Nous limiterons notre exposé à la situation linguistique
du Brésil, suffisamment riche, nous l'espérons, pour
refléter - ne serait-ce que partiellement - certaines des
situations vécues par nos collègues dans leur pays.
Nous ne nous aventurerons pas non plus à reprendre le débat
- déjà très ancien mais toujours d'actualité
- qui oppose ceux pour qui il y a une seule didactique des langues
à ceux pour qui il y en a plusieurs .
Plus modestement, nous présenterons d'abord, de façon
sommaire, la situation de la langue portugaise dans le monde et
la situation linguistique du Brésil. Puis, tout en prônant
l'idée qu'il est nécessaire et urgent de définir
une Politique Linguistique explicite et cohérente pour notre
pays et qu'il faut mettre parallèlement en place une (réflexion)
didactique à son service, nous nous efforcerons d'esquisser
les grandes lignes de ce qui pourrait constituer une politique linguistique
pour le Brésil et nous ferons quelques propositions didactiques
susceptibles de faciliter sa mise en oeuvre.
Nous espérons ainsi alimenter un débat qui ne peut
plus être reporté, à moins de nous résigner
à n'être que spectateurs face aux transformations linguistico-politiques
et technologiques en cours: mondialisation des médias (favorisant
à l'extrême un mode d'expression dominant); construction
du MERCOSUL (nous amenant, enfin, à tirer des conséquences
institutionnelles du fait que nous sommes entourés de pays
hispanophones); disparition de nos minorités linguistiques;
institutionalisation de la communauté "lusophone"
sur la scène internationale, etc.
1. LA SITUATION DE LA LANGUE
PORTUGAISE DANS LE MONDE
Le portugais est une langue parlée par environ
deux cent millions de personnes, ce qui en fait le 5ème
idiome le plus parlé dans notre planète. C'est l'une
des langues officielles de l'ONU, de l'OEA et d'un certain nombre
d'autres organismes internationaux. C'est surtout la langue institutionnelle
de sept pays (Portugal, Brésil, Angola, Mozambique, Guiné-Bissau,
Cap-Vert et São Tomé et Príncipe) et, aussi,
la langue du Timor Oriental (annexée par l'Indonésie)
et de Macao (qui sera intégré à la Chine en
1999).
Au Brésil et au Portugal, c'est la langue
maternelle (LM) de pratiquement l'ensemble de la population. En
Angola et au Mozambique, où des dizaines de langues et de
dialectes fonctionnent comme LM des ethnies respectives, le portugais
est langue seconde (LS) et véhiculaire1.
pour la plupart de la population. Au Cap Vert et à São
Tomé et Príncipe, les créoles sont la LM de
la majorité de la population; en Guinée-Bissau, outre
l'existence d'un créole qui a le statut de langue véhiculaire
du pays, on compte dix-sept langues africaines qui fonctionnent
comme LM dans le pays. Dans ces pays, le portugais est parlé
par une partie significative de la population. En Afrique du Sud,
un Blanc sur sept (un sur trois au Transvaal) parle portugais. Bien
qu'en régression, il est toujours parlé à Macao
et à Timor Est. A Goa, Diu, Damão, au Sri Lanka, à
Bombay, sur la côte de Malabar, à Singapour, à
Malacca et à Java on trouve encore des créoles à
lexicalisation portugaise. Aux EUA, en Allemagne, au Luxembourg
et en France il y a d'importantes communautés lusophones
(Paris est la 2ème ville portugaise, après
Lisbonne).
Le portugais est aussi, tout comme l'anglais, le français,
l'allemand...une langue bien 'équipée' pour véhiculer
les cultures et les sciences en circulation dans notre planète.
Malgré sa présence effective dans quatre des cinq
continents, le portugais reste une langue trop peu enseignée
et trop peu parlée en dehors des sept pays dont elle est
la langue officielle.
2. LA SITUATION DES LANGUES
AU BRESIL
Nous présenterons d'abord, de façon
succinte, la situation des LM au Brésil puis celle des LE.
2.1. LA SITUATION DES LM
Au Brésil, nous l'avons déjà
dit, le portugais est la seule langue institutionnelle2
et véhiculaire. Elle est aussi la langue grégaire3
de la plus grande partie de la population. C'est elle que l'on enseigne
comme LM dans pratiquement tous les établissements scolaires.
