Potomitan

Site de promotion des cultures et des langues créoles
Annou voyé kreyòl douvan douvan

de la politi-fiction

Umar Timol
Email

Lettre d’un Citoyen Engagé à L’Empereur du Grand Empire (année 2560 A.D)

Maître,

J’ai longuement réfléchi avant de vous écrire. Je sais que vous avez de nombreuses préoccupations et non des moindres. Vous êtes à la tête du plus vaste Empire de l’histoire, vous êtes sa lumière, son timonier et son destin. Je ne veux surtout pas abuser de votre précieux temps. Je ne suis qu’un simple et humble citoyen mais un citoyen engagé et qui a à cœur les intérêts de l’Empire. Empire qui, est-il nécessaire de le rappeler, depuis bientôt quatre siècles rayonne de tous ses feux, feux de notre réussite qui jaillissent en tous lieux, ainsi empire de loin le plus riche au monde, première puissance militaire au monde, revenu moyen le plus élevé au monde, nous disposons des meilleurs universités, nous avons effectué des découvertes monumentales dans le domaine scientifique, nous avons colonisé Mars et bientôt d’autres planètes, une vie culturelle d’une richesse inouïe mais plus encore l’Empire a permis d’établir une paix quasi-universelle, nous avons, grâce à la diplomatie, jugulé la sédition dans le monde. Nous vivons, Maître, dans un monde qui est loin d’être parfait mais un monde qui est aujourd’hui sur la bonne voie, un monde porteur d’espoir pour tous les hommes et pour toutes les femmes de bonne volonté, un nouveau monde rendu possible par l’Emperocratie, un modèle politique et économique qui a fait ses preuves, un nouveau monde rendu possible par le génie propre de notre peuple, sa détermination et son éthique du travail.

Je ne crois pas en l’Utopie, Maître, mais l’Empire, sous votre sage gouverne, dessine ses contours et son devenir.

Il est, cependant, à l’horizon des dangers, anodins si on en croit certains, mais qui sapent, de façon insidieuse, les fondements de l’Empire, qui pourraient même le détruire.

La situation, à vrai dire, est grave.

Elle est même dramatique. Et il est important d’agir au plus vite.

Je précise que mon ambition est modeste, je ne suis qu’un simple et humble citoyen et je ne suis ni savant, ni intellectuel et elle consiste donc à susciter un débat, à éveiller les consciences. Car il faut être vigilant, demeurer sur ses gardes, l’ennemi, masqué et sournois, est désormais dans la forteresse.

Il est, cependant, impératif de procéder de manière rationnelle. L’Emperationalite est le propre de notre peuple, nous récusons les émotions primaires, nous récusons la spontanéité, les jugements hâtifs, à l’emporte-pièce, nous devons donc analyser, déconstruire et décortiquer les problèmes avant de proposer des solutions.

Mais avant d’aller plus loin, Maître, il est important de rappeler que les dangers évoqués peuvent sembler dissemblables mais ils participent d’une même logique, d’une même volonté, ils forment partie d’un même ensemble dont l’ultime objectif est la destruction de l’Empire.

Cette précision est essentielle.

J’y reviendrai à la fin de ma lettre.

Certains de nos plus brillants intellectuels réclament une nouvelle interprétation de l’Histoire. Ils prétendent que le succès de notre peuple n’est pas dû à son génie propre mais à l’influence d’autres civilisations, notamment l’Occident. Ainsi l’Occident, qui a sombré, depuis longtemps dans le déclin, - rappelons ici rapidement que l’Occident est pauvre et dépendant et qu’elle n’arrive pas à s’adapter aux nouvelles normes de l’Emperocratie, susceptibles de permettre le développement et le progrès, rappelons aussi que son déclin a commencé au début du vingt-et-unième siècle pour les raisons que l’on sait, le surendettement, un modèle politique archaïque, le culte de l’argent facile et surtout l’échec éthique et spirituel, une culture du plaisir et de la débauche -, aurait suscité l’émergence de l’Emperocratie. Ils affirment, par ailleurs, que nos historiens pratiquent l’Emperocentrisme, qu’ils ramènent ainsi tout à l’Empire en négligeant le rôle et la contribution de l’Occident. On aurait donc détourner l’histoire, fait de l’emprise Occidentale, qui n’a duré en tout et pour tout que deux siècles, un égarement, un intermède avant que l’Empire ne reprenne le dessus. Ils tentent aussi de démontrer que l’Occident serait à l’origine des nombreux progrès accomplis. Ils citent plusieurs exemples, les découvertes dans le domaine aérospatiale auraient permis la colonisation de Mars ou encore les découvertes effectuées dans le domaine de la physique quantique auraient permis l’invention de l’ordinateur simulateur d’une réalité parfaite. Il est clair que ce sont des thèses farfelues et qu’il n’est rien de plus que facile que de les réfuter. Soyons justes cependant. L’Occident a effectivement dominé le monde pendant deux siècles mais cette domination était une œuvre impérialiste et barbare, ils ont littéralement saigné les peuples conquis et s’il est vrai que des progrès ont été accomplis à cette époque ils ne sont rien comparables à ce qui a été fait depuis. On pourrait dire et à raison que les découvertes Occidentales ne sont, au bout du compte, que des amuse-gueules qui ne comptent que pour du beurre.

