opere e documenti sopra i viaggi,
le navigazioni e le scoperte degli italiani nel Medio Evo, Lucca,
1861.
12Voir Giornale di brodo del primo
viaggio: 28 octobre, 12 novembre, 27 novembre, 21 décembre
1492 et 9 janvier 1493.
13 "Voyage à la côte
occidentale de l'Afrique", extrait de la Revue Hispanique,
Paris, 1897.
14G. Hanotaux, A, Martineau, Histoire
des colonies françaises, Paris, Société
de l'Histoire Naturelle et Plon, 1931-1940, t. IV, p. 5.
15G. Ramusio, Terzo volume delle
navigazioni e viaggi, Venezia, gli eredi di L.A. Giunti, 1556.
16Chr. Schefer, Le Discours de la
navigation de Jean et Raoul Parmentier de Dieppe..., publié
par M. Chr. Schefer, Paris, E. Leroux, 1883.
17Gaston-Martin, L'Ere des négriers,
Paris, F. Alcan, 1931, p. 74. Voir aussi L., p. 38-200.
18Voir le "Mémoire du Général
du Commerce de Nantes adressé à Choiseul", 1762,
AD. L-I (Ch. comm), C 881, f. 202-208, cité par Gaston-Martin,
cit. p. 75.
19Maurice Delafosse,
Vocabulaires comparatifs de plus de soixante
langues ou dialectes parlés à la Côte d'Ivoire
et dans les régions limitrophes, Paris, 1904.
Esquisse générale des langues de l'Afrique,
Paris, 1914.
20Les PP. Lagae et
Van den Plas, La langue des Azandé, Gand,
1922, p. 42, cité par L. Homburger, Les langues négro-africaines,
Paris , Payot, 1941, p.61.
21L. Homburger, Les langues négro-africaines,
Paris, Payot, 1941, p. 61, cit. p. 271-281.
22F. Eboué, "La clef musicale
des langages tambouriné et sifflé", Bulletin
du Comité d'Etudes historiques et scientifiques de l'Afrique
occidentale française, XVIII, 1935, p. 353.
23Gaston-Martin, Histoire de l'esclavage
dans les colonies françaises, Paris, P.U.F., 1948, p.
58.
24W. Snelgrave, b, 1734, cité
par I. et J.L. Vissière, La Traite des Noirs au siècle
des Lumières, Paris, A.M. Métaillié, 1982,
p. 49
25Paris, B.N. Mss. F. R. 24269, ff.
51-55.
26Le P. Jorge, Tratado de doutrina
cristâ, Lisbonne, 1624.
27P. Giacinto Busciotto de Vetralla,
Regulae quaedam pro difficillimi congensium idiomatis captu ad
Grammaticae normam redactae, Rome, 1659. Voir Homburger, cit.
p. 285.
28Le P. George de Gheele, Vocabulaire
congolais, 1651.
29Les trois textes que nous reproduisons
ainsi que les termes réunis sous le titre de "Lexique
isolé", nous permettent de formuler les remarques suivantes:
Bon nombre de mots étrangers aux langues africaines ont été
emprunté par celles-ci, soit par calque direct, soit par
le jeu de l'analogie sémantique. Parfois, le phénomène
s'est produit en introduisant des altérations phonétiques.
Voici des exemples se rapportant au français, à l'anglais
et au portugais:
Apporté (sic) le caffé
|
H'yi caffé ou anam |
(M, p. 389) |
Le thé |
Thé |
(M, p. 389) |
Donne des serviettes |
De serviettes oüa |
(M, p. 391) |
Quinze grosses pipes |
O foti grosses foton |
(M, p. 283) |
Vaisseau |
Ship |
(L, p. 91) |
Va-t'en d'ici |
Go |
(L, p. 91) |
Donne-moi ce verre |
S'y glace |
(M, p. 389) |
Une cuillère |
Aquiui |
(M, p. 389) |
Ouvre mon coffre |
Ou apotiqué (ouvre + apothicaire) |
(M, p. 389) |
Hier |
Ayé so (ayer) |
(M, p. 391) |
Tabac |
Tabacinni |
(L, p. 181) |
Il n'y en a plus |
Saccaba (se acabò) |
(L, p. 90) |
Patate |
Santhoumé (Sao Tomé) |
(L, p. 90) |
Noces |
Cassares (casarse) |
(I, p. 241) |
Retirez-vous |
Ago (go) |
(M,II, p. 78) |
Pardonne-moi |
Me cusa (me excusa) |
(M,I, p. 302) |
|