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George Flyod: la mort en direct

André Fouad

Le Nouvelliste | 2020-06 -08

George Flyod

 

Les jours défilent comme des étoiles de feu sous nos yeux tristes, impuissants et charrient leurs lots de souvenirs, de regrets, de lamentations intenses, de cadavres, de fleurs fanées allongées sur les trottoirs du monde.

Il y a de ces morts qui vous percent le cœur et suscitent en vous le sentiment de culpabilité, le sentiment d'indignation, le sentiment du dégoût et pourquoi pas de grande révolte.

En fait, je ne te connaissais pas de nom jusqu'à ce matin macabre, tout comme le jeune adolescent Travyon Benjamin Martin. À dire vrai, on se connait, on s'identifie  à travers notre histoire bouleversante, nos blessures ancestrales, notre couche épidermique, nos corps meurtris, nos cheveux crépus, nos "blue notes".

Sans nul doute, tu rêvais d'une  Amérique égalitaire, juste, fraternelle. Disons plus humaine à l'instar de la romancière Toni Morisson, des poètes comme Ameri Baraka, Maya Angelou, Hughes Langston, Massillon Coicou, des prophètes de la musique Lucky Dube, Bob Marley, Gregory Isaac et des combattants de la Lumière Mandela, Dessalines, Malcom X, Martin Luther King Jr, Steeve Biko...

Ton cadavre ensanglanté a crevé l'écran. Dans l'encre de la lumière, je t'ai vu rendre l'âme en pleine rue de l'Amerique. Aujourd'hui, Minneapolis, New-York, Memphis, Atlanta, Georgia, toutes les grandes villes américaines réclament justice, prônent à cor et a cri justice, où sont passés les droits de l'homme, qu’est donc devenu  le respect de  la personne humaine? 

Derek Chauvin de quelle planète viens-tu issu pour commettre un tel acte odieux? Dis-moi donc.

Georges Flyod, je  suis dévasté. Depuis lors, je me lève et je pense à Haiti, terre ou le noir s'est mis debout pour crier Liberté ou la mort. Tous les matins, je me lève, une chanson sur mes lèvres. Je  chante «Latibonit», un murmure du vent, une plainte pour dire non à la mort de la reine «Sole».

«Se regretan sa pou m antere sole
sa fè mwen mal O
se dilere sa
pou m antere sole» (Latibonit).

Georges Flyod «gentle geant» ce doux géant de Fayetteville, tu me réfère à «Strange fruit» un poème signé du professeur Abel Meeropol qui m'habite encore. Ces paroles  chevauchent fiéuvreusement dans nos veines quand la voix de Billie Holiday (1915-1959) la porte et l'enrobe comme de longs sanglots.

En ce 21ème siècle dominé par la suprématie de l'Internet, du numérique «Strange fruit» garde toute sa fraîcheur, et son actualité me permet d’entreprendre un voyage immobile à travers l’histoire du racisme assis sur le Code noir l’homme Noir qui a fait de nos ancêtres africains un bien meuble. 

Comment ne pas cheminer sur les pas du ministre Colbert (1619-1683) et de son fils, le marquis de Seignelay (1651-1690), comment ne pas remonter à l’ordonnance promulguée par le roi Louis XIV? Comment ne pas se souvenir du manuscrit de l’édit de mars 1685 sur les esclaves des îles de l'Amérique?

Toute une scène bondit de mon esprit quand Billy Holiday chante:

«Les arbres du sud portent un fruit étrange 
Southern trees bear a strange fruit 

Sang sur les feuilles et sang à la racine 
Blood on the leaves and blood at the root 

Les corps noirs se balancent dans la brise du sud 
Black bodies swingin' in the Southern breeze 

Étrange fruit accroché aux peupliers
Strange fruit hangin' from the poplar trees

Scène pastorale du galant Sud
Pastoral scene of the gallant South 

Les yeux bombés et la bouche tordue 
The bulgin' eyes and the twisted mouth 

Parfum de magnolias doux et frais 

Scent of magnolias sweet and fresh 

Puis l'odeur soudaine de chair brûlante
Then the sudden smell of burnin' flesh

Voici un fruit à cueillir pour les corbeaux 
Here is a fruit for the crows to pluck 

Pour que la pluie tombe 
For the rain to gather 

Pour que le vent suce 
For the wind to suck 

Pour que le soleil pourrisse 
For the sun to rot 

Pour que l'arbre tombe 
For the tree to drop 


Voici une récolte étrange et amère
Here is a strange and bitter crop»

Poignante ces paroles quand Billy Holiday nous emmène voir ces fruits étranges au pays des droits de l’Homme.

Les jours se suivent et réveillent par hasard les vieux démons du racisme, les prejugées qui étaient à l'ordre du jour durant les années 60 à Alabama, Mississipi, Montgomerry, Harleem.

Ton dernier cri «I can't breathe» et le discours prophétique «have a dream» du Dr King me hantent le sommeil, crois-moi,  frère-soleil, frère-voilier tout comme moi, ayant bravé toutes les mers agitées jusqu'à notre arrivée en Amérique.

En te regardant sur la toile  à travers cette sculpture de mon compatriote Woodly Caymitte, je ne pense  qu'à ce vieux John Lee Hooker  dans sa chanson-hit «Don't turn me from your door», les yeux fatigués, rouges comme le sang, guitare en bandoulière et dont les échos des notes de blues envahissent mon ciel à la fois nu et assombri par le temps.

*

 Viré monté