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Il pourra vous paraître quelque peu fantaisiste de comparer à un jeu la consultation à laquelle, le 10 janvier 2010, les Martiniquais sont conviés.
Ce jour-là, en tant que patriote martiniquais, comme tant d’autres, cette fois-ci encore, j’accepterai de jouer le jeu, quand bien même ceux d’en face, trichant sans vergogne, ne respectent pas les règles du jeu.
Première tricherie
Il y a ceux qui prônent la tenue d’États généraux à l’issue desquels les Martiniquais éliraient les représentants d’une Assemblée constituante, qui auraient pour mission de défendre devant le gouvernement français les revendications légitimes du peuple.
Ce qui fut historiquement possible en France aux lendemains de juillet 1789, dans la Martinique d’aujourd’hui, face à un État français jacobin, une telle action, si tant est qu’elle fût réalisable, ne pourrait pas aboutir.
Autre tricherie
Il y a ceux qui, refusant toute avancée (même si encore insuffisante), réclament par la tonitruance du verbe, l’indépendance ici et maintenant, tout de suite, sans se soucier de vérifier si pour ce, les conditions objectives et surtout subjectives sont, aujourd’hui, réunies.
La tricherie des tricheries
Il y a les adeptes de la «troisième voie» qui appellent à voter non le 10 janvier, parce qu’ils veulent une «autonomie constitutionnalisée»1
Pour que cette chimère qu’ils caressent ait une chance de devenir réalité, il faudrait qu’intervienne une réforme de la Constitution française, et pour que cette réforme ait force de loi, il faudrait, soit que la majorité des 65 millions de Français, lors d’un referendum national, approuve un tel projet, soit que le Congrès (députés et sénateurs réunis à Versailles) vote à la majorité absolue un nouvel article constitutionnalisant cette autonomie-là.
L’État français, embourbé dans un jacobinisme séculaire, ne sera pas avant longtemps disposé à ouvrir cette boite de Pandore d’où sortiraient les désirs d’autonomie de diverses régions «hexagonales.»
En conséquence, cette «troisième voie» apparaît pour ce qu’elle est: une manœuvre dilatoire, une demande que l’on sait irréalisable mais que l’on formule malgré tout, pour faire illusion et masquer le refus d’un changement véritable.
Le retour du chat en sac
De nouveau, la machine à semer peurs et mensonges fonctionne à plein régime : les colporteurs de l’article 73 réactivent le jeu du chat en sac en reprochant au gouvernement français d’organiser le vote du 10 janvier sans avoir présenté au préalable le contenu des compétences de la nouvelle Collectivité.
Ils voudraient que ce gouvernement arrête un projet détaillé et qu’ensuite ledit projet soit soumis, lors d’une consultation, au peuple martiniquais.
Mais ce parcours idéal n’est pas celui choisi par l’arbitre du jeu, en l’occurrence, le Président de la République française.2
Le Congrès des élus martiniquais, à une majorité substantielle, a adopté en 2008 et 2009 un projet de changement statutaire permettant à notre pays d’accéder à une autonomie relative. Le Président de la République française prenant acte de cette décision, soumet ce projet au vote des Martiniquais; une fois une approbation obtenue, entre d’une part les instances gouvernementales françaises et de l’autre les élus représentants du peuple martiniquais, se dérouleront des négociations pour doter la nouvelle Collectivité régie par l’article 74 d’une organisation particulière tenant compte des intérêts propres de cette Collectivité au sein de la République.3
Ne pas mettre la charrue devant les bœufs
Autre modèle de tricherie: les tenants d’une avancée (immobile) institutionnelle, qu’ils soient de droite, qu’ils se disent de gauche, accusent les partisans du changement statutaire de présenter au peuple martiniquais une boite vide.
Une fois encore, ces soixante treizistes font montre d’une mauvaise foi manifeste: volontairement ils confondent les trois étapes d’un processus.
