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Les pratiques médicales traditionnelles haïtiennes
Les guérisseurs de la djok

Obrillant DAMUS

Les guérisseurs de la djok

Les pratiques médicales traditionnelles haïtiennes Les guérisseurs de la djok, Obrillant DAMUSL'Harmattan
2010 • ISBN 978-2-296-12406-6 • 316 pages • 28,50 €.

Cet ouvrage a été produit à partir d’une analyse de données qualitatives recueillies auprès des guérisseurs haïtiens de la djok, une maladie infantile relativement spécifique à Haïti. Il décrit et interprète non seulement les représentations des praticiens traditionnels à propos du diagnostic, de la cause et du traitement de cette maladie, mais également des rites de prévention de celle-ci, réalisés pendant la période de grossesse, à la naissance de l’enfant et après le traitement.

Au-delà de ses objectifs scientifiques (description et interprétation des données de terrain), l’auteur analyse la relation de complémentarité qui existe entre la pratique de la médecine moderne et les pratiques médicales traditionnelles. Les médecines alternatives et la médecine traditionnelle ont une approche globale du sujet malade. Le recours de l’homme malade à la biomédecine et / ou à la médecine traditionnelle pourrait s’expliquer par des logiques individuelles, sociales et culturelles. Toutes ces médecines ont leur place dans la société.

Ce livre souligne que la djok relève d’une rationalité qui est propre aux maladies culturellement spécifiques. Le lecteur y trouvera des ficelles conceptuelles qui lui permettront de saisir dans une large mesure la complexité de cette maladie infantile.

Né à Petit-Goâve, Haïti, Obrillant DAMUS prépare actuellement sous la direction du professeur Dan Ferrand-Bechmann une thèse de doctorat qui porte sur les rapports entre solidarité et cancer en Haïti.

Il a eu en 2008 le Prix de Master en Sciences Humaines et Sociales SHS du Cancéropôle Ile-de-France. Par ailleurs, la même année, l’Organisation Internationale de la Francophonie OIF lui a décerné un prix littéraire dans le cadre du concours des Dix Mots.

Obrillant DAMUS

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Les pratiques médicales traditionnelles haitiennes. Les guérisseurs de la djok.

Frédéric TORTERAT
Maître de Conférences à l'Université de Nice

Préface

Aussitôt qu'une production se confronte à un objet culturel, elle intervient au croisement de plusieurs secteurs des sciences de l'homme et de la société. Or, c'est précisément ce à quoi s'attache cet ouvrage, dont les implications dans les domaines de la sociologie, de la psychologie clinique et de l'anthropologie médicale sont indéniables, bien que cette approche sollicite dans le même temps des éléments informatifs propres à l'imaginaire linguistique, à l'ethnographie et même en un sens à l'ethnopsychiatrie.

Cette contribution appartient toutefois, principalement, au secteur socio-anthropologique de la description des thérapies traditionnelles, qu'elle place au premier plan de ses objectifs. Dans le même temps, elle apporte, à l'appui de plusieurs éléments de corpus, des précisions opportunes sur les représentations sociales, familiales et en un sens communautaires d'une maladie infantile, la djok dont la symptomatologie en Haïti s'inscrit à la fois dans un historique, une pharmacopée et des pratiques relativement spécifiques à ce pays.

La djok rassemble plusieurs symptômes, que les guérisseurs envisagent tout autant à travers les manières dont ils se concrétisent qu'à travers ce qui permet de les extraire du corps de l'enfant, de les contenir ou de les prévenir éventuellement. En marge du fait que cette maladie se matérialise dans des grincements de dents, une perte d'appétit, divers troubles cliniques (par ailleurs multifactoriels), elle correspond d'abord, pour ainsi dire, à une construction collective. Moins que la malabsorption, la sécrétion ou l'ulcération, les explications qu'apportent les tradipraticiens sur ce qui provoque la djok prennent principalement en compte, d'une part les modes de transmission (délibérée ou non), et d'autre part les représentations qui lui sont attachées. La djok peut être ainsi transmise par la mère, la grand-mère, un autre membre de la communauté, de même que par un être extérieur, tel le loup-garou, que ce soit par le regard ou autrement. Cette transmission est plus ou moins directe, commune ou transgressive, et passe donc par plusieurs voies, jusqu'à la voie intra-utérine dans certains cas. La démarche thérapeutique, de son côté, est elle aussi directe ou indirecte, et passe autant par l'anamnèse, que par l'asepsie ou par des manipulations curatives variées.

Tout en faisant le lien entre ces données, la contribution d'Obrillant DAMUS aborde significativement ce qui relève de l'onomasiologie de la guérison, en insistant, en partie dans la lignée des travaux de J.J. Wunenburger, sur les déprécations telles qu'elles apparaissent dans les propos des guérisseurs. Les verbalisations déprécatives contrecarrent ainsi le movezè ou le moveje, et convoquent des êtres extramondains en lien avec un répertoire hagiographique instruit (au moins onze saints sont ici inventoriés). Diversement répulsives et injonctives (il s'agit bien d'écarter, de retirer ou de repousser), les formules prédiquées coïncident avec des rites de déplacement et d'extraction des éléments immatériels qui «habitent» l'enfant, après y être entrés de plusieurs manières, comme c'est le cas pour la djòk devandèyè. Certains des rites concernés, dans le cas d'une diabolisation par exemple, aboutissent jusqu'à la pratique d'une inhumation/exhumation qui a pour objet de garantir l'enfant des atteintes ultérieures. On apprend ainsi que le fait, par exemple, de déplacer le bon ange de l'enfant dans différentes parties du corps, le dos en particulier, permet de le prémunir contre la malveillance des esprits. Dans d'autres cas, on soustrait le mal et on le cache dans une bouteille (par ailleurs remplie de banane mûre, de pain d'épices, d'un «bonbon blan» confectionné à base d'amidon et de mèches de ses cheveux), qui sera enterrée par la suite au pied d'un arbre.

