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CHAPITRE 13

du livre à paraître
"Éloges de l'interlocuteur"

Regards sur la littérature contemporaine

Saint John KAUSS

Qu’est-ce qui vous intrigue le plus dans la littérature contemporaine?

De ne pas oser franchir les frontières. D’avoir à hésiter face aux approches du Nouveau Roman. D’avoir trop boudé les données de l’art structuraliste. Certains auteurs ont vite abandonné le renouveau pour revenir à l’art classique. De plus, le théâtre et la philosophie sont quasi absents du corpus littéraire contemporain.

Pouvez-vous faire une comparaison objective de la poésie haïtienne contemporaine à celle patrimoniale?

La poésie haïtienne classique ou patrimoniale était faite de rimes et d’alexandrins. Les anciens auteurs étaient partisans des Romantiques français (Hugo, Lamartine, Vigny et Musset), du Parnasse (Lecomte de Lisle et François Coppée), ou du Symbolisme (Théophile Gautier, Baudelaire, Rimbaud, Verlaine et Mallarmé). Alors que la poésie haïtienne contemporaine est en vers libres et nous fait penser à Breton, Aragon, Eluard d’une part, et d’autre part à Saint-John Perse et aux structuralistes.

Quelle différence faites-vous entre la littérature moderne et la littérature contemporaine?

La littérature contemporaine est cette littérature faite au moment présent, tandis que la littérature moderne implique le renouveau, l’inédit, la différence, l’innovation.

La littérature contemporaine traite du présent. Cela ne met-il en doute votre capacité de prendre la distance nécessaire pour étudier, voire apprécier vos propres oeuvres?

Mes œuvres ne parlent pas seulement du présent, de mon présent, mais surtout du passé simple. Ce qui les rend d’ailleurs facile à digérer. Moderne, je m’en rends compte de plus en plus.

La littérature est une entité étrangère. Vous la questionnez, vous tentez de la définir mais vous n’en avez pas l’emploi.

La littérature représente l’ensemble de ce qui a été dit et de ce qui est présentement dit. Oui je la questionne pour tenter de la définir. Le mode d’emploi! Il existe plutôt des modes d’emploi à la littérature. Parce que chaque écrivain a sa propre recette, son mode d’emploi pour affronter la page blanche et ses syndromes.

De plus, l’écrivain, de génération en génération, subit des mutations. Regardez ce qui se passe maintenant en Europe. Pour écrire, les écrivains des années 2000 ne puisent pas seulement leur inspiration dans les livres et chez d’autres auteurs. Ils s’inspirent aussi de la musique, de l’art plastique et même de la vidéo, afin d’importer d’autres techniques dans le champ littéraire. Des écrivains, tels Olivier Cadiot, chef de file de cette nouvelle génération d’écrivains hybrides, la vidéaste et écrivaine Valérie Mréjen, Nathalie Quintane, Christophe Fiat, Jean-Charles Massera, Patrick Bouvet et Charles Pennequin, secouent, comme le firent autrefois Roland Barthes et les structuralistes, le groupe Tel Quel et le Nouveau Roman, les normes et assises de la littérature française. Néanmoins, de telle démarche n’est pas si étrangère aux surpluréalistes haïtiens (lire L’Archidoxe poétique, Humanitas, 2008) qui, depuis plus de vingt ans, favorisent, entre autres, la musique, l’architecture, la peinture ou la sculpture, dans le champ de la littérature moderne. Les théories du chaos, des cordes ou de la physique quantique y sont également intégrées.

Existe-t-il une certaine complicité littéraire entre les écrivains caribéens et ceux d’Haïti?

