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Chronique du temps présent

Aimé Césaire (1980): «Je peux me tromper, mais je dis: ou bien la Martinique sera indépendante ou bien elle disparaîtra»

Raphaël Confiant

3 Décembre 2009

Aimé Césaire

Il y a quelque chose d’à la fois amusant et grotesque à voir le néo-PPM, tant dans ses déclarations orales qu’écrites, commencer systématiquement celles-ci par une citation d’Aimé Césaire. Un peu comme les chrétiens évangéliques ou les fondamentalistes musulmans qui dégainent toujours un verset biblique ou une sourate coranique avant d’oser faire la moindre déclaration. Loin de moi l’idée de questionner la filiation entre le Nègre Fondamental et ceux qui se réclament de lui à travers le parti qu’il a créé suite à sa rupture avec le Parti communiste, mais il convient tout de même de souligner que soit par ignorance soit par duplicité, ces messieurs-dames ne nous servent que les sourates qui les arrangent. En fait, l’œuvre de Césaire est comme la Bible ou le Coran: on peut lui faire dire tout et le contraire de tout. De même que dans ces vénérables ouvrages religieux, on peut trouver des leçons de fraternité et dix pages plus loin, des injonctions d’une férocité inouïe envers les adversaires ou les ennemis, de même dans l’immense masse de discours, d’articles, de textes littéraires écrits par Césaire et autres interviews qu’il a pu accorder au cours de sa longue vie, on trouve de quoi démontrer tout aussi bien qu’il était un autonomiste qu’un…indépendantiste.

Quelques exemples:

  • «Nous avons un paysage, il faut en faire un pays. Nous avons une population, il faut en faire un peuple. Nous avons un territoire, il faut en faire une nation.»
  • «Si vous voulez savoir ce que je suis, je ne suis pas le maire de Fort-de-France, je suis un Nègre-Marron ! Je refuse les grands frères, je refuse les tontons…»
  • «A titre personnel, en tant qu’Aimé Césaire, si vous me posez la question, je vous répondrai que, oui, je crois que la Martinique sera indépendante.»
  • «J’ai l’esprit anti-bourgeois. Les gens s’imaginent que je suis un nègre gréco-latin parce que j’ai étudié le grec et le latin. Vous croyez que j’ai oublié le créole? Eh bien non!» (cette sourate-là c’est pour Edouard Delépine qui, dans une récente tribune de «France-Antilles», reprochait à Claude Lise d’utiliser des phrases créoles dans ses discours au détriment des citations latines)
  • «La Martinique est à la veille de 1789.»

Ces citations, extraites d’une interview donnée en 1980 au «Journal Guadeloupéen» et 1985 à «Paris-Match», le néo-PPM ne les brandit jamais et pour cause! De même qu’il feint d’oublier que Camille Darsières avait déclaré dans un fameux discours: «Amis européens, partez avant qu’il ne soit trop tard!». Phrase hallucinante que, pour ma part, je n’ai jamais entendu aucun indépendantiste prononcer. Ni Marie-Jeanne ni Saé, ni Carole, ni Malsa ni aucun autre n’ont jamais demandé aux Blancs de faire leurs valises sous peine d’être jetés à la mer. Certes, la «pwofitasion» békée d’une part et la caldochisation «métro» de notre pays est dénoncée régulièrement par eux, mais elle n’a jamais pris la forme d’un brutal ultimatum comme chez l’avocat césairiste.

Comment comprendre de telles foucades d’apparence ultra-révolutionnaire chez des gens par ailleurs bien sous tous rapports, maniant une langue des plus académiques et nullement disposés à troquer leur costume-cravate contre un uniforme vert olive de barbudo? Etaient-ce des dérapages verbaux? des rodomontades? l’expression d’une certaine lassitude face à une situation bloquée et donc l’expression d’un certain désespoir? des cris d’amour déçu envers une France qui nous a sans cesse menés en bateau? Je ne saurais répondre pour Darsières, mais pour Césaire, je pense qu’il y a un peu de tout cela à la fois. J’ai passé trois ans de ma vie à lire tous les discours politiques de ce dernier, tant en Martinique qu’à l’Assemblée nationale, presque tous les livres importants sur sa personne en français et anglais et bien sûr ses œuvres littéraires, afin d’écrire mon ouvrage «Aimé Césaire—Une traversée paradoxale du siècle». C’était il y a dix-sept ans (1992), au siècle dernier. A l’époque, je fus voué aux gémonies par les césairolâtres au motif que je cherchais «à tuer le père», mais aucun d’eux n’a jamais osé essayer de démontrer que tel ou tel passage dudit livre était erroné. Et pour cause! Il est bardé de citations peu connues de Césaire et je suis sûr que la plupart des zélateurs du Nègre fondamental n’ont pas lu le dixième de lui et sur lui de ce que moi, j’ai été amené à lire. D’ailleurs, les césairolâtres ont été plus royalistes que le roi puisque Césaire, après la sortie du livre, n’a jamais refusé de me recevoir et de discuter avec moi. De nos entretiens, j’ai tiré un texte qui s’appelle «Conversations avec le Nègre fondamental» que je ne publierai pas parce que sa famille a exigé de l’examiner avant, ce qui à mes yeux n’est pas acceptable. Mais ceci est une autre histoire…