Ainsi comment mettre de telles merveilles (voyage spatio- temporel, teleportation d’objets ou l’énergie perpétuelle) sur le compte d’une vieille civilisation que se morfond aujourd’hui dans la débauche et la superstition? On peut à la limite leur reconnaitre un mérite, celui d’avoir agi comme une courroie de transmission, celui d’avoir transmis le savoir ancien et perdu de l’Empire mais sans plus. Notre civilisation, il faut le réitérer, a réussi grâce à son génie propre, grâce aux mérites intrinsèques de notre peuple, c.à.d. une véritable éthique du travail, le respect de l’hiérarchie, la discipline, une intelligence rationnelle et systémique. Je crois l’avoir dit, nous œuvrons pour la paix et dans un esprit de fraternité et il est malheureux de constater qu’on sabote cette noble entreprise en propageant le mensonge dans des esprits naïfs.

Pour ce qui est de l’Emperocentrisme, il est évident que c’est une thèse absurde. Si nos historiens ont ancré l’Empire au centre de l’histoire c’est pour une raison toute bête, qui a évidemment échappé à nos intellectuels bien-pensants, L’Empire est la civilisation dominante depuis bientôt quatre siècles, nous avons fait l’Histoire, nous l’avons sculptée, forgée et elle est indissociable de notre histoire. Je sais qu’il est de bon ton aujourd’hui de pratiquer du masochisme intellectuel, certains estiment qu’il est agréable de s’auto-lapider mais il faut avoir le courage de ses convictions, il faut pouvoir s’affirmer et le dire, haut et fort, sans complexes, sans aucun sentiment de supériorité ni grandiloquence que nous sommes le souffle qui a façonné l’Histoire des quatre derniers siècles. On peut certes se livrer à des exercices d’acrobaties intellectuelles, prétendre qu’un détail insignifiant (par exemple les frasques politiques des pays Occidentaux) a une portée historique mais un fait demeure, l’Empire domine le monde et l’Histoire (la grande, pas celle des dérisoires) du monde est l’histoire de l’Empire. Qu’on le veuille ou pas.

J’estime que nous souffrons d’un mal, le spectre ou le complexe du vainqueur. Il faut certes faire preuve de modestie, c’est une des qualités de notre peuple, mais cette modestie ne doit pas se métamorphoser en haine de soi. Sinon nous risquons de devenir un peuple faiblard, incapable d’avancer, incapable de réaliser ses ambitions, un peuple Occidentalisé, peureux et sans courage.

