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Quelle voie pour le créole sainte-lucien

Lindy-Ann ALEXANDER & Michael GASPARD
Représentants du Comité Kwéyòl de Sainte-Lucie

Fort-de-France, 13-14 mai 2005

Nous voudrions présenter un certain nombre d'évolutions dans la pratique du créole sainte-lucien. On observe que le "kwéyòl" n'a jamais bénéficié d'une pratique libre dans autant de milieux qu'aujourd'hui. On ne s'étonne plus d'entendre parler créole ou de le voir utiliser dans les domaines publics où il était jadis absent. Mais de quel créole s'agit-il? La plus grande ironie de la situation actuelle, c'est qu'on a, plus que jamais, la liberté de la parole en créole mais on n'a jamais aussi mal parlé notre soi-disant "langue maternelle". En effet, pour une grande majorité de personnes et surtout de jeunes, le créole n'est plus leur première langue.

Plusieurs facteurs expliquent la généralisation de la pratique du créole

  • Grâce aux campagnes de sensibilisation et de défense de la culture créole menée par le ‘Folk Research Centre’ de Sainte-Lucie, il y a un grand engouement pour la culture créole y compris pour la langue depuis quelque temps. Au début, ces campagnes ont été menées surtout autour de la "Journée créole" (Jounen kwéyol), et depuis l’année dernière (2004), elles portent sur tout le mois d’octobre, autour d’activités pour célébrer notre patrimoine culturel créole.
     
  • Les écoles demandent beaucoup plus spontanément de visiter les lieux d’importance historique, culturelle et patrimoniale. Les demandes de cours de créole se font de manière sporadique et ponctuelle – surtout pendant le mois d’octobre. Récemment, au cours d’un échange scolaire, une école primaire trinidadienne a été invitée à apprendre le créole, enseigné par les élèves eux-mêmes.
     
  • Les initiatives du gouvernement travailliste, depuis son accès au pouvoir en faveur de la langue créole, à savoir:
     
    1. Le lancement d’un dictionnaire de créole sainte-lucien à la portée de tous (EC$10, un prix symbolique) produit par le "Summer Institute of Linguistics" (SIL) des Etats-Unis, production à laquelle ont participé plusieurs Sainte-Luciens. Il a été publié par le Ministère de l’Education et distribué par le ‘Folk Research Centre’ de Sainte Lucie. Grâce à sa popularité auprès du public – tous milieux confondus –, la disponibilité du dictionnaire représente un gros progrès pour l’alphabétisation en créole.
       
    2. Le repositionnement de la politique nationale qui fait reconnaître officieusement le "Kwéyòl" comme une langue à part entière et le bilinguisme de la société sainte-lucienne. Le règlement intérieur a été modifié pour admettre que le discours officiel d’ouverture du parlement prononcé par le Gouverneur Général soit prononcé aussi bien en créole qu’en anglais grâce à l’initiative du Gouverneur Général, Dame Docteur Pearlette Louisy, fervente promotrice de la langue créole. Le premier ministre, lui aussi, fait parfois des discours en créole lorsqu’il s’adresse à la nation dans les médias.
       
    3. Le Ministère de l’Education, au début du mandat du Gouvernement, a lancé un programme d’alphabétisation et d’enrichissement qui comprenait l’enseignement du créole dans le cadre de la formation continue.
       
    4. Au niveau des médias, le Gouvernement a franchi une étape significative au sein de son service d’information en lançant la chaîne nationale de télévision NTN (National Television Network). La programmation de cette chaîne est entièrement consacrée à la culture locale, ce qui a bouleversé le panorama de la vie nationale et a donné un nouvel élan à la culture et aux traditions créoles. Sur chacune des trois chaînes de télévision locales, le service d’information du gouvernement présente au moins une émission d’une demi-heure entièrement en créole, animée par un animateur engagé par le Service uniquement pour les émissions en créole, à la télévision comme à la radio.
       
  • Concernant les stations de radio, elles offrent presque toutes des créneaux horaires réguliers d’émissions en créole et embauchent à plein temps des animateurs qui travaillent uniquement en créole (émissions sur la santé, la banane, l’actualité, la météo, discussions, débats interactifs, etc.).
     
  • Toujours dans les médias, on assiste à un phénomène d’initiatives privées sur le développement du créole, au niveau de la presse écrite, de la publication de livres éducatifs et d’émissions télévisées : M. Michael Walker, par l’intermédiaire de sa société "An Tjè Nou", a publié toute une série de livres d’école et de cahiers pour le niveau primaire qui pourraient être utilisés pour l’enseignement du créole dans les écoles. La même société a réussi à obtenir quatre pages en créole dans l’un des principaux journaux de l’île, ‘The St. Lucia Star’,  pages qu’elle réussit à remplir toutes les semaines depuis, au moins, six mois, avec contes, images, poèmes, jeux ludiques, extraits historiques, proverbes, paroles d’inspiration et extraits du Nouveau Testament.
     
