Potomitan

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Annou voyé kreyòl douvan douvan

 

 

Entrevue de Jude Duranty

 

recueillie par Francesca Palli
le 6. Septembre 2009

 

 

 

 

 

 

 

Jude Duranty

Jid, depuis 2004, vous tenez sur l’hebdomadaire Antilla une rubrique en créole «Kréyolad». Pourquoi avez-vous choisi le créole pour votre rubrique? Quel genre de sujet traitez-vous?

C’est d’abord une suggestion faite à un ami membre du comité de rédaction d’Antilla, Gérard Dorwling Carter, mon choriste à l’époque. Et il m’a dit tout de go: poutji ou pa ka fè’y wou menm?

C’est dans ces conditions aussi simple qu’est né mon premier kréolad. À l’époque je l’écrivais ainsi et c’est feue Pierre Pinalie qui m’a demandé pourquoi je l’écrivais sans (y). Finalement, j’ai souscrit à sa suggestion et je ne me souviens plus à partir de quel numéro Kréolad est devenu Kréyolad.

Je traite de tous les sujets d’actualité. Je vais même jusqu’à dire que se sont les sujets qui me choisissent. En effet, je reste à l’affut de bribes de nouvelle qui m’interpellent sur l’aspect créole tant dans le quotidien, dans la presse radio et télévisuelle mais surtout dans la rue. Mon écriture se fait donc dans ma tête sur toute la semaine avec des personnages qui sont mes parents et surtout ma grand-mère qui est morte à 107 ans. Je me mets à parler comme eux parlaient créole en leur temps. Quand je prends mon papier tout vient rapidement. C’est le titre qui est difficile à trouver.

Avec le temps, certaines contraintes sont intervenues comme par exemple la remise impérative du texte le mardi matin. Il m’est arrivé d’être «en panne» de sujet. Aussi surprenant que ce la paraisse, c’est dans ces moments de doute et d’urgence que mes meilleurs écrits sortent. C’est curieux, mais c’est comme cela. Comme dirait l’autre l’inspiration ne se commande pas.

Tous les sujets me permettant un traitement sous l’angle principalement de l’humour, de la dérision. Je ne me prends pas au sérieux (même si je traite de sujets sérieux). L’excellent travail de Nicole Isch (Le spectacle de Kréyolad) présenté au colloque du GRECFAV en 2008 au Prêcheur, m’a beaucoup révélé sur ma posture d’écriture créole. Le Kréyolad est en réalité un billet d’humeur. Il faut faire des remarques critiques sans critiquer. C’est devenu une pratique voire un tic. Ce n’est pas toujours évident surtout lorsqu’il s’agit de personnage politique. Mais après 5 ans de pratique j’arrive tant bien que mal à m’en sortir (enfin je pense!).

Avez-vous toujours écrit en créole? Si non, comment avez-vous commencé et pourquoi ? Est-il difficile pour un créolophone d’écrire correctement en créole?

J’avais déjà commencé à écrire des chansons, des poèmes en créole et en français. Depuis février 2004, date du premier Kréyolad, je n’ai jamais cessé. Cela fait donc un texte par semaine et je suis à mon 281ème. Mon premier texte long, que je qualifie volontiers de racontage à l’instar de mon ami l’écrivain Max Rippon, a été en créole. D’ailleurs, je suis à la recherche d’un éditeur. Mon premier roman créole (Rété trantjil sé an rimed) est paru en français en 2007 sous le titre «Zouki d’ici danse» aux éditions Ibis Rouge qui m’ont demandé de le traduire.

Je dois dire ainsi qu’à la faveur d’un stage d’écriture en 2003 sur la nouvelle, j’ai produit quelques petits textes et j’y ai pris goût. (lakol la pri an dan-mwen) Je dirai même que j’ai contracté le virus. Avec les Kréyolad, je suis en permanence dans l’écriture créole, les jeux de mots entre les deux langues. C’est qu’un mot français peut avoir une résonance particulière en créole et c’est véritablement un jeu, une chance et aussi un vrai bonheur de parler deux langues voire plusieurs.

Je crois que la difficulté est de même nature que pour un francophone d’écrire correctement le français. La difficulté, à  mon avis réside dans sa propre posture en face de sa langue. Si l’on considère que c’est que c’est une langue que l’on sait parfaitement parler et que l’on n’a pas à s’y alphabétiser. (C’est facile, mais là nou ka bétizé).

