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L’Appel de Christchurch: les travaux visant à traquer la haine sur internet débutent à Paris 15 mai 2019 |
Hier, nous avions développé une réflexion relative la nécessité de réguler le flux de paroles de haine, d’antisémitisme, de racisme, d’islamophobie, christianophobie… sur le net, afin d’éviter que les attaques terroristes ne soient inspirées et relayées sur le net1. Cette initiative est portée sur les fonts baptismaux à Paris ce 15 mai, deux mois après l’attaque terroriste de Christchurch, en Nouvelle-Zélande. Là où certains demeurent sceptiques quant à son efficacité, il importe de faire ressortir que ce premier pas est historique et qu’il fera sans doute date dans la lutte pour contrer les visées criminelles de certains sur le net, dont le but à peine dissimulé est la déstabilisation des sociétés, la négation de la diversité et de la démocratie et le meurtre pur et simple. Aujourd’hui même, le Secrétaire-Général de l’ONU, António Guterres, en visite à Christchurch, a fait une déclaration qui va dans le sens de l’initiative de Jacinda Ardern et d’Emmanuel Macron: «Le discours de haine est en train de se répandre comme un feu de brousse sur les réseaux sociaux et qu’il a besoin d’être circonscrit». Le Secrétaire-Général de l’ONU, visitant la communauté musulmane de Christchurch pendant le Ramadhan (il le fait chaque année pour une communauté musulmane dans le monde) a exprimé sa solidarité à l’égard de celle-ci, lui disant sa tristesse et présentant non seulement ses condoléances mais faisant état de son admiration à son égard. Il a déclaré:«Je pense que la réaction de cette communauté a été absolument merveilleuse. Le pardon, la tolérance, l’ouverture dont ils ont fait preuve, qui ont été égalés par le peuple néo-zélandais.» Ces propos ne peuvent être contestés, tant le peuple et la PM de ce pays ont été exemplaires à la suite de ces attaques terroristes qui ont fait 51 morts et de nombreux blessés.
Pour Gutteres, une chose s’impose. Il n’est pas seulement question de «hate speech» ou discours de haine mais aussi des causes de radicalisation de groupes violents, notamment ceux du suprématisme et nationalisme blancs. Donc, il s’agit pour lui d’élargir le champ d’action, ne se limitant pas seulement à ce qui est diffusé sur l’internet mais aussi à ce qui précède cette étape, notamment, l’idéologie qui fabrique ce discours. Pour lui, «c’est une stratégie globale» à mettre en place. Aussi, il a annoncé que les Nations Unies ont lancé une «stratégie globale» pour contrer le discours de haine, qui a tendance à gangréner les débats de société fondamentaux. Celle-ci sera menée par Adama Dieng, conseiller spécial de l’ONU pour le génocide.
Jacinda Ardern, empathie et vision d’avenir
Rappelons que depuis les attaques terroristes de Christchurch, la PM de la Nouvelle-Zélande, Jacinda Ardern, a travaillé sans relâche pour prévenir de telles violences, en interdisant les armes semi-automatiques et les fusils d’assaut, avec une efficacité qui lui a valu des louanges dans son pays et au-delà. Même si le lobby des armes l’a critiquée aux USA, rendant virtuellement impossible de telles mesures dans ce pays soumis régulièrement à des fusillades dans les écoles, les mosquées et les synagogues, parmi d’autres. Est invoqué, pour ce blocage, la Constitution permettant au citoyen de s’armer au nom de la liberté, certains états autorisant même des enseignants à venir en classe avec un pistolet...
Faisant fi des levées de boucliers de lobbies, Ardern a initié l’appel de Christchurch et une collaboration globale entre les états et les sociétés gérant le net, leur demandant de bloquer tout contenu extrémiste sur leurs sites, notamment sur Facebook, Twitter, YouTube et Instagram. On se rappelle que le terroriste australien avait effectué un live streaming de son crime sur Facebook. Notons que depuis cette initiative tant souhaitée, Mark Zuckerberg a annoncé que sa compagnie avait bloqué des comptes de nombreuses personnes diffusant des fakes news et des messages de haine, dont les 23 comptes de Matteo Salvini, à deux semaines des élections européennes. On ne peut plus faire la politique de l’autruche sur le net.
