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Entretien avec Gerry L’Étang

Au Salon du livre de Ouessant, le Grand Prix des Îles du Ponant vient d’être attribué à La peinture en Martinique, œuvre collective sous la direction de Gerry L’Étang, à qui Potomitan a soumis quelques questions.

 

 

Gerry Letang

Gerry L’Étang, vous attendiez-vous à recevoir le Grand Prix des Îles du Ponant?

Cette distinction m’a surpris. J’ignorais que l’éditeur, Hervé Chopin, avait proposé que l’ouvrage concoure. C’est à l’annonce des lauréats qu’Hervé m’a appris qu’il l’avait inscrit pour concourir dans la catégorie «Beaux livres» du Prix du livre insulaire. En outre, que ce volume ait finalement obtenu le Grand prix ajoute à mon étonnement.

Que représente ce prix pour vous?

Obtenir un prix qui par le passé à distingué des œuvres d’auteurs aussi considérables que Zobel, Frankétienne ou Davertige, m’impressionne. Remporter le même prix qu’eux est un honneur dont je n’aurais même pas rêvé. Mais ce volume, je n’ai fait que le diriger. Les véritables lauréats sont les soixante-dix peintres dont il est question ici, ainsi que la trentaine d’auteurs qui décryptent leurs œuvres ou leurs parcours. Ce prix est une formidable mise en valeur de leur travail, un encouragement. Mais ce prix me ravit aussi pour une autre raison. Le commanditaire de l’ouvrage, le Président de la Région Martinique, Alfred Marie-Jeanne, a mis à ma disposition des moyens importants tout en me laissant la plus totale liberté. Mais il m’a fixé un objectif de taille: produire un ouvrage de référence. Car il voulait qu’on rende à nos peintres un hommage à la mesure des efforts qu’ils font pour conforter l’identité visuelle de Martinique. Cet objectif m’a hanté, comme il a hanté celle qui m’a assisté dans cette aventure, Renée-Paule Yung-Hing. J’ai tout fait pour y parvenir, et l’équipe que j’ai réunie, aussi. Mais qu’est-ce qui permet de conclure à la valeur d’un ouvrage? Qu’est-ce qui valide la référence? Le succès continu du livre en librairie, depuis dix mois qu’il est paru, n’est pas une indication suffisante. Les jurys littéraires, par contre, peuvent représenter des indicateurs de référence, même s’il est entendu qu’il y en a d’autres. Alors, que le jury du prix ait estimé que ce volume est «un ouvrage de référence pour l’histoire de la peinture mais également un document essentiel pour comprendre les rapports des images et de la réalité insulaire», me laisse espérer que j’ai peut-être approché cet objectif.

Suite à ce prix, seriez-vous enclin à réaliser un deuxième ouvrage traitant de la peinture en Martinique, car nous pensons que vous n’avez abordé qu’une partie de la peinture martiniquaise?

Ce livre est le second ouvrage que je consacre à l’art, après L’Inde dans les arts de la Guadeloupe et de la Martinique: héritages et innovations, écrit en collaboration, notamment avec Jean Benoist. Mais je suis d’abord un ethnologue, spécialiste des religions de l’Inde et de leurs avatars diasporiques, et aussi des phénomènes de créolisation culturelle. Je vais plutôt reprendre mes publications sur ces sujets, boucler des travaux en cours. Mais peut-être un jour retournerai-je à l’art. Par ailleurs, vous avez raison, il faut d’autres livres sur la peinture en Martinique. Le bouillonnement de cet art dans le pays est tel qu’il faut bien plus d’un ouvrage pour en saisir le sens. C’est ce à quoi s’est attelé Hervé Chopin, éditeur de référence de volumes sur la peinture de cette île, avec des spécialistes comme Dominique Berthet qui réalisent un travail conséquent à ce niveau.

La peinture des Martiniquais est-elle influencée par l’art amérindien?

La peinture en Martinique est de plus en plus marquée par les thématiques et signes amérindiens. Après les pionniers que furent Victor Anicet ou Bertin Nivor, de plus en plus de peintres recyclent cet univers graphique, cet imaginaire-là. Cette mise en relief d’un élément de notre genèse culturelle correspond à une quête identitaire, laquelle influence en profondeur la peinture en Martinique. Un des intérêts du livre est d’exposer, à travers les articles de l’ethnologue Thierry L’Étang, les contours de cet art pictural amérindien des origines, ainsi que ses réapparitions actuelles.

Les auteurs des textes qui accompagnent les œuvres, ont-ils pu les choisir eux-mêmes?

C’est l’inverse qui s’est passé. Ce sont les peintres qui ont choisi les auteurs, écrivains ou critiques d’art qui connaissent bien leurs œuvres. C’est du moins le cas pour les artistes vivants. Pour les autres, j’ai choisi les auteurs. En faisant dialoguer peintures et textes, le but était de mettre en regard des esthétiques picturale et scripturale. Certes, l’ouvrage renferme un nombre notable d’articles analytiques, mais il s’agissait aussi de produire de la littérature. En fait, le pari, un peu fou, était de concevoir un ouvrage de fond qui serait en même temps une œuvre d’art. Une œuvre particulière, hybridant des talents divers et produisant de la beauté dans des registres différents tout en ayant une cohérence. Si pour la partie iconographique l’esthétique était déjà là (il suffisait de repérer les tableaux, de les sélectionner), ça n’était pas le cas des textes, qui ne préexistaient pas à l’ouvrage. Mais là, les auteurs m’ont comblé. Ils ont créé des textes d’une réelle beauté.

La singulière toile de Victor Permal, «Vwel pwason», vous a inspiré un texte qui dit la terrible traversée de l’océan au fond des cales, qui priva des  millions d’hommes et de  femmes de leur liberté. Le peintre a-t-il commenté votre texte? Sa réaction est-elle importante pour vous?

Les textes des deux tableaux que j’ai interprété, ceux de Victor Permal et de François Cauvin, ont été soumis aux artistes. Et je ne les ai publiés qu’après avoir reçu leur imprimatur. Il s’agissait, pour moi comme pour les autres auteurs de ce type d’écrits, non pas tant de décrire des tableaux et d’en isoler les significations que d’exprimer l’émotion ressentie à leur contemplation. Car la finalité d’une œuvre d’art, c’est cela: susciter l’émotion. Mais l’émotion, c’est très personnel, ça varie d’un individu à un autre. L’intention, en procédant ainsi, était de produire à terme chez le contemplateur-lecteur du livre une double émotion: celle que lui inspirerait personnellement les tableaux, et celle que provoquerait en lui les textes. Cette dernière impression étant, en quelque sorte, l’émotion d’une émotion.

Merci de vous être prêté à cette interview.

Propos recueillis par Francesca Palli
25 août 2008

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La peinture en Martinique

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