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Marc PULVAR:
un martiniquais vertical nous a quittés

Raphaël Confiant

En ces temps de confusionnisme aigu, l’annonce du décès de ce grand militant de la cause des travailleurs et de la Nation martiniquaise que fut Marc Pulvar ne peut qu’attrister tous ceux qui n’ont pas abdiqué et qui refusent que notre pays soit transformé en un vaste Club Med où aventuriers, caldoches et truands de toutes sortes se croient désormais autorisés à nous dicter leur loi.

Nul doute qu’un chapelet de commentaires laudatifs et hypocrites accompagneront Marc Pulvar jusqu’à sa dernière demeure, chose dont, avec l’humour grinçant qu’on lui connaissait, il doit bien se gausser. Personnellement, j’ai eu très peu de rapports personnels avec celui qui demeura longtemps l’un des deux secrétaires de la CSTM, seul vrai syndicat patriotique martiniquais avec l’UGTM. Pourtant, j’ai été, dans les années 80, secrétaire de la section-Education de la CSTM, cela durant trois ans. Ce n’est pas faire injure à la mémoire de l’homme que de dire qu’il était d’un abord difficile. Marc Pulvar n’était pas, en effet, un militant et un nationaliste à mi-temps comme beaucoup d’entre nous, hélas, y compris moi. Il vivait dans une verticalité permanente, intraitable avec les patrons, en particulier Békés, sans complaisance aucune avec ses camarades militants et surtout intransigeant avec lui-même.

C’est cette verticalité qui l’a poussé, une fois ses études de mathématiques terminées, à refuser d’enseigner dans le système scolaire français ou à embrasser une carrière de professionnel libéral. Il a d’abord enseigné dans l’école privée qu’il créa avec Edouard Glissant, l’IME (Institut Martiniquais d’Etudes), puis, le syndicalisme et la politique lui prenant sans doute trop de temps, il vécut de cours particuliers de maths durant des décennies. Mais très rapidement, la défense des travailleurs prit le pas sur son activité professionnelle et il devint la figure de proue dans les années 1977-2000 du combat contre l’injustice sociale régnant dans notre pays. Le mathématicien se mit à l’étude du droit et devint vite un expert redoutable au Conseil des Prud’hommes où plus d’une fois, il lui arriva de brandir tel ou tel texte qui démontait l’argumentation des juges ou des avocats de la partie adverse. Certains, aigris de ses succès, le surnommait «Monsieur Auroux» parce qu’il avait appris à connaître les lois Auroux sur le bout des doigts et qu’il donnait ainsi du fil à retordre au patronat. A les entendre, il y avait une énorme contradiction entre le fait d’être à la fois militant du MIM (Mouvement Indépendantiste Martiniquais) et syndicaliste cherchant à faire appliquer à la lettre le droit du travail français à la Martinique. Comme si un indépendantiste pouvait s’abstraire de la réalité et ignorer le fait que pour l’instant la Martinique est toujours française et que par conséquent, les Martiniquais, surtout les travailleurs, ont droit au respect! Comme si il fallait attendre le lendemain matin de l’indépendance pour lutter contre les licenciements abusifs ou les salaires misérables! Ce même reproche est fait à l’ASSAUPAMAR (Association pour la Protection de l’Environnement de la Martinique) accusée d’être indépendantiste et pourtant déterminée à faire appliquer chez nous le droit de l’environnement français. Comme s’il fallait laisser les terres agricoles être bétonnées et les mangroves détruites en attendant une hypothétique accession de notre pays à la souveraineté! Même reproche aussi envers le GEREC (Groupe d’Etudes et de Recherches en Espace Créole) accusé d’accepter le statut de «langue régionale» pour le créole et d’avoir demandé la création d’un CAPES de créole. Comme si on devait attendre les lendemains qui chantent pour faire entrer notre langue nationale au sein du système scolaire! On connaît ces critiques imbéciles. Marc Pulvar (tout comme l’ASSAUPAMAR et le GEREC) n’en avait que faire!

L’homme n’était pas un syndicaliste de bureau. Il était tout le temps sur le terrain, au premier rang dans les grèves lorsqu’il fallait parfois affronter les policiers ou les gardes mobiles. Si bien qu’un beau jour, il finit par se retrouver coincé entre quatre containers sur le port de Fort-de-France où une bande de «dogs», payés par les Békés, tentèrent de le tuer. Pour sauver sa peau, Marc Pulvar fit feu et fut évidemment emprisonné pendant quatre mois. Son courage et sa dignité à cette époque impressionnèrent tous les Martiniquais, y compris ceux qui d’habitude le vouaient aux gémonies. Bien entendu, les commanditaires de cette tentative d’assassinat ne furent jamais inquiétés ! Comme dans l’affaire André Aliker, seuls les exécutants payèrent la note.