INDECISION

Pour m’être très profondément plongé dans son œuvre et pour avoir discuté avec lui, j’en retire le sentiment que Césaire aurait condamné la position actuelle du néo-PPM quant à l’article 74. Il n’a jamais, en effet, considéré que l’autonomie fût l’étape finale, l’objectif ultime de la lutte du peuple martiniquais. Je mets au défi le néo-PPM de produire une sourate où il déclare pareille chose. Césaire aimait faire référence aux provinces italiennes ou aux lander allemands pour dénoncer le jacobinisme français, mais il savait pertinemment que quoique autonomes, ces régions participaient de l’histoire de ces deux pays, de leur ethnicité surtout, alors que nous autres, Antillais, sommes en situation de discontinuité et ethnique et géographique et historique et linguistique et culturelle avec la France. Il savait aussi qu’une telle discontinuité ne pourrait jamais être comblée ou effacée, sauf par le génocide par substitution qu’il s’employât à dénoncer par ailleurs. C’est pourquoi le statut d’autonomie n’était dans son esprit qu’un moment de l’histoire du peuple martiniquais. Un moment qui vraisemblablement serait long, mais qui en aucun cas ne saurait être définitif. Or, que cherche à faire le néo-PPM avec son article 73 constitutionnalisé? Il veut graver l’autonomie martiniquaise dans le marbre de la constitution française. Autrement dit, nous amarrer définitivement à un pays qui, non seulement se trouve sur un autre continent, mais qui a une ethnicité, une histoire et une cultures différents des nôtres. A la limite l’article 73 de la Droite est moins pire que l’article 73 constitutionnalisé du PPM car lui au moins, il n’est figé dans aucun marbre. Tellement peu figé d’ailleurs qu’en 2003, les FMP et l’UMP distribuaient des tracts portant le titre: «Article 73 = Indépendance». Aujourd’hui, ils sont pour!!!

MISERABLES ARGUMENTS

Afin de tenter de crédibiliser sa position, outre l’utilisation biblico-coranique des écrits césairiens, le néo-PPM en est venu à ces temps derniers à utiliser deux arguments dont on a du mal à savoir s’il relève du misérabilisme intellectuel régnant dans ce parti depuis la disparition des Pères fondateurs ou au contraire d’une volonté de prendre les Martiniquais pour des «ababa». Ces deux arguments sont les suivants:

  • Toussaint-Louverture, qui réclama l’autonomie de St-Domingue, fut un précurseur de Césaire (et Dessalines – mais ce n’est pas dit ouvertement – eut tort de conduire le pays à l’indépendance).
  • la situation de la Martinique (de même que de la Guadeloupe et de la Guyane) est une exception dans l’histoire des peuples du monde.

