Potomitan

Site de promotion des cultures et des langues créoles
Annou voyé kreyòl douvan douvan

La situation des sourds et muets en Haïti:
une interview avec Marky Norde

Emmanuel W. Védrine

Photo: courtesy Védrine Creole Project

2 juillet 2020
Mise à jour 4 Juillet 2020

English •  FrançaisKreyòlEspañolDeutsch

Marky Norde (contact par e-mail)

nordenikerson@gmail.com; lucmanenorder23@gmail.com; vernaledlene34@gmail.com

EV (Emmanuel W. Védrine). C’est un plaisir de vous rencontrer Marky Norde, dont ses parents sont sourds et muets. Nous vous poserons quelques questions sur ce qui peut être fait pour aider ces personnes handicapées en Haïti, étant donné que vous vivez aux États-Unis. Nous vous saluons, Marky.

MN (MaKi Norde): Nous vous saluons. C’est un plaisir de partager mes idées et de voir comment elles peuvent devenir réalité. Donc, nous allons en parler.

Eh bien, nous savons qu’il ya beaucoup de problèmes. Où voulez-vous commencer?

M.N: Oui, il y a beaucoup de problèmes. Le plus grand problème auquel les sourds ont été confrontés en Haïti est celui de l’information.

Lorsque vous dites information, il existe de nombreux types. Pouvez-vous en faire des commentaires?

M.N: Tous les types d’informations. Si nous prenons le cas du coronavirus par exemple maintenant, où il ya beaucoup de sourds et muets qui n’ont pas d’informations concernant ce virus. Le gouvernement n’a pas de programmes spéciaux en langue des signes pour leur expliquer ce que c’est le virus et les précautions à prendre pour ne pas l’attraper.

Donc, vous ne voyez aucun programme à la télévision qui a été traduit dans la langue des sourds et muets. Vous ne voyez pas cela?

M.N: Je ne vois aucun. Ce que je vois surtout, c’est quand le gouvernement donne une conférence de presse, il y a quelqu’un qui traduit en langue des signes et parle de ce que le gouvernement va faire. Il n’y a pas de programme spécial où il y a un spécialiste dans le domaine pour expliquer ce que c’est le coronavirus, et les précautions qui devraient être prises. Je ne vois pas cela en Haïti.

Quels autres problèmes ou solutions voyez-vous? Comment pouvez-vous aider comme quelqu’un qui vit aux États-Unis, et qui connaît leur langue des signes?

M.N: Eh bien, d’autres problèmes que ces handicapés ont, c’est qu’aujourd’hui, si quelqu’un est muet, c’est un gros problème. Par exemple, prenons le problème de santé... si un handicapé a un problème de santé et se rend à l’hôpital, cette personne ne trouvera aucun interprète spécialisé dans la langue des signes qui y travaille pour l’aider. J’ai vécu ce cas à plusieurs reprises quand j’étais en Haïti où de nombreux sourds et muets avaient certains problèmes de santé. Certaines femmes étaient enceintes par exemple. Certains sourds et muets avaient des infections et voulaient que ces informations restent confidentielles. Certains d’entre eux sont dans une situation où ils ne peuvent pas se rendre à l’hôpital. La raison en est qu’il n’y a pas de gens spécialisés dans le langage des signes en qui ils peuvent avoir confiance en arrivant à l’hôpital, de la même façon que nous le verrions dans des hôpitaux de Boston, aux États-Unis. S’il s’agit d’un patient sourd, les médecins diraint qu’il doit avoir des informations qui restent confidentielles. On ferait appel à un interprète en langue des signes pour aider ce patient, mais une telle chose n’existe pa en Haïti.

En termes de langue des signes, comment l’avez-vous apprise en Haïti? Est-ce quelque chose qui se fait par routine, ou vous êtes allé à l’école pour cela?

M.N: Je peux répondre en tant qu’enfant de parents sourds et muets. Je ne suis pas allé à l’école pour l’apprendre. J’ai grandi en trouvant mes parents ainsi. J’apprends la langue des signes d’eux. C’est la même chose pour beaucoup d’enfants dont leurs parents sont sourds et muets en Haïti, où ces enfants ne vont pas à l’école. Ils ont grandi avec leurs parents comme ça.

Mais en termes d’éducation, quel type d’école le gouvernement a-t-il à la disposition de ces personnes?

M.N: Le gouvernement n’a rien pour eux. Pas d’école administrée par le gouvernement pour eux. Il y a des écoles privées en Haïti maintenant dans ce domaine. Nous pouvons prendre l’Ecole Saint-Vincent par exemple. Il y a une autre école, «Enstiti Semonfò» (dirigée par des sœurs). Mais rien du gouvernement.

