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Étude des occurrences symboliques Wooly Saint-Louis Jean & André Fouad Les poèmes sont des chairs fraîches aux chansons, et celles-ci leur donnent de l’oxygène. Edy FILS-AIME |
Mélodie des mots II est un compact disc (CD) produit par The interfine Art group (2020) dans l’Etat de Floride, aux Etats-Unis au cours du confinement lié à la Covid-19. Sur une durée d’environ 43 minutes, la voix du poète-diseur André Fouad et celle du chansonnier Wooly Saint Louis Jean nous offrent une œuvre artistique d’une douzaine de poèmes tantôt mis en chansons, tantôt dits par le poète lui-même. Mélodie des mots II est un hommage spécial à la mémoire du grand poète haïtien Georges Castera qui nous a quitté le 20 janvier de cette année. A mon sens, c’est aussi un vibrant hommage à Anthony Phelps, à notre Lobo Dyab Avadra (Karl Marcel Casséus), et à tous ceux qui- avant Fouad et Jean- ont tracé la voie à ce mariage souvent fertile entre la poésie et la musique. Mélodie des mots est aussi une piqûre de rappel par rapport au processus de digitalisation massive de nouveaux éléments de culture, tel que le poème. Désormais, le poème dit semble prendre le dessus sur le poème muettement lu.
Le titre du CD est tout descriptif, «mélodie» fait en référence à la «musique» et «mots» aux «poèmes». Mais qu’est-ce qui cimente ou met en symbiose «mélodie» et «mots» sur ce disque? Si la musique et la poésie se lient tout naturellement, quelle est la valeur ajoutée de Mélodie des mots? En réponse, nous vous invitons d’abord à écouter vous-mêmes le CD et en faire votre propre interprétation, avant de vous référer à notre analyse des archétypes qui tente d’expliciter les modèles symboliques, prosodiques et musicaux de l’œuvre.
Le symbolisme textuel de l’œuvre
Les textes poétiques de Mélodie des mots montrent un ensemble de thèmes archétypiques- modèles symboliques- qui vont et reviennent dans les dires de Fouad et les chansons de Jean. Nous compterons entre autres «l’agonie existentielle, l’identité, l’altruisme, l’érotisme, la quête mystique, etc.»:
«Mwen s on pyepoupre
Lavi deboukante»
…………
«lavi ban m kèsote
se van an
kap mennen m
tout kote m pase»
…………
«Mwen se yon ti moso lalin toutouni
van paweze pa bo isit
…………
se toulejou
m ap mouri anba talon pye lanme w»
Le poète témoigne de la torture que de tenir dans cette existence, où l’on se respire constamment à deux doigts de sa propre mort. Par son acte singulier, le poète engage l’agonie de tout homme. Ceci s’éclaircit quand il nous dit:
«Timoun Solino repentire douvanjou
… rèv rasanble youn pa youn»
Les enfants de Solino1 sont surpris dans leur lutte atroce du jour et leur espoir de demain. Dans Mélodie des mots, le souci du bonheur de l’autre se profile çà et là. Fouad et Jean confirment bien la pensée de Jean Paul Sartre qui déclare: «Autrui, c’est l’autre, c’est-à-dire le moi qui n’est pas moi2. Ainsi, les deux complices prêtent leurs voix aux autres, et empruntent le désespoir et la joie des autres pour dire et chanter pour tous et au nom de tous.
D’un fervent lyrisme, Fouad fait éclater son malaise identitaire. Ses vers libres englobent les expériences, les souvenirs, les relations et les valeurs qui créent le sens de son être au monde:
«mwen se nèg kongo kote solèy rive
Nèg Dawome kote solèy kouche
Neg Yawounde kote solèy pyafe»
Le poète nage dans un imaginaire qui lui est propre pour recréer le fil rouge de sa vie partagée entre l’Afrique, l’Amérique du Nord et les Caraïbes, particulièrement Haïti dans le département de l’Artibonite. Cette fusion de lieux et de réalités nourrit son terrible dans le malaise identitaire qui le traque dans «Latibonit O».
Le poète dit:
«Cheri vini…vini vlope nan ren m
Jiskaske zetwal yo tounen ti flè ilan ilan
Nan chak bò jaden m
………
Kò w pale avè m
Menm jan ak mo yo»
Les mots du poète traitent une substance qui stimule, qui excite fiévreusement les sens sans tomber dans l’érotisme ordinaire. Il y a lieu de se rappeler Hésiode, poète grec du VIIIe siècle av. J.-C. , le premier des grands poètes à avoir fait part de ses Muses dans le monde des dieux. Hésiode faisait référence- selon la mythologie grecque- aux neuf filles de Zeus et de Mnémosyne ayant eu la main sur les arts libéraux. Dans le cas du poète de Mélodie des mots, les muses sont à rechercher dans la cosmogonie du vaudou haïtien.
