En verdure et en lumière recevons Noël
Je ne suis de ce pays, cependant j'aimerai en ressentir la pulsation, comprendre son sens et prendre le pouls de cette terre qui assoie ses vallées entre lacs et montagnes.
Ce pays semble rude, la terre quelque peu ingrate peine à nourrir son homme, l'eau abonde et l'humidité enveloppe presque tout, et pourtant son peuple s'avère amène et avenant, ne manifestant aucune hostilité à mon égard, peut-être une égale indifférence de ces montagnards qui se construisirent dans les âpretés de leur existence, des duretés du climat et de l'a-pic des montagnes; toutefois ces gens restent cordiaux, mais là où l'on s'attend à trouver la chaleur méditerranéenne, c'est la froideur des peuples du nord que l'on reçoit, cette distance qu'ils instaurent, des gens qui ne se touchent ni ne s'embrassent.
Ils furent confrontés au cours de leur histoire aux agressions de leurs puissants voisins, aux envahissements dont celui des Huns, et des siècles de soumission, de vassalité tant aux Milanais qu'aux Suisses. Ce peuple a développé une manière propre d'être eux-mêmes, on pourrait croire qu'ils se suffisent à eux-mêmes, mais ce pays est entre deux affirmations, il n'est ni vraiment suisse, ni vraiment italien, c'est un pays qui se cherche une destinée.
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Ce pays est parsemé de villages de maisons en pierre au toiture en pierre, qui semblent tout droit sorties des siècles passés, ces petits villages conservent des rues en pierre, des étables en pierre ou en bois, des abreuvoirs en pierre, des lavoirs en pierre, qui font le bonheur des touristes. Les habitants valorisent ses reliques désuètes dans notre siècle de modernisme et de confort, en souvenance que la pierre fut essentielle à leur survie, que la pierre et le bois furent leurs ressources, et l'amorce d'une civilisation de la pierre dans laquelle s'inscrivent leurs ancêtres.
Lors de mes visites automnales, la beauté de cette terre m'ébaubit, les couleurs s'assombrissent, ce ne sont pas les couleurs de l'automne triomphale de l'Amérique du Nord où même celles de la France, elles sont plus terre à terre, s'harmonisent avec la grisaille de la saison, seules les hêtraies se distinguent et relèvent quelques fois la beauté de l'automne. Du côté de Maggia, cette foisonnance d'hortensias dans les jardins privés, et aux couleurs changeantes étonne, ils abondent plus qu'ici qu'ailleurs.
Je m'extasie des vignobles en terrasses ou des vignobles enclosés, de ces maisons aux couleurs pastel, quoique qu'elles attristent un peu plus la saison, et de cette forte présence d'églises, de chapelles qui laissent croire que ce peuple est dévot et pieux.
Mais en réalité, tout me persuade à penser que ce peuple a perdu ses dieux, à chaque église qui se dresse fièrement, ils ont oublié que jadis ce fut un temple païen qui s'élevait à cet endroit, pour chaque chapelle, pour chaque niche d'un saint ou sa statue érigée de-ci de-là, c'est un dieu champêtre, un dieu des montagnes ou un dieu des forêts que leurs ancêtres vénéraient là.
L'église catholique a contribué à ce que ce peuple perde la mémoire de ses dieux et son antique ferveur. Aujourd'hui, l'église qui a supplanté le paganisme à son tour, tombe en déshérence, elle n'attire plus les foules, ce peuple ne croit plus, les églises sont vides à l'heure de l'office.
Si l'automne en octobre est lumineux, dans cette partie du Tessin les châtaigniers enjolivent les forêts, en novembre c'est la pluie qui s'empare du pays, elle tombe sans discontinuer, et on guette un jour ou deux d'accalmie, et on se satisfait d'un jour ensoleillé ou de l'arrivée du foehn qui vient réchauffer l'air et faire grimper les températures. |
Depuis la véranda, je regarde le lac, qui le matin en cette saison se confond avec la montagne et le ciel. La brume ou le brouillard oblitère tant le lac que la monumentale montagne qui nous fait face, mais cet après-midi, quoique le ciel épousait la grisaille, il pleuvinait, crachotait, crachouillait, on pouvait voir sur ce majestueux lac comme des cercles qui se dessinaient, et je m'imaginais que l'invernone soufflait renforçant la froidure et repoussant la pluie qui tombait sur le lac et créait ces motifs inhabituels sur les eaux du lac majeur.
