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De Pointe noire à Los Angeles, le parcours «archipélique» d’Alain Mabanckou

Marie-Andrée Ciprut

 

Il voisine avec son ami et complice Dany Laferrière dans ma bibliothèque thématique. J’avais apprécié ses livres dès Bleu-Blanc-Rouge (Présence Africaine, 1998), pour devenir fan définitive avec Black bazar (Seuil, 2009), qui m’a rendue adepte inconsciente de la «fessologie», pratique égrillarde et séductrice de son antihéros congolais «expert en admiration de la "face B" féminine», dont le surnom «Fessologue» lui vient de sa prétention à pouvoir décrypter le caractère des femmes d’après leur déhanchement»…

Voilà le décor planté, alliant réalisme sans concession, humour et cocasserie!... De l’obscure lycée Karl Marx de Pointe-Noire, ville côtière du Congo Brazzaville, à la célèbre UCLA (University of California, Los Angeles) de la Côte Ouest américaine connue pour la recherche, par-delà les mers, Alain Mabanckou a franchi les océans, gravi les échelons de la renommée grâce à son travail, ses ouvrages, mais surtout sa personnalité forte, franche et généreuse: un parcours semé d’embuches, fleuri de multiples récompenses, dont la dernière et prestigieuse nomination au Collège de France comme professeur à la chaire annuelle de création artistique. C’est le premier écrivain à occuper cette fonction!…

Après ma lecture du Sanglot de l’homme noir, je lui ai avoué que j’avais également cité Dereck Walcott dans l’un de mes articles, que je m’étais retrouvée dans sa conception de l'identité, qui «dépasse de très loin les notions de territoire et de sang», estimant comme lui que «chaque rencontre nourrit». J'y ai beaucoup appris sur la littérature francophone africaine que je connais bien mal. Ses titres de chapitres, associés à des auteurs européens, me furent très familiers (méfaits ou bienfaits de la colonisation?!...), ce qui me classait définitivement, ajouté-je, dans la catégorie des «écrivains de l'immigration»...

Puis ce fut la découverte de Petit piment, recueil qui décrit la comédie humaine et la politique à travers le regard caustique d'un enfant des rues, traite avec ironie et fausse naïveté les parodies du pouvoir et les contradictions affligeantes de nos sociétés. Les putes y sont nourries au lait de «La mauvaise réputation» de notre ami Georges Brassens, génie qui hante Petit piment dans sa quête désespérée d’un nombril de femme d'agent de police...

Les plumes reconnues, les critiques variées ayant déjà loué son œuvre, salué ses multiples distinctions, je ne tiens nullement à engager ici une vaine compétition. Je ne puis m’empêcher, par contre, de déclarer mon affection et mon admiration pour la belle personne qu’il est devenu. L’Afrique, l’Europe, l’Amérique: ses différents lieux de vie ont construit le socle de sa pensée «archipélique» faite de rencontres, de «Relations», non de plaintes, l’ont ouvert au monde en partageant son opacité. C’est un homme du «Tout-Monde» comme aurait dit Edouard Glissant.

Alain Mabanckou ne boude ni sa joie ni sa reconnaissance pour ce poste, qui lui donne «cette ouverture à la littérature francophone africaine. Littérature vibrante et riche, en terme de langue, d’histoire et d’enseignements sur notre passé commun; littérature en résonance» affirme-t-il.

Son programme est ambitieux et passionnant. De sa leçon inaugurale, «Lettres noires: des ténèbres à la lumière» le 17 mars 2016, au colloque «Penser et écrire l’Afrique noire» le 2 mai suivant, il nous fera découvrir tout un pan de la littérature française originaire d’Afrique, d’Amérique noire, des départements français d’outre-mer et de la Caraïbe. Il le dit haut et fort : «J’appartiens à une génération d’écrivains qui brisent les barrières, refusent la départementalisation de l’imaginaire parce qu’ils sont conscients que notre salut réside dans l’écriture, loin d’une factice fraternité définie par la couleur de peau ou la température de nos pays d’origine. Cette écriture qui devient alors à la fois un enracinement, un appel dans la nuit et une oreille tendue vers l’horizon ».

Outre son talent et sa culture, Mabanckou fait preuve d’une grande générosité envers les Autres. Il ne craint pas de s’engager pour défendre les injustices et dénoncer les cruautés de notre planète. Il n’a pas peur de se retourner, de regarder derrière lui pour encourager, voire épauler celles et ceux qui luttent pour leur liberté, dont il juge le travail intéressant, même s’ils ne brillent pas sous les projecteurs de la renommée… C’est ainsi qu’il est entré dans ma vie grâce à sa chronique mensuelle dans «Jeune Afrique » de mon livre précédent: La vie à pile ou face… ou le goût des Autres (Ibis rouge, 2012), et qu’il s’y est inscrit définitivement avec la préface du dernier.

Alors je lui dis «Merci!»

Merci Alain Mabanckou! En présentant le livre de «l’Africain-Américain» Ta-Nehisi Coates, Une colère Noire, lettre à mon fils, (Autrement, 2016), vous mettez nos Histoires en parallèle et me donnez à moi, «Africaine-Caribéenne», un célèbre cousin en écriture… Grâce à Un racisme en Noir(e) et Blanc(he) (Fortuna, 2015), je suis extrêmement fière de figurer parmi celles et ceux qui, selon vous, appliquent «la courtoisie de l’échange» prônée par Dereck Walcott, que vous avez fait l’honneur de préfacer.

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