Potomitan

Site de promotion des cultures et des langues créoles
Annou voyé kreyòl douvan douvan

Pawòl an bouch

Ékto Poulé
trad. Danièle Bernine-Montbrand

 

 

 

 

 

 

 

 

Pawòl an bouch, Ékto Poulé • ISBN 2-85 275-011-2 • 1982 • Éd. E. Désormeaux, Fort-de-France, Martinique.

Pawòl an Bouch

SOMMAIRE

Dayè pou yonn
Kijan pou zôt li ?

LANPA

Nou asi milé
Twa twa tou patou
Jandam anba dlo
Chiktay
Kalalou
Bébélé
Man Maryann
Vinvwè

LENBÉ

Noces
Réveil
I
II
III
Padawa...
Abo ja ni
Kyè an-mwen pran dlo...

LONGAN

Sé timoun-la annou alé !
Dayè pou yonn
Las malpalé-yo
Grindan
Anni palé...
On jou kolè...
Longan
A pa jôdi ni yè...

SOMMAIRE

Préface
Note au lecteur

PIMENTADE

Les «assimulets»
Quel est ce trio ?
Le gendarme au fond de l'eau
Chiquetaille
Kalalou
Bébélé
Madame Marianne
Imagine

MAL D'AMOUR

Noces
Réveil
I
II
III
Parce que...
Bien qu'il y ait déjà...
Il pleure dans mon coeur...

ONGUENT

Au petit jour...
Préambule
Assez de médisances !
Le baillon
Pour parler
Un jour de colère...
Onguent
Ce n'est ni d'aujourd'hui ni d'hier

b   b   b

DAYÈ POU YONN

Mwen, an sav, menn lè yo di: «PAWÔL AN BOUCH PA CHAJ», a pa an pangal.
Dépi lonbrik an-mwen téré adan tè lilèt-lasa, dépi an konmansé sèvi fimyé pou on pyé mango-fil té sa pousé, yo pa jen gyè ban-mwen filaj asi zafè palé-la. An mandé lavwa, yo di-mwen: «Pé! Pé sèk! Pé onfwa!»

Sa dwèt pou sa onlo adan-nou pèd lapawôl, ka bégéyé kon si lang a-yo té ké pri anba gwo zôtey kèk vyé malfétè. Pas, ki sé légliz, ki sé lékôl, é jis ora koté kaz, an tann di toulongalé: «Tini palé é palé, palé kréyôl a pa palé.», «Défann palé vyé nèg, défann palé savann.»

E magré sa, kréyôl an-mwen abo té flo kon pach a kann, lè zôtèy an-mwen té ka konnyé, tout bèl mo fransé an-mwen té ka rété fwèt kon né a chyen, anni on kou... lakordéon té ka soulajé-mwen! Mi sé pou sa tini on palé an tèt an-mwen, on dôt an kyè an-mwen. Sa dwèt sa ki fè pawôl an-mwen konpliké kon bwèt a vitès a krab, i ka maché douvan dèyè, si koté, pyé pou tèt, gyèl anba. Fransé-la ka halé-mwen douvan, kréyôl-la ka halé-mwen dèyè, yo ka chèché dékatyé-mwen: an pa menn sav ola an kay!

Sèl biten an sèten, yo mété lèspri an-mwen an kalôj, é a fôs an fè lidé an-mwen travay pou chèché sôti adan kalôj-lasa, sèvèl an-mwen touvé-y kalbosé kon fèblan a mason.

Jôdi-la, zôt ka vwè-mwen, an la ka chèché naté lafimé a yè épi ta démen pou fè on tôch, asèlfen an chajé tèt an-mwen. Chajé tèt an-mwen pou chayé ki biten?

Chaj an-mwen sé mwen, sé lang an-mwen, sé-y ki ka di kimoun ki ka palé dèyè-mwen. An pa ni dwa mété-y anba plat a pyé an-mwen. An pa ni dwa lésé-yo toufé-y, pas toufé on lang sé déboujonné Limanité.

Si pawôl an bouch pa té chaj, pou ki sa prèmyé biten yo ka fè lè yo vlé kyenbé on péyi pou dékalé-y, prémyé biten yo ka fè sé pran lèspri a-y, sé raché lang a-y?

