Potomitan

Site de promotion des cultures et des langues créoles
Annou voyé kreyòl douvan douvan

Entrevue

La GUADELOUPE ET LA MARTINIQUE N’OBEISSENT A AUCUNE DES REGLES
QUE L’ON CONNAIT AILLEURS, NOTAMMENT DANS LA CARAIBE.

ANTILLA, l'hebdo de la Martinique - Janvier 2007

Mike Petricien

Mike Petricien est l’un de ces  cadres de la nouvelle génération ayant résolument choisi la Caraïbe comme champ d’action. Diplômé d’une grande école de commerce, après une spécialisation Amérique Latine et Caraïbe, à Vancouver au Canada, sa première expérience se déroule à Trinidad, pays en plein boum.

À Vancouver vous étiez entouré de camarades venant de tous les coins du monde. Comment, martiniquais, étiez-vous perçu?

Mike PETRICIEN : Mes camarades trouvaient extraordinaire que je vienne d’aussi loin et d’un pays si différent que le Canada. Que l’on arrive d’Europe avec ses pays froids, finalement, cela ne surprend pas. Par contre, dire que l’on arrive de la Caraïbe pour s’exiler dans une région où il fait un à deux  degrés toute l’année, cela suscite des interrogations. Mais cela ne dépassait pas le stade de l’interrogation, il n’y avait ni rejet, ni gène. Ce qui, en France, n’était pas le cas. En France, c’est clair, il m’est arrivé d’être rejeté parce que je n’étais pas un français de France, un français de Paris, où des pays Basques. On est d’ailleurs. On vous le fait sentir. Pour se faire accepter on doit faire semblant d’endosser  les stéréotypes qu’on vous attribue. Alors vous devenez l’Antillais qui s’amuse avec sa bouteille de rhum à portée de main. Il m’est arrivé, au début de jouer le jeu. Le temps que les amis que j’avais choisi découvrent vraiment qui nous sommes et imposer ma réalité. A Vancouver, dans les yeux de mes amis Vietnamiens, Coréens et autres j’étais français. Avec nous, il y a avait un autre français venant de la même école que moi mais de la branche parisienne, nos camarades faisaient la différence. Ils me le disaient. Je pense qu’à travers ce Français de France  nos camarades identifiait le mal français. C’est-à-dire, des gens qui se baladent avec leurs certitudes et la conviction que ce qu’ils font est toujours supérieur.

Le Français de France et le   Martiniquais se sont-ils opposés?

Disons qu’il y a eu débats. Nos cours se passaient sous forme d’exposés. Lorsque vous étudiez l’Amérique latine et la Caraïbe, vous ne pouvez ignorer le colonialisme et ses acteurs, ni   les victimes de ce colonialisme.  Mon camarade a tenu a présenter l’une des grandes figure historique de la France: Napoléon. Bien entendu, il présenta l’empereur comme un pur génie ayant contribué au bonheur de l’humanité. L’embêtant est que la même semaine j’avais lu le livre de Claude Ribbe avec les vérités que nous savons, nous autres Martiniquais. Je l’ai laissé faire son exposé puis, devant une scène internationale, puisque notre classe  était  finalement une scène internationale, j’ai rappelé que, certes Napoléon a été un grand homme digne d’admiration à bien des égards, mais que pour nous Antillais c’est avant tout un sacré esclavagiste et que le présent exigeait que cette vérité soit prise en compte. J’ai été impressionné par l’attitude de mon camarade, c’était comme si j’avais saboté ses rêves, comme si j’avais dit à un gamin que Dorothée n’aimait pas les enfants. Napoléon, s’était sa fierté française. Alors, face à ce garçon qui hors de son pays avait de puissants repères,  face à des camarades venant de tous les coins du monde, j’aurais aimé brandir autre chose que des repères de victimes. Et, cela m’a vraiment embêté de lui dire que son repère  était la souffrance de mes ancêtres. Bien sûr, il a complètement rejeté tout ce que j’ai dit. Je lui prêté le livre de Claude Ribbe. Il a accepté de le lire pendant quelques jours de vacances à Paris. Lorsqu’il est revenu il m’a simplement dit: «Tu avais raison, j’ai lu le livre, je me suis également renseigné autre part, ce sont des faits historiques que l’on ne peut nier» Il ne m’en a pas voulu, au contraire nous sommes devenus d’excellents amis, se disant qu’il faut regarder l’avenir.

