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Cyclone class 4

Emmanuel Richon

Cyclone class 4, Emmanuel Richon • Éditons Sépia • 2018 • ISBN 9791033401346 • 12 €

Un jour et une nuit à l'île Maurice pendant le cyclone ou comment l'être humain affronte des situations limites: ce roman d'une densité extrème se lit d'un trait, en apnée, comme on traverse toute épreuve avant de retrouver la vie.

Préface

L’île Maurice, loin là-bas dans l’Océan indien, reste, dans l’imaginaire des Européens, l’île de beauté pour les vacances. Mer, montagnes, chaleur, végétation luxuriante et beaux visages continuent à créer au fond de chacun, et Baudelaire ne s’y était pas trompé quand il y fit escale en 1841, l’image de cet Eden perdu et regretté.

Pour les insulaires, la situation est différente. L’île est dans la temporalité, celle d’une vie quotidienne, sociale, politique et météorologique. La zone tropicale, si elle apporte fruits et fleurs de rêve, comprend aussi une saison de pluies avec le passage de cyclones, plus ou moins ravageurs mais annuels.

La littérature sur l’île a très tôt pris en compte et utilisé cette double réalité. Bernardin de Saint-Pierre, qui visita l’île encore appelée de France entre 1768 et 1771, a construit avec son célèbre roman Paul et Virginie (1787) l’image d’un lieu certes édénique pour ses personnages encore naïfs mais, métaphoriquement aussi bien que météorologiquement, ravagée par le cyclone. A sa suite et plus récemment, Natacha Appanah dans Le dernier frère (2007) décrit aussi bien la beauté de la nature que l’horreur de la mort d’un enfant au cours d’un cyclone.

Cette réalité étant partagée par toute la zone tropicale, la description d’un cyclone devient un topos de la littérature insulaire si bien que nous pouvons instaurer une véritable famille de romans francophones insulaires récents traitant de ce sujet : Hugo (1991) de Gisèle Pineau met en scène sous son vrai nom un cyclone qui a traversé la Guadeloupe en 1989, Eline ou le passage du cyclone (2000) de Chantal Serrière celui qui a touché l’Est de Madagascar en 2000, L’œil du cyclone (2009) de Jean-Pierre Haga le cyclone Charlène à La Réunion en 2004.

Dans un mélange de réalisme et de fiction, tous les romanciers s’attachent à décrire d’une part le paysage qui plie sous les forces déchaînées de la nature, d’autre part la réaction des hommes qui, pour un temps, les subissant, font l’expérience brève mais cruelle du caractère limité voire dérisoire de la maîtrise qu’ils pensaient avoir sur leur milieu et donc sur leur vie.

Emmanuel Richon, s’il est bien leur successeur, va apporter une vision originale sur ce thème. Comme ses devanciers, il retient le caractère soudain et dramatique du cyclone. Cependant, il utilise la gradation du système d’alerte local (warning 2, 3, 4) et l’extrême attention aux détails qui se révèleront des indices pour faire monter la tension dans un récit qui devient un drame en trois temps au sens musical et dramatique classique. En effet, l’unité de temps, de lieu et d’action transforme la vie normale d’un citoyen moyen dont la vie est organisée entre femme, enfants, villa, bus et bureau, en crise existentielle d’un représentant de la condition humaine. Jusqu’à s’identifier au Christ en croix.
Cet élargissement de l’enjeu fait éclater les repères mauriciens que sont les lieux, les précisions sur les plantes ou la société. Le dépaysement initial qu’ils avaient installé chez le lecteur est rapidement remplacé par une identification à l’homme moderne dépassé par des forces naturelles qui font fi de ses efforts et de sa technologie. Le conducteur du bus, le héros, Chung l’épicier chinois ou le voisin indien, observés dans les détails d’un quotidien qui prend des dimensions fantastiques pèsent, dans le tumulte des éléments, aussi peu que les fourmis observées dans la scène d’ouverture puisque les forces sont «pour eux, sur eux, après eux, contre eux». Leur combat, réussir à monter la côte sans noyer le moteur, fermer la boutique à temps, tordre des serviettes dans l’escalier inondé ou garder une porte fermée, se suspendre aux poutres des toilettes, prend alors des allures du combat titanesque et dérisoire de ceux qui ne peuvent prétendre à rien face aux puissances qui les dominent. Les humains, qui pourtant se démènent de toutes leurs forces, semblent déshumanisés par ce cyclone pourtant joliment baptisé.

Car Deena rejoint Eline, Hugo ou Charlène dans la grande famille des catastrophes aux prénoms insignifiants indiquant si mal leur dangerosité extrême et, paradoxalement, inhumaine parce que surhumaine.

Pourtant, le roman se refuse à donner toute leçon, encore moins à verser dans une vision pathétique ou (post)apocalyptique d’une humanité perdue. Le cyclone n’est pas le Déluge, il n’annonce la fin de rien, au contraire.
La nuit et le cyclone s’achèvent pour laisser la vie reprendre, fragile et belle, menacée et pourtant capable de rendre les hommes heureux dans l’amitié partagée. Le calme retrouvé n’est le fruit ni qu’un quelconque progrès ni des qualités des hommes : il revient et le mal est « déjà chose du passé », avant de resurgir, la prochaine fois.

La densité de ce bref récit nous plonge donc à la fois dans un «ailleurs» tropical, lointain, et un «ici» commun car chacun traverse un jour ou l’autre «la raclée de sa vie» où se révèle ce qui est au plus profond de lui.

Les deux niveaux de lecture, littérale ou métaphorique, se nourrissent également de cette sorte de froideur ou de sobriété d’un récit qui s’en tient aux faits, minuscules et ordinaires, en éliminant tout pathos. Si les mots «angoisse» apparaissent, si les personnages paniquent au plus fort de la crise, saignent, prient, chutent, le choix de la part de l’auteur de renoncer à tout commentaire hormis le dénouement et de les observer via un narrateur extra-diégétique permet au lecteur de traverser d’un seul jet cette nuit, en apnée, à leurs côtés, en un troublant jeu de miroirs.

Ce récit témoigne aussi de la vitalité de la langue française à Maurice après la fin de la souveraineté de la France (mais non de la présence des Français) en 1810. La transcription du créole et de l’anglais des personnages rappelle aussi la situation linguistique particulière de cette île colonisée par les Hollandais puis les Français et enfin les Anglais jusqu’en 1968. La mention de leurs origines et l’accent mis sur leur solidarité complètent le tableau de cette société dite « arc-en-ciel » où Chinois et Indiens sont arrivés depuis le XIXè siècle.

Roman francophone, roman mauricien, roman social, drame, allégorie, chacun aimera donc à sa manière un texte venu de si loin et pourtant si proche.

Dominique Ranaivoson

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