Mais, contrairement à ce que certains livres et médias
véhiculent, le Brésil n'est pas seulement un pays
multiracial et multiculturel: il est aussi plurilingue . En plus
des populations indigènes qui parlent encore la langue de
leurs ascendants, nous avons de nombreuses communautés d'origine
les plus diverses et installées dans différents endroits
du territoire national, qui utilisent une langue autre que le portugais
en famille ou au sein de leur groupe. Ainsi, par exemple, dans la
municipalité de Tomé-Açu (PA) - région
où plus de 2/3 de la population est d'origine japonaise -
le portugais joue (seul, bien entendu) le rôle de langue institutionnelle
et véhiculaire, mais partage avec le japonais la fonction
grégaire. Situation analogue pour l'allemand, l'italien,
l'ukrainien, le polonais... dans d'autres municipalités (du
sud du pays notamment). Dans les grandes villes cosmopolites, comme
São Paulo par exemple, la situation est encore bien plus
riche car nous y trouvons des communautés (plus ou moins
importantes) originaires d'un grand nombre de pays qui utilisent
- pour la plupart - leur langue d'origine dans certaines situations
de communication. L'usage de quelques-unes de ces langues est amené
à disparaître de notre territoire si l'Etat ne manifeste
pas une volonté claire - par tout un travail de planification
linguistique - de les préserver en favorisant leur enseignement/apprentissage
dans les régions où elles sont encore parlées.
2.2. LA SITUATION DES LE
Si le Brésil est un pays multiracial, multiculturel
et plurilingue, les Brésiliens, eux, sont très majoritairement
monoculturels et monolingues. Dans la pratique, on n'accorde pas
beaucoup d'importance à l'enseignement/apprentissage des
langues et des cultures. Le plurilinguisme apparaît aux yeux
de tous comme un mirage, une utopie.
En ce qui concerne l'enseignement/apprentissage institutionnel des
LE, le monopole va à l'anglais, qui prédomine
de façon écrasante. L'enseignement/apprentissage du
français se maintient, grâce surtout au militantisme
de ses enseignants, à l'image globalement positive de la
France au Brésil et à l'appui du gouvernement français.
Il y a, certes, perte d'effectifs dans quelques états (Acre,
Maranhão, Pernambuco...), stabilité dans d'autres
(Pará, Santa Catarina, São Paulo...) et progrès
à Rio de Janeiro, Bahia, Amapá... L'espagnol,
lui, est appelé à avoir dans les années qui
suivent un développement plus important parmi les langues
présentes dans les systèmes éducatifs brésiliens,
car il est en passe de devenir obligatoire dans tout le pays. La
raison principale, on pourrait s'en douter, est d'ordre économique:
Le MERCOSUL. C'est grâce donc à ce marché commun
qui unit le Brésil, l'Argentine, l'Uruguay, le Paraguay,
le Chili et bientôt la Bolivie que nous commençons,
enfin, à tirer des conséquences du fait que tous nos
voisins - excepté les trois Guyanes - sont hispanophones.
Les autres langues - l'allemand, l'italien, le japonais,
le russe... - sont pratiquement ignorées de nos systèmes
scolaires.
3. POLITIQUE LINGUISTIQUE ET
PLANIFICATION LINGUISTIQUE
Avant de pousser un peu plus loin notre réflexion,
il convient peut-être de s'arrêter un moment sur ce
que recouvre l'expression Politique linguistique et son 'double',
Planification (ou aménagement) linguistique.
Comme l'a récemment rappelé CALVET (1996:11) "l'intervention
humaine sur la langue ou sur les situations linguistiques n'est
pas chose nouvelle. Mais la Politique Linguistique, détermination
des grands choix en matière des rapports entre les langues
et la société, et sa mise en pratique, la Planification
Linguistique, sont des concepts récents".
La présence du terme politique dans l'expression Politique
Linguistique nous rappelle que, dans ce domaine, "il y
a, certes, des décisions centrées sur des problèmes
linguistiques: aménagement de la langue nationale,
statut des langues et des parlers dans le cadre national, enseignement
des langues (...) Mais, surtout, qu'il y a un nombre beaucoup plus
important d'activités dont certains aspects seulement sont
linguistiques (...)" (ELOY, 1994:102). Par exemple: la normalisation
terminologique, la négociation, la circulation de documents
techniques, les besoins linguistiques des clients, le suivi après
vente ... lors de la vente de voitures à l'étranger.
La Politique Linguistique, on le voit, est un ensemble complexe
de réalités de tous ordres, de gestion de ces réalités
et d'action. Elle peut être implicite, voire obscure et nécessite
une approche large, aussi bien sur le plan empirique que sur le
plan théorique. La Planification linguistique en est
un sous-ensemble explicite. "C'est une action censée,
consciente, et à ce titre, elle demande aux linguistes des
outils, des théories ad hoc, une démarche de science
appliquée" (id:102-103).
Lorsqu'on élabore une politique linguistique, on vise donc
à intervenir sur une langue ou sur les langues utilisées
dans un certain pays ou région. Il peut s'agir soit de fixer
l'écriture d'une langue donnée et/ou d'en élargir
le lexique, soit de promouvoir telle langue au détriment
des autres ou, au contraire, de lui retirer son statut de langue
dominante, ou encore de faire respecter un équilibre entre
les langues en présence.