Comment est perçu la Martinique en tant que pays?

C’est clair, la Martinique n’existe pas pour cette région du monde  pourtant son berceau. Qu’un étudiant Coréen ne connaisse pas la Martinique, ce n’est pas grave, moi non pus je ne connais pas toutes les îles qui gravitent autour de la Corée, par contre que des professeurs occupant des fonctions très importantes dans des banques de développement de la Région aient si peu d’informations sur la Guadeloupe et la Martinique, je trouve cela affolant pour nous. Il y a dans la pratique des choses deux cartes de la Caraïbe: celle que nous avons, nous Antillais où tout le monde est visible, et celle qu’ils ont, eux,  et dans leur carte nous sommes absents La Guadeloupe et la Martinique n’obéissent à aucune des  règles normales que l’on connaît ailleurs. En outre, le peu d’informations qu’ils ont sur nous est en français. Peu de gens parlent le français. J’ai, dans les cours qui nous étaient faits, entendu des choses ahurissantes, au point où j’ai été obligé, de rectifier. Là où c’est grave, c’est que mon ami parisien s’opposait, parce que lui comme eux, ne nous connaissait pas dans notre réalité historique, sociale, économique. L’espoir, tout de même, c’est qu’il n’y a jamais  hostilité. On vous écoute, et on se rend bien compte d’un vide qu’il faut combler. Mais, pour le moment, nous n’existons pas.

Vous êtes actuellement en poste à Trinidad où vous manager une entreprise. Comment êtes-vous perçu par les Trinidadiens?

Si nous parlons du personnel, je ne pense pas que le regard posé sur moi soit particulier, parce que je suis martiniquais. Lorsque vous travaillez à Trinidad, je n’ai pas l’impression que l’on vous regarde comme un étranger, c’est l’attitude du début mais, et cela me rappelle un peu les Etats-Unis, très vite vous cessez d’être un étranger. Aujourd’hui, je ne sui plus un étranger. C’est un pays qui vous pousse à l’épouser, à vous intégrer.

Les Trinidadiens vous donnent-ils l’impression de connaître la Martinique?

Vous rencontrez deux sortes de Trinidadiens: ceux qui vous disent avec enthousiasme, je connais la Martinique, ma grand-mère parle le créole, et cela m’arrive souvent!  En effet il y a beaucoup de Martiniquais installés.  Et puis deuxième réaction, la Martinique? Connaît pas! Bien sûr, on connaît Sainte-Lucie, Grenade, Jamaïque. Pour ceux-là, en réalité, cela  dépend du milieu social et du bagage intellectuel. Il faut également savoir, qu’il y a une vraie influence française à Trinidad, quand vous vous promenez en voiture beaucoup d’établissements ont des noms français, super marché, centre commerciaux, boutiques de vêtements etc. Des entreprises locales avec des produits locaux et des noms français. C’est paradoxal, parce que, à Trinidad, on ne parle pas le français, mais on sent l’influence française,  dans les noms des rues, des magasins. J’ai l’impression d’être perçu comme un français sans nuance, même si je sens dans le regard et l’attitude des gens une complicité culturelle.  

Quand vous faîte un parallèle avec le développent économique entre Trinidad et  la Martinique, quel est votre sentiment?