Permettez-moi, Maître, de vous raconter une anecdote. Je me suis récemment rendu en Europe. Je comptais aussi visiter les Etats-Unis (désormais désunis, sans jeux de mots) mais comme vous le savez, c’est un pays ravagé par la guerre et seuls les plus intrépides y ont désormais accès. Je dois avouer que j’aime bien le vieux continent, son histoire, son pittoresque, la cuisine est merveilleuse et les Européens dans l’ensemble ont su préserver un art de vivre ancien. On y rencontre aussi des personnes merveilleuses, ils ont un sens inné de l’accueil, il règne d’ailleurs une perpétuelle atmosphère de beuverie, joviale et conviviale. Et franchement on se laisse prendre au jeu, on boit de la bière et on mange des frites, on rigole et on rote. Il faut dire qu’ils sont sympathiques les Européens. Il y a chez eux un curieux mélange de rusticité et de générosité. Et il est plus qu’évident qu’ils ont bon cœur, il leur est difficile d’exercer l’Emperationali é mais ils ont un bon fond. On comprend ainsi que le vent de révolte qui souffle dans ces pays est l’affaire d’extrémistes qui manipulent les modérés. L’Européen moyen désire comme tout le monde une vie paisible (donnez lui du cochon, de la bière et des frites et il est heureux) mais il se trouve des extrémistes qui excitent les flammes de la sédition. Il y a, par ailleurs, une chose qui m’a bouleversé et c’est le spectacle de la déchéance. Ainsi les grandes villes sont dans un état lamentable, les pauvres sont partout, ils vivent entassés, par millions, dans des bidonvilles géants mais pire encore on pratique le culte de l’inculture, des chefs religieux, qui prétendent tout savoir inculquent leur pseudo-savoir aux masses. Ces derniers fanatisés par le désespoir se laissent prendre au piège. Permettez-moi, Maître, de vous raconter une anecdote. Figurez-vous que lors d’une visite à l’université d’Oxford (désormais transformée en musée) un jeune homme a piqué mon porte-monnaie. Mais je ne lui en veux pas le pauvre. Je me dis que c’est peut-être un affamé ou un ces fous qui vagabondent dans les villes. Apres j’ai ressenti comme une étrange nostalgie. C’est un grand penseur de l’Occident qui a un jour écrit que ‘les civilisations sont mortelles’ et elles le sont effectivement. Comment donc expliquer le déclin de cette belle civilisation? Il suffit de peu pour que tout s’écroule et disparaisse à tout jamais. Ou sont passées les belles capitales, Amsterdam, Paris ou Londres? Que sont ainsi devenues les langues européennes, l’anglais, le français ou encore l’espagnol? Comment se fait-il que ces langues, si riches, si spontanées, sont désormais des terres arides incapables d’inventer des concepts, des langues mièvres et morbides. Comment donc expliquer cette métamorphose? On sait certes les raisons objectives mais il n’empêche qu’on éprouve un véritable sentiment de nostalgie. Mais il est une leçon pour nous. Nous ne devons pas dormir sur nos lauriers. Le monde a besoin de l’Emperocratie, il a besoin de nos valeurs, de nos principes, de notre éthique, sans quoi il s’écroulera et on retournera à la barbarie. Il faut donc tout faire pour préserver notre suprématie. Ceci dit, je suis convaincu après mon bref séjour en Europe que nous devons aider ces peuples. Nous devons étendre notre programme d’aide aux pays pauvres. La solidarité Emperohumaniste est essentielle. Nous devons voter un budget pour les aider. Mais plus encore nous devons leur inculquer nos valeurs, nos principes. Il reste cependant une question, est ce que nous avons eu raison de mettre ces pays sous tutelle? Cette question est évidemment complexe. Notre peuple n’a jamais eu une ambition colonisatrice mais je crois ultimement que c’est justifié. La tutelle est le moyen idéal pour permettre le développement de ces pays, de les mettre à niveau.

Voyage agréable mais constat désespéré. Mais tout n’est pas noir.