3.1. UNE POLITIQUE LINGUISTIQUE
POUR LE BRESIL
En ce qui concerne le Brésil, nos propositions
d'intervention pécheront peut-être, aux yeux de certains
collègues, par leur généralité. Nous
pensons cependant que, pour dépasser le stade des 'grandes
lignes directives' auxquelles nous nous sommes limités, il
faudra un travail d'équipe avec les moyens nécessaires
pour étudier préalablement, et dans le détail,
les différentes situations linguistiques du pays. Cependant,
comme de toute façon l'on ne pourra pas faire l'économie
d'un grand débat sur ce sujet au Brésil, il ne semble
pas de le lancer. Nos propositions, ne visent pas tant à
constituer les bases d'une politique linguistique au Brésil,
que de servir de support à une discussion qui pourrait aboutir
par la suite à la formulation de propositions concrètes
au gouvernement. Celui-ci d'ailleurs vient de faire approuver par
le Congrès une loi (Loi N°9394 du 20/12/96) qui définit
les directives et les bases de l'Education Nationale et dévoile
certains principes de la Politique Linguistique qu'il a l'intention
de mettre en application. C'est pourquoi, avant de présenter
nos propositions, nous allons analyser rapidement ce qu'apporte
cette loi dans les domaines qui nous préoccupent en ce moment.
3.2. LA LOI N° 9394 /96
D'abord, en ce qui concerne la langue portugaise.
Son étude reste obligatoire pendant tout le cursus primaire
et secondaire (Art.26 §1), comme reste obligatoire aussi l'enseignement
en langue portugaise (Art.36 §3) ce qui pose, nous le
verrons ci-dessous, un problème légal pour l'adoption
de certaines démarches didactiques visant à développer
le plurilinguisme dans le milieu scolaire.
Pour ce qui est des langues étrangères, même
s'il y a eu des progrès:
- enseignement d'au moins une LE moderne à partir de
la '5a. série', 6ème en France (Art.26
§5);
- choix de la LE à être enseignée fait non
pas par les secrétariats d'état ou des municipalités
à l'Education, ni par le directeur de chaque établissement,
mais par la 'communauté scolaire';
- inclusion d'une LE moderne comme discipline obligatoire et
d'une 2ème LE moderne optionnelle au lycée;
nous pouvons néanmoins regretter:
- que, dans le collège, on conditionne le choix de la
communauté scolaire "aux possibilités de
l'institution";
- que l'on n'ait pas osé introduire obligatoirement le
choix d'une LE moderne dès l'enseignement primaire;
- et que l'on n'ait pas osé non plus généraliser
pour tout l'enseignement secondaire l'obligation de deux LE
moderne.
Reste à voir si et comment
ces décisions seront appliquées et ce que nous pouvons
faire, d'une part, pour qu'elles soient effectives et efficaces
sur le terrain et d'autre part, pour qu'elles soient élargies
en vue d'un plurilinguisme vraiment généralisé
dans notre pays.
Mais c'est au niveau de l'éducation scolaire bilingue
et interculturelle des populations indigènes que cette
loi constitue un progrès important. En effet, le système
fédéral d'enseignement doit désormais s'engager
(avec des organismes fédéraux de financement de la
culture et de l'assistance aux Indiens) dans des programmes intégrés
d'enseignement et de recherche ayant pour but de:
- rendre accessible aux Indiens la récupération
de leurs mémoires historiques, l'affirmation de leurs
identités ethniques, la valorisation de leurs langues
et sciences;
- leur garantir l'accès à l'information, aux connaissances
techniques et scientifiques de la société nationale
et des autres sociétés (indigènes ou pas)
(Art.78).
L'Etat brésilien s'engage aussi à
appuyer techniquement et financièrement les systèmes
d'enseignement chargés de l'éducation interculturelle
des communautés indigènes et insérés
dans des plans nationaux d'éducation. Ils auront pour but
de:
- renforcer les pratiques socio-culturelles ainsi que la LM
de chaque communauté indigène;
- financer des programmes de formation de personnel qualifié
destiné à l'éducation scolaire dans les
communautés indigènes;
- développer des cursus et des programmes spécifiques
en y incluant les contenus culturels concernant les communautés
respectives.
3.3. GRANDES LIGNES D'UNE POLITIQUE LINGUISTIQUE
AU BRESIL
Nous avons organisé nos propositions en
deux parties. La 1ère concerne la place et le
rôle de la langue portugaise dans le monde. La 2ème
- la place et le rôle des LM, LS et LE au Brésil -
sera plus développée parce qu'elle est plus directement
liée au sujet de cet article.