Ce dimanche de l'Avent, midi s'annonce, les églises offrent un concert de cloches, à l'oreille on reconnaît celles du couvent des Ursulines, de la Madonna del Sasso, de l'église de Brione, de Locarno, d'Orselina, et de bien plus loin, portées par le vent les cloches se répondent en chœur, les cloches perpétuent une tradition plus que millénaire, elles imposent un temps divin, un temps de nos jours décriés. |
La nuit tombe vite, il fait noir, une noirceur d'encre...
Ce soir la Pro Orselina invite ses administrés à l'illumination du sapin, il s'érige sur le parvis de l'église d'Orselina, à 18h, ils procéderont à son allumage et nous entrerons véritablement dans le temps de Noël, bien que le cycle noèlesque débute à la Saint Martin, le 11 novembre à 11 heures.
A 17h45, nous nous rendîmes à l'église, en regardant autour de moi je constatais qu'il faisait noir, une noirceur inaccoutumée, presque comme celle qui règne sur la forêt amazonienne à la tombée du jour, cette nuit qui vous emmaillote, vous encercle et vous inquiète, faisant ressurgir nos terreurs et nos peurs primales. Relativisons tout de même, les éclairages publics, les lumières émanant des habitations et les illuminations de Noël rassurent et offrent autant repères lumineux dans cette nuit d'automne au ciel dépourvu d'étoiles.
Nous arrivons sous la pluie et le froid à l'église d'Orselina, prîmes place sous le porche plongé dans le noir où était dressé le buffet, et où s'agglutinaient les invités pour s'abriter de la pluie, et peut-être se réchauffer. Nous échangeâmes avec l'édile de la ville, il me parla de ses enfants qui se trouvaient en Amérique du sud, de son intention de ne pas renouveler son mandat, une discussion en toute cordialité sous ce porche anuité, avec la baisse de la vue due à l'âge, ce manque de lumière m’apparaît rédhibitoire, ne sied point à l'entrée dans la Noël qui doit se faire en lumière.
Un verre de mousseux et un appétitif de pris, puis les minutes passent en vint l'heure du compte à rebours, lancé par le président de l'office de tourisme de la ville, et la petite foule entame le décompte: 10, 9, 8, 7, 6, 5, 4, 3, 2, 1, 0, la magie s'opère, les lumières s'allument, le grand sapin trônant devant l'église s'illumine.
Rien d'extraordinaire ma foi, mais pour les enfants on eût cru l'instant magique, leur regard pétillait, ils s’émerveillaient, couraient autour du sapin de Noël comme si le sapin était enchanté. Les parents tentaient de les canaliser, réajustaient leur anorak, remettaient sur leur tête leur bonnet, et les enfants continuaient à faire la ronde autour de l'arbre de Noël qui scintillait de ses leds, et le ciel continuait de se plaindre, et la nuit à s'assombrir.
Candeur, innocence, ravissement, toute la magie de l'enfance, en les regardant jouer autour du sapin, il me vint à l'esprit qu'il ne faut pas grand-chose pour que l'enfant soit heureux. |
L'étrange couronne
Nous revenions de Losone, de la COOP pour être plus précis, une chaîne de magasins suisse organisée sous forme de coopérative qui propose des produits d'excellentes qualités. Nous nous installons dans le lift pour accéder à la maison, il serait plus à propos d'appeler cette remontée mécanique un funiculaire (privé), les rails ont été posés au dessus d'un ru qui descend de la montagne, son tracé épouse les sinuosités du ruisseau, et se situe en parallèle des escaliers qui permettent d’accéder à tout un pan maisons qui s'échelonne sur la pente et aussi donne accès à une rue à quelques centaines de mètres plus haut. Les touristes empruntent ces escaliers lors de leurs randonnées montagnardes.
Alors que nous montions vers la maison, j'aperçois sur la porte grillagée d'une des propriétés une grappe de fruits de palmier posée au milieu de la porte en fer forgé et au-dessus de la grappe de fruits une étoile de Noël.
J'interroge Francesca sur la signification de ce symbole, d'autant que je m'étais rendu compte que les fleuristes et pépiniéristes du coin proposaient ces grappes de fruits à la vente, mais j'y voyais un objet de décoration pour les fêtes de Noël.
— Dis-moi, mettre ainsi cette grappe de fruits de palmier sur la barrière d'entrée, serait-ce une de vos traditions de Noël ?
Francesca réfléchissait, recherchait dans sa mémoire, puisait au fond d'elle-même avant de me répondre : — Je n'ai pas souvenir que pareille chose se fasse dans le Tessin, je ne l'ai jamais vu avant!
Cette décoration noélistique me fit penser que les Romains de l'antiquité nouaient des feuillages qu'ils attachaient au-dessus de leurs portes, qui de nos jours se manifestent à travers les couronnes de Noël que les gens posent sur leur porte d'entrée, et je me demandais intérieurement si cette décoration n'était simplement que la réminiscence d'antiques célébrations des temps anciens?