Car on peut compter sur de nombreux Occidentaux, ceux qui soutiennent et comprennent notre action. Je pense à un intellectuel en particulier qui a récemment publié, ‘La Maladie de l’Occident’, un livre remarquable qui nous démontre de façon très perspicace, je pense, que l’Occident est depuis trop longtemps empêtré pour ne pas dire fossilisé dans une attitude régressive, dans le culte d’une gloire passée, d’un idéal à jamais mort et qu’il est impératif de procéder à une reforme. L’élément clé de cet ouvrage est la déconstruction de la culture victimaire qui rend l’Emeprocratie responsable de tous les problèmes de l’Occident. Le message est fort: nous en sommes là parce que c’est de notre faute. On conviendra que ce sont des idées dangereuses dans le contexte actuel. On sait la montée de l’extrémisme dans ces sociétés. Rappelons que nombreux sont ces intellectuels qui siègent dans des Emperopenseurs qui œuvrent pour aider les pays Occidentaux et qu’ils interviennent régulièrement dans les grands medias. Signalons aussi qu’il ont soutenu notre intervention en Italie et la politique de ségrégation positive en Suisse. Ces intellectuels, et il faut s’en féliciter, sont d’excellents interlocuteurs, ils sont ancrés dans leur culture d’origine, des Occidentaux authentiques mais qui comprennent tous les rouages du modèle Emperocratique. Ce sont des hommes et femmes ponts, qui peuvent contribuer à combler le fossé grandissant entre nous et les Occidentaux. Ils ont besoin de notre soutien. Mais l’autre versant de la médaille ce sont évidemment les intellectuels rétrogrades ou les intellectuels victimaires. On ne connaît que trop bien leurs slogans creux que je me permets, Maître, de résumer : nous sommes des victimes, vous nous persécutez, vous pratiquez une politique de deux poids et deux mesures etc. Ainsi ils nous accusent de tous les maux de la terre. Vous avez probablement, Maître, lu cet ouvrage qui a eu un certain écho, ‘Peau blanche, Masque jaune’ qui évoque les complexes d’infériorité de l’homme blanc, qui l’invite justement à se débarrasser de ses complexes, à affirmer son identité, à se battre pour renverser l’Emperocratie, pour la révolution. D’autres livres, du même acabit, ont été publiés et tous ressassent les mêmes blâmes, évidemment insipides et absurdes. Mais ce sont des peccadilles Maître. L’Occident aujourd’hui est notre fardeau. C’est le fardeau de notre peuple, de l’Empire. Ayons le courage d’énoncer quelques vérités toutes simples. Cessons donc avec la langue de bois. N’ayons plus peur et disons le haut et fort. L’Occident a besoin de nous. Ils ont du potentiel mais ils se doivent se libérer du carcan de leurs immobilismes. Un Occident qui a renoué avec le dynamisme est un Occident qui sera au service de la paix et du progrès. Ils ont besoin d’un nouveau Einstein, d’un nouveau Newton, il en va de leur avenir. Nous devons aider l’Occident, Maître. Nous devons rendre leur Renaissance possible afin d’imaginer des lendemains meilleurs.

Une nouvelle idée a fait son chemin dans nos universités : l’Occidentalisme. C’est, comme vous le savez, Maître, un jeune et brillant intellectuel d’origine Allemande qui a émis cette thèse. Que signifie donc l’Occidentalisme? En deux mots, un système de représentation dans lequel l’Emperocratie a cloisonné l’Occident et l’a ainsi inventé. Le savoir produit par l’Emperocratie à propos de l’Occident serait donc tributaire du pouvoir. Savoir qui n’est donc pas objectif mais biaisé. Cette thèse qui a ses prophètes est évidemment farfelue. L’Occidentalisme n’existe pas. Nos scientifiques, nos intellectuels sont motivés par le désir de comprendre l’autre, de l’appréhender dans sa complexité et dans son humanité. Et c’est ce savoir qui a permis d’excaver l’âge d’or Occidental. Ainsi, pour ne citer qu’un exemple parmi tant d’autres, ce sont nos chercheurs qui ont effectué des recherches sur les grands écrivains Occidentaux, c’est grâce à nous, et seulement à nous, qu’on se souvient encore, dans ces terres barbares, des grandes œuvres de Proust ou de Faulkner. Et c’est ce même savoir qui permet aujourd’hui aux pays de l’Occident d’avancer sur la voie du progrès. Il faut reconnaitre, cependant, que cette volonté de savoir, cette volonté de connaître l’autre a parfois cédé le pas à certains stéréotypes, cela est incontestable, mais elle exprime un désir sincère de comprendre l’autre. Ceux qui en doutent font preuve de mauvaise foi. J’ai eu l’occasion, par ailleurs, de rencontrer nombreux de ces grands chercheurs qui travaillent sur l’Occident ancien, ce sont des Emperohumanistes (concept élégant que vous avez inventé Maître) qui veulent dévoiler les méandres de l’autre afin de construire une humanité plus généreuse et plus juste. Je ne les retrouve absolument pas dans les caricatures des prêcheurs de l’Occidentalisme, ils seraient, selon ces derniers, des ‘racistes, qui souhaitent perpétuer la domination coloniale’. Vous conviendrez , Maître, que c’est absurde. Ainsi cet homme qui a consacré toute sa vie à étudier les tribus barbares anglaises, qui a publié un ouvrage fondamental à ce propos, Foot et Bière ou le retour du Barbare, serait un Occidentaliste. On doit pouvoir le dire, le plus poliment du monde, ce sont, messieurs et dames les intellectuels bien pensants, des foutaises.