Car l’écriture du créole requiert un minimum. Quand on sait que le système du GERCE-F que j’ai adopté ne fait pas l’unanimité. Je continue pourtant à me former notamment aux innovations introduites par le standard II. Je crois que tout système n’est pas parfait, il ne peut être que perfectible. Il faut donc laisser les linguistes faire leur boulot. Mais je crois que si plus de locuteurs se mettaient à écrire l’on serait aussi une force de proposition par notre pratique de l’encodage et du décodage. Il y a donc un équilibre à trouver entre ceux qui veulent se rapprocher au maximum du français et ceux au contraire qui veulent s’en éloigner pour affirmer l’identité de la langue. Ces positions idéologiques brouillent le message et il n’est pas surprenant que ceux qui viennent de l’extérieur ont moins de mal à lire le créole, car ils acceptent que c’est une langue avec ses propres codes. Tandis que le créolophone alphabétisé d’abord en français chercher toujours sa langue d’apprentissage primaire.

À mon modeste niveau, j’essaie d’écrire du mieux possible, de produire des textes car une langue a besoin d’écrits pour évoluer. Beaucoup de lecteurs me disent aimer les Kréyolad. Cela me fait assurément plaisir. Mais au-delà de mon égo, je suis surtout conscient que les Kréyolad comblent un vide. La possibilité de disposer de textes courts, sans prétention sur tous les sujets. C’est à mon avis la vraie raison de son appréciation. Quand je vois, ma belle mère par exemple, pété ri, (s’éclaffer) à la lecture d’un texte cela me procure un vrai bonheur. Comme cela m’attriste aussi de voir par exemple certains enseignants avoir des mimiques de dédain, comme s’ils avalaient à la lecture d’un Kréyolad quelque chose d’amer. Mais c’est normal tout cela, ceux qui se donnent la peine d’apprendre à lire en tire assurément un vrai bonheur comme dans toute lecture dans quelque soit la langue.

Il paraît que la langue des Kréyolad préserve des mots anciens tout en adoptant un langage actuel. Tant mieux si cela peut faire le bonheur de certains. (Je n’espère pas l’aversion d’autres mais, sa sé an lespwa mal papay).

Notre langue recèle des trésors dans les images, les proverbes, la philosophie. Il faut essayer de garder, en tout cas ne pas perdre, cette beauté du langage tout en essayant d’être simple, pas trop grand grec. J’essaie d’écrire avec des mots anciens que je connais car l’on a déjà beaucoup perdu. D’ailleurs, c’est pour cela que Raphaël Confiant a mis en place le Dictionnaire des Néologismes. Cette construction savante ne peut être validée par le peuple. Je ne suis pas certains que l’ensemble du peuple, qui ne lit pas encore régulièrement pour diverses raisons, est capable d’accepter et d’entériner ce procédé.
La question reste donc difficile. Il n’est pas facile d’écrire «correctement» pour être toujours compris. Mais je crois qu’il faut chercher à faire perdurer des formules typiquement créoles comme le éti qui tend à disparaître au profit du qui du français.

Votre activité de bibliothécaire vous a-t-elle stimulé à vous dédier à l’écriture et à celle en créole?

Assurément. (Papa dirait: direktiman) je crois que ma pratique professionnelle m’a sensibilisé a la rencontre de nombreux écrivains tel que Gibert Gratiant, Georges Mauvois, Marie-Thérèse, Julien-Lung Fu, Raphaël Confiant, Georges de Vassoigne, Térèz Léotin, Daniel Boukman, Eric Pézo, Jean-François Liénafa, Hector Poullet, Max Rippon, Georges Castéra et beaucoup d’autres. Surtout Georges Mauvois que je connais personnellement, qui m’a fait aimer et apprécier la lecture de cette magnifique langue. J’invite les lecteurs de potomitan à se régaler avec Ovando, Dé twa ti-mo Jaz est un mango vè mi lanmanten, (une vraie merveille). La langue créole est magnifique. (J’ai failli écrire la plus belle mais c’est mon coté chauvin) Et puis le proverbe créole ne dit il pas bien: «makak pa janmen ka trouvé ich-li led».

Les écrivains créolophones sont nombreux mais leurs livres sont anba fèy, confidentiels manquant cruellement de promotion. Ce sont tous ces écrivains qui par leur texte m’ont donné le goût de lire et d’écrire. Mèsi pou yo.

Pourquoi beaucoup de vos expériences d’écritures en créole sont liées à des sujets religieux?