3.3.1. Place et rôle de
la langue portugaise dans le monde
Il nous paraît avant tout nécessaire,
inspiré par la Francophonie, d'oeuvrer pour construire -
avec tous les pays et régions où le portugais est
une langue officielle, véhiculaire et/ou grégaire
- un espace politique de coopération et de solidarité
fondé sur le partage d'une langue commune dans le respect
des cultures qui le constituent. Bref, de construire une Lusophonie.
Dans cette perspective, nous pensons qu'il est urgent:
- de renforcer, par tous les moyens possibles, les liens (politiques,
économiques, culturels...) qui unissent les communautés
lusophones;
- de promouvoir l'enseignement et la diffusion de la langue
portugaise et des cultures d'expression lusophone dans les établissements
scolaires, les universités et les média étrangers;
- d'exploiter davantage les possibilités offertes par
la bonne implantation des Centres d'Etudes Brésiliennes
en Amérique Latine et en Afrique et des Instituts Camões,
bien implantés en Europe et en Asie, en essayant de faire
en sorte que ces deux organismes travaillent en synergie et
acceptent d'accorder une place importante au plus grand nombre
possible de cultures lusophones;
- de rendre public et transparent le processus de sélection
des directeurs et enseignants des plus de 20 Centres d'Etudes
Brésiliennes installés dans le monde;
- d'en implanter d'autres;
- de valoriser le portugais, par des mesures concrètes4
, comme moyen d'accès aux différentes cultures
et sciences. Cette dernière proposition peut se concrétiser
par quelques mesures relativement faciles à prendre,
même si elles vont peut-être à contre-courant
de ce qui se fait dans nos universités et instituts de
recherche. Par exemple: inciter les chercheurs lusophones, tous
domaines confondus, à publier en portugais, quitte à
traduire leurs textes dans une autre langue internationale (anglais,
français, espagnol, allemand, etc.), si cela s'avère
indispensable pour être publié aussi à l'étranger;
favoriser la traduction et la publication en portugais de textes
déjà publiés dans une langue étrangère,
afin de faire en sorte que notre langue reste une langue "équipée"
pour la production et la transmission des savoirs dans tous
les domaines.
3.3.2. Place et rôle
des LM et LE au Brésil
En ce qui concerne la LM, il n'est pas question,
bien entendu, de changer le statut du portugais comme la seule langue
officielle, la seule langue nationale et la seule langue obligatoire
dans tous les systèmes scolaires du pays. Mais nous pensons
qu'il est indispensable de promouvoir l'enseignement/apprentissage
des autres LM qui existent au Brésil en leur accordant une
place et un rôle effectif dans nos écoles. Nous y reviendrons.
En ce qui concerne les LE, nous défendons l'idée qu'il
est nécessaire de développer une politique plurilingue
dans les systèmes scolaires. Il faut, à court terme,
généraliser et rendre obligatoire l'enseignement/apprentissage
de qualité d'au moins deux LE qui devront être choisies
dans un éventail le plus large possible à tous les
niveaux (de l'école au lycée). Ce ne sont pas les
arguments qui manquent pour appuyer une telle proposition: enrichir
la culture générale des apprenants; leur faciliter
l'entrée dans le marché du travail; les aider à
avoir une image valorisante de notre langue et de notre culture
(exposées au 'miroir' de l'inévitable 'american way
of life', véhiculé par nos médias et par l'enseignement/apprentissage
de l'anglais; les reflets se multiplient et il devient plus facile,
par contraste, de relativiser les apports des langues/cultures dominantes).
Dans le même ordre d'idées, il faut à tout prix
éviter la tendance au monolinguisme, grandement favorisée
par la mondialisation des médias. En effet, quel que soit
le paramètre privilégié pour comparer les langues
en présence dans un pays ou dans une région donnée
(nombre de locuteurs ou d'apprenants, type de public, langue utilisée
par les scientifiques, par les médias ou par les organismes
internationaux), on trouvera pratiquement toujours l'anglais en
situation de quasi-monopole.
Une précision s'impose ici: ce n'est pas l'hégémonisme
de l'anglais que nous critiquons, mais l'hégémonisme
tout court, quelle que soit la langue. L'expression génocide
linguistique n'est pas trop forte pour exprimer ce qui est en
train de se passer dans le monde entier. Six langues (le chinois,
l'anglais, le russe, l'espagnol le portugais et le hindi) sont parlées
aujourd'hui par plus de la moitié de la population mondiale.
Selon le Courrier International (n° 276 du 15-21/2/96),
si on y ajoute une centaine d'autres langues, on aura alors regroupé
plus de 95% des locuteurs de la Terre. Or, notre planète
abrite aussi quelque six mille autres idiomes dont plus de la moitié
risquent de disparaître avec leurs derniers locuteurs au cours
du prochain siècle. Une politique linguistique conséquente
se doit - nous en sommes convaincus - de lutter pour la préservation
des langues, des cultures, des visions de monde qu'elles véhiculent
et de l'identité de ceux qui la parlent.
