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Crillash communication Créole Langue Etrangère : Enseigner le Créole Schœlcher 3 juin 2008
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Depuis une bonne vingtaine d’années nous enseignons le créole en Guadeloupe à des non créolophones. Nous, c'est-à-dire, d’une part Alain Andréa, Jo Clémence, Juliette Sainton qui ont pris le relais de Sylviane Telchid et de moi-même à l’Iufm de Pointe à Pitre, et d’autre part moi accompagné de quelques intervenants occasionnels à l’Association «Culture du Vaste Monde» à Basse-Terre ou dans les Sociétés ou Administrations qui en font la demande comme la Préfecture de Guadeloupe, le TGI de Pointe à Pitre, EDF, la Police Nationale, ou encore l’IUFP (Paris 12), ce qui représente environ 100 à 150 adultes par an. Cependant la demande croit chaque année et nous ne pouvons pas la satisfaire entièrement.
Par ailleurs, à la demande des Editions Assimil, conformément à leur cahier des charges, nous avons produit depuis 1995 une méthode pour l’apprentissage du créole «Le créole sans peine», puis toujours pour Assimil un petit guide touristique «Le créole Guadeloupéen de poche». Ce dernier livret «de poche» eut un tel succès qu’il a été suivi d’une publication dans toutes les variantes de créole, le Martiniquais, l’Haïtien, le Mauricien, le Réunionnais etc.
Un résultat chiffré peut nous permettre dores et déjà d’évaluer le marché que représente le Créole Langue Etrangère.
Si nous tenons compte du fait que notre contrat stipule que nos droits d’auteurs sont de 8% du prix de vente, nous pouvons déduire que pour le seul créole de la Guadeloupe les Editions Assimil enregistrent un chiffre d’affaire annuel de plus de 30'000 € par an.
Cependant nous ne sommes pas là pour parler finance, mais tenter de répondre aux questions suivantes:
- A qui s’adresse ces cours de Créole Langue Etrangère?
- Pourquoi nous nous devons de les dispenser?
- Quel en est le contenu?
- Quelle méthode appliquer pour atteindre quels objectifs?
- Enfin tout cela pour quel résultat?
1. A qui s’adresse les cours de Créole Langue Etrangère (CLE) ?
Notre principal objectif est de partager langue, culture, quête d’identité avec ceux qui vivent avec nous, et bien qu’étant pour l’heure «étrangers» à notre communauté, désirent intégrer notre vision d’une «diversalité Créole».
Une autre vision, plutôt étriquée, fait des populations antillaises d’éternelles victimes. Pour ceux qui tiennent de cette vision le créole est une affaire interne, qui ne concerne que nous et que nous n’avons que faire d’en dévoiler le fonctionnement à des «étrangers». Pour ces «nombrilistes», le créole est notre «maquis intérieur», l’enseigner à des «étrangers» est une trahison: «Kanmarad annou fèmé lawonn, sé noumenm, noumenm, pa ni tanbou a dé bonda» disait un de nos poètes il n’y a pas si longtemps.
L’argument est pauvre, il manque de générosité, mais surtout il manque de réalisme. Il manifeste d’une frilosité, d’une peur de l’autre, d’un manque de confiance en nous, manque de confiance dans notre capacité de convaincre, de séduire, d’élargir notre horizon, à moins qu’il ne s’agisse d’une méconnaissance de la culture et de la langue créole.
La première catégorie d’«étrangers» en question est l’ensemble de ces enfants de la deuxième génération d’antillais émigrés qui ne veulent pas couper les ponts avec leurs origines et qui viennent régulièrement en vacances «au pays» dans l’espoir d’y revenir définitivement un jour pour y travailler. Nous ne pourrons certes pas leur promettre de tous les accueillir, mais faut-il pour autant leur fermer à tous, à jamais, la porte en les traitant de «nègzagono», de «négropoliten» ou de «bounty»? En leur permettant d’appréhender la culture et la langue créole nous en faisons les ambassadeurs d’un monde toujours plus créole.