Les démarches thérapeutiques impliquent donc tout autant des «produits», comme les lèsematò, retetrankil ou alolanmèd, que des pratiques réversibles et reproductibles, telle que l'arètman, ou des objets matériels (par exemple le gadkò). Dans cette vue et dans un cadre descriptif, Obrillant DAMUS s'emploie aussi bien à relever des récurrences dans les pratiques cérémonielles, qu'à répertorier une partie non négligeable de savoirs incorporés, pour certains difficilement verbalisables, à la fois pour ce qui touche à la détection de la maladie et ce qui porte sur son traitement et sur sa prévention.

Le guérisseur apparaît de ce fait comme un médiateur entre les mondes visible et invisible. Son apprentissage passe notamment par l'imitation et la reproduction, et partage avec certains tradipraticiens chamaniques une anamnèse qui le conduit à revenir vers des passés insaisissables pour ceux qui font partie de ce qu'on peut appeler, de manière un peu hasardeuse il est vrai, le commun des mortels. Le guérisseur établit par exemple la médiation entre les familles touchées par la djok de l'enfant et Mèt Kalfou, l'esprit du carrefour, précisément le lieu où l'on dépose la maladie une fois qu'elle est traitée : autant d'éléments qui contribuent à faire, de la djok, une maladie de passage, pour reprendre l'expression de D. Bonnet et Y. Jaffré (2002).

D'origine haïtienne, l'auteur, pour confirmer et confronter les faits, s'est bien entendu rendu sur le terrain. Les entretiens qu'il a menés sur place, de 90 minutes chacun, ont été effectués auprès de treize guérisseurs, sur la période 2007-2008, dans les régions de Léogane (Kajak), de Jacmel (Capouge) et de Saint-Marc. Les données primaires, enregistrées sur support audio ou filmique, ont été d'une part retranscrites avec les disfluences qui caractérisent l'oral (comme les hésitations, les inflexions et les productions paraverbales), et d'autre part redressées, d'après notamment les recommandations méthodologiques de Tesch (1990). A partir de ce matériau, dont la représentativité mérite sans doute d'être confortée mais dont l'apport est irréfutable, les analyses sont présentées comme «transversales» en ceci qu'elles rassemblent ce qui est commun aux entretiens, ainsi que ce qui les distingue, et «longitudinales» en ceci qu'elles abordent chacun des éléments du corpus comme un tout. On en retiendra surtout que l'auteur montre effectivement que la guérison ne s'appuie pas que sur des pratiques discursives (phytonymiques entre autres), mais passe tout autant par le formulé que par l'informulé, en s'imposant par exemple par le regard, le toucher et la palpation, ainsi que par la combustion, le jet, la salivation ou d'autres manifestations corporelles.

De manière spécifique, l'ouvrage d'Obrillant DAMUS apporte plus ouvertement une contribution à la compréhension de ce que François Laplantine (1992) appelle les systèmes de représentations étiologiques et thérapeutiques de la maladie, et décrit la djok à la fois comme un fait social et communautaire, mais également comme une donnée (et donc une ressource) culturelle de premier plan. Cela explique notamment le recours, en plus des entretiens semi-directifs menés auprès des guérisseurs (qu'ils soient houngans, mambos ou médecins-feuille, autrement dit phytothérapeutes pour ces derniers), à des sociologues et historiens (comme Laënnec Hurbon) et des écrivains haïtiens (ainsi Jacques Roumain ou Pétion Savain). Qui plus est, même si l'ouvrage fait allusion à plusieurs reprises aux herbes émétiques, dépuratives et eupeptiques, et dans une moindre mesure analeptiques, il revient surtout sur les productions discursives qui en accompagnent (ou en légitiment) l'emploi. C'est le cas notamment quand la plante est elle-même déprécative (ainsi le nawèm, contraction de nou-a-wè-m, que le tradipraticien frappe et verbalise), mais aussi quand, en dehors de toute phytothérapie, il apparaît qu'un propos laudatif, par exemple sur la grosseur du ventre de la mère, peut djoquer l'enfant.

On comprend, avec cette étude, que les pratiques des guérisseurs concourent en particulier, et peut-être surtout, à mettre à l'écart les perturbations qui touchent les milieux familiaux et/ou communautaires de la société haïtienne, au centre desquels se place l'enfant. Quoi qu'on en retienne en dernière analyse, l'ouvrage d'Obrillant DAMUS ouvre la voie à une ethnographie des dédjoqueurs, et montre combien, en Haïti, le vécu symptomatologique de l'enfant implique une communauté qui, à l'appui des guérisseurs, tente de donner le «sens du mal», pour reprendre les termes d'Augé et Herzlich (1991). Dans le même temps qu'il valorise des ressources sociologiques en partie mésestimées, comme les récits testimoniaux et les discours de légitimation des praticiens, il redonne une véritable légitimité à des supports quelquefois délaissés, tels que les journaux de famille. A ce titre, cet ouvrage, qui contrecarre à bien des égards un certain contournement des univers culturels dans les pratiques thérapeutiques, rend à cet objet pluriel et multidimensionnel qu'est la djok la consistance ontologique qui lui revient.

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