  • Une autre composante de l’initiative de cette société privée est la production de l’émission de télévision "Bonjou Sent Lisi", une émission de 15 minutes consacrée à l’apprentissage de la langue et animée par une créolophone native et deux apprenants. L’émission est cofinancée par l’Ambassade de France.
     
  • La popularisation de la langue se fait aussi à travers les calypsos qui sont composés soit partiellement ou entièrement en créole pendant la saison du Carnaval et de Noël.
     
  • Dans le domaine de la publicité, le créole a sa place aussi. De plus en plus de publicités sont faites en créole et celles-ci touchent une grosse partie de la population.
     
  • La traduction du Nouveau Testament en créole sainte-lucien et les cours de lecture du créole, donnés par le pasteur Peter Samuel dans diverses communes de Sainte-Lucie et de la Dominique, assurent la généralisation de la pratique et la lecture du créole dans le milieu religieux. Le Nouveau Testament en créole est maintenant disponible en cassettes audio et en CD.

Le Comité Kwéyòl, depuis sa création, s’est donné les tâches suivantes

  • Veiller à la qualité du créole parlé par les animateurs de radio et de télévision pour relever les termes et expressions empruntés à l’anglais pour lesquels des termes existent en créole mais ne sont pas utilisés, et les néologismes qui entrent dans le créole avec une prononciation soit totalement anglaise ou modifiée pour leur donner une résonance créole. Il s’agit là de mots qui désignent des éléments de notre existence aujourd’hui qui n’existaient pas jadis et pour lesquels, donc, des termes en créole n’existent pas. Le Comité, après avoir relevé ces termes-là, va mener un travail de recherche et de réflexion sur ces expressions et proposer des termes créoles existants déjà ou crées en fonction de ce que permet la langue par sa structure et sa morphologie.
     
  • Proposer et coordonner des activités qui développent la pratique de la langue dans des domaines inhabituels et, ce faisant, développer des attitudes plus positives envers la langue.
     
  • Coordonner et documenter des recherches plus poussées sur la langue, par exemple, le recueil de terminologies associées à des technologies créoles dans les différents domaines et qui sont en train de disparaître.
     
  • Faciliter l’intégration du créole dans le système éducatif, par l’organisation de la formation de maîtres dans l’enseignement de la langue et de la culture créoles en recherchant les méthodes d’enseignement les plus adaptées.
     
  • Développer des programmes ou émissions de radio et de télévision qui ciblent la jeunesse, et qui instrumentalisent la langue créole dans la recherche d’une identité culturelle sainte-lucienne.

Défis à relever

  • Tandis que les attitudes envers la pratique du créole et les traditions culturelles ont beaucoup évolué d'une manière positive, il reste encore quelques irréductibles qui n’ont pas encore admis le rôle positif que peuvent jouer l’affirmation et le développement du créole dans la construction d’une identité nationale et parallèlement le développement de l’individu. Ces gens s'opposent à l’intégration du créole dans le système éducatif.
     
  • Toujours au niveau des attitudes, il reste encore quelques stigmatisations associées aux gens qui parlent créole. On a tendance à les dénigrer croyant qu’ils ne savent pas parler anglais.
     
  • L’envahissement du créole par l’anglais est source de beaucoup de soucis concernant la direction dans laquelle se dirige la langue. La question se pose de savoir vers quelle langue doit se tourner le créole pour se renouveler ou pour enrichir sa base lexicale.
     
  • Il semblerait même que la structure fondamentale de la langue soit menacée par ces emprunts, tous azimuts. Certains mots ont évolué dans leur signification et certains individus dans les médias, exerçant une forte influence sur leurs auditeurs créolophones, inventent ou créent leur propre style langagier en créole et leur propre lexique qui sont adoptés entièrement par les auditeurs, surtout les jeunes. Quel recours devant une telle situation?
     
  • Aujourd’hui, la première langue des jeunes, surtout dans la capitale, devient de plus en plus l'anglais sainte-lucien. Ce phénomène tend à se répandre dans les autres communes. Le créole, devenant une deuxième langue pour les jeunes, obligera à repenser les méthodes d’enseignement de celle-ci.
     
  • La langue est peu pratiquée à l’écrit par la population surtout parce que les gens font toujours un blocage contre le système d’écriture et que la vaste majorité ne l’a pas encore admis.
     
  • Les résultats des recherches réalisées sur le créole vont devoir être considérés ou incorporés dans les futurs projets linguistiques.
     
  • Finalement, notre dernier défi sera d’introduire l’affichage en créole dans les lieux publics, notamment à l’aéroport, au marché et dans les magasins.

Le Comité Kwéyòl se compose d’un comité directeur et de personnes ressources à qui le comité directeur fera appel pour leur expertise dans divers domaines du créole pour préparer ses programmes de développement de la langue.

Les fonctions et responsabilités du Comité Kwéyòl portent surtout sur le développement de la langue du point de vue linguistique, didactique et sociolinguistique.

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