Les propositions que nous soumettons maintenant aux collègues
ont la prétention d'aller dans ce sens:
- renforcer les liens avec les pays voisins en généralisant
l'enseignement/apprentissage de leurs langues dans les états
frontaliers dès l'école primaire;
- promouvoir l'enseignement/apprentissage d'au moins une langue
néo-latine5 (espagnol, français
ou italien) à nos écoliers, sans toutefois imposer
telle ou telle langue;
- dans les municipalités ou régions où
il existe une communauté significative (% à déterminer)
ayant une autre langue que le portugais comme langue maternelle
ou véhiculaire, l'offrir obligatoirement dans le système
scolaire (ex: allemand à Blumenau, japonais à
Tomé-Açu, etc.);
- dans toutes les capitales et grandes villes du pays (nombre
d'habitants à déterminer), offrir aux élèves
un choix très diversifié de langues. Peut-être
même une dizaine ou plus. Les langues les moins demandées
(ex: l'italien dans le nord du pays, le japonais dans le sud,
l'arabe...) seraient enseignées dans un ou deux établissements
scolaires seulement. L'anglais, l'espagnol, le français,
etc., dans un nombre plus important d'établissements;
- apprendre aux élèves au moins deux LE tout au
long de leur scolarité obligatoire;
- accorder le même statut à toutes les langues
vivantes enseignées (ou susceptibles de l'être)
dans le pays. Qu'il y ait bien entendu obligation, pour les
élèves, d'apprendre au moins deux LE, mais qu'aucune
ne soit obligatoire (sauf peut-être l'espagnol en raison
des accords signés dans le cadre du MERCOSUL);
- organiser l'enseignement des langues dans les systèmes
scolaires de façon à ce que les élèves
aient dans leur cursus au moins une LE par an, à raison
d'au moins une centaine d'heures de cours chaque année,
de l'école au lycée. On pourrait prévoir:
-l'enseignement d'au moins une LE enseignée aux écoliers,
avec la possibilité de l'approfondir au collège;
- l'enseignement d'une autre LE au collège avec la possibilité
de l'approfondir au lycée; - soit l'approfondissement
de la LE enseignée au collège, soit l'enseignement
d'une troisième LE. Dans tous les cas, les élèves
auraient la possibilité de choisir entre plusieurs langues;
- prendre en compte les réticences des enfants et/ou
de leurs familles à l'égard de langues non dominantes
sur le marché international;
- prendre en compte aussi les conditions posées par l'institution
scolaire pour accueillir les langues: problèmes d'infrastructure,
de gestion (plus complexe avec la multiplication des cours de
langues), d'emploi du temps, de professeurs, d'achat et d'entretien
de matériels pour la classe de langues, etc.;
- sensibiliser la population (les apprenants, leurs parents...)
au plurilinguisme par des campagnes publicitaires mettant en
valeur l'importance de l'apprentissage de plusieurs langues
pour les élèves et pour le pays. Les associations
de professeurs de langues, les autorités éducatives,
les ambassades, les instituts de langues, etc. devraient être
invités à participer à ces opérations
de sensibilisation;
- faire face aux conditions posées par l'institution
scolaire pour accueillir les langues: problèmes d'infrastructure,
de gestion (plus complexe avec la multiplication des cours de
langues), d'emploi du temps, de professeurs, de l'achat et de
l'entretien de matériels pour la classe de langues, etc.;
- réduire les contraintes institutionnelles concernant
les horaires, les lieux, les programmes... Imaginer, par exemple,
des cours qui puissent être étalés sur toute
une année scolaire et/ou concentrés sur quelques
mois; favoriser des conventions entre les établissements
scolaires et des institutions d'enseignement des langues 'faisant
montre de sérieux' (Alliance Française, Brésil/EUA,
Institut Goethe, etc.);
- banaliser l'utilisation de la télévision par
satellite, de l'ordinateur, d'internet... dans les établissements
scolaires et dans les cours de langues;
- promouvoir la publication de matériel pédagogique
de qualité, surtout lorsqu'il s'agit de langues peu diffusées;
- stimuler l'organisation d'échanges éducatifs/linguistiques
surtout - mais pas exclusivement - avec nos partenaires latino-américains,
y compris ceux de la Guyane et de la Caraïbe;
- encourager le développement des échanges professionnels
et de stages à l'étranger (avec l'aide des organismes
brésiliens et étrangers concernés) pour
nos enseignants;
- s'interroger sur les formations offertes dans nos universités
aux futurs enseignants;
- inciter les institutions supérieures d'enseignement
et de recherche, ainsi que les Secrétariats d'état
et de la Municipalité à l'Education, à
travailler ensemble.
