La légende de l’anthurium
par Dominique Lancastre.
Conte écrit exclusivement pour Potomitan.
Noël approchait et comme à chaque fête, les fleurs tremblaient. Elles qui se paraient des plus belles couleurs pour espérer être fécondées se trouvaient souvent arrachées ou bien coupées pour décorer les tables festives. La légende disait qu’il existait une espèce d’anthurium qui donnait des fleurs tellement grandes, aussi grandes que, par temps de pluie, on pouvait s’en servir comme parapluie, et que pour arriver à les cueillir il fallait traverser 7 rivières et que quiconque arrivait à les cueillir posséderait des pouvoirs magiques.
José était décidé à trouver cet anthurium et cela tournait à l’obsession. Il avait entendu cette légende de sa grand-mère puis de sa mère et traverser les 7 rivières ne lui faisait pas peur. Pourtant, sa grand-mère avait dit que durant sa vie sur terre une seule personne à sa connaissance avait réussi à cueillir cette fleur magique. Elle avait dit aussi que traverser les sept rivières n’était pas chose facile mais qu’il y avait un moyen de calmer les eaux qui ne se gonflaient pas alors en les traversant. Mais quel était donc ce moyen? Peut-être un mot magique? Peut-être une cérémonie à faire pour calmer les esprits? José passa en revue tout ce qui lui paraissait plausible lorsqu’il se rappela une phrase de sa grand-mère: seul un poète pouvait conquérir les 7 rivières. Poète, poésie, mais c’est impossible se dit José…. Comment vais-je pouvoir écrire 7 poèmes pour 7 rivières en colère. Et puis traverser 7 rivières dans quel sens. Mais tout cela n’a aucun sens, se dit José. Comme toujours, les anciens se moquent des jeunes. Ils veulent garder leur savoir jusqu’à la tombe.
José alla se coucher et cette nuit-là, il fit un songe. Parut un de ses ancêtres d’un temps tellement ancien qu’il se demanda si cet homme en haillons qui portait des chaînes à ses pieds était de sa famille. L’homme en haillons lui dit alors: «Mais pourquoi te casses-tu la tête? pourquoi veux-tu écrire 7 poèmes pour 7 rivières qui ne connaissent rien à la poésie? Ecris un poème et déclame en strophes et présente chaque strophe comme un poème en 7 temps. Tu gagneras du temps.»
Au premier champ du coq, José se mit à composer son poème. Il ne fallait pas perdre de temps, car il savait que quiconque cueillait cette fleur posséderait la magie. Il avait entendu sa grand-mère dire cela quand il était petit. Mais, elle n’avait pas dit à quoi correspondait cette magie. Lorsque midi sonna, le poème était terminé. José prépara un baluchon avec quelques victuailles, pain, fromage et autres au cas où l’expédition tournerait mal. Il passa l’après-midi à retravailler son poème. Le soir, il se coucha très tôt, car il devait partir avant que le jour se lève. |
Sur les coups de 4 heures, après un bon café, José se mit en route baluchon sur l’épaule. Lorsqu’il arriva à la première rivière, les premiers rayons de soleil se pointèrent et la rivière brilla de mille feux. La rivière se gonfla d’un coup, comme des chevaux au galop, l’eau arriva avec force, s’éclaboussa contre les roches. José entendit les roches se fracasser entre elles en un boucan infernal et terrifiant. Il s’approcha et dit:
Rivières qui passez
les coffres vermoulus
ne vous concernent plus
À ces mots tout devint calme, d’un calme presque dérangeant, et les eaux se tarirent d’un seul coup. José comprit alors que son poème avait été entendu et il traversa la première rivière sans peur. À peine le premier pied posé de l’autre coté, il entendit les roches reprendre leur boucan infernal et les eaux se mirent à gonfler de nouveau.
À la deuxième rivière, il dit:
Mais toi-même
dans le printemps des saules
sais-tu quelle est ta vie ?
