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Fort-de-France il y a cinquante ans
Christian Crabot
La Savane de Fort-de-France en 1955.
Christian Crabot, Professeur agrégé de géographie, résida à la Martinique dans les années 1950. Il y réalisa, avec Jean Benoist, la cartographie des plantations de l'époque (Carte des plantations et des habitations de la Martinique en 1960 - 1/50 000). Il est aussi l'auteur d'un article sur "Les habitations de la Martinique à l'épreuve du boom démographique et touristique", paru dans l'ouvrage: Au visiteur lumineux, 2000, pp 237-251. |
Les données qui suivent sont extraites d'«études du milieu» réalisées en 1955-56 par des élèves du lycée Schœlcher, sous la direction de Christian Crabot, professeur d'Histoire-géographie. |
Au Pont de l'Abattoir sur la Rivière Madame (alors surnommée "Rivière Caca"), un "gendarme Ti-bâton" règle une criculation déjà sensible, rythmée par les horaires scolaires. au fond le Lycée Schœelcher.
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L'agglomération foyalaise en 1955
Comptant environ 70'000 habitants, Fort-de-France ne débordait encore guère des limites communales, si ce n'est sur la route de Schœlcher, sans toutefois atteindre l'ancien village. A l'est, au-delà de Châteaubœuf, FdF et le Lamentin étaient encore séparés par les cannes des Habitations (la Favorite, Acajou), des mangroves, et le long de la RN 1 les cases des mornes (quartiers Gondeau et Jeanne d'Arc). La seule «zone d'activités», dans une Martinique encore très loin de la société de consommation, était alors en ville, sur le «Bord de mer» et à la Pointe Simon (qui fut ravagée par un incendie en 1956).
L'incendie de la Pointe Simon. (1956) |
D'aspect encore largement «colonial», le Centre-ville comptait, entre Levée (Bd G. de Gaulle) et Bord-de-mer, 14'000 habitants et concentrait presque toute l'activité administrative, commerçante et de services; on y comptait aussi 4 cinémas Gaumont, Olympia, Pax et surtout le Ciné-Théâtre, dans les bâtiments de la mairie. Ce dernier accueillait des troupes théâtrales, dont tous les ans les Tournées Gosselin avec, en 1956, Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud. La rue Victor-Hugo alignait déjà ses magasins pour les touristes de croisière (Beaufrand, Mad, Roger Albert…) et la Savane ses cafés si animés en fin de journée: l'Europe, le Central, la Rotonde et surtout l'Impératrice. La partie ouest du centre-ville était plus populaire, autour des marchés de la rue Isambert et de la Croix-Mission, reliés par les bazars de vêtements et chaussures de la rue Arago, tenus par les «Syriens» (Doumith, Nasser…), en fait d'origine libanaise. Un parking venait d'être aménagé sur le côté nord de la Savane (avenue Duparquet, aujourd'hui avenue des Caraïbes).
Fort-de-France en 1955. |
Ce centre était alors flanqué de quartiers populaires à la voirie incertaine et aux maisonnettes basses, en bois ou en dur, avec pour seuls commerces les «débits de la Régie»: à l'est, au-delà du port, Sainte Thérèse (environ onze mille habitants) où se trouvent les deux principales usines foyalaises: la centrale thermique (une centaine d'ouvriers) et les Forges de Ste Thérèse (environ 150) en marge desquelles a commencé à se créer le bidonville de «Volga-plage». Au nord, les Terres-Sainville est un quartier d'artisans et d'employés de onze mille habitants qui prolonge le centre-ville. Sur les mornes pentus qui dominent la ville s'accroche le fouillis de cases des quartiers Rive droite Levassor, l'Ermitage, Crozanville, Morne-Pichevin, au total 17'000 habitants. Dans un second cercle, les quartiers moins denses de Redoute, Ravine-vilaine, Balata et Tivoli abritent, avec Châteaubœuf, huit mille personnes au milieu de jardins vivriers.
Voirie précaire à Sainte Thérèse - Rue du général Mangin. |
Les quartiers populaires avaient de nombreux «débits de la Régie», petites boutiques où se détaillaient rhum, kérosène, huile d'éclairage, allumettes, morue salée et autres petits produits d'épicerie: sur les 550 que comptait FdF, environ 150 à Ste-Thérèse – Morne Pichevin, 126 en centre-ville, plus d'une centaine aux Terres-Sainville-Trénelle.
