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La peinture en Martinique


Lespwa mal papay

par Gerry L’Étang

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

François Cauvin - Lespwa mal papay, 1991, Crayon sur Isorel, 123 x 81 cm. (Photo Robert Charlotte)

Lespwa mal papay

Le vieil homme à la veste trouée a pénétré le bleu sombre de la mer puis s’est arrêté. Des réminiscences ont  envahi son esprit, suspendu sa progression vers l’abîme.

Lui revient son enfance aux temps troublés de Nord Alexis, quand les troupes d’Antoine Simon, venues du Sud, faisaient vaciller le pouvoir du vieux général. Après leur victoire à l’Anse-à-Veau, les cavaliers de Simon avaient incendié le village.

A l’odeur entêtante de chair brûlée se mêle la vison d’un cheval fauve poursuivant sa sœur bien-aimée. Elle échappa à un sabre ébréché de la guerre des généraux, mais les fers de l’étalon disloquèrent, emportèrent sa vie fragile.

Lui revient aussi le corps de Miliène qu’il aimait caresser. Plus encore lorsqu’il avait perdu la vue. Les effleurements de ses doigts sur ces mornes tendres, ronds, sur ce fond humide et doux, tiraient à Miliène des soupirs alanguis. Et révélaient sa beauté. Il n’en revenait toujours pas d’avoir conquis et longtemps gardé cette femme revenue de Cuba qui parlait l’espagnol.
 
Au-dessus de lui, Papa Legba, Maître des carrefours, observe. Le Gardien de la porte des esprits irradie, saint soleil apaisant. L’homme lui sait gré de l’accompagner. Baron Samedi et ses Guédés viendront plus tard.

Il était sorti après avoir beaucoup dormi, deux jours et deux nuits peut-être, réveillé par le silence. Comme toujours, il avait recherché l’ombre bienfaisante du manguier vénérable planté le jour de la liberté. Mais ne l’avait pas trouvée. Son bâton cherchant l’arbre à merveilles avait fouaillé le vide.

Il avait appelé Emérante, Préfète, Philomène, Télémaque et les autres. L’écho seul de ses cris avait répondu. Il avait aussi hélé son chien, attendu, attendu encore puis renoncé... Les siens avaient coupé l’arbre, s’en étaient allés. Le village était mort.

Tout alors fit sens: le village qui se réveillait après l’heure de partir en jardin, hommes et femmes trompant leur ennui en palabres infinies, les noms de ceux partis à Port-au-Prince ressassés de bouche en bouche, le silence gêné à son approche….  

Et l’eau de la rivière devenue puante avant d’arrêter de couler, et la terre qui partout craquelait sous le pied, et les prières mal-papay à Ministre-Azaka, sa mutité malgré les coqs rouges immolés, et la faim chaque jour plus cruelle, et l’attente fébrile des mangots.

Et les mangots verts cueillis dès apparition, bourgeons immatures de grosseur d’icaque avalés avec célérité, malgré le cassant de leur chair, l’âcre de leur sève.

Ils étaient partis, l’avaient laissé. Maintenant tout était fini. Alors il était retourné à sa case revêtir la veste de ses noces avec Miliène, puis avait tâtonné, bâtonné jusqu’à retrouver la trace poussiéreuse, déserte et triste menant à la mer.

Gerry L’Étang

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