La deuxième catégorie d’«étrangers» sont ce qu’il est convenu d’appeler les «zorèy» ou «métropolitains» ce qui veut bien dire en passant qu’ils sont de la «métropole»et nous, qui n’en sommes pas, sommes de la colonie donc des «colonisés». Le «colonisateur de gauche», comme l’a dit Albert Memmi, éprouve un réel malaise dans la colonie. Il a le choix entre refaire sa valise le plus vite possible pour ne pas vivre la situation coloniale, ou adopter la posture psychologique du colonisé. Devons-nous nous couper d’alliés potentiels? D’autant plus que leur position de cadre nous donne là une occasion de semer le doute au cœur même du système qui n’est plus tout à fait certain de la légitimité de sa domination culturelle. Ce faisant nous participons un tant soit peu à la désintégration de la pensée coloniale. Il y a d’autres méthodes de lutte pour faire reconnaître nos droits, que de brandir systématiquement le poing dans un refus absolu de toute participation. Pour notre part nous avons donné, en toute bonne conscience d’œuvrer pour nos populations, des cours de créole à des psychiatres de l’hôpital psychiatrique de Saint-Claude qui ont pu ainsi, d’après leur propre dire, améliorer leurs rapports avec leurs malades, mais également aux cadres de la police nationale qui ont découvert que les slogans créoles des manifestants n’étaient guère différents de ceux de la «métropole», et qu’en tout état de cause ne les concernaient pas personnellement. Nous avons donné des cours au personnel du Tribunal de Grande Instance dont le Procureur, et montré la nécessité de créer un corps d’interprètes créoles, sans oublier la DDE, la DDA, le Parc National, EDF. Nous avons présenté le créole aux nouveaux arrivants de l’Education Nationale et le Rectorat de Guadeloupe a offert «Zakari: mille mots créoles de tous les jours» à 800 enseignants métropolitains ces deux dernières années.
Nous avons enfin, troisième catégorie «d’étrangers», quelques rares fonctionnaires ou membres de professions libérales, d’origine africaine et dont le malaise est d’autant plus grand qu’ils ont le phénotype créole. Quelques uns d’entre eux, installés en Guadeloupe, sont venus nous trouver pour des cours de créole.
Pour finir nous ne pouvons considérer comme négligeables les étudiants d’universités américaines, anglaises, allemandes, canadiennes, etc qui ont sans cesse besoin de mieux comprendre le créole pour mieux cerner leur objet d’étude. Ce sont eux qui font et continuerons à faire en partie la vitrine des études créoles de demain.
2. Pourquoi devons-nous dispenser ces cours ?
La raison la plus évidente nous l’avons déjà annoncée: ne pas laisser au sein de nos populations des «étrangers» qui, à la longue, pourraient se sentir isolés, vouloir se constituer en communauté. Eviter tout «communautarisme» nous semble politiquement une attitude prévoyante, pour les sociétés créoles. Il ne s’agit pas pour nous de jouer à notre tour le rôle du colonisateur et de tenter de pratiquer une quelconque «assimilation» à rebours, mais certainement d’essayer d’enrôler les volontaires à la créolisation. Leur adhésion à notre culture et à notre langue a un effet boomerang, comme un «feed back» sur l’image que nous avons de nous mêmes qui s’en trouve comme dopée. Je l’avoue, ce n’est pas sans cette arrière pensée que j’ai fait intervenir, chaque fois que c’était possible, les média pour porter à la connaissance du public ces cours de Créole Langue Etrangère.
La seconde raison nous concerne plus intimement: se dévoiler à l’autre est simultanément se dévoiler à soi-même. A enseigner le créole à de non créolophones, nous apprenons autant qu’eux, sur nous et sur notre langue, et cela de façon plus concrète que rester à étudier solitairement la théorie, dans des livres de grammaire, de sociologie ou d’histoire.
La troisième raison est pratique, il s’agit de populations qui peuvent payer leur cours, ce qui nous permet par ailleurs de dispenser des cours bénévolement ou presque gratuitement à des créolophones qui eux veulent apprendre à écrire la langue qu’ils ne savaient jusque là que parler.
3. Quel contenu ?
Généralement ceux qui s’inscrivent à ces cours s’imaginent que le créole étant un «patois» dérivé du français il ne leur faudra que quelques heures pour mieux maîtriser les quelques formules qu’ils ont entendues: «Ka ou fè?» «Kenbé rèd» «Pa ni pwoblèm!»
Ils découvrent avec étonnement qu’il s’agit d’une «vraie langue» et d’une «vraie culture» et qu’au bout de 20 heures ils sont tout juste initiés à mieux comprendre ce qui se dit autour d’eux. Rares sont ceux qui ne demandent pas un prolongement pour approfondir leurs connaissances.
Par séances de 2 heures hebdomadaires nous abordons en 3 séquences les différents aspects de la culture, de la langue et de l’identité créoles.
Culture: ses racines spatio-temporelles, ses composantes, ses caractéristiques, sa vitalité, ses traditions, ses productions.
Langue: c'est-à-dire la phonologie, la lexicologie, la morphologie et la syntaxe, la sémantique. Il ne s’agit évidemment pas d’employer ces termes savants, mais de leur faire faire, pour la phonologie par exemple, des exercices de prononciation de certains sons spécifiques, comme les exercices de nasalisation, des a+n qui deviennent des an+n (panne devient pann), è+n qui deviennent en+n (veine devient venn) , ò+n qui deviennent de on+n (homme qui devient nonm).