Il ne faut pas se leurrer Maître. Ces nouvelles thèses ne sont en rien anodins. Il faut les mettre sur le compte d’une stratégie pour subvertir l’Emperocratie. Ils n’en sont pas encore là mais demain ils réclameront la fin de l’emperocratie.

Mais il n’y pas que l’Occidentalisme, il y a aussi l’Occidentalaphobie. Nos intellectuels savent générer des mots à la sonorité bizarre, qu’ils sont souvent les seuls à comprendre. Ainsi l’Occidentalaphobie serait la diabolisation de l’Occident et on peut dire, que pour une fois, ils n’ont pas tout à fait tort. Je ne parle pas évidemment des élucubrations des théoriciens du complot mais des thèses parfois justes de certains intellectuels. Ainsi il est vrai de dire que les medias (qui servent surtout à assouvir les instincts les plus tenaces des foules) ressassent le stéréotype de l’Occidental apte à des actes fanatiques, amateur de bière et de frites, personnage souvent grossier et primaire, dont le cerveau se situe dans un lieu que la pudeur m’interdit de nommer. On se souvient, par exemple, d’une série récente à succès sur les errements d’un espagnol apparemment parfaitement intégré dans l’Emperocratie mais qui se révèle être un Européen ‘traditionnel’ (bon vivant et pas tout à fait intelligent) et évidemment terroriste. Certains diront que ces stéréotypes ont un fond de vérité mais nous récusons de telles analyses. L’homme Occidental est aujourd’hui pathétique mais il faut faire preuve d’empathie. La caricature ne servira qu’à entretenir la peur et la haine. Il faut rappeler aux grands propriétaires des medias que nous luttons pour conquérir les cœurs, pour qu’il y ait un rapprochement entre les peuples. Ceci dit il est hors de question évidemment de pratiquer la censure. Nous sommes un peuple qui respecte au plus haut degré la liberté d’expression. Je me vois mal par exemple demander à un cinéaste de censurer son film. Il faut, par contre, engager une réflexion constructive, tendre la main à l’autre dans un véritable esprit de partage. Ainsi signalons à cet effet un film remarquable, l’Anglaise, qui raconte, comment après un séjour dans une grande ville de l’Empire, une jeune anglaise retourne au pays pour aider ces concitoyennes. Un film subtil qui parvient à éviter tous les poncifs du genre, qui brosse un portrait très juste de ce peuple. On peut, en effet, croire que les habitants de ce pays ne sont pas à tout à fait humains, du moins pas comme nous mais ils le sont, dans une certaine mesure il est vrai. Je ne veux pas gâcher votre plaisir mais il faut savoir qu’elle parviendra au bout du compte à libérer les jeunes anglaises des entraves de la société traditionnelle., du dangereux phénomène de l’anglicisation des esprits. Il faut aussi préciser que si je suis critique à l’égard de l’Occidentalphobie je considère, néanmoins, que son utilisation abusive, accuser à tort à travers tout le monde d’être Occidentalophobe, ainsi le commentaire, même le plus anodin, sur l’Occident sera Occidentalophone, relève de la supercherie. C’est une tentative insidieuse d’empêcher le débat d’idées. On veut contraindre la pensée, on veut subvertir la liberté d’expression, on s’en prend ainsi aux valeurs fondamentales de l’Emperocratie.