Les quartiers ouest, mis à part Texaco, offrent une dominante résidentielle de villas et petits immeubles récents, tels Sainte-Catherine, Plateau-Fofo, Bellevue-Clairière (fonctionnaires souvent métropolitains) et Didier, quartier de prédilection des Blancs-créoles (békés) qui n'avaient pas encore investi les Caps de l'est atlantique).
Le territoire communal comportait encore un vaste domaine de plus de 100 hectares de cannes, la Dillon, avec sa distillerie, terroir qui fera place dans les années 70 au grand ensemble, puis au stade.
La croissance démographique est forte, alimentée par l'exode rural et une forte fécondité: en 1955, l'excédent naturel était de l'ordre de 2000 (+ 3% par an) avec 2'780 naissances domiciliées (c.à d. issues de mères de la commune) et 802 décès: le taux de natalité était de l'ordre de 40 pour mille! La ville était particulièrement fière de deux établissements sanitaires, toutes deux dans la montée sur Redoute: l'Institut Pasteur, dirigé par le très populaire Dr Montestruc, et la Maternité, considérée alors comme la plus moderne de la Caraïbe.
Le port
Bœuf Porto-Rique Chappé (Gilbert Gratiant)Bœuf Porto-Rique chappé ! oué-lé-lé !
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Seule porte d'entrée et de sortie pour les marchandises (le fret aérien étant alors presque nul), le port de Fort-de-France appartient à la Compagnie générale transatlantique; il comprend un port bananier, un quai pour les paquebots, des ateliers de réparation, un bassin de radoub porté à 120 mètres.
Fort-de-France est desservi par trois lignes régulières françaises:
- la ligne LE HAVRE – les ANTILLES via Vigo (Espagne) et Pointe-à-Pitre, se prolongeant jusqu'au Venezuela via Trinidad. Elle est assurée par les paquebots Flandre et Colombie (16'000 t), puis par Antilles (21'000 t) et transporte environ la moitié des flux de passagers avec la métropole, en une traversée d'une dizaine de jours et à raison d'une trentaine de rotations par an. L'autre moitié des voyageurs utilise l'avion depuis que l'aéroport du Lamentin a été ouvert (en 1950) et peut recevoir des Super-Constellation de 60 tonnes.
- La ligne MARSEILLE-TAHITI-NOUMEA via le canal de Panama, assurée par les paquebots-mixtes «le Calédonien» et «le Tahitien» des Messageries maritimes. A raison d'un passage mensuel, Fort-de-France n'est qu'une escale sans grand trafic passagers.
- Les liaisons régionales Guadeloupe-Martinique-Guyane sont bi-mensuelles, sur les petits cargos mixtes «la Pinta» et «la Nina», le trafic Métropole-Guyane transitant alors par Fort-de-France.
Une ligne italienne GENES-CANNES-VENEZUELA fait aussi escale une quinzaine de fois par an; en outre des bananiers («Fort-Dauphin», «Fort-Desaix») prennent aussi à leur bord une vingtaine de passagers vers Dieppe ou Rouen (ainsi que 900 tonnes de bananes).
Au Carénage accostaient une centaine de goélettes par an, deux-mâts assurant des liaisons passagers et fret vers les îles voisines et Porto-Rico, d'où étaient importés des bovins de boucherie.
Enfin en 1954, onze paquebots américains de croisière avaient fait des escales de la journée, durant le Carëme.
En 1954, le port de Fort-de-France avait effectué un trafic d'environ 350'000 tonnes, assez équilibré entre importations (180 mt) et exportations (170 mt), reflétant l'importance qu'avait alors l'économie de plantation et le faible niveau de vie des populations.
Importations |
Exportations |
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Hydrocarbures | 36 mt ( 20%) | Sucre | 67 mt ( 40%) |
Engrais | 22 mt ( 12%) | Bananes | 63 mt (38%) |
Ciments et fers | 21 mt (11,5 %) | Rhum | 15 mt (9%) |
Farines | 17 mt ( 9,5%) | Conserves | 2 mt ( 1,2%) |
Divers | 84 mt (47%) | Divers | 23 mt ( 12 %) |
Total | 180 mt | Total | 170 mt |
dont transit vers Guyane | 15 mt |
La Compagnie Générale Transatlantique assurait 58 % du tonnage importé. Les produits pétroliers étaient importés des Antilles néerlandaises et du Venezuela sur les tankers de la Shell, principalement par les sociétés De la Houssaye (16%), Plissonneau et Cie (16%), Dormoy ( 6%°), Cotrell ( 1,5%).