La différence entre é et è qui ne se fait presque plus en français, entre o et ò qui ne leur est pas familière: faire prononcer et répéter: «lélé» et «lèlè», «bobo» et «bòbò», «tololo» et «tjòlòlò», «béké», «tèbè» et «bòkò».
Pour la lexicologie, faire découvrir que bien que la base lexicale soit le français, il y a aussi:
- Un héritage amérindien avec des noms d’ustensiles (kwi, kannari, chacha…), d’animaux (gouti, touloulou, kawann, zandoli…), de plantes (mapou, koubari, koma…)
- des survivances africaines (adò, abobo, agoulou, soukougan, boukousou, zanba…)
- des variantes dialectales des provinces de l’ouest de la France (lapiniè, kaloj…)
- du vocabulaire de la marine à voile (lagé, losyè, bòovan…)
- des apports des langues tamoul et indi (pawoka, avèlka, pèlèka, vèpèlè..)
- des apports de l’anglais (sinobòl, tré, sannababich…) et de l’espagnol (mawon, mòn, tini …)
Etc… il ne s’agit pas là non plus de faire un cours d’étymologie mais de signaler l’origine de ces mots chaque fois que l’occasion se présente.
Il en va de même de la morphologie, de la syntaxe et de la sémantique. La sémantique par exemple en leur faisant découvrir le mode de communication par métaphores et jeux de mots pour finir par la forme condensée et le sens codé des proverbes: «dèyè do sé on péyi», «do an-mwen sé fèy a madè», «bodlanmè pa lwen».
Mais peut-être plus de précisions seront données au cours du débat si les questions portent sur cette partie.
Avec la quête d’identité nous faisons découvrir les complexes créés par la colonisation et l’assimilation. Cette quête qui va de l’euro-centrime à l’afro-centrisme en passant par l’antillanité, la caribéanité, la négrité, l’indianité, la créolité, n’est pas déstabilisante mais au contraire dynamique et revitalisante si elle est entreprise en toute conscience.
4. Quelle méthode ?
L’objectif immédiat est de faire acquérir des structures d’énoncés indispensables à la compréhension. Nous utilisons les chansons créoles que nous faisons chanter pour la langue et la culture. Par exemple les pronoms interrogatifs sont introduits par les chansons «Rènélia ola ou k’alé?», «Eva ola ou té yé?», «Tifi-la ka ou ka fè la?», « Epi kisa an ké dousi kafé-la?».
Faire chanter à l’avantage de créer une animation et aborder des aspects de la culture créole. Par exemple «A mi Roro!» est une occasion de parler des rapports hommes/femmes. «Yèswa té ni on bòdé», «Mari an mwen ka bwè wonm» l’occasion d’aborder la place du rhum dans notre société.
Nous utilisons également des enregistrements de contes, de veillées, de gwoka.
Nous faisons des lectures théâtralisées de fables tirées de Zayann.
Plus de précisions sur cette partie pourront être données au cours de la discussion.
5. Quels résultats ?
Concrètement peut-on dire qu’après 20 heures de cours ces adultes francophones parlent créole? Pour la plupart non, car il leur faudrait ensuite pratiquer la langue et ils n’osent souvent pas ou bien n’en n’ont guère l’occasion. Cependant en général, ils sont décomplexés, le bagage culturel ainsi acquis leur permet désormais de mieux nous comprendre. Du même coup au lieu de rester en retrait ils manifestent une saine curiosité qui les met plus en empathie avec nos populations.
Cependant je voudrais juste citer un cas bien particulier. Celui de Madame M. Raïkovic et de son roman créole à paraître bientôt «Mama Mondésir» qui sera le premier roman psychologique créole écrit en créole par une non créolophone. Avec ce roman, Monique Raïkovic risque d’ouvrir une brèche, montrer qu’il est possible de pénétrer le monde créole tout en étant à l’extérieur, brèche dans laquelle, nous le souhaitons, d’autres pourront se précipiter.
Pour conclure :
Mon exposé s’est placé à la charnière de la didactique et du politique: de la politique linguistique pour les non créolophones résidant dans nos pays. Après notre long combat pour faire entrer la culture, la langue et l’identité créole à l’école, le temps est peut-être venu de commencer la conquête des administrations et entreprises. En effet, une société où la langue courante du personnel est tout à fait différente de celle de l’encadrement est une société dont on ne peut gérer les tensions ni prévoir les explosions. Mais ce nouveau défi demandera des gens motivés et bien formés.