Le reproche est grave. Ainsi des voix et pas des moindres nous accusent d’avoir envahi l’Italie sous faux prétextes. Car notre ambition est, paraît-il, de mettre fin à ses velléités d’Independence, qui représenteraient une menace pour l’Emperocratie. Rien de plus faux, vous en conviendrez Maître. Aujourd’hui l’Italie est un véritable nid de terroristes, qui se livrent à un combat acharné contre l’Empire. Il n’est pas nécessaire ici de rappeler la lâcheté de ces soi-disant insurgés, leurs exactions quotidiennes, qui tuent, massacrent impunément, qui se moquent de l’humain, ces soi-disant insurgés qui sont avant tout des barbares. Nous avons agi ainsi parce qu’on ne pouvait faire autrement. Rappelons que nous avons soutenu l’établissement d’une Emperocratie modèle sur le nôtre, malheureusement le Italiens ont choisi un Empereur, plus soucieux de révolte que de liberté. Nous respectons évidemment le choix de ce peuple fier et parfois vantard mais il est des limites qu’on ne peut outrepasser. Et rappelons, par ailleurs, que nous avons tenté d’engager le dialogue avec les ex-dirigeants de ce pays mais ils sont réfractaires à tout dialogue. On sait pertinemment bien qu’ils soutiennent les terroristes. L’invasion, dans ces circonstances, était la seule option. Il est facile de nous accuser, de nous pointer du doigt, de dire que nous sommes des colons, des monstres mais qui se souvient de l’attaque contre le bâtiment symbole de l’Emperocratie, qui s’en souvient, une merveille technologique, qui se souvient aussi des morts par milliers, de la mort des enfants. Et aujourd’hui on nous parle d’hypocrisie. Qu’est-ce qu’on est censé faire? Dialoguer avec les terroristes, avec des barbares qui jalousent notre mode de vie, nos valeurs? Et puis quoi encore on pourrait suggérer à l’Empereur de les inviter à diner chez lui. Il faut donc arrêter avec de telles sornettes. Il est facile quand on est dans le confort de son salon de critiquer et je me permets de signaler à nos intellectuels bien pensants que des hommes et des femmes sont sur le terrain au quotidien et se battent contre le Mal. Ils se battent et risquent leur vie au nom de nos valeurs Et il est utile de le répéter, nul dialogue n’est possible avec les terroristes, ils ne comprennent qu’un seul langage, celui de la force. Il ne faut plus se leurrer, on ne peut se permettre le luxe de tergiverser, les dangers sont réels. La situation s’est d’ailleurs considérablement stabilisée en Italie. On sait que ce peuple est fiévreux, qu’ils ont le goût du spectaculaire mais notre régime Emperocratique a su les ramener à la raison. Rappelons finalement que le nouveau guide suprême du pays a été formé dans nos meilleurs universités et qu’il est un ex-directeur d’une de nos grandes compagnies aérospatiales. Il est la personne idéale pour gérer cette situation difficile.

Je persiste et signe, je trouve, et je pèse mes mots, qu’il est scandaleux de dire que cette invasion est illégale, qu’elle va à l’encontre de l’Emperohumanisme. Personne n’aime la guerre, ni vous, ni moi, ni personne la guerre est parfois le moindre mal. Il faut donc tuer la bête avant qu’il ne puisse exercer sa férocité. Et l’Emperocratie doit pouvoir agir en toute liberté, répandre ses lumières sur tous les continents, nous devons avoir le droit d’intervenir en tous lieux.

Que les chiens de la passivité et de la médiocrité aboient, qu’ils nous assomment avec leurs insanités mais la caravane de la lumière, la caravane de l’Emperocratie doit pouvoir avancer.

Autre problème qu’il est important d’évoquer, à mon modeste avis, celui de la Suisse, pays que nous avions envahi en 2250 pour les raisons que l’on sait. On se souvient que la populace avait commis des actes odieux à l’égard de la population immigrée, originaire de l’Empire. Cette invasion a servi à rétablir le calme mais aujourd’hui on nous accuse d’avoir reléguée la population suisse dans des quasi-prisons et de les persécuter systématiquement. Nos intellectuels bien pensants ont une de fois plus tout faux. On doit ici parler de ségrégation positive, il est des clivages entre nos compatriotes et les autochtones, clivages qui sont pour le moment insurmontables. Nous voulons établir la paix mais il nous faut des interlocuteurs qui sont en quête du même objectif. Nous constatons qu’il y a un refus systématique d’engager la dialogue et un recours à des méthodes peu louables. Ainsi certains prétendent que ce qu’on appelle désormais la quasi-prison (alors que c’est un exemple réussi de ségrégation positive) de Neuchâtel est une honte, que l’Emperocratie est à blâmer, qu’on punit injustement une population. Mais Neuchâtel fomente des terroristes par centaines, par milliers, on peut trouver la méthode dure et révoltante mais peut-on procéder autrement? Nous avons à faire à un peuple qui ne comprend en rien le langage de l’Emperocratie. N’avons-nous pas d’ailleurs instauré le fameux Contrat de la Paix dont l’objectif est d’établir la paix au bout de trois ans? Mais il nous faut des interlocuteurs qui inspirent confiance, qui ont les mêmes objectifs que nous. On bute, au contraire, sur le silence. On nous affirme vouloir la paix puis on procède à des attaques terroristes sur les civiles. N’est-ce pas scandaleux Maître? On nous accuse par ailleurs de pratiquer une politique de deux poids, deux mesures, il n’est rien de plus faux, ce sont les jaloux, les envieux, ceux qui veulent miner notre suprématie. Il faut comprendre que l’Emperocratie a à cœur les intérêts des peuples faibles. La ségrégation positive est au service de ceux qui ne sont pas encore aptes, mais qui le seront un jour, à comprendre nos valeurs.

