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Cahier de l’île noire (extrait 1)

Saint-John Kauss

à  l’Ancêtre aux yeux poudrés
et à nos morts du choc de janvier

Non! Je refuse la mer inconnue,
Morte, entourée de villes tristes….”
 (Pablo Neruda)

ta parole est une lampe à mes pieds,
et une lumière sur mon sentier.”
(Psaume 119: 105)

Pascale Monnin

Pascale Monnin, Des histoires de morts mais aussi celles de vivants. 2 petites filles piégées avec Rose l’Africaine 60 heures sous terre à chanter, parler dans le noir avant d’être secourues. © Collection Galerie Monnin.

mes adieux mais vous serez toujours présents dans mes souvenirs de rien dans mes roucoulements d’oiseaux de la montagne à l’est mais à l’intérieur de chaque goutte d’eau jetée à l’ouest des cimetières

ce cœur blessé d’homme blême que je possède dès aujourd’hui cette rose en chemin que je parfume cette bibliothèque que je remue par trois fois les livres des extraits de poèmes de vieux poètes à libérer dans leur sarcasme  schizophrénique

mes adieux à cette ville où j’ai grandi visage béat de poète en herbe coupable des cicatrices passionnées des étreintes de mariés
mes adieux à ces rues autrefois pleines d’enfants qui jouent à la marelle et à l’armée démantelée
à ces petites filles qui vont chez les Sœurs
visages d’hébétées naviguant vers la mer
à ces petits garçons qui s’étonnent des militaires
fusillés pour avoir chassé la pluie de nos rivages                                             
tous ces édifices asymétriques en dix vingt trente quarante secondes de caresses sismiques
de Port-au-Prince à Léogane Jacmel Petit-Goave jusqu’aux Cayes du fond des mers et des terres plates comme des cassaves mombins crochus aux cercles simiesques

toutes ces belles terres pleines de cacaos et de café amer qui font perdre l’union à la fille du Cacique du grand don de nos plaines assujetties aux ordonnances de l’orchidée

libéré des chocs et de son paraclet mon pays mon onction souveraine sans relâche qui ne fleurira plus comme l’herbe folle de la savane             qui ne se soulèvera plus comme l’écume des grands chemins  de la mer
Haïti ô mon pays

j’y mettrai désormais des bornes à tout ce qu’on bâtirait à tout ce qu’on enlèverait de la terre de cette terre des orgueilleux et des délices  
j’y consentirai des caves à nos morts
pas de fosses communes ni de tombes solitaires

si Ô Haïti ton aire n’eut fait mes caprices j’eusse alors péri dans la fumée des louanges dans le brouillard des alarmés dans les promesses des dominés

si ta mer n’eut fait mes délices j’eusse néanmoins réglé le quota de mes visites aux gens simples de la montagne
mes transgressions aux vaillants hommes des villes mortes pour la liberté de vivre dans le salut des églantiers

nos adieux aux grandes routes saccadées de tristesse aux grandes ruelles fortes des épices sans recettes aux grands boulevards nés pour le maquis éternel des révoltes

nos adieux aux rivières pleines de sacrifices aux torrents d’eaux aux sources mystiques aux lacs partagés dans la douleur des hommes fins pieds plats os maigres de moelle sans gras comme des abeilles

pour tant de veilles et de veillées funèbres autant que je vous salue
ô morts du choc de janvier dans l’odeur des cadavres
parmi les putains mouillées dans un cafétéria
parmi les guenilles du mendiant en fuite
parmi les pises des passants au sang chaud
parmi les cathédrales avilies devant nos yeux maigres

sept fois le jour nous aurions du célébrer dans des chants de la présence de l’espoir de n’être pas seul sous un lit de pleurs
d’être encore souverains à chaque plante nouvelle  

et sept fois la nuit            rallumer le feu de joie des feux à la fausse rumeur des abeilles que nous aurons ajouté à la tristesse du petit soldat en parade à l’ombre des citronniers

pour le pays démonté et pour la patrie défoncée j’entre dans la démesure des loas qui n’ont rien vu arriver                   des trafiquants qui n’eurent de cesse qu’aux yeux de l’albatros à genoux dans les parages
 

je
du reste de ce qui nous oppose au silence de la mer
aux fracassements des vagues qui le soupçonnaient
aux détournements des fonds énormes
dénoncés
à la criée publique
au long sourire du poète qui le savait

 

nous
de tous les camarades consolés de la magnitude du monstre
et de la bête qui veut la peau de notre île majestueuse
assistée à souhait
de tous ces étrangers confortés de la paresse du vent et des décombres
de nos chimères illettrés qui font des siennes malgré l’abus malgré l’opprobre
nous
disons adieux aux portes ouvertes de la mer
qui sous-entendent la mélancolie des coquelicots
le deuil à grande échelle des scarabées d’une autre race

32 Forces Hill Road, Washington, NJ,
15 janvier 2010

Cahier de l’île noire (extrait) trad. en créole par Jean Armoce Dugé.

fleur

Saint John KAUSS

 Viré monté