Trinidad est un pays indépendant avec des matières premières, et en pleine expansion. Il y a une fierté trinidadienne face à un essor économique directement lié aux fruits de votre terre, de votre pays,  de votre travail. Ce qui vous permet d’acheter des hôpitaux, des hélicoptères, le top des tops de la technologie en matière de surveillance des cotes et de  lutte contre la criminalité. A la Martinique, il n’y a pas un seul immeuble qui ressemble à ce que nous trouvons à Trinidad. Trinidad a attendu longtemps, mais cela arrive et à grands pas. En ce qui concerne la Martinique et de la Guadeloupe, je suis inquiet de la place qu’elles occupent dans cette région du monde qui est la Caraïbe et l’Amérique latine. Ce sont des régions qui actuellement explosent économiquement. De rue en terre battue, nous sommes en train de passer à de superbes autoroutes. En effet, aujourd’hui, lorsque qu’un pays émergeant devient riche, cela n’a rien à voir avec ce qui se passait au siècle dernier. Trinidad, par exemple, devient riche et passe d’un état zéro à celui d’un pays très développé. On ne met pas tout doucement des choses en place, on entre tout de suite dans la technologie hyper sophistiquée que, parfois, même la France ne possède pas. Cela peut-être dangereux  si dans cette frénésie du développement on oubliait les éléments fondamentaux qui assurent la paix sociale d’une société développée. 

Sur quoi repose votre inquiétude en ce qui concerne  la Martinique?

Le gouvernement, pendant longtemps, n’a pas favorisé et à même interdit les  relations commerciales entre la Martinique et  la Caraïbe, et peut-être que pour nos hommes d’affaires nos voisins n’étaient pas forcément intéressants. Aujourd’hui, ils le sont. Et c’est peut-être nous qui ne les intéressons  pas. Le Caricom est une réalité qui a entraîné tout un mouvement social caribéen avec deux chaînes télévisée de la Jamaïque diffusant leurs émissions sur toute la Caraïbe, l’état d’esprit est: marché unique caribéen. Les Barbadiens viennent de plus en plus en vacances à Trinidad, les Trinidadiens vont à Sainte-Lucie. Je pense que cela a débuté avec les échanges universitaires. La plus grosse université se trouve en Jamaïque et elle draine beaucoup d’étudiants. Il s’est donc crée un bloc caribéen. La question cruciale qui se pose pour nous: Qui sommes-nous?

Les Martiniquais répondent Martiniquais et français…

Oui, mais ce concept a du mal a être compris. J’ai eu le même problème au Canada, Français et Martiniquais? on avait du mal à comprendre. Pour nos voisins cela n’a pas de sens. Je fréquente un club de sport où j’ai rencontré un ministre trinidadien qui est en relation avec un responsable politique de  chez nous et qui voulait travailler avec Trinidad, mais les choses traînent et n’aboutissent pas parce que, me dit le ministre, c’est très compliqué. En effet,  chaque décision que prend cet élu doit être ratifiée par une hiérarchie et cela prend énormément de temps. Dans le monde où  nous vivons aujourd’hui, vous êtes en charge ou vous ne l’êtes pas.  Etes-vous celui qui décidez qu’une ligne aérienne doit être ouverte entre mon pays et vous vous oui ou non? Vous êtes soumis à autorisations, d’accord, mais nous devons aller vite! Alors, autant s’adresser directement aux décideurs. Il y a peut-être des solutions répondant à cette situation,  il serait urgent de les trouver car la Caraïbe ne nous attend pas.

Nos jeunes diplômés qui ne trouvent pas de travail chez eux, pourraient trouver leur bonheur dans la Caraïbe, non?

Oui, nos jeunes diplômés pourraient trouver leur place dans la Caraïbe, mais le bureau de l’immigration leur demande: qui êtes-vous? Ah? Vous êtes français, pas de problème, voilà votre visa pour un mois. Ensuite, au revoir monsieur. Est-ce normal? En Europe, n’importe quel ressortissant  du bloc européen va et s’établit où il veut en Europe. Le Sainte-Lucie ou le Dominicain va à Trinidad et où il veut dans la Caraïbe et reste  autant qu’il le veut. Il est compris dans  le programme du Caricom. Cela n’est pas notre cas. Nous sommes des touristes dans la Caraïbe.

Propos recueillis par Tony DELSHAM

Viré monté