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Annou voyé kreyòl douvan douvan

Le poème en temps de génocide

Umar Timol

Novembre 2023

peut-être que ceux qui aiment les mots, ceux qui en sont les artisans, ceux, séduits, envoûtés, possédés par les mots, ceux qui vivent par et pour les mots,
savent qu'ils sont parfois insuffisants,
qu'ils ne peuvent dire,
on a beau les transmuer, les agencer autrement,
puiser dans de vastes dictionnaires d'autres mots
car il faut qu'ils puissent dire, il le faut, c'est impératif
autrement on ne peut rien faire ou pas grand chose
d'autres savent changer le cours de l'histoire
mais vous, vous n'avez que vos mots
vous avez foi dans leur pouvoir, vous y croyez
des mots qui peuvent enfreindre l'indifférence d'un coeur
des mots qui étendent les fulgurances de la lumière
dans les champs de l'obscurité
des mots qui sont les témoins absents d'un autre monde
des mots, des mots, toujours plus de mots
mais pas ce soir
quand des bombes pulvérisent
les corps de milliers d'enfants
pas
ce soir
quand survient
l'abject
l'innommable
la barbarie
quand survient un génocide en live
en live
en live
et vous n'interrogerez pas
ce soir
ceux qui savent les vertiges des mots
mieux que vous
votre talent est dérisoire
ils savent quant à eux
l'incantation
l'ensorcellement des mots
ils peuvent avec leurs mots
fonder d'autres lieux, d'autres temps,
d'autres cultes,
vous ne les interrogerez pas
vous ne leur direz pas
le silence à quel prix
vous ne leur direz pas
de grâce
s'il vous plaît
utilisez
les mots qu'il faut
les mots qui ne sont pas masqués
les mots qui ne trichent pas
les mots vrais
les mots qui percutent
mais vous ne leur direz rien
il y a d'autres urgences
ce soir
l'urgence du génocide
en live
en live
en live
l'urgence de
l'innommable
de l'abject
de la barbarie
vos mots ne peuvent rien
ce soir
sauf se muer en ces apocalypses
de la lumière
un poème
un poème
dont le silence
incarne la béatitude
de ces enfants
qui peuplent le paradis, ce soir

Umar

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Viré monté