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180ème anniversaire de l’arrivée des coolies à Maurice
– l’humanisme de la diversité

Khal Torabully

A gauche, le PM mauricien, à droite, Mme Swaraj, ministre des Affaires Etrangères de l'Inde...
Inauguration du Centre B. Ramlallah pour l'engagisme.
Photo Khal Torabully.

Ce 2 novembre 2014 revêtait une symbolique particulière dans les commémorations marquant l’arrivée des coolies ou engagés à l’île Maurice. L’état mauricien y a accordé toute son attention, l’Inde s’y est associée, en y dépêchant Madame Sushma Swaraj, la ministre des Affaires Étrangères de la Grande Péninsule. Le lendemain, elle a donné le coup d’envoi aux travaux préliminaires à la constitution de la route internationale des engagés que l’Unesco avait officialisée deux jours avant cette manifestation commémorative à l’Aapravasi Ghat.

Au Ghat, rappel de l’Histoire et ancrage indélébile d’une mémoire ouverte

J’ai assisté à presque toutes les cérémonies du 2 novembre à l’Aapravasi Ghat. Elles ont toujours constitué des moments forts dans la vie de cette île qui a été la plaque tournante de l’engagisme mondial. Cette année, cependant, la texture du travail de mémoire était particulière. J’ai senti que la première phase de pédagogie à l’intérieur et à l’extérieur du Ghat avait atteint une densité de bon aloi, ce qui lui confère une culture et une mission en lien avec l’occasion et sa portée nationale et internationale. Si l’Inde hésitait encore à marquer, de façon visible, son attachement à l’engagisme sur son territoire, je suis convaincu, que, cette fois, elle a franchi un pas décisif dans ce sens. La présence de la patronne de sa politique étrangère a marqué les esprits de façon indélébile à Maurice, en attendant que le pays pourvoyeur de coolies célèbre l’engagisme sur son propre sol. Si Madame Swaraj a dit à l’audience que «l’Inde n’oublie jamais ses enfants», la teneur de son discours mérite que l’on s’y arrête. En rappelant le sacrifice des coolies partis vers les terres promises après l’abolition de l’esclavage, elle s’est appesantie sur les valeurs de résilience et de diversité que ces pauvres hères ont colportées dans une trentaine de pays. Elle a exprimé une valeur de la coolitude, qui doit nous guider: l’humanisme de la diversité. Et c’est cet esprit d’ouverture sur l’autre que Navin Ramgoolam a aussi prôné dans son allocution, rappelant que son père, fils de coolies, devint le tout premier PM de l’île à travers le labeur et l’éducation.

J’ai été parmi les invités qui ont suivi M. Ramgoolam et Madame Swaraj pour l’inauguration du Centre d’interprétation B. Ramlallah, un lieu rénové qui offre un espace scénographique avec écrans tactiles et une mise en scène de l’engagisme. L’ancrage de cette page de l’Histoire est résolument marqué dans ce geste fort de l’état mauricien, qui désire ouvrir le Ghat et le centre Ramlallah au tourisme de mémoire et à une vocation pédagogique dépoussiérée.

Puis, j’ai arpenté les 16 marches du Ghat avec les invités, ressentant cette profonde émotion des engagés débarqués des bateaux, foulant un sol inconnu, pour être parqués au Coolie Ghat dans l’attente de leurs maîtres sucriers.

Au Mahatma Gandhi Institute, conférence internationale pour la route des engagés

Le mardi 3 novembre, rendez-vous me fut donné au MGI, où Madame Swaraj donnait le coup d’envoi à un événement majeur de l’Histoire mauricienne, le lancement de la Route internationale des engagés, qui aura des répercussions internationales. La Ministre indienne présentait aussi les livres de S. Peerthum, de Chit Duhira, et mon dernier ouvrage, Les coupeuses d’Azur, le premier hommage mondial aux coupeurs de cannes.

Fait notable de ce colloque réussi, le plus important de l'Histoire de l'engagisme, forts de cette volonté du Divers dans l’engagisme, les travaux pour la constitution des commissions menant à la création de la route internationale des engagés accréditée par l’Unesco, ont été précédés par la présence d’un envoyé spécial de la Chine, M. Zhong Jianhua. L’Empire du Milieu, est-il besoin de le rappeler, a aussi été un pays pourvoyeur de la main-d’œuvre engagée. L’idée d’une histoire partagée intra-engagisme, que j’ai appelée de mes vœux fait donc son chemin. M. Zhong Jianhua a rappelé que les ku li chinois ont trimé dans les champs en Amérique du Sud, en Afrique, en Asie et dans les chemins de fer de l’Amérique du Nord. Il a lui aussi rappelé que ces chinois de l’engagisme ont contribué à la diversité culturelle du monde moderne. Il est même allé plus loin en rappelant qu’à Maurice, les coolies chinois furent les pionniers de l’engagisme, et il a exprimé la fierté de la Chine d’avoir participé à «cette aventure humaine partagée dans le monde entier». Que nous sommes loin de cette gêne que l’on avait à parler de l’engagisme! L’envoyé chinois a même rappelé avec émotion que Maurice, en conséquence de la coolitude, est le premier africain à avoir décrété un jour de congé pour le Nouvel An chinois.

Madame Swaraj, qui lui a succédé au micro, a rappelé que l’Inde inscrira une manifestation concernant l’engagisme lors de la réunion mondiale de sa diaspora l’an prochain, une première aussi. Mme Tota Mukerjee, ex-ambassadeur de l’Inde auprès de l’Unesco, cheville ouvrière avec M. Parsuramen, ex-ministre de l’éducation et ex-directeur de l’Unesco, pour l’inscription de la route des engagés à l’Unesco a rappelé les grands moments de ce combat pour porter le projet à l’organisme international.  M. Parsuramen, en aparté, m’a relaté le fait que la délégation mauricienne, qui comprenait aussi Mahen Utchanah, actuel Président de l’Aapravasi Ghat, a dû défendre le mot «engagés » que l’on voulait changer en «travailleurs sous contrat» dans l’intitulé de la route.

M. M. Choonee, ministre des Arts et de la Culture, a, pour clore, marqué son auditoire avec un discours fort, dynamique, engageant. Il a mis l’accent sur la nécessité de déboucher sur un plan d’action afin que la route des engagés, maintenant «mandatory» pour Maurice, devienne opérationnelle. Il a rappelé que l’Unesco a rendu hommage aux centaines de milliers de coolies de par le monde en inscrivant la requête mauricienne sur son agenda. «L’heure est donc venue de raconter les millions d’histoires des engagés»…

L’on ne pouvait rêver de meilleurs auspices pour que nous commencions nos travaux pour cette route devenue une réalité, après celle de l’esclavage, placée résolument sous le signe de l’humanisme de la diversité de la coolitude. Je reviendrai à cet événement majeur pour Maurice et la trentaine de pays concernés par la Route Internationale de l’engagisme.

© Khal Torabully, 6 novembre 2014.

Photo Khal Torabully.

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