«yon powèm tanmen chèche dantèl jipon w
…………
metrès
metrès
djo kannèl mwen fanm Ezili m
metrès chak degre la pawoli m»
Par cet érotisme mystique, le poète transgresse l’humanité pour se rejoindre dans la surhumanité ou la sous-humanité. Ses poèmes dits et chantés côtoient à la fois l’au-delà et l’au-deçà.
«Rèn solèy
Rèn chantrèl mennen m ale kote w rete
Mennen m ale kote lakansyèl ap ban m jòf»
Dans un élan bourré d’érotisme, de sensualisme poétique, et de transe ludique, il évoque ou invoque sa Muse en prenant son envol. La poésie d’André Fouad est un remarquable exercice de style fait de surprenantes images. Le poète décrit des abstractions comme s'il s'agissait des personnes palpables (yon powèm tanmen cheche dantèl jipon w), il se livre à des comparaisons directes réussies (Mwen se yon ti moso lalin toutouni), à des substitutions de termes apparentés aux mots (se toulèjou m ap mouri anba talon pye lanmè w), etc.
Ses dimensions musicales
Fouad fait de manière agréable une utilisation expressive et non littérale des mots et des phrases. Il a su trouver une diction poétique pour harmoniser le vocabulaire, la phrase et une grammaire pour produire l’effet vibrant de Mélodie des mots. Le poète joue avec les mots (ki moura moura, ki chira chira), et souvent il entre même en fusion avec les mots (satiyèt vwayèl, pichkannen konsòn pou la pli bèl). Nous assistons à un jeu de sonorités comprenant entre autres des assonances (yon jou kou jodi), des anaphores (ou s on pyano ki charye nòt nwa nòt blanch, ou s on bann mizik). Il n’y a pas de rime à la fin des vers, et pourtant les vers contiennent tant de rimes internes. Même si les rimes internes rendent les poèmes doux et captivant pour les oreilles, ce n’est qu’à travers la voix et la musique que Mélodie des mots prend son élan rythmique.
Certes, Mélodie des mots est remarquable pour son accompagnement instrumental, mais l’essentiel reste sa dimension vocale. A travers des chansons lyriques plutôt que narratives, Fouad et Jean expriment donc leurs sentiments plutôt que de nous raconter des histoires. L'émotion est quelquefois triste, mélancolique, souvent due à l’angoisse existentielle, la quête identitaire, l’exil, mais aussi aux rêves et folies. A ce titre des morceaux de Blues tel que «renaissance» - interprété magistralement par Wooly Saint Louis Jean- est on ne peut plus éloquent. C’est une chanson de Blues faite de techniques vocales et rythmiques telles que le mélisme, la syncope, etc. En prêtant finement nos oreilles, nous pouvons aussi déceler et jouir des techniques instrumentales appliquées par exemple sur les cordes de guitare pour créer un air encore plus lyrique.
Les morceaux de Blues sur le disque Mélodie des mots sont accompagnés entre autres des morceaux de Bossa nova. Des morceaux comme «Zanfan solèy, sispann mache»- à la manière du chef d’œuvre d’un Beethova Obas- sont basés sur un rythme de samba brésilien où les artistes musiciens combinent les motifs rythmiques et des sensations de «balancement» différencié du «swing» du jazz. D’autres morceaux peuvent réveiller en nous de nombreux sous-genres musicaux s’apparentant à un style de jazz improvisé.
Sa portée culturelle
Plus qu’un simple répertoire, sinon un laboratoire, Mélodie des mots (Prix Prestigious Haitian Music Awards 2020) est un prétexte pour expérimenter les rythmes et les tendances musicales. C’est un rapprochement de géographies et une compression des époques3 qui fait dialoguer notre culture haïtienne avec d’autres cultures. Les mythes haïtiens- la cosmogonie vaudouesque, le rythme troubadour dans le morceau «Rèn Solèy, Rèn chantrèl», le créole haïtien charmant une flute grecque, et autres aspects- renvoient à une haïtianité singulière omniprésente dans cette création plurielle. L’haïtianité joue le rôle de pivot pour que les artistes puissent garder le nord. C’est tout un souvenir agréable de nos grands talents tel que Joseph Emmanuel «Manno» Charlemagne.
Ce recueil de poèmes mis en chansons fait penser au philosophe Socrate qui, dans son œuvre vLe dialogue de Platon», a évoqué à la fois les termes «chanter» et «parler» en référence aux épopées d’Homère. Pour l’œuvre de Fouad, nous parlerons volontiers du «dire» et «chanter» d’une seule et même voix, dans la mesure où il n’y a pas d’un côté les poèmes et d’un autre côté les chansons. Les poèmes sont des chairs fraiches aux chansons, et celles-ci leur donnent de l’oxygène. Ces deux repères initialement distincts entrent dans une relation fusionnelle comme pour donner naissance à un troisième art plus sublime que les deux premiers.
Notes
- Quartier bidonville de Port-au-Prince
- https://citation-celebre.leparisien.fr/auteur/jean-paul-sartre?theme=l+autre
- Vu que les tendances viennent de contrées géographiquement éloignées l’une de l’autre, et également des époques à la fois lointaine et proche.
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