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Noël à Kôlbo
(extrait de “Face à la mort”)

Charles-Henri MARICEL-BALTUS

Porc

…Cars, camionnettes, camions vomissaient et avalaient des piles de passagers tandis que les sentiers habituellement secs, transportaient dans leur lit un flot ininterrompu de passants. À deux jours de Noël Kôlbo était devenu le centre de la “Corniche d'or”. Ici la vie s'était non seulement remise en marche mais avait atteint en vingt-quatre heures son rythme de veille de fête. Les préparatifs qui précédaient cette ultime fête du calendrier allaient déjà bon train. Beaucoup entreprirent de tuer le porc dans l'après-midi même de ce vingt-trois décembre. Des groupes se formèrent pour prêter la main aux bourreaux chargés d'exécuter la sentence, et vers la fin de la journée des cris de cochons agonisants dominèrent largement le “boukan” qui montait du hameau en effervescence. La nuit non sans mal, réussit à imposer le silence vers le milieu de son règne. Un répit de courte durée, puisque avant l'aube les derniers condamnés à mort qui avaient bénéficié d'un sursis de quelques heures rendaient l'âme. Dès l'apparition du jour, tout le hameau se mit au travail, au rythme des coups de coutelas détaillant la viande pour la vente. L'odeur du café mélangée à celle du rhum et du boudin que préparaient des mains expertes donnait à cette aurore une saveur inoubliable. Des trois cent soixante-cinq jours du calendrier, c'était sans aucun doute celui du vingt-quatre décembre qui occupait la meilleure place dans le cœur des gens de la Corniche d'Or. La réputation de leur réveillon de Noël avait depuis longtemps fait le tour de l'île et c'est sans surprise que l'on voyait débarquer chaque année des gens venus d’ailleurs. Mais cette année là, Kôlbo avec sa vierge, allait connaître un Noël sans précédent. Père M avait, en plus, annoncé que cette messe de minuit resterait dans toutes les mémoires. Une annonce qui allait encore augmenter le flot de visiteurs. 

Kôlbo était niché dans le flanc de la montagne. Durant la nuit son air se soulageait de son trop plein d’humidité et celle-ci au petit matin recouvrait le sol. C’est pour éviter les effets de ce surin sur ses rhumatismes que man Dou avait chargé son petit fils de la délicate mission qu’était l’achat de la viande de Noël. La vente débutait avec le lever du jour que certains clients devançaient de plus d’une heure. Le boucher connaissait bien les goûts de sa cliente et en ce jour exceptionnel, il prit le temps de lui choisir une part qu’elle n’avait même pas imaginée. Ali reçut en prime un morceau de boudin tout chaud qu’il s’empressa d’avaler. De retour à la maison, il établit la liste des courses que sa grand-mère lui dicta et repartit aussitôt chez madame Sonson pour compléter leurs provisions de Noël, en prévision des assaillants, qui commenceraient à se manifester avec la tombée de la nuit. Ceux-ci, comme prévu, commencèrent leur invasion vers les dix-neuf heures, encouragés par la présence de Julien. Il y avait de tout, du vieux soldat de métier comme Boeing là, au bleu faisant son baptême du feu, en passant par des mercenaires inconnus dans le secteur. Tandis que ces hommes consommaient bruyamment les munitions rangées soigneusement par man Dou sur la grande table du séjour, débarrassée pour l'occasion de son lot de bibelots, Maurice et Ali quittèrent discrètement ce champ de bataille pour aller prendre la température à l'extérieur. L'ambiance était tout aussi chaude. Les cases en feu vomissaient des boucans parfumés qui se répandaient dans la nuit fraîche, embrasant celle-ci. Des ombres, quelquefois vacillantes, se faufilaient entre les habitations avant de se fondre dans les ténèbres épaisses que les nombreuses raies lumineuses tentaient de perforer. Leurs pas les conduisirent jusque devant la maison de Yaya. Celle-ci, les apercevant, les invita aussitôt à entrer. 

- Ali ne reste pas dehors! Entre avec ton ami et servez-vous! Mais il n’est pas d’ici ce monsieur? 

- Non c’est l’apprenti de tonton Julien. Il est venu passer la Noël avec nous. Il s’appelle Maurice. 

- Ne te gêne pas Maurice! Fais comme si tu étais chez toi. 