À la troisième:
Au bout de ta mémoire
un chandelier de cuivre
s’endort comme un vieux chat
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À mi-chemin, le temps changea brusquement, le vent se leva et José eut du mal à avancer pour atteindre la quatrième rivière. Les arbres se courbaient sous le vent puissant qui maintenant arrachait les branches. Il pleuvait des hallebardes et la pluie devenait de plus en plus dense. La quatrième rivière était large, gonflée d’eau et d’énormes roches déboulaient à toute vitesse. José se tint alors très droit, il gonfla le torse et dit:
Larges sont les vaisseaux
profondes les hêtraies
l’aïeul retient son cri
sous la peau du serpent
je suis de cet oubli
frissonnant sous la glaise
La quatrième rivière devint aussi calme que la première par temps de sécheresse et José traversa. |
À la cinquième, il dit:
Mais si la feuille te jetait
sur les couteaux du vent
À la sixième, il dit:
Dans le refus des sauges
sur les talus en vrac
Et enfin, à la septième, il dit :
Serait-ce encore ce cri
qui en toi se romprait
José ne savait pas trop quelle direction prendre mais il avait traversé avec succès les 7 rivières, il décida de marcher vers le nord et il suivit son instinct. Mais, sur son passage, les bambous semblèrent se multiplier, les arbres devinrent plus denses avec des branches partout et des racines qui se tortillaient dans tous les sens rendant son parcours de plus en plus difficile. Il arriva à une clairière où les herbes atteignaient deux fois sa hauteur. |
José continua à marcher, marcher, marcher lorsque tout à coup, il entendit des oiseaux chanter, et vit quelques papillons voler au-dessus de sa tête. Il s’arrêta net pour essayer d’écouter d’où venait le chant des oiseaux. Il se dirigea dans cette direction. |
C’est alors que surgit devant lui une plaine remplie de fleurs de toutes sortes et de toutes couleurs. Les roses se mirent à rire, les muguets se tordirent de rire, toutes les fleurs riaient et riaient et parlaient, oui, elles parlaient.
Toutes se tortillaient et certaines se fâchèrent même lorsque José, par inadvertance, manqua d’en piétiner certaines:
«Halte-là, pied d’homme assassin! Fais attention où tu poses tes gros souliers!» criaient-elles.
D’autres crièrent:
«Pose tes gros pieds sur les mauvaises herbes, nos pétales sont fragiles».
Il rencontra alors une assemblée d’oiseaux de paradis qui se plaignaient du vent qui les faisait balloter. |
Elles s’arrêtèrent de se plaindre lorsqu’elles virent arriver cet être géant prêt à les écraser.
«Homme aux grands souliers, dirent-elles toutes ensemble. Que viens-tu chercher dans les parages?»
José se baissa et ouvrit grand les yeux, ce qui ne manqua pas d’effrayer, et dit:
«Je cherche le Grand Anthurium».
À ces mots, les oiseaux de paradis se courbèrent et José vit au milieu d’elles, une toute petite plante avec une fleur très petite.
«C’est lui, Le Grand Anthurium», dirent-elles toutes ensemble.
José se mit en colère:
«J’ai fait tout cela pour cela. Pour une si petite plante, j’ai failli être emporté par 7 rivières pour venir chercher une minuscule fleur.»
José jeta son baluchon par terre et s’assit et regarda alors l’anthurium qui tout à coup se mit à grandir, grandir, grandir, grandir.
José se leva en furie: «Tu vas arrêter de grandir!»
«Tu as dit que j’étais trop petit et me voilà trop grand.»
«Oui, oui, oui, dit alors José. Mais il y a des limites. De toute façon, les anciens se sont moqués de moi je n’ai plus envie de te cueillir. Reste au milieu de tes mauvaises herbes.»
Le petit anthurium qui était devenu tout grand dit alors: «En es-tu si sur? touche-moi le spadice et tu sauras.»
José se mit en colère et dit: «La comédie a assez duré, je ne touche rien du tout. Et puis, c’est quoi ton bidule truc spadice, je ne sais quoi.»
La partie centrale de ma petite personne, enfin de ma grande personne maintenant, répondit Le Grand Anthurium.
José bougonna, mais toucha le spadice. À ce moment-là, les fleurs se mirent à applaudir, José décolla du sol et se trouva transporté dans la maison d’où il venait à une vitesse vertigineuse. Il comprit alors qu’il venait d’acquérir le pouvoir de se déplacer dans le temps et par tout temps.
Et alors qu’il se déplaçait à toute vitesse, il entendit le Grand Anthurium lui dire: «Tu es un garçon pur dans un corps pur, fais bon usage de mon pouvoir.» |
Poème du conte: "Rivières qui passez"
du poète José Le Moigne
Photos: Francesca Palli |
Joyeuses fêtes
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