Kaz | Enfo | Ayiti | Litérati | KAPES | Kont | Fowòm | Lyannaj | Pwèm | Plan |
Accueil | Actualité | Haïti | Bibliographie | CAPES | Contes | Forum | Liens | Poèmes | Sommaire |
Gay Pride à San Francisco
Il est fasciné par le caractère orgiaque, démesuré de ce défilé qui est, lui semble t’il, l’affirmation d’une société fière d’elle-même, qui ne se reconnaît guère de limites, prête à toutes les transgressions au nom d’un idéal de liberté. En effet, il s’agit bien d’une orgie mais qui n’est en rien sexuel, si on oublie les corps plutôt dénudés de quelques-uns, une orgie qui indique que tout est possible, que le monde nous appartient et que nous pouvons le façonner, le modeler selon nos désirs, que l’homme est désormais le roi de cette terre, que le royaume de l’homme, sa transcendance, est ancrée dans la terre et non dans un ailleurs. Et ce lieu, San Francisco, est celui d’une orgie perpétuelle, ainsi on devine dans ces espaces qui s’étendent indéfiniment, dans le défilé de ces corps habités entièrement par une volonté, dans les campus des grandes universités, dans le bouillonnement technologique, dans l’air tout simplement une faculté instinctive au dépassement et à l’excès. Et les corps défilent, revêtus de couleurs, de masques, identité réappropriée, réinventée, et les corps défilent au rythme d’une musique incantatoire, une prière presque, les rues deviennent musiques, rythmes, semblables aux corps qui engorgent les vides, les comblent, les rendent à une frénésie sans fins.
Il n’a jamais ressenti cela ailleurs. Est-ce une fabrication de l’esprit ? Est-ce une image mythique qui se mêle au réel? Sans doute. Il ne s’agit pas d’idéaliser cette société, il sait ses nombreux travers, il sait qu’on ne peut résumer un pays à une ville d’autant plus qu’elle recèle des facettes nombreuses et contradictoires, il n’est pas, après tout, un touriste en quête d’exotisme mais il est convaincu qu’il s’y trouve quelque chose de particulier, d’indicible, d’une grande puissance.
Et lui, qui est musulman, ne peut s’empêcher d’effectuer une comparaison avec le monde musulman. Il n’est pas question, une fois encore, d’élaborer des clichés. La réalité est complexe et nuancée. Mais il est clair, en même temps, que la civilisation islamique se morfond dans le déclin depuis des siècles, elle propose le spectacle de sa défaite. Il se méfie, ceci dit, du discours islamophobe, qui essentialise le monde musulman et en fait une caricature.
Une critique de l’intérieur, cependant, est légitime et nécessaire. Comment en sommes nous arrivés à ça? Echec de la pensée? Incapacité de l’Islam à se reformer? Corruption des élites? La domination coloniale? Les raisons sont multiples mais il demeure, au bout du compte, un fait incontournable, le monde musulman est, pour l’essentiel, à genoux face à l’Occident. Et cette suprématie n’est pas seulement économique, politique ou militaire, elle repose sur un projet de société, une alternative à l’idéal islamique, qui affiche, dans une grande mesure, une belle réussite. L’Occident domine le monde musulman et il le nargue, il ne lui suffit pas de réussir mais de proposer un rêve qui la faculté de séduire tout un chacun. Et le monde musulman, empêtré dans ses archaïsmes, semble incapable de proposer un autre rêve, il est inscrit dans une logique du rejet ou d’imitation servile. Il est condamné à demeurer à la périphérie du rêve dominant, incapable de s’inventer, incapable d’être.
Il a des réponses certes à cette orgie perpétuelle mais des réponses qui peinent à envouter les cœurs, sauf ceux des convaincus.
Et ce rêve, celui de l’Occident, il croit l’avoir vu à San Francisco. Du moins un ces aspects. Le rêve d’un peuple qui sait l’orgueil de sa puissance.
Et ces images demeurent en lui. Les corps qui défilent, le caractère nietzschéen de ce show qui dit l’orgie de l’instant, l’orgie de vies qui disent leur vitalité, l’orgie des possibles sans nombre.
L’occident a revêtu le monde du visage de l’humain. Il en fait sa finalité. L’islam a revêtu l’humain du visage de l’au-delà. Sans pour autant négliger le temporel mais qui n’est, au bout du compte, qu’un lieu de passage. Ce sont deux visages qui s’affrontent. Sans doute pas si différents que ça. Reste à savoir celui lequel s’emparera de l’Histoire. Le visage de l’orgie de la terre ou celui de l’ailleurs.
Umar Timol