Le premier argument est frappé du sceau de l’anachronisme et quand on le voit utilisé par des gens qui se prétendent historiens, on a de quoi se poser des questions quant au titre dont ils se parent. Je ne ferai pas l’injure aux lecteurs de rappeler que la Saint-Domingue coloniale n’a strictement rien à voir avec la Martinique d’aujourd’hui. La première était la plus riche colonie du monde avec laquelle la métropole coloniale faisait 40% de son commerce extérieur. Ensuite, cette île était peuplée d’…Africains. En effet, sur les 450.000 esclaves noirs qui travaillaient dans ses plantations, 400.000 étaient nés en Afrique. Les Noirs créoles n’étaient donc qu’une petite minorité de 50.000 personnes. Nulle part sur le continent américain on ne trouvait un tel déséquilibre entre «bossales» et «créoles»! Et si la révolution haïtienne a été un succès, c’est en grande partie grâce à cette particularité, un esclave né en Afrique étant bien évidemment plus rétif à l’esclavage que son alter ego créole. Toussaint était un esclave créole, un officier de l’armée française, un homme qui effectivement n’était pas prêt à la rupture avec la France et qui tenta en vain de transformer St-Domingue en un dominion français. On n’a pas la place ici pour développer davantage mais quel rapport entre cette St-Domingue-là et la Martinique d’aujourd’hui? Déjà la Martinique de l’époque de Toussaint était très différente de St-Domingue, allez voir celle d’aujourd’hui!!! Quant aux personnalités de Toussaint et Césaire: rien à voir. Le premier était un esclave, d’abord analphabète, puis autodidacte, qui de part sa naissance à l’île de Grenade, avait un tropisme antillais assez développé alors que Césaire est un normalien et écrivain de renom ayant développé un tropisme français et africain qui le poussa à ignorer la Caraïbe (hormis Haïti où De Gaulle l’envoya en mission). J’ai posé la question à Césaire de savoir pourquoi il n’a jamais visité vraiment la Caraïbe. On lira sa réponse dans mon livre si jamais il paraît un jour.

Justifier donc la reculade actuelle du néo-PPM en ayant recours à la position d’un Toussaint Louverture qui date de la fin du…18è siècle et comparer une colonie de production telle que St-Domingue à une colonie de consommation telle que la Martinique du 21è siècle est tout à la fois scabreux et hilarant.

EXCEPTIONNALITE

Autre argument risible utilisé par le néo-PPM: la trajectoire historique de la Martinique serait radicalement différente de celle de tous les autres peuples colonisés de la planète, ce qui expliquerait qu’elle soit vouée à un destin particulier, celui d’être définitivement intégrée à la France. On se demande d’où provient cette extraordinaire exceptionnalité? La Martinique serait-elle «l’île élue» comme d’autres se prétendent «le peuple élu»? Outre l’hypertrophie de l’ego assez comique que dénote une telle affirmation, on se rend compte qu’elle relève d’une imposture intellectuelle: en fait, rien dans notre histoire de colonie de plantation ne nous distingue radicalement des îles anglophones voisines, par exemple. Et notre prétendue exceptionnalité n’a démarré qu’en 1946, pour ne se concrétiser qu’à compter des années 1970. Hier, quoi! L’autre jour. Ben oui, ça fait pas très longtemps qu’on est exceptionnels. Tiens, pour les sceptiques, voici une sourate césairienne:

«Je crois que la Martinique a vocation à l’indépendance. C’est dans l’ordre de l’idée, de la philosophie historique…ça me paraît vraisemblable et Grenade, Sainte-Lucie, la Dominique sont indépendantes. Croyez-vous que la Guadeloupe et la Martinique sont d’éternelles parenthèses et indéfiniment jusqu’à la fin des temps?...ou jusqu’à l’extinction naturelle car, au train où ça va, nous disparaîtrons!» (in «JOUGWA», 1980)

Donc, non, Césaire ne pensait pas du tout, comme ses incultes zélateurs d’aujourd’hui, que la Martinique fut si différente du reste du monde. Il croyait qu’elle était une nation qui comme toute nation à vocation à être souveraine et à s’autogouverner.

Dans 6 ans, les trois-quarts du si peu qui nous reste de terres agricoles auront disparu sous le béton et le bitume. Dans 6 ans, notre littoral sera complètement privatisé. Dans 6 ans, le nombre de non-Antillais s’installant chez nous sera multiplié par deux ou trois. Dans 6 ans, notre langue et notre culture créoles seront définitivement folklorisées.

Dans 6 ans, nous commencerons à ne plus exister comme peuple. Nous ne serons plus qu’un assemblage hétéroclite de petits négros franchouillards. Holà! Il pousse loin le bouchon, ce provocateur de Confiant. Mais non, les amis, lisez-moi attentivement une dernière sourate césairienne et vous verrez que je n’exagère pas du tout. Attentivement, s’il vous plaît:

«Si les Caraïbes ont disparu, je ne vois pas pourquoi 600.000 Martiniquais-Guadeloupéens ne disparaîtront pas. Ils seront absorbés, déglutis! Il y aura toujours une Soufrière ou une montagne Pelée, une Guadeloupe ou une Martinique peut-être, mais il n’y aura plus ni Guadeloupéens ni Martiniquais…Il restera quelques personnes plus bronzées que les autres…»

Amen.

Raphaël Confiant

 Viré monté