Fokwè délè pawôl an bouch sa pé fè on bèl chaj; sé sav plasé chak mo pou-y sa gangné jironmon a kyè an-nou. Sé sa ki tout : sé sa an té ké enmé rivé fè.

Hector Poullet

b   b   b

PRÉFACE

Lorsqu'on dit «LES MOTS C'EST DU VENT»1, je sais bien que c'est faux. Depuis que mon placenta a été enterré2 dans la terre de cette petite île, depuis que j'ai commencé à servir d'engrais à un manguier sauvage3, on ne m'a guère laissé la liberté de parler ma langue. Quand je demandais la parole on me disait: «Tais-toi! Ferme-la! Boucle-la!». C'est sûrement pour cela que bon nombre d'entre nous sont devenus muets ou bégaient comme si leur langue était coincée, par quelque maléfice, sous le gros orteil d'un sorcier4.

En effet, que ce soit à l'église, à l'école ou à la porte de chez moi, j'ai toujours entendu répéter: «Il y a langue et langue, le parler créole n'est pas une langue», «Défense de parler comme les vieux nègres5 défense de parler comme un sauvage». Mais, malgré tout, mon créole avait beau être léger comme de la bagasse de canne à sucre, quand je me cognais les orteils en marchant pieds nus, tous les beaux mots de mon vocabulaire français restaient figés et froids comme nez de chien et c'était l'injure créole bien connue qui me venait aux lèvres et me soulageait!6

Voilà pourquoi j'ai un langage dans la tête et un autre dans le coeur. Et de dire est compliquée comme une boîte de vitesse spécialement conçue pour des crabes, elle marche à reculons, sur le côté, pieds en l'aic'est sans doute pour cela que ma façonr, tête en bas. Le français me tire par devant, le créole par derrière, tous deux cherchent à m'écarteler, je ne sais pas où je vais !

La seule chose dont je sois certain, c'est qu'on m'a mis l'esprit dans une cage et qu'à force de chercher à me sortir de cette prison, j'ai fini par avoir la cervelle aussi cabossée que la boîte en fer-blanc7 d'un maçon. Aujourd'hui, tel que vous me voyez, je cherche à tresser les brumes d'hier avec celles de demain dans le but de faire un foulard torsadé8 qui, sur ma tête, fera mieux tenir ma charge. Mais quelle charge? Ma charge c'est moi, c'est ma langue, c'est elle qui me fait porte-parole. Je n'ai pas le droit de la fouler aux pieds, je n'ai pas le droit de la laisser étouffer, car étouffer une langue, c'est enlever un bourgeon à l'Humanité.

Si la parole n'avait pas de poids, pourquoi la première chose qu'on ferait quand on veut prendre un pays pour le mettre en pièces, serait-elle de lui prendre son esprit, de lui arracher sa langue ? Il faut donc croire que la parole peut porter parfois une lourde charge : encore faut-il savoir placer chaque mot de telle sorte qu'il atteigne le giraumon9 de notre coeur. C'est cela qui est important et c'est à quoi j'aurais aimé parvenir.

Hector Poullet

  1. Traduction de l'expression créole «Pawol an bouch pa chaj», dont la première partie a servi de titre au recueil. «Les paroles n'ont pas de poids, pas de charge», cette image de la «charge» est reprise plus loin.
  2. Une tradition encore récente, à l'époque où l'on accouchait chez soi, voulait qu'à la naissance du nouveau-né le placenta soit enterré, et au même endroit on plantait un arbre fruitier.
  3. «Mango-fil» a été traduit par «manguier sauvage» pour montrer la relation sauvage/liberté, ce qui, en créole, était donné par «fil/filaj».
  4. Petite méchanceté courante: on pense en effet qu'il est possible de rendre la parole plus difficile au bègue qui vous parle si, tout en n'ayant l'air de rien, on appuie très fortement le gros orteil gauche sur le sol. L'allusion au sorcier rend cette infirmité permanente.
  5. «Vyé» égale «mauvais». II est significatif de constater que les «vieux nègres» c'est-à-dire ceux qui ne parlaient que la langue créole, et non la langue du maître, étaient considérés comme «mauvais». Aujourd'hui un «vieux nègre» peut être un jeune qui parle créole!
  6. «Kouni-a-manman-w!» égale «le con de ta mère!», insulte qui s'adresse aussi bien aux êtres vivants qu'aux choses.
  7. Autrefois les amateurs maçons à la recherche de petits travaux de maçonnerie se déplaçaient avec une truelle et une boîte en fer-blanc toute cabossée dans laquelle ils faisaient le ciment.
  8. Assez souvent Antillais et surtout Antillaises portent sur leur tête de très lourdes charges qu'ils maintiennent à l'aide d'un fichu d'abord torsadé puis enroulé.
  9. Le giraumon est une sorte de potiron. Le proverbe dit «Anni kouto ki sav sa ki an kyè a jironon» c'est-à-dire «Seul le couteau peut savoir ce qui se passe dans le coeur du giromon».