- multiplier les stages de formation et de recyclage afin d'améliorer
la qualité des cours de langues, d'aider nos enseignants
à faire acquérir des compétences terminales
à nos élèves, et de préparer ceux-ci
à faire face à la société multiculturelle
et plurilinguistique de demain.
4. PLANIFICATION LINGUISTIQUE ET DIDACTIQUE DES
LANGUES
La mise en application de telles directives implique
tout un travail de planification linguistique6
qui, pour être efficace, ne peut faire l'économie d'une
réflexion didactique. C'est ce qui va retenir notre attention
maintenant.
4.1. LA DIDACTIQUE DES LANGUES
D. COSTE (1989) définit la Didactique des
Langues comme "un ensemble de discours portant (directement
ou indirectement) sur l'enseignement des langues (pourquoi, quoi,
comment enseigner à qui en vue de quoi?) et produits, sur
des supports généralement spécifiques (par
ex. des revues s'adressant aux enseignants de langues), par des
producteurs eux-mêmes le plus souvent professionnellement
particularisés (enseignants, formateurs d'enseignants, chercheurs)".
Dans cet "ensemble de discours", nous nous appuierons
surtout - pour les propositions que nous ferons ci-dessous - sur
ceux qui s'inscrivent dans une approche pragmatique des langues
dont les axes les plus importants sont les suivants:
- priorité aux savoir-faire en matière de langues;
- utilisation du métalangage grammatical comme un moyen
susceptible de faciliter l'enrichissement des possibilités
de production et/ou de compréhension écrite et/ou
orale des élèves en LM comme en LE (pas comme
un but en soi);
- intégration (ou, au moins, rapprochement) de l'enseignement/apprentissage
de la LM et de la (des) LE;
- travail sur les représentations que l'on a des cultures
et des peuples dont on enseigne/apprend la langue.
4.2. PROPOSITIONS DIDACTIQUES
POUR LA MISE EN APPLICATION D'UNE POLITIQUE LINGUISTIQUE AU BRESIL
Lors de la mise en route de l'enseignement/apprentissage
des LE dans les systèmes scolaires, nous pensons qu'il est
important de veiller à ce que l'appropriation d'au moins
une de ces langues ne soit pas superficielle ni ne se limite aux
seules compétences réceptrices, mais qu'il y ait appréhension
rigoureuse de toutes les compétences et prise en compte de
tous ses aspects (culturels, communicationnel, métalinguistique
et métadiscursif...).
Dans les municipalités et régions à fort contingent
d'immigrants, cet enseignement/apprentissage plus approfondi pourrait
concerner les langues d'origine. En France, il y a eu une première
expérience dans ce domaine en 1973 pour le portugais à
l'école primaire. Le succès de l'expérience
a donné lieu à des accords bilatéraux signés
entre la France et les pays d'origine des immigrants.
La généralisation de l'enseignement précoce
d'au moins une langue autre que l'anglais7
nous paraît être une voie porteuse d'avenir. On peut
commencer par la langue d'origine des enfants descendants d'immigrés
(allemand, italien, japonais, etc.); ou alors par une langue de
proximité (l'espagnol ou même le français )
ou encore, dans les villes ou régions à flux touristique
important, par la(les) langue(s) parlée(s) par la majorité
de ces touristes (espagnol, allemand, français8).
Comme l'anglais est "de toute façon assuré d'une
forte motivation et d'un environnement porteur, [il] ne serait proposé
qu'à partir de l'entrée dans le secondaire" (cf.
HAGEGE, 1996).
Une autre possibilité didactiquement intéressante
pourrait être celle de viser, dès le primaire, l'apprentissage
des compétences réceptrices (compréhension
orale et écrite) de langues de la même famille du portugais
(espagnol, français, italien...). Cela permettrait à
court terme9 une communication plus
riche entre les locuteurs de langues néo-latines car chacun
serait en mesure de s'exprimer plus aisément dans sa LM et
de comprendre l'autre qui s'exprimerait dans la sienne. Des expériences
intéressantes dans ce domaine sont en cours depuis quelques
années en Europe (par ex: celle que mène Blanche-Benveniste
à Aix-en-Provence avec des collègues italiens, portugais
et espagnols).
