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Pour le 10 mai, le goût tenace de la chaîne…

Khal Torabully

10 mai 2017

Prêcher, Martinique. Photo Francesca Palli.

Ce n’est pas le goût de la chaîne

Qui me peine, qui me lie éternellement à toi.

Ce n’est pas l’ombre de ta pensée qui me gangrène,

Ni le statut qui me dessine en meuble dans ta loi.

Ce n’est pas non plus la lourdeur du ciel

Dans l’attente de l’orage sanguin de ma liberté.

Ni encore le dépôt amer de ton fiel

Sur ma chair, que tu as vendue en toute légèreté.


Non, c’est l’obstination de ta mémoire, ta capacité

A nier ce que la victime et son enfant subissent

Devant le soleil brisé en ombre de l’ignominie.

C’est la criminelle histoire qui me nomme en débris

D’humanité, en objet futile de ton énorme profit.

 

Depuis, tu as appris à nier la douleur d’autrui,

Tu as su que nier te permet de briser l’attente

Des enfants hagards en mille silences complices.

Entre nous s’alourdit le cadenas de l’histoire,

Entre nous se tisse le lien de sa brutale mémoire…

 

Quant au goût des chaînes, il capte le parfum de la haine,

Il est plombé comme les mines de bauxite et de silice.

Il a l’insondable goût du coton et du sucre factice.

Le gout de ma chaîne n’est plus le prix de ta peine.

Tu peux ignorer ce que tu appelles la noire rengaine

Ou le petit fardeau de l’homme blanc. Tu ironises

Sur mon cri, tu minimises mes désirs de profundis.

 

De Carthagène à l’universelle géhenne,

J’appelle les fabricants des chaînes humaines.

Sans autre procès ou mise en quarantaine.

Qu’ils entendent les mots graphologues de mes arènes :

« Si tu veux te libérer de toi-même, brise tes chaînes,

De la fin de l’esclavage jusqu’à ma mémoire indemne ».

© Khal Torabully, 10 mai 2017

 Viré monté