b   b   b

NOTE AU LECTEUR

Voici trois séries de poèmes écrits en créole, pour la très grande majorité d'entre eux, et traduits en français.

La première, LANPA («Mets épicé» traduit par PIMENTADE), contient des poèmes à tendance politique, dont certains sont très connus aussi bien en Guadeloupe que dans les milieux antillais de France comme «Twa Twa tou Patou» et «Jandam anba dlo», la seconde, LENBE («Langueur, MAL D'AMOUR»), contient des poèmes d'amour, la troisième, LONGAN («Baume, ONGUENT»), des poèmes d'espoir.

Depuis quelques années, le créole est mis à l'honneur aussi bien par des groupes nationalistes que par des groupes de recherche scientifique.

Malheureusement très peu de textes sont écrits dans cette langue imagée et riche en sonorités. Peut-être est-ce, en partie, à cause de l'impossibilité, jusqu'à aujourd'hui, de l'écrire; certains ont essayé de le faire mais, comme il n'y avait pas de méthode rigoureuse, les textes demeuraient pour la plupart composés de mots écrits de façon fantaisiste et incompréhensible (mélange bâtard de mots aux consonnances proprement créoles et d'étymologie française).

Aujourd'hui, la graphie quasiment phonétique, pour laquelle tout le monde semble avoir opté, a l'avantage d'être simple et claire.

Ce recueil de poèmes n'a pas seulement le mérite d'être écrit en créole. Il propose également au lecteur antillais une tentative de recherche dans le domaine de la langue, de sorte que si les poèmes sont souvent composés d'un grand nombre d'expressions toutes faites, de proverbes et d'allusions typiques bien connus des Guadeloupéens, ces derniers seront surpris de voir l'usage qui en est fait, de constater même parfois une distorsion voulue dans le but de créer une nouvelle image qui s'écarte des sentiers battus ou de provoquer un choc inattendu chez le lecteur. Les images sont donc à la fois habituelles et rénovées et servent à exprimer tous les méandres des sentiments et des idées. L'auteur a justement voulu montrer que, contrairement à une idée répandue aussi fausse que facile, selon laquelle le créole est une langue débile, il était possible de s'exprimer dans cette langue sans avoir recours à la béquille habituelle du français. Et, s'il est grossier en Guadeloupe de parler d'amour en créole, Hector Poullet a voulu montrer que l'on pouvait sans honte exprimer la passion dans sa langue maternelle.

Quant au lecteur français, ce recueil lui donne la possibilité de connaître et de mieux comprendre la culture guadeloupéenne.

Professeur de français «métropolitaine, ayant conscience de trahir cette belle langue, je me suis essayée cependant à la traduire: en effet de trahir cette belle langue, je me suis essayée cependant à la traduire : en effet le créole comme toutes les langues qui expriment idées et sentiments au moyen d'images et non de termes abstraits, est difficile à traduire. Gageure d'écrire en créole ce que l'on ressent, gageure également de rendre en français les expressions elliptiques, les allusions, les jeux de mots, les proverbes.

L'auteur aurait pu lui-même les traduire, et bien mieux sans nul doute: il aurait fait de chaque poème un nouveau poème. Mais il a préféré montrer, à ceux qui doutent encore, que le créole est une vraie langue, de traduction ardue, et non une pâle équivalence déformée du français. C'est pourquoi bien des mots et expressions sont laissés tels quels dans la traduction, éclairés seulement par une note explicative, afin de ne pas perdre tout le suc et toute l'originalité du créole et, par là, de la vie et de l'esprit guadeloupéens.

Danièle Bernine-Montbrand

b   b   b

Extraits :

Pawòl an Bouch

boule

 Viré monté