Cette proposition n'est pas incompatible - au contraire - avec celle
de promouvoir, partout où cela s'avère possible la
réalisation d'un bilinguisme précoce, différé10
, effectif, en utilisant, progressivement, dès les premières
années de l'école, une langue étrangère
pour enseigner une partie des programmes scolaires11
. Les bénéfices d'une telle démarche paraissent
évidents: les élèves deviennent bilingues tout
en développant une compétence plus fine sur le fonctionnement
des langues; ils apprennent mieux leur LM et, par les passages fréquents
d'un code à l'autre, ils développent " une grande
agilité intellectuelle, une flexibilité cognitive
et aussi une plus grande créativité " (DUVERGER,
1996:53). Ajoutons aussi, toujours à la suite de DUVERGER
(id.), qu'" avoir des couples Sa/Sé qui n'existent pas
de la même manière dans les deux langues, cela permet
de penser et de découvrir le monde de façon moins
unidimensionnelle, plus ouverte et aussi plus tolérante "
et que le bilinguisme de départ débouche forcément
sur le plurilinguisme.
Toutes les propositions précédentes gagneraient à
être mises en oeuvre dans un cadre didactique et institutionnel
qui favoriserait l'intégration de l'enseignement/apprentissage
de la LM et des LE. Nous tenons beaucoup à cette intégration,
car il s'agit en fait de deux disciplines très proches qui
s'ignorent complètement et qui ont tout intérêt
à faire jouer une plus grande synergie entre elles en rapprochant
leurs fondements théoriques, leurs objectifs, leurs contenus
et leurs méthodologies.
Dans cette Didactique à réinventer, il faudrait accorder
une place importante à une pédagogie de l'échange
qui faciliterait l'acquisition d'une communication interculturelle
surtout, mais pas exclusivement, entre le Brésil et les pays
voisins (y compris les Guyanes et les Antilles). Pour ce faire,
il semble nécessaire non seulement que les situations de
communication authentique à l'occasion de ces échanges
soient bien préparées en classe, mais aussi qu'on
y accorde une place importante à la connaissance d'autres
cultures et, par contraste, à une meilleure compréhension
de la culture nationale. Enrichissement des visions de monde donc,
et non pas acculturation.
Il faudrait aussi encourager le travail (individuel et en groupe)
avec le support de médias12
(internet13 , Cd-rom, télévision
par satellite, vidéo, EAO...) sans toutefois en être
l'esclave. Ne confondons pas fins et moyens pédagogiques:
ces apports techniques doivent être au service d'une démarche
didactique et non l'inverse. Dans ce sens, la multiplication des
didacthèques, des médiathèques... où
les élèves et les professeurs pourraient trouver des
ressources concernant les EAO, la vidéo, les multimédias
ne seraient pas du gaspillage.
Pour ce qui est, enfin, des communautés
indigènes, nous proposons de jouer la complémentarité
entre le portugais et leur LM. Les enfants seraient alphabétisés
dans leur LM. Pour les deux premières années du primaire,
tous les contenus d'enseignement/apprentissage seraient véhiculés
exclusivement dans cette langue. Dès la 3ème
année, le portugais serait introduit comme LE (prioritairement
à l'oral, au début surtout) à raison de trois
heures par semaine. A partir de la 1ère année
du collège, le portugais deviendrait véhicule d'enseignement
et la LM serait enseignée à raison de trois ou quatre
heures par semaine.
Cette proposition est très proche de celle qui a été
expérimentée avec succès au Mali et qui se
développe depuis plusieurs années au Niger. Son intérêt
est qu'elle facilite le processus d'enseignement/apprentissage14,
valorise les langues indigènes aux yeux même des populations
qui les parlent, et permet le maintien de ces langues autrement
vouées à la disparition. Précisons cependant
avec VIGNER (op. cité, p.370), qu'une langue ne peut être
utilisée comme langue de scolarisation que si elle satisfait
préalablement à un certain nombre de conditions:
- avoir fait l'objet d'une description phonologique qui servira
de base aux opérations de transcription;
- être transcrite par le moyen d'un système d'écriture
approprié aux caractéristiques de la langue et
aux conditions de son apprentissage par des enfants;
- disposer d'une nomenclature grammaticale permettant de construire
des descriptions susceptibles d'être enseignées
aux élèves;
- disposer d'un répertoire lexical permettant de représenter
le monde contemporain, transcrit selon une orthographe normalisée;
- s'appuyer sur l'existence d'une littérature (...) validant
en quelque sorte son statut de langue écrite porteuse
d'un savoir (...).
Il y a donc encore tout un travail de planification
linguistique à faire avant d'aboutir à mise en oeuvre
efficace de cette proposition.
L'éventail des propositions est déjà bien long.
Cependant, nous aimerions encore, en guise de conclusion, proposer
au gouvernement de constituer un groupe de travail ayant pour mission
- de définir clairement une politique linguistique pour
le pays;
- d'élaborer un projet de planification linguistique
pour la rendre effective;
- et d'accompagner sa mise en oeuvre.
Ce groupe serait composé de hauts fonctionnaires
mandatés par les organismes fédéraux concernés
(Ministères de l'éducation, de la culture, des affaires
extérieures, FUNAI...), de linguistes, de didacticiens en
langues et de juristes ayant tous déjà réfléchi
sur le sujet.