Je sais de manière certaine, les traditions de Noël proviennent en partie de l’Égypte ancienne, le palmier était honoré à cette époque, perçu comme un arbre de vie, l'arbre de Noël, et où le 25 décembre voyait la célébration du culte du dieu solaire Ré ou Ra, ainsi que celle d'Osiris dieu de la fertilité.
Une fois rentré à la maison, j'entrepris de questionner ce mythe du palmier, chercher des corrélations entre la pratique que j'ai pu observer et le symbolisme du palmier.
Je découvris: «Répit (ou Renpet) qui est la déesse égyptienne qu'on représente comme une jeune femme portant une pousse de palmier recourbée sur la tête et est la déesse de l'année, du renouveau, et aux époques tardives de la jeunesse qu'on nomme «déesse de l'Éternité» et dame du temps.» La déesse égyptienne qui personnifiait la fertilité, le printemps et la jeunesse. Connue sous le nom de «Maîtresse de l'éternité» et son nom était utilisé pour exprimer le terme «année». Son «glyphe apparaît régulièrement sur les monuments et les documents de l'histoire égyptienne comme le début de la phrase enregistrant l'année royale du pharaon.»
Répit était vénérée à Memphis et Crocodilopolis et considérée comme un aspect d'Isis.»
Après avoir pris connaissance de cette histoire, j'en conviens que la décoration à base de fruits de palmier (offrande spécifiquement osirienne), n'était inopportune ni inappropriée au fait de Noël, s'inscrivait dans le thème du renouveau, de la fertilité, et Répit la déesse égyptienne du temps m'évoqua son pendant grec le titan Chronos, dieu du temps, ainsi que Saturne1 ce dieu cannibale qui dévorait ses enfants au fur et à mesure qu'ils naissaient, de peur que l'un d'eux ne le supplante. Saturne lui aussi était un dieu temps et de la fertilité, pour qui furent instituées les Saturnales2, fête ayant lieu en décembre, célébrant l'âge d'or de l'humanité et à l'origine des fêtes de Noël. Tout prenait sens à mes yeux.
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La Maison illuminée
Le souper est servi à 18h 30, en m'y rendant je vois que la maison où sur la grille une grappe de fruits de palmier surmontée d'une étoile rouge accueillant le visiteur est illuminée. Une maison de deux étages où vivent deux sœurs, chacune occupant un étage, une maison qu'elles ont hérité de leurs parents.
A ce qui m'a été rapporté, les deux sœurs n'ont pas eu une vie facile, l’aînée est enferrée dans des soucis de santé, doit faire face à des douleurs qui l'invalident, se partageant le plus souvent entre sa maison et l'hôpital. La cadette travail dans une clinique pas très loin de chez elle, une femme discrète dont on sait peu de choses.
Aucun enfant ne vient égayer cette maison blanche, si ce n'est un petit chien qui le soir venu jappe après toute personne qui emprunte les escaliers qui jouxtent la maison de sa maîtresse.
Cette bâtisse blanche est bien entretenue, elle donne le sentiment tout de même d'être occupées par les personnes les moins nanties, de toutes ces maisons sises à flanc de montagne. Je me dis qu'en dépit des souffrances, des vicissitudes de la vie auxquelles ces deux femmes font face, c'est la seule maison du quartier (si le terme quartier à un sens ici, ce que je ne pense pas.) à être illuminée de l'extérieur, les décorations sont quelque peu kitsch au regard d'aucuns, mais leur maison est la «seule» à accueillir la venue de Noël en lumière, dans le soir elle resplendit de lumière. La seule maison à perpétuer la tradition de l'époque romaine qui fêtait le 25 décembre l'anniversaire du dieu Mithra (soleil vertueux) en décorant leur maison en verdure et en lumière.
Je me détourne, me disant que Noël ne se questionne, il se ressent et se vit, alors laissons cette maison à ses illuminations, à ses émotions et souhaitons à ces deux femmes un joyeux Noël, souhaitons à tous les hommes et les femmes de la terre un joyeux Noël.
Évariste Zéphyrin
Notes
- Saturne (impulseur de biens), préside la période précédent le solstice d'hiver, pendant le reste de l'année c'est un dieu en sommeil, sa statue est liée par des bandelettes dont on le libère qu'au moment des saturnales.
- Dans l'empire romain fête de divertissement et d'échanges de cadeaux ayant lieu du 17 au 23 décembre, une fête joyeuse s'accompagnant de réjouissances populaires, pratiquée dans l’ivrognerie et la débauche, disent certains auteurs.
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