Parce que tout simplement, je suis chef de chœur liturgique. Je me suis trouvé très vite confronté à une pénurie de musique liturgique écrite en créole. Alors que nous sommes rythmiquement riches, il y a peu de musique créole liturgique. J’en ai pris conscience lors de mes stages à l’étranger. Je me suis dit que ce n’était pas les autres qui allaient me l’écrire. J’ai donc pris des cours d’harmonie, me suis formé à l’écriture musicale. Mais l’écriture créole est un vaste champ à coutelasser, bécher et sarcler. C’est un terrain presque vierge et donc beaucoup reste à faire. Même si depuis une trentaine d’année, grâce à des gens comme Antoine Maxime, Père Elie, Edouard Boniface, Paulette Nardal, Marie-Thérèse Goron, Germain Kanuty, les choses commencent à bouger. Et ce n’est pas étonnant de voir poindre le mouvement Bèlè légliz d’aujourd’hui. Fort du travail de ces compositeurs créoles, je tente, en autodidacte, de me forger ma petite écriture musicale. Car écriture créole ne peut être totalement l’écriture classique occidentale même si elle comporte des bases communes.

J’ai donc beaucoup écrit pour ma chorale (l’Orchidée de Schœlcher) qui est une chorale liturgique mais ancrée dans la culture musicale martiniquaise. Ceci explique donc la récurrence voire le militantisme de l’aspect religieux.

Cependant j’ai aussi composé pour la musique populaire. J’ai participé à deux éditions du Concours de la chanson créole. J’ai obtenu en 1987 un troisième prix de valse et un deuxième prix  toujours dans la catégorie valse en 1988. Cette même année j’ai obtenu le troisième prix de composition chorale organisé par l’AMIC à l’occasion des 150 années de commémoration de l’abolition de l’esclavage.

En Martinique religion et créole ont-ils toujours eu des fortes interdépendances ou s’agit-il d’un des effets de la reconnaissance du créole comme langue à part entière?

Pas toujours. Il a fallu des précurseurs comme ceux cités plus haut pour que les choses bougent. Les prêtres Antoine Maxime et Louis Elie ont connu de nombreuses difficultés lorsqu’ils ont introduit le tambour à l’église et du même coup le créole. C’était à l’époque (et encore aujourd’hui) presque diabolique. Je connais une de mes choristes qui n’aime pas chanter en créole à l’église. C’est vous dire que l’interdiction de parler et par voie de conséquence chanter a fait (et sans doute fait encore) de gros dégâts.

Je dois dire aussi, grâce aux trente années de travaux du GEREC F, les gens de moins en moins ne disent plus que le créole n’est pas une langue, mais un vulgaire patois. Ils ont conscience qu’au-delà du langage parlé le créole présente un aspect identitaire. La conscience créole évolue même si beaucoup refusent encore aujourd’hui ce mot. En tout cas ils ont l’intime conviction de leur singularité. Et le créole commence à être considéré comme une langue majeure. Pour citer l’un des personnages de mon roman, «le créole ne veut plus rester assis sur un ti-ban alors que d’autres sont dans un fauteuil linguistique. Il a le droit de s’y installer pour prendre langue avec toutes les langues du monde.» Sa i mantjé?

Comment avez-vous découvert le site Potomitan.info?

C’est un ami, amoureux du créole, militant qui m’avait recommandé le site. Je consultais régulièrement pour la bibliographie d’écrivain comme le site Île en Île. Il m’avait suggéré de vous envoyer les Kréyolad, mais je n’osais pas (man tibren kapon, par timidité). Et puis j’ai pris mon courage créole à deux mains pour vous solliciter afin de faire figurer mes ouvrages surtout Sansann qui vient d’être publié.

Je dois dire également que les Kréyolad sont déjà sur trois sites (Montray kréyol, Gens de la Caraïbe et à l’Abowdaj) alors pourquoi pas potomitan? En attendant de trouver les moyens ou un éditeur pour les publier un jour.

Merci de vous être prêté à cet entretien.

C’est à mon tour de vous remercier car à l’issue de la publication de mon septième ouvrage, beaucoup pensait que je n’écrivais que les Kréyolad. Je vous remercie de me fournir l’opportunité d’être publié et de figurer (fidjiré) comme écrivant créole. (J’ai conscience d’écrire beaucoup de vent, mé es pawol sé van?) Je serai peut-être un jour écrivain créolo-francophone,  mais: sa sé pa rédi chez bò tab, sé matjé dri san rété kon sansann alé.

Mèsi Frantseska,
an lo,
an chay ek an patjé.

Jid
Jude Duranty

 Viré monté