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Songes d'encre

André Fouad

Songes d'encre

Songes d'encre, André Fouad • Éditions Milot • 2023 • ISBN 9782493420770 • 17 €.

Préface

il est mort avec un poème
à la gorge
(Blues d’Octobre)

De quel côté habitez-vous
j’habite à la ruelle des voyelles
de poussière
(Itinéraire)

Il faut beaucoup de courage à un être humain pour supporter le monde. Ce n’est pas du nihilisme et le constat n’est pas surevalué de dire que le monde est un lieu sans lieu ou une utopie de lieu et de monde.

Nous sommes beaucoup pourtant à réclamer au ciel notre part de bleu, à demander à voir et à revoir notre part d’héritage du bonheur. Nous sommes fous. Il n’y a pas de bonheur parmi les hommes et dans aucune autre contrée interstellaire. Ce n’est pas surfait que de réaliser dans le testament du monde, il n’y a pas de rires longs comme une rivière, mais seulement l’omniprésence de la mort lente, calculée et brutale.

Nous sommes des êtres déchirés, niais, abandonnés à un sort pas très commode. De la poussière d’étoile égarée (Khalil Diallo), voilà ce que nous représentons et la barque de nos vies n’étais pas destinée à aller trop loin (Lovecraft). C’est comme si nous étions des êtres avortés, sujets à un abandon primitif. Et pour le dire comme dans Envol, nous sommes une histoire d’arc-en-ciel mort-né. Nous devrions accepter que notre humanité (et c’est tout) est un cauchemar rocambolesque.

Et c’est justement là qu’André Fouad intervient. Face à un monde nu, dénudé, décharné, déchiqueté, lui, il fait un poème de la consolation. Entre l’exil du dedans et celui du dehors, entre l’ancrage et la fuite (Yanick Lahens), entre partir et rester, entre l’ici et tous les ailleurs possibles et imaginables, André Fouad reste un éternel optimiste qui ne désespère jamais du monde qui l’entoure, qui croit encore dans le pouvoir du mot, de la phrase et du vers. Son poème questionne avec minutie ce rêve d’habiter Haïti ou le monde, d’habiter l’abandon, la chute, la fuite. D’habiter les zones les plus inhabitables. Entre Harlem, Mississippi, Port-au-Prince, il creuse un trou noir d’espérance à la croisée de tous les chemins.

Il a dû tôt comprendre quelque chose que peu de nous comprennent: l’une des fonctions essentielles de la poésie, c’est donner au monde des mots qui lui permettent de rire et de rêver. De soulever les montagnes de peur et les incertitudes. D’embellir les lieux les plus reculés et sombres de notre humanité. En cela, on peut dire que c’est un poète qui peut parler aux hommes peu importe le lieu où ils se trouvent.

Je pars à la conquête des mots en miniatures des empires
des citadelles
(Obsession)

la nuit m’a accordé feu vert pour la rédemption des horloges tristes
pour la moisson d’une flopée d’étoiles
(Ailleurs)

je remue ciel et terre
pour donner plus de lumière à mon horizon lugubre
(Ci-gît)

Et puis, comme dans toute bonne poésie, celle qui soit vraiment universelle, Fouad dit l’amour et la souffrance qui va avec. Il dit la disparition taciturne de l’amoureux. Sa grandeur aussi et le privilège de sa condition. Il dit l’amour face à l’écrasement des jours et des nuits. Comme un René Dépestre, il a saisi que les baisers n’ont pas de sens si l’amour reste indifférent aux appels désespérés de la souffrance humaine. De ce côté là, sa poésie a une grande part de félicité puisqu’elle dit que l’existence des hommes compte et qu’il faut penser à créer le bonheur, individuel ou collectif. Un bonheur, même manchot, barbare ou unijambiste.

Au-delà de ce beau projet qui consiste à créer du collectif, du bonheur et du vivre ensemble. Au-delà de cette tâche assez lourde et grandiose qu’il se donne depuis plus de deux décennies, à travers ses livres, ses concerts et ses disques, André Fouad demeure un poète qui se noie dans le bleu des gestes d’enfant pour retrouver la clarté des saisons.

Carl Pierrecq

* * *

Extraits

Testament

Ma vie une rue
qui mène vers d’autres rues du monde
épousant comme par enchantement
les contours des villas
le bruit incessant des métros
les pas des passants rêveurs de tous poils
je garde pour l’éternité
le testament du vent du Nord

*

Ma folie est une chanson

Ma folie est l’unique chanson que j’ai apprise
à hurler
à nommer
à scander
à dessiner
à mémoriser
sur les places publiques
sur les boulevards
de Ste-Catherine à Sainte-Anne
des Abymes à Tel-Aviv
rêver de papier mâché
de bateaux ivres
rêver de mosquée et de mers
rêver de tout, rêver de loin
rêver de rien
rêver de tout et de rien
ma vie en ébullition
éternelles dents de scie.

*

Entre parenthèses

Le temps au bras tatoué
visage de chauve-souris
me crache par-dessus la tête
à la croisée des mers infertiles
échos
des rosées en convalescence

* * *

Réactions

Songes d'encre, un bouquet poétique au miroir surréaliste

*

 Viré monté