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La Caraïbe et moi Haïti et moi: dans le jardin de l’Oncle Sam! Source: Jistis: Murs Peints en Haiti (éditions alternatives) de Mireille Nicolas. |
Comme beaucoup de fils et de filles de l’archipel de la Caraïbe, je porte Haïti en moi «comme un oiseau blessé», et notre grand voisin, qui regarde nos îles comme son arrière-cour, ne le sait que trop bien.
Comme beaucoup d’entre nous, j’avais une connaissance partielle, et sans doute partisane, de l’histoire du pays de Toussaint Louverture, de Dessalines, de Christophe et d’autres héros haïtiens, et cela bien avant de poser un pied sur la terre où s’est déroulée cette histoire légendaire que l’école officielle ne nous a jamais enseignée.
Comme beaucoup d’entre nous, j’avais lu «Ainsi parla l’Oncle», de Jean Price-Mars, et «Les gouverneurs de la rosée» de Jacques Roumain, je m’étais fait ma propre image de ce pays mythique qui comme le nôtre, la Guadeloupe, parlait un créole à base lexicale française.
Depuis je suis allé six fois en Haïti en trente ans. Pas une seule fois je n’en suis revenu sans jurer que je n’y retournerais plus!
Haïti 1983. Photo Fabio et Franco Biaggi.
La première fois, je n’étais qu’un touriste parmi des milliers d’autres, c’était en 1977, Jean Claude Duvalier était au pouvoir, l’ile semblait encore relativement sûre pour un étranger, mais «le petit du tigre n’était pas né sans ongles», c’était toujours la terreur en politique, la misère s’étalait à tous les coins de rue, les enfants mendiaient de la nourriture à la fenêtre des restaurants. Les services de voirie faisaient encore le nettoyage des rues du centre de Port-au-Prince. Les plaques des voitures portaient encore la mention «Haïti perle des Antilles».
L’avant dernière fois c’était juste après le tremblement de terre. J’étais venu rejoindre des amis, qui étaient arrivés là avec une ONG, pour porter notre modeste contribution. Les rues étaient encombrées de toutes sortes de débris. Le désespoir s'ajoutait à la misère. On entassait encore les cadavres pour les brûler. C’était l’horreur, quand je suis parti, je me suis dit: plus jamais!
Je suis pourtant revenu.
La dernière fois c’était après l’épidémie de choléra, j’avais séjourné quelques jours à l’Ile à Vache, dans un orphelinat d’enfants lourdement handicapés tenu par des religieuses canadiennes. J’en étais revenu avec une gastro-entérite carabinée qui m’avait fait placer immédiatement à l’isolement pendant deux jours au Centre Hospitalier de Basse-Terre: je n’irai plus en Haïti!
J’ai eu l’occasion de voyager en tap-tap jusqu’au Cap Haïtien, de visiter la Citadelle du Roi Christophe ainsi que le Fort Jacques, je suis allé comme en pèlerinage à Jacmel la ville des plus grands écrivains haïtiens, ai séjourné dans le Camp du frère Armand Franklin, à Pandiassou, sur le Plateau de Hinche, suis allé sur une partie du parcours des 13 guérilleros de «Jeune Haïti», massacrés par Papa Doc, le dictateur sanguinaire, avec la bénédiction de l’administration américaine.
Je suis allé à Léogane, remettre un peu de devises à des familles d’amis haïtiens qui vivent autour de chez moi en Guadeloupe.
Je suis allé à Camp Perrin voir ce qui restait d’une plantation d’un millier de manguiers, dans l’idée de réactiver un vieux projet de création d’une entreprise de mangues séchées.
J’ai traversé le pays dans des transports bondés, sur le plateau de camions sans ridelles, en avion, sur des motos pétaradantes où nous étions parfois trois, roulant sur des routes, le plus souvent des pistes.
J’ai autour de moi en Guadeloupe une dizaine de familles haïtiennes, en grande précarité, toutes arrivées en Guadeloupe par des moyens rocambolesques et toujours en situation dite «irrégulière», fuyant un pays où la sécurité des personnes n’est plus assurée par un État fantomatique dont les dirigeants sont dits mafieux ou corrompus.
J’ai toujours de nombreux amis haïtiens en Haïti, amis pour lesquels je me fais du souci, me demandant comment ils peuvent encore s’accrocher à ce pays en déshérence.
Je ne vois, pour ma part, qu’une explication au positionnement actuel de la prestigieuse «première république noire»: la présence sourcilleuse de l’ogre Sam. De Cuba, à Grenade, la misère dans nos iles héritières d’un passé esclavagiste est comme une trainée de poudre, il suffirait d’une étincelle pour provoquer l’explosion d’une poudrière libertaire à vocation socialisante. Explosion qui à son tour gagnerait l’Amérique Centrale, et même l’Amérique du Sud!
Alors non, du point de vue de l’Oncle Sam, il faut qu’Haïti reste dans cet état de délabrement comme un exemple à ne pas rêver suivre.
Palais Sans Souci du Roi Christophe, 1983. Photo Fabio et Franco Biaggi.
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