Première étape: le 10 janvier, si le OUI l’emporte, entre les représentants du peuple martiniquais et les instances gouvernementales françaises, sur la base des compétences demandées par le Congrès, des négociations sont entamées.
Deuxième étape: à l’issue de ces négociations, des élections pour une Collectivité nouvelle sont organisées ; divers partis politiques sollicitant le suffrage du peuple, présentent leur programme respectif de gouvernance.
Troisième étape: il s’ensuit une majorité d’élus qui assume les responsabilités dévolues à cette nouvelle Collectivité et c’est alors, après débats démocratiques, qu’un programme détaillé dans le domaine économique, social, environnemental, éducationnel, culturel, sportif… est adopté et dont les nouvelles structures institutionnelles auront en charge la mise en application.
Autre tour de passe-passe
Au début, toutes obédiences confondues, les soixante treizistes, pour alimenter leur campagne de la peur, proclamaient que les conquêtes sociales (obtenues, en grande partie, grâce aux luttes des travailleurs martiniquais), ne seraient plus assurés en cas de victoire du OUI, le 10 janvier.
Suite aux démentis de la Ministre des DOM-TOM, ce mensonge supplémentaire comme une baudruche dégonflé, les mystificateurs du 73 ont changé de pipeau: ils disent et font dire par leurs affidés qu’en cas de changement de statut, les acquis sociaux actuels (retraite, CMU, sécurité sociale, CAF, RMI, etc) seraient certes maintenus mais que les futurs progrès en la matière qui seraient arrachés par les travailleurs français (et martiniquais), risqueraient de ne pas nous être intégralement versés.
Ce que ces bonimenteurs ne disent pas, c’est que le gouvernement français en place n’a de cesse de démanteler l’architecture des conquêtes sociales, fruits des luttes permanentes des travailleurs, et que de ce fait, les travailleurs et autres catégories sociales similaires de Martinique, que ce soit sous l’égide du 74 ou du 73, seront eux aussi, sous des formes diverses, victimes de la politique ultralibéral du pouvoir français actuel.
Je pourrai ajouter à l’actif de ces tricheurs du 73 les procédés indignes qu’ils utilisent, ceux des peurs suscitées, entretenues, des confusions semées aux quatre vents, des rumeurs, calomnies et autres diffamations distillées… autant de pratiques héritées du temps des Goebbels… Autant d’agissements qui disqualifient ces hommes et ces femmes qui, au lieu de contribuer à élever la conscience de notre peuple, au contraire l’abaissent plus bas que terre.
Le 10 janvier, en votant OUI pour «une collectivité (régie par l’article 74 de la Constitution) dotée d’une organisation particulière tenant compte des intérêts propres [de cette collectivité] au sein de la République» par ce geste, je refuse aussi d’accorder ma confiance à ces empoisonneurs du cœur et de l’esprit.
Daniel Boukman écrivain martiniquais militant culturel
4 janvier 2010
Notes
- Réclamant, lors du Congrès, à grands coups de pancartes, un «74 Martinique» puis, refusant de jouer au loto, ils déclarent n’être ni pour le 73 ni pour le 74 pour en définitive - ou wè’y ou pa wè’y-- les PPMistes, en collusion avec l’UMP, le FMP et leurs acolytes, les PPMistes appellent à voter pour…le 73.
- Le Président de la République française, lui aussi, est tenu de respecter la loi suprême qu’est la Constitution… En outre, en cas du triomphe du OUI pour le 74, il commettrait une erreur politique grave en restant sourd aux revendications du peuple martiniquais, revendications relayées par les élus que ce peuple se sera, de nouveau, en temps utiles, par la voie des urnes, donné…. Lorsque l’arbitre ne joue plus le jeu, les règles du jeu deviennent caduques et débute un autre jeu.
- Il reviendra aux négociateurs martiniquais d’informer périodiquement le peuple martiniquais du déroulement de ces négociations.