Je répondrai par l’affirmatif. Les écrivains de la Caraïbe ont compris depuis toujours qu’ils doivent s’organiser pour entreprendre l’autre marche vers la liberté intégrale. En guise d’exemple, ce premier Congrès des Écrivains de la Caraïbe qui s’est tenu au Gosier (Guadeloupe) en cette fin de novembre 2008. Sans visiter Haïti ou presque, les plus grands écrivains caribéens et de la région ont présenté ce pays ou un personnage de l’histoire d’Haïti (Toussaint Louverture, Jean-Jacques Dessalines, Henri Christophe et François Duvalier) dans leurs œuvres: Aimé Césaire, Édouard Glissant, Vincent Placoly et Raphaël Confiant, pour la Martinique; Maryse Condé, pour la Guadeloupe; Derek Walcott, pour Sainte-Lucie; Alejo Carpentier, pour Cuba; Enrique Buenaventura, pour la Colombie; Ana Lydia Vega, pour Porto Rico; Cyril Lionel Robins James, pour Trinidad. Sans pourtant omettre, entre autres, les œuvres venues d’ailleurs comme celles du grand Victor Hugo (France) ou de Graham Greene (Angleterre).

Congrès des écrivains de la Caraïbe

Quelle part faites-vous à la littérature québécoise?

La littérature du Québec est jeune et pleine d’avenirs. Ils ont commencé avec le Romantisme. Trois représentants de cette époque: François-Xavier Garneau, Octave Crémazie et Louis-Honoré Fréchette (auteur de La légende d’un peuple). La poésie moderne québécoise a débuté avec les poètes Émile Nelligan et Clément Marchand (auteur de Les soirs rouges). Ils ont expérimenté, en la personne de Hector de Saint-Denys Garneau et d’Alain Grandbois, de Rina Lasnier et d’Anne Hébert, la poésie du Moi et de l’espace. Ce qui a été suivi du courant surréaliste ou de l’âge de la parole: Roland Giguère, Claude Gauvreau, Paul-Marie Lapointe, Gatien Lapointe, Fernand Ouellette, Gaston Miron, Gérald Godin, Jacques Brault, Paul Chamberland, Yves Préfontaine. La poésie du paysage intérieur : Gilbert Langevin  et Michel Beaulieu. La poésie post-moderne: Nicole Brossard. La poésie du paradoxe: Pierre Morency, Marcel Bélanger, Pierre Nepveu, Normand de Bellefeuille, André Brochu, Jean Royer, René Lapierre, Claude Beausoleil, François Charron. La poésie contemporaine: Marie Uguay, Denise Desautels, Hélène Dorion, Jean-Paul Daoust. Nouveaux poètes: José Acquelin, Martine Audet, Louise Cotnoir, Gilles Cyr, Michael Delisle. Poètes de la relève: Danny Plourde, Philippe More, Daniel Leblanc-Poirier, Fernand Durepos.

Et qu’en est-il du roman? Et de la nouvelle?

Le grand roman moderne a été inauguré par Cervantès avec son Don Quichotte et la notion de l’errance absolue, de l’aventure. Puis vint Samuel Richardson, en plein XVIIIe siècle, et l’examen de la vie secrète des sentiments, l’exploration de la vie intérieure de l’homme. Avec Honoré de Balzac, l’Homme est rentré dans l’Histoire. Avec Flaubert, on assiste à l’exploration du quotidien. Avec Tolstoï, l’irrationnel dans le comportement humain. Avec Marcel Proust, l’insaisissable moment passé et perdu. Avec Joyce, l’insaisissable moment présent. Avec Kafka, les possibilités de l’homme face aux déterminations d’un monde si écrasant. Avec Thomas Mann, le rôle des mythes sur nos décisions. Avec Sartre et Camus, l’existentialisme de l’absurde.  Avec le Nouveau Roman, le désengagement de l’homme dans la subjectivité des objets réels. Ce sont, d’après moi, les principales avenues du roman en Europe ou dans le monde.