Il est évident que tout cela prend beaucoup de temps et coûte
très cher. Mais, dans le monde d'aujourd'hui, peut-on négliger
la diffusion du portugais et des cultures qu'elles véhiculent?
Doit-on laisser mourir les langues et les cultures minoritaires?
Va-t-on continuer à former des citoyens handicapés
linguistiques?
Rendre vraiment prioritaires l'éducation et la culture dans
notre pays est une condition incontournable pour affronter les défis
du XXIème siècle. |
Références bibliografiques
BATLEY, E. et alii (1993). Les politiques linguistiques
dans le monde pour le 21ème siècle.
Rapport pour l'UNESCO. Paris, FIPLV.
CALVET, L.-J.
- (1993). L'Europe et ses langues. Paris, Plon.
- (1996). Les politiques linguistiques.
Paris, PUF.
CANDELIER, in Rev. "Les Langues Modernes"
n° 2, 1966.
CAPDEPONT, E. (1996). Langues et identités culturelles:
l'Amérique du Sud et l'enseignement des langues.
Rev. " ELA " n°103. Paris, Didier Erudition.
CARTON, F. & DELEFOSSE, J.M.O. (dir.) (1994).
Les langues dans l'Europe de demain, Paris, Presses de
la Sorbonne Nouvelle.
CHARAUDEAU, P. (1996). La politique linguistique en
Amérique latine, "Les Cahiers de l'ASDIFLE"
n°7, Paris ASDIFLE.
CHEVALIER, J.-C. (1994). Quelques mesures proposées
pour le développement du plurilinguisme dans les milieux
scolaires. In CARTON, F. & ODERIC DELEFOSSE, J.M. (dir.)
(1994). Les langues dans l'Europe de demain, Paris, Presses de la
Sorbonne Nouvelle.
COSTE, D.
- (1989). Débats à propos des LE à la
fin du XIXème S. et Didactique du FLE depuis
1950, Rev. "Langue Française" n°82 .
- (1991). Diversifier, certes. Rev. " Le Français
dans le Monde ", n° spécial, février/mars.
COURRIER INTERNATIONAL n°276 du 15-21/2/96
DELEFOSSE, J.M.O. (1994). Acquisition du langage et
plurilinguisme. In CARTON, F. & DELEFOSSE, J.M.
O. (dir.) (1994). Les langues dans l'Europe de demain, Paris, Presses
de la Sorbonne Nouvelle.
DUVERGER, J. (1996).Vers le bilinguisme. Entretien
accordé au " Monde de l'Education ", juillet-août.
ELOY, J.-M. (1994). Quelques réflexions sur les
rapports entre linguistique et politique. In CARTON,
F. & DELEFOSSE, J.M. O. (dir.) (1994). Les langues dans l'Europe
de demain, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle.
HAGEGE, C. (1996), L'enfant aux deux langues, Odile
Jacob.
MORAIS-BARBOSA, J. (1994). La situation linguistique
du portugais. In CARTON, F. & DELEFOSSE, J.M.O.
(dir.) (1994). Les langues dans l'Europe de demain, Paris, Presses
de la Sorbonne Nouvelle.
OLIVIERI, C.
- (1996). Politique et didactique des langues.
"Les Cahiers de l'ASDIFLE n°7". Paris, ASDIFLE.
- (1991). Plurilinguisme et enseignement: l'exemple africain.
Rev. " Le Français dans le Monde ", n° spécial
, février/mars.
POTH. J. (1996). Esquisse méthodologique de l'aménagement
linguistique en Afrique. "Rev. ELA n°103", Paris,
Didier Erudition.
PORCHER, L.
- (1991). Médias d'aujourd'hui et (peut-être)
de demain. Rev. "Le Français dans le monde",
n° spécial février/mars.
- (1996). Politiques linguistiques: orientations. "Les
Cahiers de l'ASDIFLE" n°7 , Paris, ASDIFLE.
- 1996) . Politique linguistique et objectifs pédagogiques.
"Les Cahiers de l'ASDIFLE" n° 7, Paris, ASDIFLE.
SLAMA-CAZACU, T. (1994). Quelques aspects psycholinguistiques
du plurilinguisme/ multilinguisme. In CARTON, F. & DELEFOSSE,
J.M. O. (dir.) (1994). " Les langues dans l'Europe de demain
", Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle.
VIGNER, G.
- (1991). Ecole et choix linguistiques: le cas du Cameroun.
Rev. "Le Français dans le Monde, n° spécial",
février/mars.
- (1996). Politiques linguistiques, contraintes scolaires
et actions de projet. Rev. "ELA" n°103, Paris,
Didier Erudition.
|