Certains de nos intellectuels prétendent qu’il faut encourager l’immigration provenant de l’Occident. Il parait qu’il y a un manque de main d’œuvre, ce qui n’est pas tout à fait faux. Mais sait-on les conséquences de l’immigration? Pendant combien de temps, Maître, est-ce que nos concitoyens devront subir ces immigrés Occidentaux qui abusent du système, qui font beaucoup d’enfants, qui pratiquent la culture des frites et de la bière. Il nous faut désormais une approche rationnelle. Nous avons certes besoin d’immigrés, ils peuvent contribuer au développement de notre pays mais il faut savoir de quoi on parle. Nous proposons donc une alternative, qui est la suivante, une immigration sélective. Aujourd’hui on dispose de techniques sophistiquées qui nous permettent quasi instantanément de déterminer le profil génétique d’un individu. On sait que l’Occidental est avant tout un être charnel mais il se trouve qu’il y en a qui peuvent faire preuve d’Emperorationalite, condition essentielle vous en conviendrez pour intégrer l’Emperocratie. Je sais que nos intellectuels bien pensants vont crier au scandale mais il est impératif d’effectuer des tests sur tous ceux qui envisagent d’immigrer. Il nous faut agir, il en va de l’équilibre de l’Emperocratie. On ne veut se retrouver avec une foule d’immigrés sur le dos, avec des problèmes insolubles. On constate ainsi une lente et insidieuse Occidentalisation des mœurs, qui s’explique par le nombre démentiel d’immigres occidentaux dans nos terres. Aujourd’hui on leur permet d’ouvrir un bar occidental, demain on leur permettra d’instaurer leur système juridique dans l’Empire. L’emperocratie appartient aux habitants de l’Empire et les immigres occidentaux, qui sont si différents de nous, doivent savoir rester à leur place.

Vous me pardonnerez, Maître, de vous avoir écrit une si longue lettre. Je vous prie d’excuser ma virulence mais c’est le cœur confus et blessé d’un citoyen ordinaire qui s’exprime. Je sais que vous ne cessez d’œuvrer pour le bien-être de l’Empire, vous êtes sa lumière et son destin. Mais je sais aussi que vos subordonnés et vos conseillers, des gens de grand mérite évidemment, ne sont parfois pas assez lucides. Il n’est, cependant, pas trop tard. Il faut élaborer au plus vite des solutions car des idées dangereuses circulent dans notre pays et elles pourraient contaminer les esprits et subvertir les fondements de notre Empire.

L’heure est à l’urgence.

J’ai, comme vous pouvez le constater, cerné plusieurs dangers qui forment partie d’un même ensemble. Je n’ose parler de complot, il n’y en a probablement pas mais il est clair que des forces apparemment disparates ont procédé à une alliance dont l’objectif est l’annihilation de l’Empire. Des forces qui agissent au sein même de l’Empire, au sein de nos universités, des forces liguées avec celles de l’Occident jalouse et vengeresse.

Il faut donc pouvoir identifier son ennemi pour s’en défaire. Et il ne fait pas oublier que nous avons à faire à des personnes organisées et déterminées. Leur objectif à long terme est clair, détruire de l’intérieur l’Emperocratie, instaurer un régime barbare.

Il ne faut pas être naïf. Croire que ces dangers sont des peccadilles. La bête occidentale est parmi nous, elle attend son heure, elle saura quoi faire pour nous dévorer, elle est insidieuse et subtile et si on ne réagit pas fermement, l’Empire succombera à sa voracité.

Merci d’avoir lu ma lettre, Maître.

Votre humble serviteur.

Vive l’Empereur! Vive notre pays! Vive l’Emperocratie!

Umar Timol

Viré monté