Selon Jean-Marie Gustave Le Clézio, prix Nobel 2008, «nous vivons dans une époque troublée où nous sommes envahis par un chaos d’idées et d’images. Le rôle de la littérature aujourd’hui est peut-être de faire écho à ce chaos. (…) On n’a plus l’outrecuidance de croire, comme à l’époque de Sartre, qu’un roman peut changer le monde. Aujourd’hui, les écrivains ne peuvent que faire le constat de leur impuissance politique. Quand on lit Sartre, Camus, Dos Passos ou Steinbeck, on voit bien que ces grands écrivains engagés avaient une confiance infinie dans le devenir de l’être humain et dans le pouvoir de l’écriture. Je me souviens quand j’avais dix-huit ans, je lisais dans L’Express les éditoriaux signés Sartre, Camus ou Mauriac. C’étaient des essais engagés qui montraient le chemin. Qui peut imaginer aujourd’hui qu’un éditorial dans un journal puisse aider à résoudre les problèmes qui nous gâchent la vie? La littérature contemporaine est une littérature du désespoir.

«(…) Le roman est effectivement un genre bourgeois. Tout au long du XIXe siècle, il a magnifiquement incarné les heurs et malheurs du monde bourgeois. Puis, le cinéma est arrivé. Il lui a volé la vedette et s’est révélé un outil de représentation du monde beaucoup plus efficace. Les écrivains ont donc cherché à élargir la portée du genre romanesque en faisant un lieu d’expression des idées, des sentiments. Ce faisant, ils se sont redus compte combien ce genre est malléable, fluide, se prêtant facilement aux expérimentations formelles. Depuis, chaque génération a renouvelé le roman, l’a réinventé en apportant de nouveaux éléments.»

En Haïti, le roman fut d’abord d’inspiration réaliste (Frédéric Marcelin, Fernand Hibbert), pour être ensuite indigéniste (Jacques Roumain) et merveilleux  (Jacques Stephen Alexis). Le roman évolue actuellement vers le vide du structuralisme et du Nouveau Roman (Frankétienne), en un mot vers le «chaos»  littéraire. Ce ne sont plus des romans à lire du genre linéaire, mais des romans expérimentaux et spiraliques, selon les procédés narratifs mis en œuvre par Frankétienne, maître du chaos. Selon ce dernier, «un épisode n’y est pas raconté de façon linéaire, ni même de manière cyclique, mais bien par des cercles concentriques. C’est-à-dire que l’on revient régulièrement à un point de départ pour repartir de l’avant.» Donc la structure globale du roman spiralique est bâtie sur des cercles, ces cercles concentriques.

La nouvelle, semble-t-il, est considérée comme l’enfant pauvre, la cendrillon d’un genre mineur. Alors que la poésie et le théâtre sont deux genres archaïques, c’est-à-dire plus âgés que le roman ou la nouvelle, il n’en demeure pas moins que les écrivains haïtiens privilégient surtout la poésie. Il est beaucoup plus facile de publier, même miméographiée à ses frais, la poésie. Le théâtre, c’est encore mieux. On peut faire jouer une pièce de théâtre sans la faire éditer ou la publier, d’où leur disparition au fil des années. Par contre, les écrivains haïtiens se sont vraiment acharnés sur le genre romanesque une fois à l’étranger où il existe toute une institution (éditions subventionnées, Conseil des Arts et des Lettres, bourses de création, subventions de voyage, etc.) incitant l’écrivain même à s’asseoir et à écrire. Si l’on comprend bien, contrairement à ce que certains détracteurs pensent, faire de la littérature demande beaucoup d’heures libres, de sous et d’énergie.

Peut-être que la nouvelle est de beaucoup plus difficile qu’il le paraît. Pages pleines, manque d’espace dans un temps court, peu de mots jusqu’à un point d’intensité, lieux de tension jusqu’à la chute finale, habileté dans l’art de la litote, moyens sommaires sous le poids des mots pour une harmonie totale. Madame Yanick Lahens, notre meilleure critique au féminin, a déjà et très bien expliqué le phénomène dans «Où va la nouvelle?» (Boutures, vol. 1, no 1, juillet 1999, pp. 4-7). Et Jacques Stephen Alexis, en ce qui a trait au roman, dans «Où va le roman?» (Présence Africaine 13, Paris, avril-mai 1957, pp. 81-101).

Il est à noter que les deux premiers romans de la littérature haïtienne, Francesca (1872) et Le damné (1877) de Démesvar Delorme, avaient pour cadre l’Europe (XV et XVIe siècles).

 Viré monté