Potomitan

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Annou voyé kreyòl douvan douvan

texte improvisé

Umar Timol

J’aimerais que tu m’apprennes à regarder, non pas ce qui est prévisible, non pas ce qu’on méprend pour la réalité, toutes ces choses que tout le monde voit sans voir. Je te parle de ce qui se cache sous la surface, de ce qui frétille derrière les apparences. Je te parle de ce qui est fort, très fort et très beau. Je te parle de l’étreinte de la main d’une personne qui t’aime. C’est comme ça. C’est tellement fort que tu ne sais quoi en faire.

 J’ai donc envie que tu m’apprennes à regarder car il y a tant à voir. Tout mérite, à vrai dire, d’être vu. Il suffit tout simplement de regarder ou plutôt de cesser de regarder. C’est-à-dire qu’il faut abandonner nos préjugés, nos certitudes, tout ce qui obstrue notre regard. Il faut évacuer tout ça, s’en débarrasser, ce n’est pas facile, je le sais, c’est plus difficile qu’on ne le croit mais il faut essayer. Il est important d’essayer, d’essayer d’aller au-delà de ce qu’on croit voir.

 Et je sais alors qu’on commencera à voir des choses fabuleuses, par exemple, les yeux des enfants. On croit que ce n’est qu’un enfant parmi tant d’autres, qu’il n’a rien de spécial, mais non ce n’est pas vrai, les yeux d’un enfant sont magiques, c’est comme entrer dans un autre monde. Un monde où rayonnent la paix, le silence et l’amour. Les yeux des enfants sont comme ça, ils ont cette force inouïe, ils sont comme un miracle, ils nous disent tant de choses, c’est comme un langage façonné uniquement avec les mots de l’innocence. Et alors on ne cessera de les regarder, ces yeux, on ne cessera car on ne pourra faire autrement.

 Et puis on se mettra à regarder les nuages et la il faudra abandonner toutes nos prétentions a comprendre quoi que ce soit. Cela ne sert à rien. Il ne faut pas essayer de comprendre. Il suffit de regarder. Et tu verras que les nuages sont comme des âmes voyageuses, qu’ils puisent dans le cœur des hommes faibles et démunis la force de dériver sur les océans tumultueux. Et rien ne les arrête, ils sont si forts, parfois ils ressemblent à des moutons, parfois à des singes, parfois encore à une voiture et le plus souvent à rien.

 Mais ils sont forts et beaux et rien ne peut les arrêter.

 Et puis on se mettra aussi à regarder les cailloux, on verra qu’ils arrivent, on ne sait trop comment, à saisir la lumière qui profane l’univers. Et les cailloux sont beaux parce qu’ils simples et petits et qu’ils ne savent pas parler. Et les cailloux sont un peu comme les enfants car ils nous apprennent tant de choses alors qu’on n’en veut pas. On regardera alors les cailloux.

 On regardera aussi les pauvres et on verra que ce sont les êtres les plus beaux. Ils savent après tout le sens de l’essentiel et on ne peut pas leur mentir, on ne peut inventer des mots pour eux, on ne peut pas les berner. Mais surtout, ils sont au proche de la vérité car possèdent un savoir, on ne sait pas ce qu’est ce savoir, personne ne le sait, mais il nous indique la vérité. On ne cessera alors de regarder le visage des pauvres, il s’y trouve une flamme aussi mais bien plus qu’une flamme, il s’y trouve des paysages et des lieux que personne n’est encore capable d’imaginer. Il contient le peu de vérité qui est possible.

 On regardera ceux aussi dont le corps est transparent, ceux qui n’ont rien à cacher, ceux qui n’ont rien à prouver. Ils sont beaux. Ils sont forts parce qu’ils ne veulent pas jouer, souvent on ne les prend pas au sérieux, on les méprise même mais, nous, on saura ce qu’ils sont. Et on apprendra à les regarder. Ils sont peu nombreux mais le monde cesserait d’exister sans eux, c’est difficile à expliquer, les gens dont le corps est transparent ont un pouvoir, ils nous disent, alors que tout est folie et haine, ils nous disent ce qui est limpide et simple, ils nous disent le fleuve embourbé de rêves qui sillonne le long des nos artères. Ils nous disent que ce monde n’est pas ce qu’on croit, qu’il est autre, qu’il peut être autre.

  

 

Et puis on regardera l’invisible, c’est comme prendre un scalpel et se mettre à couper la chair mais la ce n’est pas de la chair c’est tout ce qui réel. La table, cette chaise, la montagne, les arbres, les fleurs, les oiseaux, les insectes, les rideaux, les voitures, les maisons, les étoiles, les sacs, les téléphones, les jouets, les chats, les chiens, les tortues, les avions, les hélicoptères, tout ça et encore plus. Et alors on verra une chose merveilleuse, que tout finalement n’est qu’un rêve, qu’il y a derrière tout ça autre chose, quoi, on ne sait pas trop précisément, c’est difficile à expliquer, le langage ne nous permet pas de tout dire. Le langage est comme une prison. Mais on verra que nous sommes tous dans un même corps, dans un seul être, dans un seul temps, je crois que c’est comme une béatitude, c’est quelque chose de très fort et très beau, c’est comme un cœur qui bat la chamade, c’est comme un cœur tambour, une frénésie qui ne s’arrêtera qu’à la mort. Et alors notre regard sera ébloui, sera calciné mais on ne voudra plus revenir à la vie, on ne voudra plus être comme les autres, on ne voudra plus prétendre, jouer à être, comme les autres.

 C’est beau ce regard, il est fort, plus fort que tout.

 J’aimerais, mon ange, que tu m’apprennes à regarder. S’il te plait.

Viré monté