Je ne suis pas en train de tisser une couronne de lauriers post-mortem à Marc Pulvar. En effet, lorsque ses camarades du MIM et lui évincèrent Frantz Agastha, père fondateur de la CSTM, la section-Education, dont j’étais le responsable, et la section de l’Hôpital de Colson furent les seules à voter contre. Mais ce fut, à l’évidence, une erreur de notre part car Agastha était vieillissant et sa manière de diriger le syndicat dans les dernières années de son règne était souvent incohérente. Pulvar et ses camarades eurent raison de procéder à ce que certaines personnes qualifièrent, à l’époque, d’OPA sur un syndicat qui avait le vent en poupe et qui était le fer de lance de la lutte des travailleurs. Mea culpa, donc…

Marc Pulvar fut donc longtemps, très longtemps, l’homme à abattre. Comme il était difficile à attaquer de front, ses ennemis l’accusèrent d’être un avocat marron et de recevoir des rémunérations occultes des mains de ceux qu’il défendait aux Prud’hommes. Une cabale fut même montée contre lui l’an dernier, alors même qu’il était en proie à un cancer généralisé, et alors qu’il était hospitalisé à La Meynard, il en fut extrait manu militari, transféré au SRPJ et interrogé sévèrement durant deux jours, ce qui aggrava son état de santé. Il s’avère que certaines personnes haut placées téléphonaient à tous les travailleurs que Pulvar avaient défendus dans le passé pour savoir si ce dernier leur avait demandé une quelconque rémunération et ainsi ils trouvèrent deux-trois «lapia» pour témoigner que oui. Notre pays possède beaucoup plus de «lapia» bipèdes que de «tilapia» dans nos fermes aquacoles. Cela chacun le sait ! Toujours est-il qu’il fut difficile à ces «lapia» de prouver leurs dires puisque la cabale finit par tourner en eau de boudin. Mais le mal était fait! Les ennemis de la cause martiniquaise se frottaient les mains désormais d’avoir réussi, selon eux, à salir la réputation d’un patriote martiniquais. C’était sans compter sur la mobilisation des patriotes de tous bord justement et de l’indignation de bon nombre de Martiniquais.

Je ne sais pas si Marc Pulvar demandait parfois des rémunérations aux travailleurs qu’il défendait, mais ce que je sais, c’est qu’en prenant leur défense devant les Prud’hommes, il accomplissait une tâche ingrate que nombre d’avocats martiniquais (mais pas tous heureusement!) dédaignaient. Avocats dont on se souvient d’ailleurs qu’ils refusèrent l’accès de Pulvar au barreau de Fort-de-France au motif que pour pouvoir exercer cette profession, on ne peut pas avoir été condamné par la justice et avoir fait de la prison. Rappelons que Pulvar n’avait fait que défendre sa vie devant une meute de «dogs» envoyée par le patronat béké! Bien que muni de tous les diplômes et toutes les qualifications nécessaires pour l’exercice de cette profession, Pulvar se vit donc barré par, cette fois-ci, la petite-bourgeoisie mulâtre et nègre. Celle pour qui, tout Martiniquais un tant soit peu vertical est un homme à abattre.

Marc Pulvar restera pour nous, en tout cas, un grand patriote martiniquais et un homme de cœur sous des dehors, nous l’avons dit, difficiles. Je me souviendrai toujours de ce jour où il mobilisa près de deux cent personnes pour investir la plage de l’Anse Couleuvre dont mon épouse, mon bébé d’à peine six mois et moi-même avions été chassés, en 1985, par le fils d’une certaine dame, pseudo-békée, qui se disait propriétaire des lieux. Devant mon refus d’obtempérer, le fils haussa le ton et me lança: «Cet endroit nous appartient depuis le 17è siècle. Vous n’avez rien à faire ici! Dégagez!». Puis, il retourna à la villa qui jouxtait la plage et se mit à tirer des coups de fusil en l’air pendant une bonne vingtaine de minutes, ce qui contraignit ma petite famille et moi à effectivement nous retirer. Mais, le dimanche d’après, militants de la CSTM, menés par Pulvar, et de l’ASSAUPAMAR les investirent toute la journée et à dater de ce moment-là, les soi-disant propriétaires de la plage comprirent qu’ils ne pourraient plus jamais l’interdire au peuple.

Enfin, je sais qu’au fond d’eux-mêmes, beaucoup de travailleurs martiniquais et de nationalistes, ont un immense regret s’agissant de Pulvar: le fait qu’il n’ait pas pu figurer sur une liste électorale aux élections régionales, ce qui, au cas où il aurait été élu, lui aurait encore offert une tribune supplémentaire pour défendre la cause martiniquaise. Mais ça, c’est une autre histoire…

HONNEUR ET RESPECT, CAMARADE PULVAR !

Raphaël Confiant
5. février 2008

Viré monté