A Paris, au moins une dizaine de pays seront avec les géants du net pour ratifier un accord non-contraignant pour faire de l’Appel de Christchurch une réalité. Celui-ci posera un cadre volontaire où états et compagnies afficheront leur volonté de travailler de concert afin de bloquer le contenu de haine sur le net et d’empêcher sa diffusion à la vitesse du virtuel. En aval de ces séances qui feront date, Facebook a annoncé l’instauration de règles plus contraignantes pour Facebook Live et l’élaboration d’une technologie de l’IA pour détecter les vidéos à bloquer. La société a débloqué 7.5 million de dollars à cette fin, budget qui peut paraître dérisoire quand on se rend compte de la manne financière de plusieurs milliards de dollars que cette activité génère pour le géant américain. Mais, il faut bien commencer cette opération salutaire, même modestement…
La création d’un cadre de référence pour acter l’appel
Pour information, l’appel à l’action de Christchurch aura quatre composantes principales:
- Le contexte des attaques de la mosquée du 15 mars.
- Un engagement des gouvernements à utiliser les cadres juridiques pour lutter contre les facteurs du terrorisme et de l'extrémisme violent.
- Un engagement des entreprises de technologie à prendre des mesures préventives pour empêcher le téléchargement de matériel indésirable, notamment en faisant preuve de plus de transparence quant à leurs algorithmes et en collaborant dans l'ensemble du secteur des technologies.
- Un engagement des gouvernements et des entreprises de technologie à travailler ensemble.
On veillera à ce que les critères de surveillance ne se feront pas au détriment de la liberté d’expression, des droits humains internationaux, ou d’un net ouvert et sûr. Il est attendu des sociétés du net qu’elles développent des outils pour détecter et bloquer du contenu questionnable. Quant aux gouvernements, ils devront élaborer un cadre légal pour responsabiliser les sociétés opérant le net au vu des contenus qu’ils abritent en ligne. Chaque gouvernement aura le loisir de déterminer sa règle. Ce qui est, au fond, l’enjeu fondamental, c’est réduire le mal en ligne, et cela en posant des limites aux géants du net qui semblent ne devoir rendre de compte à personne. Ardern a aussi en mire ces zones d’ombre du net où la radicalisation fait son nid. Aussi, un échange de données entre états et sociétés du net sera envisagé. Ceux-ci pourront créer une nomenclature globale, listant les mots et autres signes pouvant signifier une alerte en vue des matériaux extrémistes. Seront dans les viseurs les « memes » que l’on définit comme une image, une vidéo, un texte, etc., de nature typiquement humoristique, que les internautes copient et diffusent rapidement, souvent avec de légères variations. Rappelons que comme pour le climat, les USA ne semblent pas vouloir répondre à l’appel de Christchurch.
Quoiqu’il en soit, en femme visionnaire et résolue, dont l’empathie a ému le monde après les massacres de Christchurch, Jacinda Ardern a beaucoup à faire ce 15 mars à Paris, où elle est déjà à l’œuvre. Elle a présidé une table-ronde avec les représentants des compagnies de technologie du net ce matin et ce soir, elle co-présidera, avec Emmanuel Macron, un dîner «Tech for good», tout en multipliant des rencontres bilatérales entre ces deux temps forts, notamment avec Abdullah II bin Al-Hussein, le roi de Jordanie, Jack Dorsay, le patron de Twitter, Emmanuel Macron, la PM de Norvège, Elna Solberg, et la PM de GB, Theresa May. Demain, avant de partir, elle rencontrera Justin Trudeau, le PM du Canada.
Nous attendons avec impatience les suites de cet événement novateur, porteur de plus de paix et de sécurité, non seulement sur le net, mais aussi et surtout, dans la vie réelle, car il est aujourd’hui admis que le net convoie le pire et le meilleur, et il y a à peine 2 mois, il a fait partie d’un modus operandi indissociable causant la mort de 51 personnes à Christchurch.
Gageons que ce premier pas sera suivi d’un autre, afin que les diversités et les équilibres des sociétés ne soient pas régulièrement mis en péril par des identités meurtrières…
Jacinda Ardern, il faut le reconnaître, a impulsé, un nécessaire mouvement international pour un meilleur vivre ensemble sur le net qui demande à être étoffé au fil du temps.
Note: http://www.potomitan.info/torabully/christchurch2.php
© Khal Torabully, 15 mai 2019