Je ne sais pas en termes d’âge par exemple, comment l’École Saint-Vincent accepte les élèves, comment on les recrute, combien ça coûte... Je ne sais pas quelles informations vous avez là-dessus.

M.N: Pour Saint-Vincent, je ne crois pas que leur programme coûte cher. Ce n’est pas cher du tout parce que c’est une école spécialisée dans ce domaine, quel que soit le type d’handicap (aveugle, moteur*, etc...) l’élève peut avoir. Je parle pour ceux qui sont sourds... Il n’y a pas d’éducation spéciale pour eux. Et il ya beaucoup de muets que je connais qui ont fait certains efforts, mais c’est grâce à l’aide reçue de leurs parents qui ont des moyens économiques. Remarquez qu’ils peuvent apprendre davantage et pousser leurs enfants. Il y a des sourds que je connais qui sont allées à l’université; certains d’entre eux sont des enseignants qui ont fréquenté l’Ecole Normale Supérieure, et qui ont fait d’autres choses... Mais le gouvernement ne fait rien pour aider. Cela n’a aucun sens lorsque le gouvernement limite leur éducation jusqu’à la neuvième année; cependant, il ya des sourds qui peuvent aller au-delà de cette classe. Tout cela montre que le gouvernement ne les aide pas.

Donc, vous voyez la nécessité d’avoir une école pour leur donner des avantages en ce sens.

M.N: Oui, il y a une nécessité pour cela. Je pense qu’il y a beaucoup de choses qui sont en train de se produire maintenant. Certaines organisations travaillent dans ce domaine pour avoir une éducation inclusive où les sourds et muets ont le potentiel d’aller plus loin et d’apprendre davantage. Le gouvernement ne devrait pas faire d’obstacle à eux les limitant à la neuvième année. C’est un problème.

D’accord, en ce qui concerne les matériaux médicaux et équipements, que pouvez-vous faire pour les aider, comme des appareils par exemple?

M.N: Pour des appareils, jusqu’à présent, c’est une organisation internationale qui aide en ce sens. L’organisation apporte des appareils pour eux, mais rien du gouvernement. L’organisation apporte toujours du matériel à chaque voyage à Haïti. L’equipe fait du diagnostic, du nettoyage pour eux, et ensuite leur donner des appareils gratuits.

Étant donné que vous vivez aux États-Unis, comment pouvez-vous aider en ce sens? Que pouvez-vous faire?

M.N: Pour l’instant, je parle à de nombreux enfants de parents sourds et muets. Aux États-Unis, ils ont un nom appelé CODA. Je dois parler à beaucoup de leurs enfants qui sont en Haïti et à l’étranger pour créer un CODA aussi de la même manière qu’ils l’ont fait dans des pays comme les États-Unis, l’Italie, l’Espagne, la France... Beaucoup de ces enfants se regroupent. Ils s’organisent là où ils ont une structure organisée. C’est ce que je fais maintenant pour pouvoir les aider parce qu’il y a trop de gens que nous remarquons qui exploitent ces handicapés, en particulier les sourds.

Dans l’aide que vous essayez de donner, l’école est-elle incluse dans votre projet? Comment ça se passe?

M.N: Oui. Nous avons un projet d’école. Nous pouvons mentionner les métiers que beaucoup d’enfants de ces handicapés (qui n’ont pas les moyens de les aider) peuvent apprendre. Disons que 90% de ces gens en Haïti travaillent dans des usines. En mentionnant les usines, on a déjà une idée de ce que cela signifie. Ils ne sont pas bien payés; on les exploite. Ils n’ont pas d’assurance médicale et ils ne peuvent pas envoyer leurs enfants à l’école. Vous allez trouver beaucoup d’enfants qui sont obligés d’abandonner l’année scolaire qu’ils commencent et ne peuvent pas la terminer. Ainsi, avec le mouvement CODA, nous verrons comment nous pouvons chercher des bourses d’etude pour eux, et ceux qui devraient aller à l’école en fonction de leur âge.

En termes d’alphabet des sourd et muets, quelle est la différence entre celle des États-Unis et celle d’Haïti? Est-ce quelque chose que les gens apprennent par routine, ou comment les voyez-vous?Commentles sourds et muets en Haïti peuvent apprendre l’alphabet américain, un moyen pour eux de rejoindre l’organisation américaine?

M.N: Je sais qu’il ya beaucoup d’organisations maintenant qui plaident pour la question de langue, où Haïti aurait une langue des signes unique, de la même façon que les États-Unis a le ASL (American Sign Language). Donc, il y a beaucoup d’organisations qui doivent se réunir pour en discuter et pour travailler en ce sens.

