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René Depestre à Pointe-à-Pitre

Jean-S. Sahaï

 

 

 

 

 

 

 

René Depestre à Pointe-à-Pitre

Lundi 25 avril 2005. Pointe-à-Pitre, le Centre des Arts et de la Culture. René Depestre en ville, il ne fallait pas manquer cela. Parce que, c'est cadeau du Salon du Livre, une rencontre de visu avec le voyageur bleu. Parce que, la Poésie. Et parce que, oui, parce que, tendresse oblige, parce que: Haïti et nous...

Grand Seigneur portant chapeau foncé à large bord sur visage clair de guilleret vieillard barbu, appuyé sur son pupitre semblable à celui où, dans la petite ville de France où il s'est fait adopter depuis 20 ans, il écrit, tel Hugo ses cent vers chaque matin, avec, nous dit-il, l'optimisme du réveil succédant au désespoir du soir.

L'homme n'a pas tari d'éloges pour son ami Bangou, puisque la ville le reçoit. il lui dédie un de ses poèmes. Eloges aussi pour Jacky Dahomay, présent, qui se pose en incontournable consultant ès-la chose haïtienne, un tantinet messianisant et prometteur... Eloges aussi pour les grands de la littérature: Depestre les a tous rencontrés qui dînant, qui croisant le fer, les toisant et soupesant pour finalement les aimer tous: Césaire, il en est le disciple. Senghor, Fanon, Glissant,... il les a tous vus et reconnus.

Et de nous narrer ses aventures intérieures et autres dans une verve sans contrainte, une langue déliée, un confort aussi, une jouissance suave d'homme réconcilé bouclant sa quadrature et présentant son testament avec gouaille...

Et pourtant.

Et pourtant, ce fut aussi une réflexion profonde. Réflexion nourrie, partagée à cœur ouvert avec un auditoire captivé qui, vite fait, s'est senti privilégié, invité bienvenu dans l'antre intime du conteur, parfumée de son érotisme débridé et empreinte de sa maturité crémeuse.

Le drame d'Haïti est bien la préoccupation première du poète, qui n'est pas un doux rêveur mais un bêcheur de la conscience. Depestre en revient, de son île en lambeaux, et sa peine est grande, profonde est sa compassion pour ce pays gâché, ces êtres dépassés. Avec nous il fait le tour des remèdes possibles, de l'abandon américain qui n'a rien à gagner chez ces vas-nu pieds affamés, à l'amitié pour la Fance, longue histoire d'amour et de révolte, de littérature et de politique, d'ensemencement mutuel. Car, ô miracle, si le corps est mutilé, affamé, dépérissant, Haïti reste source inépuisable de persévérance, d'écriture, d'art, de musique et de chant, de ces transports en commun érigés en monuments à la vie... Le génie créateur est intact, mais la notion de nation structurée, le cadre nécessaire à la réussite d'une république, voilà ce qui n'y est pas, et qu'il faut y apporter...

Haïti demeure inséparable de la France! Elle que Dessalines invectiva et répudia en français, et bien sûr en créole - mais le créole reste une langue romane. Et nous aurons beau faire, nous resterons pétris de francité, de francophonie et de franc-salaison malgré nous... L'Histoire se moque de nos histoires. Et Depestre de nous mener à la conclusion : si Haïti est désormais condamnée à ne plus pouvoir s'en sortir toute seule, si l'aide des grands est devenue une absolue nécessité - l'Allemagne et le Canada se sont manifestés, c'est bien la France qui est appellée au chevet de la première république noire dont elel reste l'accouchée. C'est bien d'elle, via tutelle des Nations Unies, peut-être, que l'enfant prodigue doit recevoir la manne et les soins qui le remettront debout. Et armé de sa plume, le poète en a déjà convaincu les politiques français de tout bord, un consensus est en marche, il nous fait vibrer avec ce rayon d'optimisme qui le guide.

Depestre arrive presque à nous convaincre de nous réconcilier aussi... Mais nos oreilles sont encore dures à entendre certains messages. Il semble bien réconcilié, ce qui pour un homme comblé de son parcours personnel de poète et diseur est une aubaine, une guérison mystique presque : fini, le temps de la révolution anti-maternelle, lointaine, la révolution castriste : Dieu merci ses amis l'avaient dissuadé d'aller avec ce Che argentin, ce Fidel cubain, ces blancs cubains... Et quoiqu'il porte encore en lui la nostalgie de la Sierra Maestra manquée, il se doute bien que l'esprit de liberté qui l'habite eût tôt fait de le mener au peloton d'exécution! Eh donc il semble plutôt content que le destin lui ait épargné un tel sort.

C'est de telles réjouissances que l'homme bénit sa vie, et que, dépassant nos colères rentrées ou exprimées, il proclame venu le temps d'arrêter les enfantillages de bouderie qui nous parcourent encore. Et d'évoquer cette inteminable dose de haine quotidienne qui est la drogue des noirs nantis et trapus que nous sommes, fâchés avec la mère nourricière. On croirait presque l'entendre nous annoncer que c'est la France qui va nous réclamer une dette, pour nous avoir appris abécédé...

Mais Depestre sait de quoi il est venu nous parler. D'amour. De guérison. De libération intérieure. Car si la haine continue d'être le ferment de nos parcours, atteindrons-nous jamais la paix? Et face à une mondialisation implacable, déjà plaquée sur nos lendemains, comment nous en sortirons-nous, à moins de nous réconcilier, petits et grands de la planète, de tout nous dire, et nous donner la main?

Un vrai message de vrai poète, un René au cœur profond, à l'âme libre.

Jean-S. Sahaï


René Depestre : "La situation en Haïti est... di LePoint

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