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Umar Timol,
poète de la recherche d'absolu dans l'amour

 

Ce qui est frappant lorsqu'on lit attentivement la poésie d'Umar Timol, c'est la façon dont elle est traversée de part en part par le manque, par l'insupportable séparation des corps, des âmes.

Une soif fusionnelle dévorante en sous-tend tout le feu, tout l'impact.

Chez lui (ce qui est très "indien") la femme aimée en arrive à prendre une dimension quasi divine. Elle partage avec l'Absolu son caractère "inaccessible" par essence. A l'instar du grand dieu cosmique d'indifférence, elle n'aime jamais. L'amant, d'ailleurs, n'attend pas qu'elle l'aime, puisque, implicitement, l'on sent bien, au travers de ce qu'il écrit, que l'amour est, en soi, impossible et que le désir est trop dévorant pour se voir jamais épuisé, éteint. A ce degré d'exigence fusionnelle, de demande d'absolu, le désir ne peut être qu'insatisfait ou imparfaitement satisfait, ce qui est tout aussi intolérable. L'homme se voit donc condamné au yoyo entre exaltation et frustration. Et c'est là, dans ce manque béant où toute vraie poésie s'origine, que s'origine celle de l'auteur mauricien.

Si la poésie dure, c'est parce que l'insatisfaction dure. Si elle renaît sans cesse de ses cendres, c'est que ce qu'elle tente de combler est trop béant, trop vaste.

Le style, quant à lui, épouse parfaitement  cette sorte d'appel exacerbé , exacerbé parce que sans répit brisé, fracassé tel une vague.

On a, en permanence, l'impression que cet auteur écrit sous la poussée, la pression impérieuse de l'urgence pure. Il le confirme lui-même lorsqu'il se décrit comme possédé par une espèce de démon de l'écriture qui le chevaucherait, l'habiterait, ne lui laissant que peu de répit. Son écriture est , à n'en pas douter, une écriture de passion, de grincement, d'abondance assumée des mots, d'engagement total; une écriture de lave incandescente qui n'en finit pas de galoper : les phrases, même lorsqu'elle terminent un texte, demeurent toujours comme en suspens, ouvertes. Il y a ,dans cette écriture, une fougue, une façon de balayer qui, pour un peu, ferait penser aux cyclones de l'Ile Maurice.

Ecriture-cascade, écriture-torrent, écriture-accès de fièvre.

L'écriture de Timol charrie un bouillonnement qui contraste quelque peu avec cette manière de quête philosophique, voire, comme il le dit lui-même, "mystique" dont on détecte également l'affleurement chez lui. Elle a, dirait-on, à voir, avec une sorte de "dérèglement contrôlé" (dans l'acception rimbaldienne du terme) qui n'est pas sans, parfois, frôler excès, folie.
Sensualité comme inquiète, comme gâchée par une ombre mystérieuse qui plane sur tout, corrompe tout, déchirement, dense élan verbal qui finit par paraître se clore, se cadenasser sur lui-même, sur sa propre densité (par mesure de précaution, de protection ?). Procédés répétitifs qui tentent de jouer, pour le flux du verbe, le rôle de fragiles digues. Des forces contraires sont à l'œuvre.


Les textes écorchés vifs du poète mauricien se précipitent, se ruent tels de sauvages, flamboyants météores. On y sent, en arrière-plan, la présence de l'angoisse d'arrachement qui déchire; la colère contre tout ce qui s'oppose à la réunion, à l'œuvre d'amour, à la complétude de l'être, à la plénitude tant souhaitée.  On y sent aussi toute la sincérité d'un être à l'âme pure, sans détours. A certains moments, on a l'impression que l'écrivain voudrait tout dire, tout embrasser, tout avaler, tout inclure dans l'étreinte de son verbe. Il cherche le trop-plein et l'infini à sa manière bien à lui, avide, fébrile et sans aucun doute possible, tourmentée. Souvent, du reste, ses textes consistent en une seule (très longue) phrase, en un seul jet de poésie, interrompu seulement, ici et là, par des virgules (histoire de reprendre un peu sa respiration), comme s'il répugnait à agrémenter ses mots de lettres majuscules. Chaque texte -je l'ai déjà signalé - prend la forme d'un pavé dense où les mots semblent ne pas vouloir se désolidariser les uns des autres.

Je ne sais pas comment il construit ses poèmes en prose, mais la sensation qui s'en dégage est celle d'une force de vie et d'amour qui empoigne vigoureusement  l'auteur et qu'il réussit fort bien , du fait , entre autre, de son ton incantatoire, à nous transmettre.

Pour U.Timol, l'amour ne peut aller de pair qu'avec l'effacement de soi : "alors que je ne suis que cendre à tes pieds, je t'aime". C'est aussi simple que ça.

Amour (cet amour qui lui est si essentiel) et humilité, voire abaissement de soi sont, à ses yeux, indissociables, inextricables et c'est ce qui confère à son œuvre ce ton singulier, ce caractère touchant, attachant.

P. Laranco.


Viré monté