Les transports en commun à FdF :
Lignes de transports en commun à Fort-de-France. (1956) |
En 1956, le réseau urbain comprenait une quinzaine de lignes desservies par des bombes (camionnettes aménagées d'une vingtaine de places) partant pour la plupart de la Croix-Mission (pl. Galliéni) et de la place Fénelon pour les lignes de la Redoute et Ravine-vilaine. Une ligne «de ceinture» (n° 15) faisait le tour du centre-ville de la «Levée» (Bd Ch. de Gaulle) au Bord-de-mer. La ligne la plus fréquentée était la n°1 vers Sainte-Thérèse et Châteauboeuf (une trentaine de rotations pour 5 à 6 mille passagers/jour), suivie des lignes n° 5 (route de Schœlcher, 3'500 passagers) et n° 3 vers Redoute (2'400 passagers). Au total 116 véhicules et une moyenne de vingt mille passagers quotidiens.
Les Taxis-pays : un réseau radial vers FdF :
L'île ne comptant alors que 4 automobiles pour 100 habitants, et en l'absence de tout réseau ferré de passagers, les transports en commun étaient alors vitaux pour les habitants des «communes» et l'acheminement des produits vivriers, fruits et légumes-pays, volailles. Si l'on excepte les vedettes assurant des liaisons maritimes vers les Anses d'Arlet, l'Anse Mitan et les Trois-Ilets, tout dépendait des «taxis-pays», au nombre de 150, camions colorés et largement aérés transformés par l'aménagement de banquettes en bois. Ils partaient généralement des communes à des heures très matinales pour arriver à FdF vers 8 heures du matin et repartir dans l'après-midi: les gares routières se situaient à la Croix-Mission pour les lignes du nord et au Carénage (côté est de la savane) pour celles du sud.
L'état des routes, la surcharge, les arrêts sur demande rendaient les trajets très longs: 3 heures pour le Marin, 5 heures pour Grand'Rivière. Les accidents étaient malheureusement assez fréquents et graves: ainsi en 1955, y eut-il 4 morts sur la ligne de Fond Saint Denis. La carte montre la faible desserte du sud, alors beaucoup moins peuplé, et de la côte caraïbe du fait de la difficulté de la route (la pente du morne aux Bœufs, au sud du Carbet, était redoutable): les autobus du nord lui préféraient la Trace malgré ses sinuosités. Les axes les plus fréquentés étaient donc FdF – Trinité par Saint Joseph et le Gros-Morne, et surtout celui de FdF vers la plaine du Lamentin.
Cliquer sur l'image pour l'agrandir. (752 KB) |
Document : La route de Didier vue par Améline Marimoutou (élève du Lycée)
Il tire son nom de Mr Alphonse Didier, ancien maire et fondateur de l'établissement thermal. La route de Didier commence à la «croisée Schœlcher» et égrène ses villas sur 4 km. On y voit d'abord le réservoir d'eau – qui alimente le centre-ville et les Terres-Sainville-, l'Evêché et la première usine électrique, créée par Paul Porry. A la croisée de Clairière, une route mène à l'immeuble des fonctionnaires, moderne et comptant 21 appartements, ainsi qu'à la Radiodiffusion française.
A 1,1 km, se trouve le Noviciat, centre de formation ecclésiastique. Puis vient le vrai quartier résidentiel avec les demeures du directeur de la BNCI, de l'ancien directeur de la Compagnie générale transatlantique, puis la résidence du consul des Etats-Unis.
Au km 1,6 se sqitue la résidence préfectorale à l'entrée ornée de flamboyants, puis celle de l'actuel directeur de la Compagnie.
Sur le Plateau Didier, on voit la résidence du Secrétaire général de la Préfecture, en face de la Poste au 2ème km. Le chemin de l'Union conduit au quartier le plus riche de la ville: c'est là qu'habitent les grands Usiniers, tels MM. Aubéry, Hayot, de Jaham.
Au Vieux-Moulin, jadis résidence du Gouverneur, Air-France a installé un hôtel pour développer le tourisme. Autour, habitent le directeur de la Caisse centrale de la France d'outre-mer et d'autres hauts fonctionnaires.
A 4 km se situe la station de traitement des eaux, réunissant les trois rivières d'Absalon, Dumozé et Case-Navire, datant de 1949. Enfin, à 8 km la route aboutit à l'établissement thermal, anciennement source Roty.
Le quartier de Didier continuant à s'urbaniser, on y projette une église et une école sur une des propriétés de Mr Dorwling Carter, propriétaire des autobus desservant la ligne de Didier.
Le départ des taxis-pays au Carénage. |