Pourquoi n’adopte-t-on pas celui des américains pour faciliter la recherche de trouvaille des ressources? Qu’en pensez-vous, au lieu de développer un autre alphabet? Ça ne complique pas les choses? L’alphabet américain a déjà une reconnaissance internationale, et si les sourds et muets en Haïti seraient en mesure de converser avec leurs homologues américains je pense que ce serait un avantage pour eux. Qu’en pensez-vous?

M.N: Si j’analyse le système d’éducation, par exemple la façon dont les sourds apprennent en Haïti, c’est deux choses différentes. Vous allez trouver par exemple des sourds qui n’ont jamais été à l’école. Ils parlent plus une langue des signes archaïque qui n’a pas le même alphabet avec la langue des signes américaine (ASL). Il ya des sourds par exemple, s’ils écrivent ou chat avec vous, ils peuvent écrire en anglais, mais ils ne comprendront pas si vous écrivez en créole. Tout cela a à voir avec la façon dont ils ont été enseignés à l’école. Il ya des sourds qui peuvent écrire en français, et qui ne peuvent pas écrire en créole. Il ya ceux qui ne peuvent écrire en créole s’ils vous envoient des sms, mais ils ne peuvent pas écrire en français ou en anglais. Donc, tout cela fait partie du système éducatif, la façon dont on enseigne à l’école en Haïti.

Nous savons qu’il existe la Faculté de Linguistique Appliquée (FLA) à l’Université d’État d’Haïti. Par exemple, il y a des étudiants qui apprennent la langue des signes... Je ne sais pas ce que vous en pensez, ce qui peut être fait en partenariat avec la FLA...

M.N: Eh bien, je crois qu’il ya beaucoup d’étudiants de la «FLA» qui sont vraiment intéressés à travailler en tant que partenaires avec de nombreuses organisations dans le domaine de l’Association des Personnes Handicapées. Je ne sais pas si les projets s’arrêtent ou s’ils continuent en ce moment. Mais c’est un projet qui travaillait dans un centre situé à SONAPI*. À l’heure actuelle, j’ai deux collègues interprètes. Ils enseignent la langue des signes à de nombreux sourds dans un centre à l’intérieur de SONAPI. Je sais qu’ils travaillaient là-dessus.

De quelle façon pensez-vous que vous pouvez faire une enquête en Haïti afin d’avoir une idée combien de sourds et muets qui n’ont pas d’accès à l’école, où ils sont situés, et recherche sur le terrain sur ce point pour avoir une idée combien ils existent au total?

M.N: Correctement! C’est la raison pour laquelle nous avons eu l’initiative de former une structure CODA (beaucoup d’enfants de sourds, et nous allons trouver où les sourds. Par exemple, le gouvernement donne parfois une conférence de presse, il y a un homme spécialisé dans la langue des signes; il sert d’interprète. Beaucoup de sourds ne comprennent pas ce qu’il dit; ils se plaignent toujours. Cependant, c’est toujours lui qui est choisi par le gouvernement pour faire le travail à chaque fois qu’il donne une conférence de presse. Pourtant, le message n’atteint pas les sourds.

Donc, ici, je vois une question d’accord qui aurait dû exister pour avoir une langue des signes régulière de la même façon dont les Américains l’ont fait où ils vont à l’école pour l’apprendre. C’est ce que je vois pour éviter toute confusion.

M.N: Il y a une confusion totale là-dessus. C’est la raison pour laquelle nous, enfants de sourds, avons grandi avec eux; nous les comprenons, et nous disons que nous devons nous asseoir pour former un mouvement CODA, de la même manière que les enfants de certains pays l’ont déjà fait... Tous les membres de la famille CODA devraient se rendre dans tout le pays pour faire un sondage afin que nous sachions le nombre de sourds, combien d’enfants ils ont, quels problèmes confrontent leurs enfants, les problèmes que confrontent les sourds, ce qu’ils n’ont pas et ce qu’ils aimeraient savoir comme information.

CODA semble être une abréviation... Quel est le mot complet s’il s’agit d’une abréviation?

M.N: Ce n’est pas une abréviation. Par exemple, lorsque vous dites CODA, vous voyez les enfants des sourds. C’est la recherche que j’ai faite moi-même; Je vois que ce sont des enfants des sourds. De nombreux pays, y compris les États-Unis ont un CODA. Beaucoup d’enfants de sourds se regroupent et ils appellent le mouvement ainsi, et dans certains pays que j’ai mentionnés.

Merci beaucoup. Nous allons nous arrêter ici pour aujourd’hui.

*Note

Moteur: Personnes handicapées, comme celles qui manquent une jambe, un bras, celles en fauteuil roulant...

SONAPI: Société Nationale des Parcs Industriels Métropolitains.

Courtesy E. W. Védrine Creole Project
Boston, Massachusetts. USA

*

 Viré monté