Maurice un peu gêné remercia son hôte et entreprit de se servir.Yaya avait réussi à cacher sa misère pour  rendre son intérieur accueillant, même si quelques empreintes trahissaient la réalité camouflée. Sa table en tout cas, revêtue d'une nappe qui semblait sortir tout droit de la valise d'un syrien, était aussi bien garnie que celle de man Dou. “Kannari”, casseroles, assiettes, bouteilles et verres, se disputaient l'espace réduit que le meuble pouvait offrir sur son dos, vu sa petite taille. Il fallait une certaine maîtrise pour se servir sans faire tomber quelque chose. La maîtresse de maison devinant probablement l'embarras de ses invités transgressa la règle en les servant finalement elle-même. Gégé qui arrivait au même moment, après avoir salué tout le monde, leur emboîta le pas sans se faire prier. Ali, ce soir là, pour jouer au «gran nonm», voulut essayer un «petit feu». Mais celui-ci, à peine avalé, occasionna un début d’incendie dans sa gorge qu’il dut arroser, précipitamment, de limonade afin de calmer la brûlure induite. Après avoir échangé quelques mots de circonstance avec leurs hôtes, Maurice et son jeune compagnon se hâtèrent de rentrer pour ne pas rater leur rendez-vous avec Père M Chez man Dou, la table était dressée et recouverte de plats aux couleurs et aux parfums de Noël. Il y avait du boudin, de la viande de porc, des pois de bois, des ignames, des gâteaux, de la confiture et une grande variété de punchs au fruit. Un tel assortiment mettait l'eau à la bouche d’Ali tandis que ses yeux la dévoraient du regard. Dès qu'il lui fut permis d'y toucher, il se jeta sur ces mets sans ménagement, usant des mains et des dents et laissant de côté les armes conventionnelles. 

Pr^tre

…Père M arriva par l'entrée principale située en face de l'abside et remonta l'allée centrale. Il était accompagné d'un jeune prêtre assistant et de deux enfants de chœur. La chorale entonna aussitôt le cantique d’introduction et l’assemblée se leva comme un seul homme. Les fidèles mêlèrent leur voix à celles du chœur, l'organiste rythma la cadence et  l’église s’emplit d’un Avé Maria qui rapprocha les cœurs de l’enfant divin et de sa mère. Mille éclats lumineux produisaient une clarté semblable à celle du jour. De nombreux cierges brûlaient en dégageant un parfum mystérieux qui flottait dans l’atmosphère sacrée de l’édifice. Cette forte ambiance religieuse attisa la foi naissante d’Ali et éleva son esprit, au-dessus de l’assemblée. Lorsqu’une petite fille ayant à peu près son âge se mit à lire le passage de la Bible sur la nativité, il la rejoignit aussitôt en coupant à travers les sentiers de l’imaginaire auquel il était déjà sensible. L’histoire sainte subit au passage quelques bouleversements qui lui donnèrent une teinte plus conforme à la réalité du jeune enfant. La crèche du bon Dieu ressembla alors d’avantage à un «hat» arrangé pour la circonstance. Le cabri plus familier remplaça le mouton. Le lapin et quelques autres bêtes à plumes firent leur apparition. Des personnages connus prirent la place des bergers anonymes. Seuls, l'enfant, sa mère et son père adoptif échappèrent à cette adaptation locale, marquant ainsi les limites de l’imagination du jeune créateur. Ali, dépassant le miracle de l’apparition de la vierge de Ti Bambou était entrain d’imaginer la naissance miraculeuse de l’enfant Jésus à Kôlbo. Pendant que l'esprit du petit garçon continuait à vagabonder, la messe poursuivait son parcours rituel, sous la conduite de Père M. Son verbe, cette nuit là, était empreint d’une gravité inhabituelle. Un courant spirituel avait envahi toute l’assemblée, maintenant celle-ci dans une communion parfaite avec le clergé. La petite fille avait depuis longtemps terminé sa lecture et l'on s'apprêtait maintenant à célébrer l'eucharistie. C'est précisément l'agitation créée par le déplacement des gens entre les bancs qui arracha Ali du champ où il cultivait activement ses pensées … De mémoire de paroissien, c’était bien la première fois que l’on entendait une prédication aussi longue et aussi profonde. Personne cependant, malgré les “wélélé” qui de temps à autre traversaient l'église, coupant la route au discours du prêtre, ne songea à quitter la cérémonie.

…Ali n'ayant pas l'habitude de veiller si tard, se coucha presque aussitôt, pressé par un sommeil impatient. Il glissa très vite dans l'univers du rêve où il allait, au gré de l'imaginaire, refaire le parcours d'une journée riche en événements. Pendant ce temps dehors les fêtards, insatiables continuaient à consommer le réveillon, certains le dévorant à grands coups de gueule, d'autres le buvant à grandes gorgées. 

anis  anis  anis 

 

 Viré monté