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Nwèl 2012 é joudlan

2013: J’aurais voulu ?

Non, je veux ce qui est déjà là !

Nicole Cage

Volé dan sièl!
Photo Philippe Bourgade.

La fin du monde cataclysmique du 21 décembre n’a pas eu lieu. Et pourtant l’agonie du vieux monde a commencé. Le monstre mortellement blessé tire ses dernières salves. Il s’agite tous azimuts, frénétique, il tente de sauver ce qu’il croit pouvoir l’être. Il s’accroche à ses ultimes avoirs, se terre derrière le rempart de ses possessions, de son pouvoir qu’il soit militaire, économique, religieux ou politique ou hélas les quatre réunis dans ses mains étrangleuses de vie vraie. Il lance ses dernières cartouches – les plus meurtrières!

Affolé, le monstre se livre à des tractations, à des alliances contre-nature, à des transactions ubuesques. Il attaque frontalement ou sournoisement les figures de proue du changement; il alimente ou fomente des pseudo révolutions, il manipule les printemps libérateurs. Il tue sans pitié en désignant à la vindicte populaire les coupables qu’il a choisis. Il envoie ses «soldats de la paix» semer le désordre et le malheur sur leur passage. Il continue d’écarteler et d’exploiter l’Afrique aidé en cela par les potentats locaux qui lui ont vendu leur âme. Il saigne Haïti condamnée à payer éternellement l’inexcusable faute d’avoir osé. Il interdit à chaque petit palestinien le droit de vivre son enfance dans une maison sienne, dans un pays sien. Il fait des oraisons pour que meurent Chávez et Morales.

Et ce qui vaut pour le monde vaut pour mon si petit pays. Son éloignement géographique de la tête du monstre et sa petitesse ne le tiennent pas à l’abri de ses soubresauts désordonnés. Les tentacules de la Bête arrivent jusqu’à nous, accueillies, alimentées, caressées par les relais locaux dont elle sait flatter la vanité et la soif d’encore plus de pouvoir…

Alors, le monde aurait-il vraiment dû disparaître le 21 décembre dernier? N’y a-t-il désormais de place que pour les pronostics les plus sombres ? Ne nous reste-t-il rien d’autre à faire que de regarder notre pays et la terre sombrer dans une fin qui ne dit pas son nom?

Ce n’est pas le choix que je fais et je ne crois pas être dans l’illusion, même si je me qualifie moi-même de «naïve volontaire».

Parce qu’il y a toujours eu, même aux moments les plus sombres de l’Histoire, il y a toujours eu, parallèlement aux forces obscures, œuvrant sans relâche, les forces têtues de la lumière. La lumière n’était pas alors et n’est pas dans les grands éclats, les foudroiements, les étincelles crépitantes. Si les forces du progrès ont pu parfois être incarnées par des hommes et des femmes-silex, des figures flamboyantes dont l’exemple reste gravé en nos esprits, elles le furent (et le sont) plus souvent incarnées par des êtres dont l’Histoire n’a pas retenu le nom. Par des petits gestes répétés et obstinés. Par des petites choses, des petits riens. Par un enfant juif caché et protégé jusqu’à la fin du cauchemar nazi. Par un esclave fugitif et blessé recueilli et soigné au péril de sa vie. Par la même intention d’amour dans le bout de pain que l’on tend que dans le sourire que l’on offre. Par la même foi que l’on met dans le geste de nettoyer une plage salie par nous que dans une prière lancée vers le ciel. Par le fait d’accepter de se perdre dans l’anonymat d’une foule en marche tout en cultivant la conviction que votre présence, même anonyme, compte et fait la différence. Par la magie d’une mélodie ou d’un poème dont personne ne se souvient de l’auteur mais qui, à travers les âges, réchauffe le cœur.

Les media et nos esprits déformés par la souffrance continuent de faire focus sur les trahisons, les défections, les défaites, le sang, la peur, la haine, la division, l’absence d’unité.

Comprenez qu’il ne s’agit en rien de nier tout cela qui existe. Mais en donnant TOUTE la place à cela, nous lui créons TOUT l’espace pour qu’il existe et se développe. Et ceux qui œuvrent au quotidien, où qu’ils soient, dans leur travail, dans leurs familles, dans leurs églises, devant leurs autels, à travers leur art, leur savoir-faire et leur savoir-être le font dans la plus grande discrétion, quand ça n’est pas dans l’oubli ou le dédain le plus grand.

Pour ce qui est de mon pays j’aurais tellement voulu, j’aurais tellement aimé que nous soyons en mesure de percevoir, derrière les entités marins-pêcheurs, petit entrepreneur, ouvrier agricole, petit planteur, syndicalistes, écologistes, etc. des hommes, des femmes, des enfants qu’une fois la grève des marins-pêcheurs terminée nous rencontrerons à la messe, dans une soirée-bèlè, dans un zouk, sur un marché agricole ou à la caisse d’un supermarché.

J’aurais tellement voulu que nous puissions mesurer à quel point, même s’ils semblent diverger et même nous opposer farouchement, nos combats prennent source au même lieu, ce lieu qui en chacun de nous et depuis la nuit des temps, nous pousse, nous charrie vers l’éclosion de cet espace à la fois intime et social où nous sommes, où nous donnons, où nous exprimons le meilleur de nous-mêmes, où nous aspirons, pour nous et pour tous au meilleur de ce qui peut exister, ici et maintenant!

J’aurais tellement aimé que les dealers, que les vendeurs de mort, cherchant des jeunes à qui refiler leurs merdes, n’en trouvent pas un seul à se mettre sous la main parce que chaque jeune de mon pays serait alors trop occupé à travailler, à créer, à s’éclater sainement pour ne serait-ce qu’entendre le chant discordant des sirènes.

J’aurais voulu. J’aurais tellement aimé… J’aurais…

Mais disant ainsi: «j’aurais voulu» j’ai soudain conscience que je ne fais que dire, en filigrane que je n’y crois pas vraiment, que ce serait trop beau pour se manifester… Alors, à la voix grimaçante en moi, je réponds:

Que tout cela est déjà là. Que tout cela se manifeste déjà. Que comme je l’ai dit précédemment, ce n’est pas parce que je ne la regarde pas que la lumière n’est pas à l’œuvre. Ce n’est pas parce que je ne les entends pas, que les forces du progrès ne lancent pas leurs clameurs enthousiastes depuis les entrailles de la terre jusqu’au plein ciel. Que ce n’est pas parce que le vieux monde nie sa fin qu’il n’est pas moins caduc et moribond. Que ce n’est pas parce que le ciel est présentement colonisé par une armée de nuages que le soleil cesse de briller.

Je lui réponds aussi que ce n’est pas que mystique. Que c’est mathématique. Pendant que l’attention de tous est focalisée sur les macaqueries du vieux monde, l’ère nouvelle fourbit ses «armes miraculeuses» depuis nanni-nannan; les guerriers des nouveaux temps savent que s’ils parviennent à se protéger des dernières et meurtrières salves du monstre, s’ils parviennent à s’unir pour en hâter la fin, alors le rêve peut s’autoriser à sortir au grand jour, au grand soleil, volé-dansé anba zèl soley. Ils savent que le rêve acceptera de mourir à lui-même pour laisser place à la réalité manifestée. Une réalité désormais si douce que – ainsi que je l’ai lu il y a peu sur un mur facebook l’on voudrait ne pas dormir pour la VIVRE!

Bonne, lumineuse et heureuse année 2013
Je vous aime. Je nous aime.

Nicole Cage
Le 30 décembre 2012

Étoile carambole


 
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